Peut-on concilier préservation des ressources naturelles et activité économique ?
En novembre 2012 a été remis le rapport Gallois intitulé Pacte pour la compétitivité de l’industrie française.
Ce rapport préconise de poursuivre la recherche sur le gaz de schiste, tout en reconnaissant les dommages
environnementaux de son exploitation. En effet, le gaz de schiste est une source d’énergie bon marché qui dope
la compétitivité des entreprises aux Etats-Unis où elle s’est récemment rapidement développée. Le rapport
Gallois pose ainsi un arbitrage entre préservation des ressources naturelles et activité économique.
Nous entendrons les ressources naturelles comme les ressources qui ne sont pas produites par l’activité
humaine, elles peuvent être renouvelables ou non, mais leur pérennité peut toujours être hypothéquée par la
surexploitation humaine..
Or, l’activité économique, qui englobe la production, la distribution et la consommation des richesses,
transforme les ressources naturelles en biens et services utiles aux agents économiques. Elle opère ainsi un
prélèvement sur le stock de ressources naturelles, et en dégrade la qualité.
Depuis le rapport Meadows intitulé « Halte à la croissance » (1972), la soutenabilité du développement
économique est devenue une question publique. La capacité de l’activité économique à satisfaire les besoins des
générations présentes sans menacer le bien-être des générations futures est gravement mise en doute, notamment
par les « objecteurs de croissance », au regard de l’accélération de la dégradation de la biodiversité et du
réchauffement climatique. Inversement, le chômage de masse ou les inégalités de développement font qu’une
interruption du processus de croissance, de l’extension de l’activité économique est difficile à envisager.
Faut-il arbitrer entre l’activité économique et les ressources naturelles, c’est-à-dire soit ralentir la croissance du
niveau de vie, voire le réduire pour protéger l’environnement, soit accepter l’extinction de ressources naturelles
ou nom de l’extinction de la pauvreté ? Ou peut-on orienter l’activité économique pour la rendre compatible avec
la protection de l’environnement ?
I) La préservation des ressources naturelles et le développement de l’activité économique
paraissent contradictoires.
A) L’activité économique bute sur la finitude des ressources naturelles.
- La relation entre ressources naturelles et activité économique est un thème de réflexion fondateur en science
économique. Les physiocrates envisageaient la terre comme source providentielle de toute richesse. Ainsi, dans
le Tableau Economique de F. Quesnay (1758), c’est le rapport à la terre qui structure les classes : la classe
productive la travaille, la classe distributive la possède, la classe stérile est ainsi qualifiée car elle est détachée de
la terre. Cependant, A.R.J. Turgot met en exergue les limites de la capacité productive de la terre : les avances
productives présentent des rendements décroissants.
- Cette tension est dramatisée par l’Essai sur le principe de population (1798) de T. Malthus. « Il n’y a pas de
place pour tous au grand Banquet de la Nature ». La restriction des naissances, l’abolition des Poor Laws, se
justifient par la finitude des ressources naturelles. Cette conscience aigüe de la finitude des ressources naturelles
imprègne également l’analyse de D. Ricardo et fonde sa prédiction de convergence vers l’état stationaire dans les
Principes de l’économie politique et de l’impôt (1817).
- L’économie politique classique s’inscrit dans une transformation plus générale des représentations décrite par
M. Foucault dans Les mots et les choses (1966). Les savoirs sur l’homme basculent de « l’âge de la
représentation » à « l’âge de l’histoire ». Il ne s’agit plus de décrire, de représenter un ordre centré sur l’homme
et qu’il pourrait ainsi maîtriser, mais d’identifier les lois qui marquent la finitude de la condition humaine, et
notamment les limites de la prodigalité de la Nature.
- L’économie néoclassique ne considère en revanche plus la terre comme un facteur de production à part, elle est
agglomérée au capital. Aussi ne se centre-t-elle plus sur les limites naturelles à l’extension de l’activité
économique. S’opère ainsi un renversement du rapport de la science économique à la nature : moins sensibles à
la spécificité des ressources naturelles, les économistes néoclassiques croient d’une manière générale à
l’extension illimitée des activités économiques marchandes.
B) Les décisions économiques négligent la préservation des ressources naturelles
- Préserver les ressources naturelles relève d’une optique de long terme. L’écologie est soumise à l’incohérence
temporelle (J. Elster, Le laboureur et ses enfants, 1984), au court-termisme et à la procrastination qui président
aux décisions de consommation (D. Laibson “Golden Eggs and Hyperbolic Discounting”, Quaterly Journal of
Economics, 1997). Une forte sensibilité aux problèmes environnementaux peut alors coexister avec des
pratiques irrespectueuses de l’environnement.
- La capture du régulateur (G. Stigler, « The Economic Theory of Regulation », Bell Journal of Economics and
Management Science, 1971) lèse l’écologie : les bénéfices de la protection de l’environnement sont partagés
entre tous, ses coûts de la protection sont concentrés sur quelques-uns, qui peuvent former un groupe de pression
influent. Le lobbying d’industriels ou d’agriculteurs a pu ainsi entraver la lutte contre la pollution par les
émissions de CO2 ou l’utilisation de pesticides.