Que Vlo-Ve ? Série 4 No 19 juillet-septembre 2002 pages 87

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Que Vlo-Ve ? Série 4 No 19 juillet-septembre 2002 pages 87-91
Varia FONGARO, BURGOS, BOHN et DECAUDIN
© DRESAT
VARIA
APOLLINAIRE ET JACOPONE
Dans un intéressant article1, intitulé « C est le fils pâle et vermeil de la douloureuse mère
», Sandro Gugliermetto signale avec pertinence que le « vers »2 de « Zone » qui sert de titre à son
étude provient d'un vers de Jacopone da Todi dans les Laudi. Il s'agit du dialogue entre le Christ
sur la Croix et sa mère ; à son fils qui lui demande pourquoi elle se lamente la vierge Marie
répond :
Figlio bianco e vermiglio,
figlio senza simiglio,
figlio, a chi m'appiglio ?
figlio, pur m'hai lassato !
S. Gugliermetto observe : « La traduction de la première ligne est "Fils pâle et vermeil",
bianco (= blanc) étant en italien un synonyme très commun de pâle ». Après avoir souligné que
le génie d'Apollinaire « introduit et cache les mots de Jacopone à l’intérieur du tissu du poème »,
il continue : « Nous ne savons pas quelle a été l'occasion biographique par laquelle Apollinaire a
pu connaître l'oeuvre de Jacopone da Todi ».
En réalité, l'occasion biographique n'est pas difficile à trouver. Dans le volume sur Le
Théâtre italien (224 p.), qu'Apollinaire publia en 1910, dans la collection « Encyclopédie
littéraire illustrée », chez l'éditeur Louis Michaud, c'est par Fra Jacopone da Todi qu'il ouvre son
« Choix de textes », et avant de donner la traduction de deux larges extraits (p. 55-8) du « grand
poète lyrique italien », il écrit (p. 54) :
Beaucoup de ses poésies, appelées Laudi, sont des dialogues et ont un véritable caractère
dramatique.
Les adieux déchirants du Christ crucifié et de sa mère dans Notre-Dame du Paradis sont
admirables :
Le Christ. - Mère pourquoi es-tu venue ? Mère, pourquoi te lamentes-tu ?
Marie. - Mon fus blanc et rose, mon enfant sans pareil, ô mon fils, pourquoi donc m'as-tu quittée ?
On remarque tout de suite que la traduction de « Figlio bianco e vermiglio » par « Mon
fils blanc et rose » fait de Marie une maman pleine de tendresse et d'émerveillement devant son
petit enfant. La traduction par « le fils pâle et vermeil » fait du Christ le Crucifié, surtout avec le
complément « de la douloureuse mère » (qui traduit littéralement le mater dolorosa du premier
vers du Stabat) :
[87]
«pâle» des affres de l'agonie, « vermeil » du sang de ses plaies, c'est bien ainsi que nous voyons
le Crucifié.
Il faut reconnaître le « vers »de« Zone » est, pour nous, infiniment supérieur à la
traduction présentée dans le volume Le Théâtre italien. Il y a deux motifs à cela. D’abord, le
grand poète a réussi une présentation homogène du Fils souffrant et de la Mère douloureuse au
Calvaire, très précisément. Ensuite, et surtout, la traduction dans le volume sur Le Théâtre italien
n'est pas d'Apollinaire, mais de Frédéric Ozanam, dans son ouvrage Les Poètes franciscains en
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Italie au XIIIe siècle, très célèbre au XIXe siècle, qu'Apollinaire recopie tout de go.
A ce point, se présente un problème qui regarde, malgré ses limites restreintes, le génie
même d'Apollinaire. Il n'est pas du tout exclu, en effet, que la traduction d'Ozanam ne soit fidèle
au texte italien, car on lit dans la suite des vers cités plus haut :
Figlio bianco e blondo,
figlio, volto iocondo, figlio,
perché t’ha el mondo,
figlio, cusi sprezato ?
Figlio, dolce e piacente [... ]
Dans ces vers, il apparaît nettement que s'exprime le sentiment tendre et admiratif d'une
maman pour son enfant qu'elle voit comme le plus beau du monde (mais que le monde a
méprisé), et pas du tout la vision d'un agonisant torturé. Il ne faut pas oublier que la blancheur du
teint a été pendant des siècles et jusqu'à naguère une marque de beauté : dès lors, l'adjectif
bianco ne peut pas se traduire ici par « pâle » ; et l'adjectif iocondo (latin : jucundus) ne laisse
aucun doute.
Chez Jacopone, la Mère évoque le fils admirable qui n'est plus. Apollinaire fait voir le
Crucifié tel qu'il était au Calvaire.
Ainsi, à partir d'un souvenir ponctuel de lecture, indiscutablement attesté par la
conservation de l'adjectif « vermeil » (qui requiert, tout de même, une explication pour un lecteur
non averti), Apollinaire, en changeant l'orientation sentimentale du syntagme prélevé chez autrui,
a réussi (et c'est souvent le cas dans ses textes) à créer un vers nouveau et qui n'appartient qu'à
lui, tout en provenant de Jacopone. Ce n'est pas une traduction, c'est une appropriation.
Dès lors, il ne semble pas pertinent de parler ici d'« influence », comme le fait S.
Gugliermetto. Il n'y a aucune influence du mystique du Duecento italien sur la poésie
d'Apollinaire. Mais un lambeau des Laudi a été intégré par celui-ci à son texte, selon son système
habituel de création. S'il fallait parler d'influence dans de tels cas, des milliers d'influences
(depuis les Anciens jusqu'à Henri de Régnier, en passant par Gomez de Santistevan, les
Kryptadia et tutti quanti) se seraient exercées sur Apollinaire, qui ne serait plus lui-même.
Antoine FONGARO
[88]
1. Voir Que vlo-ve ?, avril-juin 2002, p. 36-9.
2. Il s'agit d'une combinaison 7 syllabes (« C'est le fils pâle et vermeil ») + 7 syllabes (« de la douloureuse
mère ») ; Jules Romains, dans ses écrits théoriques, préconise l'emploi du vers de 14 syllabes. Apollinaire, a un
certain moment, s'est rapproché des unanimistes ; cela se voit dam « Vendémiaire » et « Cortège ».
TROIS COUPS SUR LE BEC
M. Michel Slatkine est sans doute bien inspiré d'inscrire au Catalogue de ses Slatkine
Reprints 2002-2003, après Le Festin d'Esope et Les Soirées de Paris, les trois ouvrages signés
Guillaume Apollinaire qui avaient paru chez les frères Briffaut dans la collection « L'Histoire
romanesque ». Mais sans doute est-il moins bien inspiré, à tout le moins mal informé, lorsqu'il
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étend à La Fin de Babylone et Les Trois Don Juan la notice liminaire dans laquelle Apollinaire
avoue, non sans détours d'ailleurs, que La Rome des Borgia n'est pas de sa plume. On sait en
effet depuis quelque temps déjà, et on l'a fait savoir, que si ce dernier ouvrage revient à René
Dalize, les deux autres lui appartiennent en propre, sans doute aucun. De plus, à cette première
erreur M. Slatkine en ajoute deux autres : d'une part, en laissant croire que les trois ouvrages ont
été publiés simultanément en 1914, alors que La Rome des Borgia a vu le jour en avril 1913, La
Fin deBabylone en mars 1914 et Les Trois Don Juan en octobre 1915, ; d'autre part, en écrivant
que « ces trois ouvrages ne figurent pas dans les Œuvres complètes d'Apollinaire » - ce qui, pour
ce qui regarde les deux derniers, ne laissera pas de surprendre les apollinariens... et quelques
autres.
J[ean].B[urgos].
IONESCO ET L'ESPRIT NOUVEAU
Autant que je sache, personne n'a signalé un passage des Notes et contre-notes (1966)
d'Eugène Ionesco qui verse une lumière inattendue sur les origines de son esthétique. Il se trouve
dans un chapitre intitulé « Expérience du théâtre », publié d'abord dans La Nouvelle revue
française de 1958, où le dramaturge discute en détail les principes qui sous-tendent son théâtre.
Repoussant la dramaturgie réaliste pour les mêmes raisons qu'Apollinaire l'avait fait plus tôt,
Ionesco prétend, comme celui-ci, que son théâtre anti-réaliste est beaucoup plus réaliste que le
théâtre traditionnel : « Il faut réaliser une sorte de dislocation du réel », explique-t-il, « qui doit
précéder sa réintégration ».
Le lecteur d'Apollinaire y trouve plusieurs autres déclarations qui auraient beaucoup plu à
notre poète. En effet, sans trop insister sur cette comparaison, l'anti-réalisme d'Ionesco rappelle
le surréalisme d'Apollinaire sur de nombreux points de vue. Chose intéressante, il semble que le
dramaturge ait médité sur « L'Esprit nouveau et les poètes » en particulier. Célébrant la puissance
de l'imagination vers le début du chapitre, il cite un exemple qui nous est familier :
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Tout ce que nous rêvons, c'est-à-dire tout ce que nous désirons, est vrai (le mythe d'Icare a précédé
l'aviation, et si Ader et Blériot ont volé, c'est parce que tous les hommes avaient rêvé l'envol). Il n'y a de
vrai que le mythe.
Willard BOHN
« HÔTEL »
Que l’on ait mis en musique des poèmes tels que « Le Pont Mirabeau » ou même « La
Carpe » n'a rien d'étonnant, car ce sont des chefs-d'œuvre mélodieux. Mais que dire d'« Hôtel »,
tiré des « Quelconqueries », qui a séduit le groupe musical Pink Martin! ? Je dois cette
découverte à une de mes collègues, Anne Magnan-Park, qui m'a communiqué leur CD
Sympathique. Influencé par des mélodies cubaines, la musique classique, des chansons françaises
et des films internationaux, Pink Martini est très éclectique. Portant le même titre que le CD, le
troisième morceau est une adaptation d'« Hôtel », chantée à la manière d'Edith Piaf. Les deux
premières strophes suivent le poème d'assez près :
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© DRESAT
Ma chambre a la forme d'une cage
Le soleil passe son bras par la fenêtre
Les chasseurs à ma porte
comme les petits soldats
qui veulent me prendre.
Je ne veux pas travailler
Je ne veux pas déjeuner
Je veux seulement oublier
et puis je fume [... ]
W[illard]. B[OHN].
UN PROGRAMME
On connaît la conférence sur « Les Poètes d'aujourd'hui » faite par Apollinaire le 6
novembre 1909 à l'Université populaire du Faubourg Saint-Antoine. Le programme de cette
Association pour le mois de novembre a été reproduit dans l’Album Apollinaire de la Pléiade (p.
122). Celui qui concerne uniquement la prestation d'Apollinaire n'a, semble-t-il, jamais été
reproduit. Nous le donnons ici en fac-similé. Si pour la plupart, les poèmes peuvent être aisément
repérés, ceux d'Apollinaire lui-même et de Max Jacob, simplement intitulés « Poème », sont
difficilement identifiables. S'agirait-il, pour Apollinaire, de « Brumaire » (« Cortège » dans
Alcools), déjà dit au cours de la conférence de Jules Romains sur « La Poésie immédiate » ?
M[ICHEL].D[ÉCAUDIN].
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