Thème 3 : Dynamique des grandes aires continentales : L’Asie du Sud et de l’Est : les enjeux de la croissance Japon-Chine : concurrences régionales, ambitions mondiales Enjeux : Ce chapitre cherche à comparer la Chine et le Japon. Pourquoi ? Parce que ce sont les deux principales puissances de l’Asie de l’Est. Leur puissance va être analysée à partir de deux échelles : l’échelle régionale (Asie de l’Est) et l’échelle mondiale. Plan du cours : I. La rivalité historique Chine-Japon II. La concurrence entre Chine et Japon à l’échelle régionale III. Les ambitions mondiales des deux pays I. La rivalité historique Chine-Japon a. Influence culturelle et rivalité politique Du IIe siècle avant J.-C. au XIXe : Dès le IIe siècle avant notre ère, la Chine s’unifie et se dote d’un Etat fort et centralisé. Elle domine les autres pays de la région, sauf le Japon. Néanmoins, le Japon subit très tôt l’influence culturelle du softpower chinois. Dès le IVe siècle, le bouddhisme, le confucianisme 1 , l’écriture en idéogrammes, et d’autres institutions et normes chinoises sont introduits au Japon. Le Japon a sa propre écriture et sa propre religion2, mais elles sont toutes les deux inspirées de la culture chinoise. Jusqu’au XIXe siècle, l’influence politique de la Chine sur le Japon reste limitée. Contrairement aux autres pays de la région (Corée, Vietnam), le Japon n’a jamais reconnu de lien de vassalité avec la Chine et a toujours refusé de lui payer un tribut. Au XIXe siècle, les Européens et les Américains s’industrialisent et agrandissent leurs Empires coloniaux. Comme ils ont besoin de matières premières et de débouchés pour les produits qu’ils fabriquent, ils forcent le Japon et la Chine à ouvrir leurs commerces. Pour ne pas tomber sous la domination des Occidentaux, le Japon décide de s’industrialiser. Dès 1868, il entre dans sa phase de modernisation, appelée l’ère Meiji. Il devient rapidement une puissance industrielle et militaire. La Chine est plus faible et les Européens s’emparent d’une partie de ses terres pour agrandir leurs Empires coloniaux. Le XIXe siècle y est aujourd’hui encore appelé le siècle de la honte. En 1895, la Chine est battue par le Japon qui s’empare de Taïwan et lui impose l’indépendance de la Corée. Le XXe siècle : Pendant la 1e Guerre Mondiale, le Japon est allié à la France et au Royaume-Uni. Il en profite pour annexer la province du Shandong jusque-là sous influence allemande. La Chine s’allie à son tour à ces trois pays pour essayer de récupérer cette province mais 1 2 Philosophie qui prône le respect des anciens et de la hiérarchie. Cette religion est le shintoïsme, elle fait de l’empereur un personnage divin. 1 au sortir de la guerre, le Traité de Versailles confie le Shandong au Japon. Le gouvernement chinois refuse de signer le traité et finit par récupérer le Shandong grâce au soutien des Etats-Unis. Au cours du XXe siècle, le Japon est de plus en plus impérialiste : o Il s’empare de la Corée dès 1910. o Dans les années 1930, il profit de la guerre civile qui a lieu en Chine entre le Guomindang (GMD) et les communistes pour occuper la Mandchourie (1931). o A partir de 1937, il se lance dans la conquête systématique du littoral chinois. Cette phase de l’occupation japonaise est extrêmement violente. En atteste l’épisode, encore brûlant dans les mémoires chinoises, du massacre de Nankin en 1937. Pendant les 6 semaines qui suivent la bataille de Nankin, des centaines de milliers de civils et de soldats désarmés sont assassinés et entre 20'000 et 80'000 femmes et enfants sont violés. o Dès 1941, allié à Hitler, le gouvernement japonais lance la politique des Trois Tout pour s’emparer des terres chinoises : « Tue tout, Brûle Tout, Pille Tout ». La Chine littorale est occupée par le Japon jusqu’en 1945. b. Des parcours économiques différents En 1945, le Japon est occupé par les Etats-Unis qui y imposent la démocratie. Dès lors, le Japon est un allié des Etats-Unis, et bénéficie de leur aide économique. Après la reconstruction, le Japon traverse une phase de haute croissance (1955-1973) au cours de laquelle son PIB augmente de 10% par an ! Il devient la 2e puissance économique mondiale en 1968. En 1949, la Chine devient communiste. Au départ, le gouvernement de Mao n’est pas reconnu par les puissances occidentales. Mais dans les années 1960, la Chine rompt son alliance avec l’URSS, elle obtient l’arme nucléaire en 1964 et dès 1971, elle remplace Taïwan au Conseil de Sécurité de l’ONU, renforçant ainsi graduellement son hardpower. En 1972, la Chine se rapproche des Etats-Unis, puis le Japon reconnaît la République Populaire de Chine (RPC). Mais la Chine reste fermée économiquement et culturellement. Après la mort de Mao, Deng Xiaoping lance les quatre modernisations (1978-1979). Il ouvre l’économie chinoise en créant des Zones Economiques Spéciales (ZES) sur le littoral. La Chine se spécialise dans la production et l’exportation de produits bas de gamme. En 1992, elle adopte officiellement l’économie socialiste de marché, et entre à l’OMC en 2001, ce qui démontre sa libéralisation économique. En 2010, elle dépasse le Japon et devient la 2e puissance économique mondiale. Depuis 1990, comme la plupart des pays industrialisés, le Japon connaît une croissance économique faible mais il demeure une grande puissance économique. De son côté, la croissance chinoise se poursuit, mais le pays reste émergent, son IDH est très moyen. On est donc dans une situation où Chine et Japon sont, pour la première fois de l’histoire, des puissances régionales au même moment. c. Les atouts respectifs de la Chine et du Japon Démographie : o La Chine a une population de 1,36 milliard d’habitants contre 127 millions pour le Japon. Elle possède donc une énorme ressource de main-d’œuvre (24% de la population active mondiale). o De son coté, le Japon a un taux d’accroissement naturel négatif (-0,2%), ce qui fait que sa population décroit. De plus, le Japon souffre d’un vieillissement de la population, et a donc une population active réduite. 2 Economie : Chine : o La Chine bénéficie d’une croissance économique importante. C’est un pays émergent et une puissance régionale, avec une classe moyenne qui augmente et de forts excédents commerciaux. o Ces excédents commerciaux, supérieurs à ceux du Japon, lui permettent d’investir (émettre des IDE) d’avantage en Asie du Sud-Est et en Afrique, ce qui constitue un atout important pour le futur. o Toutefois, la Chine, atelier du monde, fabrique surtout des produits bas de gamme à faible valeur ajoutée, moins lucratifs que les technologies avancées du Japon. Elle cherche actuellement à sortir de cette situation en développant des technologies haut de gamme. Elle a par exemple fabriqué le TGV le plus rapide du monde (jusqu’à 350km/h) pour prouver sa capacité d’innovation. Japon : o Le Japon, véritable puissance mondiale, risque d’être dépassé par la Chine en raison de sa croissance économique faible, même si il a un meilleur IDH. o Le Japon possède toutefois une avancée technologique considérable à l’échelle internationale. Le Japon un petit pays avec peu de ressources naturelles et peu de main-d’œuvre. Il a donc besoin d’importer des produits alimentaires, des matières premières et sources d’énergies. Pour financer ces importations, il exporte des produits à forte valeur ajoutée et doit donc constamment innover. C’est le leader international en électronique, robotique, nanotechnologies, matériel solaire, appareils numériques… En résumé, la Chine domine le Japon jusqu’en 1868, puis c’est le Japon qui domine la Chine jusqu’en 1945. Ensuite, les deux pays sont rivaux dans le cadre de la Guerre Froide. Aujourd’hui, les deux pays sont des puissances régionales avec chacun des atouts importants. II. Concurrences régionales A l’échelle régionale (Asie du Sud et de l’Est), la Chine et le Japon sont interdépendants économiquement mais rivaux politiquement. a. Interdépendance économique En Asie, le Japon et la Chine se disputent le rang de première puissance économique mais en réalité leurs économies sont interdépendantes. Les FTN japonaises jouent un rôle considérable dans le circuit intégré asiatique. o 50% des exportations japonaises sont destinées à l’Asie. o Depuis les débuts du développement en vol d’oies sauvages, les FTN japonaises se délocalisent vers d’autres pays asiatiques pour avoir accès à une main-d’œuvre bon marché, et participent donc à leur industrialisation. 65% de la production électronique japonaise est réalisée dans un autre pays. Les FTN japonaises participent activement à la croissance économique chinoise : o Depuis l’ouverture économique de la Chine, les FTN japonaises s’y délocalisent pour profiter de la main-d’œuvre nombreuse et bon marché. o Le Japon est aujourd’hui le pays qui émet le plus d’IDE vers la Chine. Ses FTN y emploient plus de 10 millions de salariés. De son côté, la Chine profite de la supériorité technologique du Japon. Elle importe des produits japonais à forte valeur ajoutée. Elle envoie des étudiants au Japon afin qu’ils se forment dans les hautes technologies et développent l’industrie chinoise. 3 Les économies de la Chine et du Japon sont donc plus complémentaires que concurrentes dans le circuit intégré asiatique. b. Une intégration régionale source de rivalités Si, dans le circuit intégré asiatique, la Chine et le Japon sont interdépendants économiquement, au niveau des organisations régionales, ils sont en rivalité. Tous deux cherchent à avoir une position dominante dans ces organisations3. L’ASEAN est une zone de libre-échange et un forum de coopération politique qui concerne l’Asie du Sud-Est. Actuellement, cette organisation cherche à s’agrandir en ASEAN+3 (+ Chine, Corée, Japon). Du coup, les négociations pour les accords de l’ASEAN+3 sont tendues car la Chine et le Japon veulent chacun s’assurer que leurs propres intérêts seront les mieux représentés. La Chine fait par ailleurs partie de l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS) créée en 2001. Cette organisation regroupe la Chine, la Russie, l’Inde, le Pakistan et 4 pays d’Asie centrale. L’OCS a été fondée par des pays qui ont des relations tendues avec l’Occident pour créer une alliance politique et économique qui puisse rivaliser avec l’OTAN. Le but de l’OCS est de rééquilibrer l’ordre politique et économique international actuel qui favorise trop l’Occident. Le Japon, grand allié des EUA, n’y est pas le bienvenu. La Chine affirme donc son leadership régional dans deux grandes organisations : au Nord l’OCS, au sud l’ASEAN+3. c. Rivalités géopolitiques Dans le domaine politique, les relations entre la Chine et le Japon sont tendues à cause d’une longue histoire de tensions et affrontements. Par exemple, la mémoire des massacres de Chinois par les Japonais pendant la Seconde Guerre mondiale, comme celui de Nankin, est encore très sensible en Chine. A Tokyo, il y a un sanctuaire shintoïste, le Yasukuni, qui est dédié aux morts et héros japonais de la guerre. Or, les noms de certains criminels de guerre responsable de massacres en Chine y figurent. Du coup, à chaque fois qu’un Président ou qu’un homme politique japonais visite officiellement ce sanctuaire, cela provoque de vives protestations côté chinois. Les rivalités politiques reposent aussi sur des tensions actuelles. Par exemple, la Chine et le Japon se disputent une partie de la Mer de Chine qu’ils considèrent tous les deux comme faisant partie de leur propre ZEE. Il s’agit de la zone qui entoure les îles Senkaku, riche en ressources halieutiques et hydrocarbures. Ces îles appartiennent au Japon depuis 1895, mais la Chine aimerait les récupérer. Au niveau militaire, la Chine s’affirme d’avantage comme une puissance régionale que le Japon. o Le Japon a surtout une armée de défense. Il n’intervient pas militairement dans la région, et se repose sur son alliance avec les Etats-Unis. o De son côté, la Chine est plus offensive. Par exemple, ses relations avec Taïwan sont très tendues car elle souhaite réannexer l’île. o La Chine possède également une marine de guerre qui lui permet de sécuriser ses approvisionnements en matières premières. Elle a créé une série de bases navales dans l’Océan Indien, le « collier de perles » pour lutter contre la piraterie, ce qui montre son ambition d’être une puissance militaire régionale. La Chine et le Japon sont plus complémentaires que concurrents dans le domaine économique, chacun tenant sa place dans la division régionale du travail. Toutefois, la Chine affirme des ambitions économiques et géopolitiques régionales de plus en plus grandes. 3 Rappel : dans chacune des grandes organisations régionales, il y a un (ou des) pays qui domine, par exemple EUA pour ALENA, Brésil pour MERCOSUR. 4 III. Ambitions mondiales Pour analyser les ambitions mondiales de ces deux pays, nous allons utiliser le concept de puissance, pour voir comment leur hardpower, softpower et puissance économique rayonnent à l’échelle internationale. a. La puissance économique Grâce à sa croissance économique spectaculaire, la Chine a un PIB qui est déjà très proche de celui des Etats-Unis, et cherche à les dépasser pour devenir la première puissance économique mondiale. Si le PIB de la Chine est important, son PIB/hab et son IDH limités freinent son rayonnement économique mondial. De son côté, le Japon mise sur l’économie pour faire reposer sa puissance mondiale sur son économie (et moins sur le hard et soft power). Ses puissantes FTN (Sony, Toyota) et son savoir-faire exceptionnel dans les hautes technologies assurent son rayonnement. Le Japon finance des grandes institutions internationales comme l’ONU. Il abrite une ville globale, Tokyo qui possède la première place financière de l’Asie, le Kabuto-Chô. Si à l’échelle régionale, les économies des deux pays sont interdépendantes, à l’échelle mondiale, elles sont rivales. La Chine et le Japon dépendent tous deux des matières premières et des marchés de consommateurs du reste du monde. La Chine est le 1e importateur mondial de pétrole depuis 2013 et le Japon le 3e. Du coup, leurs FTN rivalisent pour s’installer dans les territoires les plus attractifs, pour exploiter des gisements d’énergie et de matières premières, surtout en Russie, au Moyen-Orient et en Afrique. On dit même que chaque fois qu’un officiel chinois fait une visite en Afrique, il est immédiatement suivi par un officiel japonais qui fait lui aussi des offres de coopération. b. Softpower Le Japon a beaucoup développé son softpower depuis les années 1990 pour diffuser l’image du cool Japan. Ses principaux produits culturels sont les mangas, dessins animés, jeux vidéos, gastronomie… Son rayonnement technologique lui confère aussi un statut particulier. La Chine aussi cherche à développer son softpower, surtout dans les pays du Sud. Elle crée des Instituts Confucius partout dans le monde (actuellement il y en a 300 répartis dans 80 pays) pour enseigner la langue et l’histoire chinoise. Elle cherche à véhiculer l’image d’une Chine moderne dans les médias internationaux, en organisant des grands événements comme les Jeux Olympiques de 2008 à Pékin, et l’Exposition Universelle de Shanghai de 2010. Enfin, la Chine est une puissance spatiale majeure depuis les années 1990. c. Le hardpower Au niveau du soft power et de la puissance économique, le Japon et la Chine ont tous deux des atouts qui les placent pratiquement sur un pied d’égalité. Sur le plan du hardpower, la situation est plus contrastée car la Chine est bien plus ambitieuse. Diplomatie : o La Chine fait partie des vainqueurs de 1945 et détient donc un siège de membre permanent au Conseil de sécurité de l’ONU. o Le Japon n’a pas ce statut mais il est le pays qui a été le plus souvent élu membre non permanent. La Chine s’oppose à ses revendications au statut de membre permanent. 5 o La Chine cherche à se positionner en pays leader des BRICS, et en modèle de développement pour les pays du Sud. De son côté, le Japon fait partie de la Triade et est allié aux Etats-Unis, mais il ne cherche pas à les dépasser. Militaire : o La Chine possède l’arme nucléaire, contrairement au Japon. o La Chine est actuellement en train de moderniser ses forces armées : son budget militaire augmente de 10% par an et a sextuplé depuis 2000. C’est le 2e budget mondial. o De son côté, depuis sa défaite de 1945, le Japon n’a pas le droit de mener des actions offensives et ses forces militaires sont limitées à l’autodéfense. Sa défense est encore très largement assurée par les Etats-Unis qui disposent de bases aéronavales sur son territoire. Toutefois, son budget militaire est au 5e rang mondial et augmente constamment, avec des armements très avancés, et le gouvernement semble actuellement vouloir adopter une politique plus offensive. Ambitions politiques : L’ambition mondiale de la Chine peut se résumer par géopolitique des trois cercles. o D’abord, elle souhaite s’affirmer à l’échelle nationale en récupérant les territoires qu’elle a perdu au XIXe siècle, comme Hong Kong, les îles Senkaku et Taïwan. o A l’échelle régionale, elle cherche à s’imposer dans l’aire Asie-Pacifique, et dans l’Océan Indien. o Enfin, elle veut affirmer sa puissance au niveau mondial, notamment face à l’hyperpuissance américaine. De son côté le Japon a peu de volonté de s’affirmer comme une grande puissance. Il cherche plutôt à être une Suisse de l’Asie, prospère et pacifique. Bien que relativement comparables dans leurs moyens actuels de hard comme de soft power, Chine et Japon ont des ambitions mondiales différentes. Le Japon est plus tourné vers l’influence économique, tandis que la Chine tend vers une expression mondiale de sa puissance économique et politique. 6