Cécile Méadel, « Nouveaux formats et échanges radiophoniques », In
Fabrice d’Almeida (dir.), La question médiatique. Les enjeux historiques et
sociaux de la critique des médias.
Paris, éditions Seli Arslan, 1997, pp 115-126
NOUVEAUX FORMATS
ET ECHANGES RADIOPHONIQUES
Face à la question posée par cet ouvrage “quels enjeux pour la critique des
médias ?”, le cas des radios privées paraissait exemplaire. Leur critique en
effet aisée. Pour beaucoup, la cause est entendue : les nouvelles radios, nées
de la libéralisation des ondes, dans la mouvance des mouvements des
années 70 ont gâché les objectifs de communication sociale et d’expression
locale qui leurs étaient assignés. Certes le paysage radiophonique s’est
considérablement transformé en moins de vingt ans, la petite dizaine de
stations audibles en France a été multipliée par 200, de nouveaux formats se
sont développés, des communautés religieuses, nationales, régionales ont
accès librement au micro.
Ces radios ne sont pas devenus des instruments aux mains d’un pouvoir
politique, mais, loin des craintes d’anarchie sociale qu’elles avaient suscitées,
elles sont au contraire rentrées pour la plupart dans un modèle
d’organisation économique qui en fait des entreprises comme les autres. Les
dysfonctionnements sont nombreux (je parle toujours au nom de cette
critique collective -probablement un peu projective- qui s’exprime dans les
médias eux-mêmes), les dysfonctionnements sont donc nombreux :
différends entre les réseaux, querelles des associations mariées souvent sans
amour dans une fréquence commune, rachats nombreux des indépendantes
par les grandes stations nationales, dérapages non contrôlés des propos,
inintérêt des programmes, vente à l’encan des fréquences… la liste est
longue.
Je voudrais d’abord m’arrêter sur les éléments qui viennent nourrir cette
critique en donnant quelques éléments sur l’organisation présente des radios
privées puis ensuite essayer de comprendre les préalables sur lesquels
C. Méadel. 2
reposent cette rhétorique critique, sur laquelle il me semble que les sciences
sociales doivent s’interroger.
I - UNE HISTOIRE INSCRITE DANS LES MOUVEMENTS SOCIAUX
La cause semble entendue : au regard de leurs dernières transformations,
les radios privées maintiennent avec peine l’idéal de communication locale,
communautaire, culturelle. Cet idéal n’est pas une projection, c’est celui qui
était assigné aux radios privées au moment de leur création.
Revenons-y rapidement. Des centaines de radios libres se mettent en place
après 1977. Elles sont au carrefour de deux mouvements : le développement
de l'audiovisuel (vidéo légère, diaporama, magnétoscopes…) et les
aspirations à la "communication sociale" portée par l'écologie, le féminisme,
les gauchismes, tous ces mouvements qu'on englobe sous le terme "post-
soixante-huitards"
1
. Le refus d'être un utilisateur "passif et manipulé", selon
le procès fait aux médias traditionnels, unit les prosélytes avides de se
construire un espace réservé et les ludiques passionnés de radiophonie ; du
lycéen qui fait sa radio tout seul dans sa chambre de bonne au maire
giscardien de Montpellier, tous font "de la radio comme d'autres de la
confiture
2
", à tâtons, sans recettes, avec des moyens artisanaux et des
bénévoles. C'est le temps du bricolage et des expériences.
Du côté des politiques, les ambitions sont également très grandes
3
.
Rappelons seulement les mots de Georges Fillioud, en réponse à une
question orale du centriste Jean Cluzel sur la politique audiovisuelle, précise,
définissant ainsi ce qu’il en attendait : «Une communication sociale, de
proximité, au niveau de la ville moyenne, du quartier ou du canton,
1
Cojean, Annick et Eskenazi, Frank, FM la folle histoire des radios libres, Paris, Grasset,
1986 et Thierry Bombled, Devine qui vient parler ce soir ? Petite histoire des radios libres, Paris,
Syros, 1981,175 p.
2
Daniel Populus, “Libres antennes, écrans sauvages”, Autrement, n°17, février 1979. Voir
aussi Prot, Robert, Des radios pour se parler. Les radios locales en France., Paris, La
documentation française, 1985, 141 p.
3
Du point de vue politique, l’histoire de ces premières années est analysée par
Chauveau, Agnès, L'audiovisuel en liberté ? Histoire de la Haute Autorité, Paris, Presses de
Sciences Po, 1997, 543 p. Voir le chapitre 11 de Jeanneney, Jean-Noël, Une histoire des médias
des origines à nos jours., Paris, Seuil, 1996, 374 p.
C. Méadel. 3
d'inspiration communautaire ou associative sans but mercantile»
4
. On sait
que la volonté de chasser la publicité des ondes radiophoniques n’a tenu que
le temps qu’elles inventent mille façons de détourner la loi (par la publicité
clandestine ou autres) et que dès 1984, les radios sont autorisées, sous
quelques réserves à passer des messages publicitaires. A la fin de 1984, plus
de huit cents radios étaient autorisées sans compter les nouveaux projets qui
ne cessaient d'affluer. Le temps des pirates est terminé ; commence la longue
marche vers le commerce dans les deux sens du mot : commerce des objets,
vers la maturité économique et commerce des hommes avec l'extension de la
sociabilité hors du cercle restreint des initiés.
La publicité interdite, les radios doivent trouver les moyens de vivre. Le
bénévolat commence à s'user, on s'aperçoit qu'il faut de l'argent pour vivre
et pour nourrir les 84 heures hebdomadaires qui, selon la loi, doivent être
diffusées au minimum pour conserver une antenne. Pendant trois ans, les
radios vivent de subventions ou de petites combines, sponsoring déguisé,
publi-reportage masqué, inféodation à une association, un parti, un journal,
une municipalité…, vente de temps d'antenne et même, bravant
ouvertement la loi, messages de publicité. La périradiophonie remplit elle
aussi les caisses en envoyant des journalistes couvrir des événements
commerciaux, en produisant disques et cassettes, en organisant des
spectacles. La loi autorise la diffusion de 20% de programmes non produits
par la station et par cette brèche, s'engouffrent les agences de produits
radiophoniques gratuits pour les stations mais payées par un producteur de
film, une agence de voyage, un industriel. Même ceux qui s'étaient le plus
opposés à la publicité, les quotidiens régionaux, sont obligés de reconnaître
que "la loi interdisant la publicité sur les ondes a été faite par des naïfs à
l'usage des malins"
5
. La loi de 1986, plus pragmatique, autorise les réseaux
qui ne l'avaient pas attendue pour exister, et redéfinit la liste des stations
autorisées.
Face à la pression très forte d’entrepreneurs de la radio, le pouvoir
politique a globalement persisté, avec des fortunes et des moyens divers,
depuis cette période dans la volonté de maintenir une certaine diversité du
paysage radiophonique, dans sa composante à la fois locale et associative. Le
modèle français traditionnel d’une régulation de l’audiovisuel incluant la
coexistence d’un double secteur (né à la fin des années 20) persiste en
4
Assemblée nationale, 16 juin 1981
5
Roger Bouzinac, président de la Fédération nationale de la presse française. Voir
François Cazenave, Les radios libres, Paris, P.U.F., 1984, 2ème éd.
C. Méadel. 4
définitive, faisant du monopole qui semblait si solide une simple parenthèse
dans notre histoire de la radio-télévision
6
.
Ainsi la loi du 30 septembre 1986 prévoit un fonds de soutien à
l’expression radiophonique chargée d’aider financièrement les radios dont
les ressources publicitaires représentent moins de 20% de leurs chiffres
d’affaires. Un décret ultérieur (9 novembre 1994) réserve la publicité locale
aux radios qui diffusent un programme local. En dépit de ces dispositions,
les quinze premières années de l’histoire des radios privées seront marquées
par un conflit permanent sur le degré de protection à accorder aux postes
non commerciaux et par le recul permanent de leurs prérogatives face aux
réseaux.
DES DIFFICULTES CROISSANTES DE FONCTIONNEMENT
Dans cette perspective de protéger toujours la communication associative
et sociale, le CSA a défini (lors du “fameux” communiqué 281, en novembre
1994) les cinq catégories de radios privées
7
, en fonction de leur rattachement
ou non à un réseau national et de la place qu’elles accordent à la publicité.
Or aujourd’hui, cette répartition suscite un profond malaise de nombreuses
radios, qui voudraient soit pouvoir changer de statut, soit que leur position
locale soit confirmée pour les aider à lutter contre la menace toujours
présente des réseaux.
Le mécontentement qui règne dans les radios privées et qui va contraindre
au printemps 1997 le gouvernement à réfléchir à une modification de la loi
sur l’audiovisuel a de multiples causes. Du côté des réseaux thématiques, les
principales chaînes cherchent à se construire une triple programmation pour
couvrir toutes les cibles mais elles doivent pour cela obtenir des fréquences
sur tout le territoire. Face aux trois formats radiophoniques différenciés que
proposent Europe
8
et RTL
9
, NRJ qui a imposé son second format, Chérie FM,
peine à trouver des espaces pour Rires et Chansons.
6
parenthèse qui aura duré un peu plus d’une trentaine d’années.
7
A : associatifs éligibles au fonds de soutien, B : locales indépendantes, C : locales
diffusant le programme d’un réseau thématique national, D : thématiques nationales (ce sont
les grands résaux, type NRJ…), E : Généralistes (RTL, Europe et RMC). Las radios de service
public formant une sixième catégorie qui ne relève pas des mêmes règles.
8
Europe 1 et 2, RFM
9
Fun, RTL, RTL2. RMC a également trois réseaux : RMC, Nostalgie, Montmartre
C. Méadel. 5
Du côté des radio associatives ou indépendantes, la situation est difficile
pour une minorité significative. Si on prend comme références les 38 radios
de catégories A que compte la région parisienne (et qui représentent 40% des
radios privées existantes dans la circonscription) et les 30 de catégories B, on
constate qu’une majorité d’entre elles ont de sérieux problèmes financiers,
qui les rendent extrêmement vulnérables aux sollicitations des groupes
radiophoniques ou ne leur laissent plus que la possibilité d’être des “robinets
à musique”. Leurs situations sont certes très différentes. Entre les 25 millions
de francs de budget annuel de O’FM, la radio des Hauts de Seine (soutenu
par Charles Pasqua) et les trois cent mille francs de chiffre d’affaires de
Radio Pays qui soutient les langues minoritaires ou encore les cinquante
mille francs de budget de Radio Jean Vilar, du nom du même collège de la
banlieue parisienne, pour ne citer que des radios associatives (A), l’écart est
bien sûr immense mais il reflète bien la diversité des situations.
La situation est pour l’heure bloquée : un nombre élevé de radios est dans
une situation fragile du point de vue économique et humain, elles ne
peuvent pas adhérer à un programme type Rire et chansons (qui leur
apporterait des ressources) parce que cela entraînerait un changement
substantiel de leur programmation, non autorisé par leur cahier des charges.
Le gouvernement a figé la situation en prévoyant pour ne pas mettre en
situation difficile les entreprises radiophoniques que les autorisations
d’émettre seraient, sauf fautes graves, renouvelées automatiquement.
Certaines radios associatives ou locales, communautaires ou scolaires
manquent donc d’argent, elles sont obligées de sous-louer leurs heures
d’antenne à différents groupuscules, avec lesquels elles n’entretiennent
souvent qu’un rapport commercial ; leurs programmes en sortent appauvris,
elles n’exercent plus le rôle d’animation communautaire ou culturelle qu’on
attendait d’elles. Certains finissent même par fonctionner en circuit fermé de
producteurs et d’auditeurs, n’ayant plus besoin ni désir d’être écouté en
dehors d’un cercle d’initiés (comme cela est arrivé à la station Ici et
Maintenant qui fonctionnait sur le principe de la libre antenne en direct).
Voici donc, à très grands traits bien sûr, quelques éléments qui nourrissent la
critique sur la diversification du monde radiophonique.
DE LA DIVERSITE DES FORMATS A L’HOMOGENEITE DES
PROGRAMMES
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