Qui contrôle les marchés ?
La science économique envisage les marchés comme les lieux réels ou fictifs de rencontre de l’offre et de la demande. L’orthodoxie scientifique en économie les prend comme objet en les
isolant, à rebours de la sociologie qui insiste depuis les travaux de K. Polanyi sur leur encastrement plus ou moins marqué dans des rapports sociaux.
Les sciences sociales dégagent la diversité des modalités du contrôle social. Au-delà de ses formes les plus visibles comme la coercition soutenue par les appareils répressifs d’Etat, le contrôle
s’exerce de façon plus diffuse, par capillarité, en façonnant les pratiques par conditionnement, influence, incorporation, conformisme. Comment est-il possible à un acteur de prendre le
contrôle des interactions à l’œuvre sur un marché ? Les entreprises, les pouvoirs publics ou les consommateurs sont-ils à même de mettre en œuvre des stratégies efficaces de contrôle ?
On peut remarquer que le dossier documentaire invite à se concentrer sur les marchés de biens et de services, néanmoins un document porte explicitement sur les marchés de capitaux, et
l’interdépendance avec le marché du travail est suggérée par certains documents.
NB1 : Les marchés ne sont pas des acteurs dotés d’intentions. On ne saurait donc envisager à proprement parler d’auto-contrôle des marchés.
NB2: Les plans adoptés étaient pertinents. C'est pourquoi ce corrigé consiste en des remarques sur les documents. Veillez cependant à reprendre régulièrement les termes du sujet en début et
fin de paragraphe.
Commentaire sur le contenu, méthodologique et critique :
Éclairage par la littérature sociologique :
Éclairage par la littérature économique :
DOCUMENT 1 L’identique peut-il engendrer l’incommensurable ?
Ces publications spécialisées constituent un matériau
original en sociologie, qui permet de mettre en relief le
rôle d'intermédiaire de marché.
NB : Diapason est uniquement un périodique, et pas
une enseigne de distribution. Cette erreur n'a pas été
sanctionnée dans la mesure le document ne le précise
pas clairement.
L. Karpik développe ici une approche
socioéconomique des marchés initiée à l'observation du
marché des avocats : la confiance et le réseau sont des
instruments de contrôle que l'analyse économique
néglige.
La sociologie de la consommation et des pratiques
culturelles, et plus particulièrement B. Lahire, montre
que le rapport à une même pratique culturelle, ici
l'écoute musicale, est différencié selon les individus et
leur appartenance sociale, ce qui rend possible une
dissociation des marchés de distribution d'un produit
identique. Selon B. Lahire, la distinction culturelle se
fait désormais à travers ce rapport différencié à des
pratiques identiques. La différenciation des critères
d'appréciation par Diapason et la FNAC pourrait alors
faire écho à une différence entre la logique de la
distinction par l'esthétisme subjectif et la « bonne
volonté culturelle » (P. Bourdieu) s'attachant à des
critères techniques objectifs plus faciles d'accès.
Concurrence monopolistique et nouvelle
microéconomie du consommateur (G. Becker & K.
Lancaster) : plusieurs « commodités » apparaissent dans
ce comparatif.
Commentaire sur le contenu, méthodologique et critique :
Éclairage par la littérature sociologique :
Éclairage par la littérature économique :
DOCUMENT 2 Taux de marge de restaurateurs selon leur stratégie
Le questionnaire de cette enquête s'inspire
vraisemblablement des différents modèles économiques
de la concurrence imparfaite.
Il permet de construire des idéaux-types.
Cette sociologie quantitative révèle que des stratégies
que l'analyse économique sépare, voire oppose, peuvent
être combinées par un restaurateur (cf. qualité-volume)
On peut souligner la faible taille de l'échantillon (200
restaurants) pour relativiser la portée de ces chiffres.
La stratégie d'innovation-spécialisation se présente comme la plus incertaine.
La dimension symbolique des pratiques alimentaires
(P. Bourdieu) favorise la segmentation du marché de la
restauration. On peut supposer que la stratégie de qualité
cible les consommateurs soucieux de distinction, alors
qu'une nourriture et un service plus standardisés seront
adaptés à ce que P. Bourdieu appelle le « franc-manger
populaire ».
La concurrence sur un marché ne s'exerce pas de façon
anonyme, il y a une homologie structurale entre les
producteurs et les consommateurs, montrée par P.
Bourdieu et Y. Delsaut à propos de la haute couture, et
que l'on retrouve dans la diversité des stratégies des
restaurateurs.
Les producteurs peuvent prendre le contrôle d'une
niche de marché segmenté. La stratégie de « proximité »,
a priori la moins sophistiquée, valide l'importance de la
localisation comme avantage concurrentiel, qui peut se
modéliser par un segment (H. Hotelling) ou un cercle (S.
Salop).
De manière plus métaphorique, ces modèles
permettent d'analyse les stratégies de différenciation
horizontale (spécialisation, innovation) qui sur le marché
de la restauration coexistent avec des stratégies de
différenciation verticale (qualité)
DOCUMENT 3 : Réaction des marchés boursiers le jour de l'annonce de la formation d'une alliance entre entreprises
La variation de la capitalisation boursière en millions
de £ n'est pas significative en soi si on ne connaît pas le
montant initial de cette capitalisation. Le « retour
anormal moyen » en % est un indicateur plus pertinent.
On peut souligner cependant la faible taille de
l'échantillon (31 alliances) pour relativiser la portée de
ces chiffres.
La sociologie des marchés financiers et de leurs
professionnels (M. Abolafia, O. Godechot) étayent leur
encastrement dans des réseaux et des cliques, qui
peuvent exercer un contrôle sur les échanges et le prix.
Les réseaux procurent des ressources informationnelles
dont le contrôle permet de bénéficier du « retour
anormal moyen » provoqué par l'alliance avec un
partenaire prestigieux. Ce contrôle par les réseaux
s’observent sur d’autres marchés, comme le marché du
travail (M. Granovetter)
Les asymétries d'information (Stiglitz & Weiss)
permettent éventuellement à leurs bénéficiaires
d'exploiter le « retour anormal moyen », et ainsi dans
une certaine mesure de contrôler à leur avantage les
transactions financières. Les profits perçus par Goldman
Sachs pendant la crise des subprimes s'expliquent en
partie ainsi. L'interdiction de la détention à nue de CDS
par l'Union Européenne en 2011 vise à éliminer ce
contrôle asymétrique des marchés financiers.
DOCUMENT 4 : Communautés et concurrence (M. Weber)
On peut percevoir l'influence de la grille d'analyse
marxiste dans ce texte qui met l'accent sur les inégalités
des rapports sociaux de production et envisage le droit
comme émanant de ces rapports sociaux.
On peut aussi souligner la mise à distance de cette
grille marxiste par l'adoption de termes de substitution
compétiteurs » plutôt que capitalistes,
« communautés » ou « sociations » plutôt que classes) et
le rôle attribué à des affiliations qui ne sont pas des
Il s'agit d'illustrer le propos théorique tenu ici par M. Weber. Ainsi,
l'appartenance baptiste facilite l'instauration de relations
commerciales (M. Weber).
L'institutionnalisation des professions (T. Parsons, E. Freidson) et
la socialisation professionnelle consolident le contrôle d'un marché.
Les marchés des prestations médicales est exemplaire d'un contrôle
par des normes partagées, par la croyance envers l'expertise du
médecin. La soumission à l’autorité (S. Milgram) s’avère dans ces
échanges entre experts et profanes une ressource pour contrôler le
Capture du régulateur (G. Stigler)
appartenances de classes la race (…) le domicile
etc... ».
Le contrôle des marchés n'oppose pas de façon binaire
la bourgeoisie au prolétariat, mais une pluralité de
groupes sociaux.
marché.
Le contrôle d'un marché peut s'inscrire dans des relations non-
marchandes, par exemple dans la fiction d'un échange don / contre-
donc (P. Bourdieu, Etudes d'ethnologie kabyle)
La participation des « entrepreneurs de cause » (cf. H. Becker) à la
définition des politiques publiques peut donner un levier de contrôle
sur les marchés.
DOCUMENT 5 : Degré de réglementation des marchés de biens dans les pays de l’O.C.D.E.
Le diagramme met en évidence par la droite de
régression un mouvement de déréglementation et une
convergence entre les économies nationales. Ce
mouvement de déréglementation paraît s'être ralenti à
partir de 2003, comme le montre la comparaison de la
position et de la pente de la droite de régression sur les
deux graphiques.
La construction d'un indicateur synthétique de
réglementation fait abstraction de l'hétérogénéité des
modalités de réglementation. Cet indicateur permet de
dégager une tendance générale, mais doit par
conséquent s'interpréter avec prudence.
Ce document s'efforce de quantifier le désencastrement des
marchés. Il donne l'occasion de souligner, avec K. Polanyi, que
l'autonomie des marchés est une construction politique et sociale. Le
mouvement des enclosures, l'abolition des Poor Laws, l'adoption de
l'étalon-or puis l'indépendance des banques centrales ont défait les
dispositifs politiques et sociaux anciens de contrôle du travail, de la
terre et de la monnaie, et les ont transformés en « marchandises
fictives ». L'approche socioéconomique envisage le contrôle et la
perte de contrôle des marchés comme contingents d'un contexte
historique, de rapports de force sociaux.
P. Rosanvallon identifie la régulation de l'économie comme une
des compétences de l'Etat dans les sociétés contemporaines. (L’État
en France de 1789 à nos jours)
La déréglementation peut s'interpréter
comme une libéralisation, et donc un
relâchement du contrôle des marchés par
l'Etat.
Ses adeptes en attendent une situation
concurrentielle éliminant la possibilité d'un
contrôle unilatéral.
Ses critiques y voient une capture du
régulateur (Stigler) par les producteurs
dominants qui prennent le contrôle des
marchés déréglementés : c'est notamment la
thèse de J. Stiglitz.
DOCUMENT 6 : Impact de la performance des collèges publics parisiens sur le prix de vente des logements
Ce document illustre l'intérêt et les limites d'une
analyse « toutes choses égales par ailleurs ». Les six
colonnes correspondent à des conditions de mesure
différentes en fonction des variables de contrôle et du
périmètre des logements retenus. Cette diversification
des conditions d'observation corrobore l'hypothèse
testée, puisque les coefficients associés aux indicateurs
de qualité du collège restent significativement positifs.
L'interprétation d'une causalité « toutes choses égales
par ailleurs » est cependant délicate. En effet, la
régression économétrique isole artificiellement des
facteurs qui dans la réalité se cumulent, font système. Ici
on isole la qualité d'un collège, les caractéristiques d'un
appartement et les caractéristiques sociodémographiques
d'un quartier, mais en réalité les « bons » collèges se
situent généralement dans des quartiers favorisés avec
des appartements correspondant aux standards des
classes moyennes et supérieures.
Le contrôle des marchés s'inscrit dans des stratégies de
promotion et de reproduction sociale. Le prix des
logements peut jouer le le de barrière et de niveau (E.
Goblot)
Le contrôle du marché du logement du cô de la
demande dans les quartiers bourgeois permet de cultiver
l'entre-soi (M. Pinçon & M. Pinçon-Charlot)
On peut concevoir le contrôle d'un marché par les
producteurs ou les consommateurs en équilibre partiel.
En revanche les effets d'équilibre général affaiblissent le
pouvoir de contrôle. Ici l'amélioration de la qualité
perçue d'un collège produit une externalité positive pour
les propriétaires de logements à l'intérieur de sa zone de
recrutement. Cela affaiblit l'élasticité-prix de la demande
pour ces logements.
Commentaire sur le contenu, méthodologique et critique :
Éclairage par la littérature sociologique :
Éclairage par la littérature économique :
DOCUMENT 7 : les cartels condamnés dans l'Union Européenne entre 1969 et 2009 par secteur
Le nombre de cartels condamnés est-il un indicateur de
la fréquence des cartels ou de l'efficacité des
investigations ? Si une branche compte peu de cartels
condamnés, est-ce parce que la concurrence y est
effective ou parce que les cartels échappent à la
détection ?
Le contrôle des marchés évolue avec le changement
d'échelle de l'action publique. Ainsi le principe de
subsidiarité dédouble le contrôle public de la
concurrence selon l'extension géographique des
marchés, nationale ou européenne.
Dilemme du prisonnier posé aux producteurs sur un
marché oligopolistique (concurrence ou coopération ?)
Conditions de viabilité d'un cartel.
Programmes de clémence.
DOCUMENT 8 : la fonction économique des marchés
Cet extrait gagne à être contextualisé :
- par rapport à son époque : développement de la
planification, expansion des économies socialistes et de
l'Etat-Providence qui suscite par réaction la fondation de
la Société du Mont Pèlerin (1947) à laquelle participe
Hayek.
- par rapport à son auteur, qui appartient à l'école
autrichienne, et construit son analyse à partir du concept
de « catallaxie », qu'il oppose à l'équilibre néoclassique.
L'oeuvre de Hayek occupe une position paradoxale au
sein de la science économique : elle est hétérodoxe d'un
point de vue scientifique, orthodoxe d'un point de vue
politique.
La rationalité limitée (cf. J. March et H. Simon) fragilise toute velléité de contrôle des marchés.
L'efficacité supposée des marchés a un effet de
théorie, et motila construction sociale de marchés se
rapprochant de l'idéal néoclassique (cf. Garcia-Parpet).
Des acteurs mobilisés ont pu utiliser ces théories pour
refonder le contrôle du marché des fraises en Sologne.
L'efficience des marchés est également soulignée à
propos des marchés financiers par E. Fama, mais dans
une perspective radicalement différente.
Pour E. Fama, l'efficience des marchés vient de la
capacité des individus à exploiter l'information à leur
disposition, alors que Hayek réfute cette rationalité de
l'homo oeconomicus.
Pour E.Fama, le marché est efficace parce que les
acteurs contrôlent, traitent efficacement les informations
dont ils disposent, alors que pour Hayek les marchés
sont par nature irréductible à tout contrôle, étatique ou
privé.
DOCUMENT 9 : Comparaison entre les compagnies aériennes low-cost et les majors
La position dans la gamme se lit à travers la structure
des coûts de production : Ryanair économise sur les frais
de personnel, d’escale, et de distribution.
Comme il s’agit de la structure des coûts de production
en % et non du montant monétaire de ces coûts, le fait
que la part du carburant chez Ryanair soit deux fois plus
forte ne permet pas de conclure que le budget alloué au
carburant soit plus élevé.
L’évolution du revenu et du coût par kilomètre par
siège offert donne à voir la dynamique de la
concurrence : la compression des coûts et des prix par les
compagnies low cost exerce une pression à la baisse sur
les coûts et les prix pratiqués par les majors. La
concurrence monopolistique n’exonère pas de la pression
concurrentielle.
La différenciation verticale est adaptée à la hiérarchie
symbolique des pratiques de consommation (E. Goblot,
T. Veblen, P. Bourdieu, B. Lahire)
Différenciation verticale. La recrudescence des
inégalités favorise le déploiement des gammes de
produit et le segment low-cost, qui peut se développer
selon une logique d’induction, de complémentarité ou de
substitution.
La qualité de la prestation est moindre, cependant
cette moindre qualité n'est pas forcément perçue par le
consommateur en raison des asymétries d'information.
Ccl : Les processus de construction et d’ajustement des marchés sont sans doute trop
complexes pour qu’un acteur surplombant puisse en conserver le contrôle de façon ferme et
pérenne. Cependant, l’analyse des stratégies de contrôle des marchés permet de dissiper
l’illusion de la « main invisible ». Certes, le contrôle d’un marché par un acteur quelque il soit
est très généralement imparfait, il est néanmoins souvent réel, et l’identification des parties
prenantes de ce contrôle est une étape nécessaire de l’analyse scientifique et de l’élaboration
des politiques publiques.
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