Colloque organisé par le GREITD, l’IRD
et les Universités de Paris I (IEDES), Paris 8 et Paris 13
«Mondialisation économique et gouvernement des sociétés :
l’Amérique latine, un laboratoire ? »
Paris, 7-8 juin 2000
Session III : MARCHÉ DU TRAVAIL, PROTECTION SOCIALE
ET GOUVERNABILITÉ (8 JUIN, 9-12 H.)
2 Réorganisation Productive, Absorption de main-d'oeuvre et Qualification, Claudio S. Dedecca
REORGANISATION PRODUCTIVE, ABSORPTION DE MAIN-D'ŒUVRE
ET QUALIFICATION AU BRÉSIL
1
Claudio Salvadori Dedecca
2
Cet essai analyse les nouvelles conditions d'absorption de la main-d'œuvre au Brésil a partir des
années quatre-vingt-dix. Ce processus s'est caractérisé par une informalité croissante du marché du
travail non agricole et par la reproduction d'un chomâge pondérable. La reconfiguration du marché
du travail national actuellement en cours a des répercussions sur le présent et l'avenir. Les nouvelles
conditions de fonctionnement exercent des effets aussi bien économiques que sociaux. Notre travail
propose une interprétation de ce processus. Nous montrons comment l'informalité croissante et le
chomâge sont liés à une nouvelle dynamique de l'économie brésilienne qui provoque une
désarticulation de la base du travail salarié et une forte augmentation des segments d'activités non
salariées destinés aux services personnels et aux services à domicile, dans lesquels prédominent les
tâches peu qualifiées et de faible rémunération. De plus, cet essai montre, à partir de l'étude de
l'industrie manufacturière, comment il semble que la réorganisation du secteur formel ne soit pas
associée à une élévation du profil de qualification de la main-d'œuvre restante. Les arguments que
nous proposons ici défendent donc l'idée selon laquelle la nouvelle dynamique de l'économie ne
devrait pas engendrer un nouveau marché du travail qui serait moins précaire et exclusif. Bien au
contraire, nous pensons que cette dynamique nouvelle devrait approfondir encore plus cette
caractéristique structurelle tant de la société que de l'économie brésiliennes.
Les deux premières parties de l'article reprennent les conditions de fonctionnement de l'économie
brésilienne entre 1930 et 1980 puis après 1980. A partir des arguments que nous y proposons, nous
tentons de mettre en évidence l'évolution de la structure occupationnelle non agricole au sein des
nouvelles conditions de fonctionnement de l'économie apparues dans les années quatre-vingt-dix,
lorsque le caractère informel et le chomâge deviennent les traits principaux du processus. Nous
cherchons à montrer la précarité de ces nouvelles conditions d'absorption de la main-d'œuvre.
Ensuite, nous analysons l'évolution de l'emploi formel ainsi que ses déterminants. Cette discussion
débouche alors sur une réflexion quant à l'emploi dans l'industrie manufacturière, avec un intérêt
tout spécial pour la questions des qualifications et celle des salaires. Cette exposition permet
1
Cet essai présente certains résultats de la recherche Rórganisation Productive et Structure de l'emploi au Brésil - les
années 90, qui abénéficié de l'appui financier du CNPq et de la Fapesp.
2
Professeur de l'Institut d'Economie de l'Université d'Etat de Campinas et Président de l'Association Brésilienne
d'Etudes sur le Travail - Abet, 1997-99 ([email protected]).
3 Réorganisation Productive, Absorption de main-d'oeuvre et Qualification, Claudio S. Dedecca
d'expliciter les conditions d'absorption de la main-d'œuvre aussi bien par le segment formel de
l'économie que par le segment informel et de réfléchir sur ce que cela implique quant à la
dynamique à venir de l'économie et de la société brésilienne.
1. Le développement basé sur l'industrialisation et le marché intérieur - 1930-80
La crise de 1930 a forcé la consolidation d'une base industrielle ainsi que le développement du
marché intérieur du pays, dirigé vers une industrialisation supportée essentiellement, jusque vers les
années cinquante, par les secteurs textile et alimentaire. Le développement du marché intérieur a
éxigé un appareil d'Etat plus complexe de par les nouvelles fonctions publiques, ainsi que des
secteurs tertiaires bancaires et de distribution nécessaires pour le développement du marché intérieur
(Singer, 1971 et Almeida, 1976). Entre 1930 et la moitié des années cinquante, le niveau de l'emploi
industriel a augmenté, ainsi que celui lié aux activités tertiaires urbaines. Dans le même temps, on
assiste à une diminution de la participation relative de l'emploi dans les activités agricoles.
Ce type d'organisation du marché du travail national a connu une première crise pendant la première
moitié des années cinquante, lorsque la modernisation de l'industrie textile a provoqué une réduction
absolue des emplois, révélant alors, pour la première fois, les limites d'un développement qui
permettait encore l'écoulement d'une partie des revenus vers l'extérieur, à travers les importations de
biens d'équipement, et par conséquent, des emplois qui pourraient être créés dans la productions de
ces biens.
Dans la seconde moitié des années cinquante, le type de processus d'industrialisation s'est
rapidement transformé, de par l'installation des industries de production de biens d'équipement et de
biens de consommation durable (Plano de Metas), ce qui a permis une plus grande consolidation de
la production et du marché du travail nationaux. Toutefois, à la fin de cette décennie, on comptait
toujours près de 50% de la population active qui continuaient employés dans des activités agricoles
(Baltar & Dedecca, 1995). L'emploi industriel - en particulier celui offert par les grandes entreprises
nationales ou internationales - continuait à représenter seulement une minorité dans la structure
urbaine des occupations.
La nouvelle dynamique de l'économie qui surgit à la fin des années cinquante a connu, après une
période de crise entre 1961 e 1966, un mouvement d'expansion rapide jusque vers 1973/74, lorsque
commence une phase de ralentissement de la croissance. Ce ralentissement, toutefois, a été endigué
grâce au rôle joué par l'Etat pour le maintien du niveau de formation brute du capital à travers le II
Plan National de Développement Economique (II PND). Mais l'épuisement des conditions de
financement de ces investissements a provoqué, pour la première fois, une crise des formes de la
4 Réorganisation Productive, Absorption de main-d'oeuvre et Qualification, Claudio S. Dedecca
croissance économique en vigueur depuis les années trente, à cause du fait que le processus reposait
complètement sur l'endettement extérieur et sur une base tributaire interne de grande fragilité.
Les répercussions internes de la crise internationale du début des années quatre-vingt ont été
combattues par une politique économique très restrictive, ce qui a provoqué un mouvement de
récession brutale et l'apparition d'un phénomène nouveau sur le marché du travail urbain: le
chomâge ouvert (Sabóia, 1986). Depuis la fin des années trente, le type d'ajustement du marché du
travail était caractérisé par le fait que, lorsqu'il y avait une phase de ralentissement de l'activité
économique industrielle, le secteur tertiaire urbain parvenait à absorber la main-d'œuvre
disponibilisée.
Cette forme d'absorption de la main-d'œuvre venait s'inscrire comme conséquence de certaines
caractéristiques du processus d'industrialisation brésilien qui avait provoqune forme particulière
de structuration du marché du travail. Bien que l'emploi industriel ait atteint une extension limitée de
la structure occupationnelle brésilienne en 1980, il n'y a pas de doute que la principale référence
pour l'organisation du marché national du travail, pendant la période allant de 1930 jusqu'à 1970, ait
été l'emploi salarié de la grande entreprise. L'une des conséquences de la structure productive
moderne a été la croissance systématique de l'emploi salarié, dans une convergence entre les
comportements de la production et ceux de l'emploi. On peut ainsi observer que, pendant les années
soixante-dix, à l'encontre des prévisions pessimistes faites à la fin des années soixante, ce mode de
développement jouissait d'une grande capacité de création d'emplois. Ceci s'est traduit par une plus
forte structuration du marché urbain du travail à l'augmentation exponentielle de la force de
travail disponible en ville de par le processus de modernisation agricole qui avait relégué la solution
du problème agraire, en même temps qu'il engendrait un flux migratoire incompatible avec la
capacité de création de nouveaux emplois en milieu urbain (Souza, 1980; et Salm & Eichemberg,
1989). En dehors de cela, la répression militaire très brutale contre toute activité syndicale a
empêché les travailleurs de profiter des moments où la demande de travail par le secteur formel était
plus forte pour obtenir plus d'avantages dans les gociations, ce qui aurait pu favoriser la
structuration du marché et des relations de travail dans le pays.
L'excédent de force de travail a été absorbé petit à petit dans des activités urbaines du secteur
tertiaire traditionnel, en particulier dans les emplois domestiques et les services personnels. La
croissance soutenue du niveau de l'emploi salarié a permis la consolidation de cette forme des
relations de travail et la transformation du marché urbain du travail. Malgré le fort taux de rotativité
de la main-d'œuvre que l'on constate dans les segments les plus structurés du marché urbain du
5 Réorganisation Productive, Absorption de main-d'oeuvre et Qualification, Claudio S. Dedecca
travail, la main-d'œuvre absorbée par ces segments parvenait généralement à retrouver un emploi, et
le chomâge n'était alors qu'une phase transitoire entre deux emplois.
La convergence entre l'évolution de la production et celle de l'emploi s'inscrit comme conséquence
de la trajectoire de croissance durable avec une verticalisation productive croissante dans le secteur
industriel, incorporant la quasi totalité des fonctions exigées par le processus de production.
Ainsi, les activités modernes (de type capitaliste) tendent à incorporer l'ensemble des fonctions
productives nécessaires pour sa reproduction, n'ayant que peu de rapport avec les activités plus en
retard (de type activités de survivance) À travers le circuit revenus-consommation (Souza, 1980 et
Cacciamali, 1983). Les activités capitalistes semblent donc constituer un noyau autonome jouissant
d'une capacité de reproduction élargie et rapide, ainsi que de la possibilité de maintenir un éventail
d'activités à faible productivité serait inséré l'excédent de la force de travail récemment arrivée
dans les villes
3
. Ce processus n'était que renforcé pas la structure défavorable de la redistribution des
revenus qui rendait possible la reproduction de formes de consommation alimentant tout un
ensemble d'activités de services aux personnes et d'emplois domestiques.
La modernisation consolidait donc une structure productive et un segment de marché du travail
dirigé par les grnades entreprises et le secteur public, en même temps qu'elle maintenait tout un
éventail d'activités économiques ne reposant pas sur le travail salarié ou alors à travers des relations
de grande précarité. De cette façon, le nouveau s'est constitué petit à petit aux côtés du système de
reproduction de l'ancien, augmentant donc le degré d'hétérogénéité de la structure productive et du
marché du travail. Ceci a provoqué une augmentation de l'hétérogénéité de la structure productive
dans la mesure tout un segment moderne était en train de se consolider sur les restes de l'ancien.
Cette même hétérogénéité se retrouvait aussi dans la structure sociale (Henrique, 1999).
Après le débat, pendant la seconde moitié des années soixante, sur le rôle des activités en retard dans
la nouvelle configuration économique et sociale, qui tournait autour de la notion de marginalité, la
discussion sur l'hétérogénéité de la structure productive et du marché du travail s'est orientée, au
début des années soixante-dix, vers le problème du sous-emploi et de l'informalité (Dedecca, 1990).
L'analyse du sous-emploi associait la fragilité de la condition occupationnelle à l'utilisation partielle
de la capacité productive de la force de travail dans des activités en retard, en raison des bas niveaux
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Deux points méritent ici que l'on s'y arrête. Le premier tient à l'argument selon lequel des activités moins développées (plus en
retard) permettaient la réduction du coût de la reproduction de la force de travail du segment plus moderne. En dehors de la
controverse qui existe à ce sujet (voir Oliveira, 1971 et Souza, 1980), il n'en reste pas moins que cette possible réduction ne
s'opère qu'à travers le circuit revenus-consommation et non pas par le circuit productif. Le deuxième point fait référence au
mouvement de destruction et création d'activités peu structurées en terme de capitalisme para la dynamique du secteur moderne.
Ce processus se réalisait à travers l'appropriation de marchés par le segment capitaliste - lorsque ceux-ci atteignaient une
dimension suffisante - ou à travers la création de marchés par le segment capitaliste qui étaient appropriés par des activités non
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