LE ROI - Cela est vrai, il l'a dit, je le reconnais.
LE CONSEILLER - Et il a dit aussi: "Tu ne te laisseras pas aller à la colère".
LE ROI – Encore! Si vous n'étiez pas mon confesseur, je m'indignerais que vous osiez me faire la
morale? (un silence) Mais effectivement, il est très difficile pour un roi de savoir si rendre la
justice veut dire: porter un jugement, ou simplement: être juste… Qu'on fasse revenir le
prisonnier. (on le ramène)
6 - LE ROI - La crainte d'être injuste nous a finalement amené à revoir notre sentence. Baron de
Coucy, vous pourrez racheter votre vie moyennant une amende de dix mille livres, qui seront
données aux pauvres.
LE BARON DE COUCY - Sire, cela est cher, mais je l'accepte…
LE ROI - Holà, cela n'est pas tout… Il vous faudra encore faire bâtir deux chapelles où vous ferez dire
tous les jours des prières pour l'âme des jeunes gens que vous avez pendus.
LE BARON DE COUCY - Cela est tout à fait bienvenu et je comprends vos raisons… Merci, sire!
LE ROI - Attendez! En bonne justice, je pense que ce n'est pas encore assez: vous ferez aussi don à
l'abbaye du bois dans lequel vous avez commis votre forfait.
LE BARON DE COUCY - Les moines vous en seront certainement reconnaissants… mais je trouve
que c'est peut-être…
LE ROI - Et encore… j'aurais peur de passer pour trop indulgent! le sieur de Coucy fera en terre sainte
un pèlerinage de trois années pleines.
LE BARON DE COUCY - Cela fait beaucoup… vraiment! Trois années…
LE ROI - Si vous trouvez vraiment que c'est trop, baron de Coucy, sachez que nous sommes toujours
disposés à confirmer votre pendaison. Répondez!
LE BARON DE COUCY - Non, sire, cela ne fait pas trop. J'irai aussi en pèlerinage…
RAPPEL HISTORIQUE
Le XIIIème siècle fut un grand siècle, intellectuellement, économiquement, moralement et politiquement… A ce grand
siècle il fallait à la France un grand roi. Ce fut Louis IX, qui couvrit de sa vie une grande partie dudit siècle (1214-
1270), qui maintint haute et claire la politique du royaume et qui fut le seul des rois de France que l'Eglise canonisa.
Louis IX avait 12 ans quand il fut sacré roi. Sa mère, Blanche de Castille assura la régence et, même au-delà de la majorité
du roi, garda sur lui une grande influence. Louis prône la justice, organise l'administration et la monnaie du royaume,
sauvegarde son indépendance et, en tant que roi chrétien, dans une atmosphère d'extrême piété, veille au respect des
lois morales. Il met fin à la guerre contre les Albigeois (la croisade des Albigeois), définit les frontières du royaume
en signant des traités avec l'Aragon et l'Angleterre. En 1248, il part pour la croisade (la septième croisade) débarque
en Egypte (quelle idée!) où, après une première victoire à Damiette, il est vaincu et fait prisonnier à la Mansourah.
Une fois libéré contre une énorme rançon, il reste plusieurs années dans les Etats latins d'Orient pour réorganiser les
défenses des croisés. Blanche de Castille assure encore une fois la régence… jusqu'à ce que le roi revienne,
moralement très affecté par son échec. Mais rien ne le retient et il repartira en 1270 pour une nouvelle croisade,
(la huitième), cette fois dirigée contre Tunis! Sous les murs de laquelle il mourut de maladie en 1270.
Louis IX fur pris dans un faisceau d'influences:
Une très profonde foi chrétienne… On dit qu'il aurait préféré être moine que roi. L'échec de sa première croisade
accentua ses penchants à une piété et à une austérité souvent indiscrètes. Auxquelles, pourtant, il doit sa
canonisation en 1297.
La tradition des rois capétiens, faite de conscience de soi et d'indépendance vis-à-vis des autres pouvoirs et en
particulier des autorités ecclésiastiques.
Un grand souci de ce qu'il appelait la justice, selon laquelle les coupables doivent être châtiés et les victimes
indemnisées. Le chêne de saint Louis, sous lequel il lui arriva de "rendre la justice", est l'image de cette volonté.
Une certaine rigidité mentale, le conduisant parfois à la violence ou même à l'injustice par excès de justice ou de
vertu. Ses croisades mal engagées et mal dirigées en sont un exemple. (Baïbar le Mamelouk lui dit, après l'avoir
fait prisonnier à Damiette: "Il n'y a ici aucun tombeau, d'aucun dieu! Si tu étais sage, comme tu devrais l’être,
étant roi de France, tu n’aurais jamais, toi, chrétien, traversé la mer pour venir dans une contrée peuplée
d’innombrables musulmans... Selon notre loi, un homme qui traverse ainsi la mer, alors qu’il est très bien chez lui,
ne peut être considéré comme en pleine possession de ses moyens.")
Il faut ajouter que l'histoire de saint Louis, en tant que roi et en tant que saint, est si profondément marquée par la volonté
d'édifier le lecteur (oui, ce roi était un saint!) qu'il vaut mieux la lire avec beaucoup de prudence.