Si je t’oublie, Kurdistan Introduction En cette journée de lutte internationale des travailleurs, nous affirmons haut et fort notre soutien à la lutte exemplaire du peuple kurde. Bien-sûr, nous aurions pu tout aussi bien exprimer notre solidarité avec celles et ceux qui œuvrent à une résolution démocratique du conflit israélo-palestinien conforme aux droits des peuples et aux résolutions votés par l'ONU. Nous aurions pu également encore apporter notre soutien aux travailleurs de Mayotte ou rappeler notre opposition au projet de loi El-Khomri. Les motifs d'indignation et de lutte légitime ne manquent pas pour les internationalistes que nous sommes. Nous choisissons de tourner nos regards plus particulièrement vers le Kurdistan car les enseignements apportés par les combats qui s’y mènent sont porteurs d’espérance. I- Qui sont les Kurdes ? Qu’est-ce que le kurdistan ? 1) Localisation Le peuple kurde compte entre 30 et 40 millions de personnes, réparties sur un espace de la taille de la France, à l’intersection des frontières de quatre pays. Autour de 40% des Kurdes vivent en Turquie ; 25% en Iran ; 15% en Irak ; 5 à 10% en Syrie. D’importantes communautés kurdes sont également installées en Russie, dans le Caucase, en Asie centrale, en Israël, en Amérique du Nord et en Europe occidentale. Le Kurdistan est une région montagneuse et de hauts plateaux. Les chaînes des monts Taurus et des monts Zagros forment une sorte de colonne vertébrale du Kurdistan. Certains des sommets du Kurdistan sont très élevés. C'est dans le Kurdistan que deux fleuves d'importance majeure au Moyen-Orient prennent leur source : le Tigre et l'Euphrate. 1 2) La langue Le Kurde comme langue et comme écriture n'est pas unifié . Les Kurdes ont deux dialectes principaux, différents mais proches et compréhensibles l'un par l'autre le kurmandji, principal ensemble linguistique kurde, surtout parlé dans le Nord, en Turquie et Syrie principalement, mais aussi dans le nord du Kurdistan d'Irak et du Kurdistan d'Iran le Sorani, un dialecte qui s'écrit en alphabet arabe. Il est surtout parlé dans le sud du Kurdistan d'Irak et d'Iran. II- Histoire contemporaine du Kurdistan 1) Le non - respect du traité de Sèvres En 1920, le traité de Sèvres prévoyait la création d’un État kurde sur les restes de l’Empire ottoman détruit, comme pour les autres peuples de la région. Mais par le traité de Lausanne de 1923, le Moyen-Orient est divisé en plusieurs pays qui ne prennent pas en compte le droit des Kurdes à disposer de leurs terres. 2) L’oppression coloniale Lee empires coloniaux britannique et français reçoivent des mandats sur les nouveaux États. Le Royaume-Uni détient le mandat sur l’Irak alors que la France contrôle la Syrie et le Liban. Les populations, notamment kurdes, ne tardent pas à se révolter contre la nouvelle domination européenne. Notons que le Kurdistan, d’une grande importance géopolitique dans la région, est également riche en pétrole et en eau. Churchill, alors secrétaire à la Guerre au Royaume-Uni, fait raser différentes villes et villages kurdes. En 1925, une arme chimique, l’ypérite, est utilisée sur la ville kurde de Souleimaniye. Les deux tiers de la population sont atteints par les effets du gaz. 2 Fin 1925, le pays des Kurdes, connu depuis le XIIème siècle sous le nom de "Kurdistan", se trouve taillé en pièces par l’impérialisme entre 4 Etats- nations : Turquie, Iran, Irak et Syrie. Les nationalistes et conservateurs religieux turcs n'aspirent qu'à l'éradication ethnique de ce peuple, que ce soit par la violence militaire ou par une citoyenneté de seconde zone. 3 3) 4 situations de domination - Le Kurdistan turc A peu près la moitié des Kurdes vivent en Turquie. Ils représentent 18 % des 76 millions d’habitants du pays, soit environ 15 millions. La majorité des Kurdes vit au Kurdistan turc, dans le Sud-Est du pays. Comme le traité de Lausanne, en 1923, ne fait aucune mention des Kurdes, la transformation kémaliste du pays se fait à partir de 1923 sur la base du déni de l'existence de la très forte minorité kurde en son territoire. Les Kurdes n'ont dès lors aucun droit, ils sont sommés d'oublier leur culture et de se fondre dans la société. Ils furent maintes fois réprimés par les forces turques. Par exemple, des révoltes kurdes sont réprimées en 1925 et 1930 par la force par le gouvernement turc. Jusqu’en 1991, l’usage de la langue kurde — bien que largement répandu- est interdit. - Le Kurdistan irakien Les Kurdes composent 17 % environ de la population totale en Irak. Ils sont majoritaires au moins dans trois provinces dans le nord de l’Irak qui sont connues comme le Kurdistan irakien. Il y a aussi des Kurdes dans toutes les grandes villes irakiennes (Bagdad, Mossoul, Kirkouk). En Irak, l'impérialisme américain espère instrumentaliser le peuple Kurde, bien au-delà du rôle de supplétif militaire dans la région. Des Kurdes s’engagent dans une série d'insurrections contre les régimes irakiens successifs de 1960 à 1975. En mars 1970, l’Irak annonça un plan de paix qui comprenait une autonomie kurde. Le plan devait être exécuté en 4 ans. Le 11 mars 1974, Saddam Hussein prétend accorder une autonomie relative au Kurdistan, avec la « Loi pour l’autonomie dans l’aire du Kurdistan » : « la langue kurde doit être la langue officielle pour l’éducation des Kurdes ». Cette loi permet aussi l’élection d'un conseil législatif autonome qui contrôle son propre budget. Cependant, en réalité, 72 des 80 membres élus de ce conseil ont été sélectionnés par Bagdad. En octobre 1977, la totalité du conseil est choisie par le régime. 4 Au même moment, comble de l’impérialisme, le régime irakien entreprend un programme d’arabisation dans les riches régions pétrolifères autour de Kirkouk . L’accord de paix ne dure pas. En 1974, le gouvernement irakien commence une nouvelle offensive contre les Kurdes. De plus, en mars 1975, l’Irak et l’Iran signent des accords : l’Iran s’engage à couper les vivres aux Kurdes irakiens. L’Irak institue une autre vague d’arabisation en installant des Arabes dans les régions pétrolifères du Kurdistan, en particulier autour de Kirkouk. Entre 1975 et 1978, 200 000 Kurdes sont déportés vers d’autres parties de l’Irak. Durant la guerre Iran-Irak dans les années 1980, le régime met en place des politiques anti-kurdes et une guerre civile éclate. L’Irak est même et c’est dire, largement condamné par la communauté internationale. Toutefois, il n’est jamais sérieusement puni pour le massacre par exemple, de dizaines de milliers de civils, la destruction intégrale de milliers de villages et la déportation de milliers de Kurdes vers le sud et le centre de l’Irak. La campagne du gouvernement irakien contre les Kurdes en 1988 cause la destruction de 2 000 villages et la mort de 50 000 à 100 000 Kurdes. Après l’insurrection kurde de 1991 et suite à la Guerre du Golfe, les Kurdes irakiens établissent une zone autonome au nord de l'Irak de 1991 à 2003. Ils soutiennent en 2003, l'intervention américaine en Irak. La zone contrôlée par les peshmergas est agrandie. Adoptée par référendum en 2005, la Constitution irakienne reconnaît une très large autonomie au Kurdistan. Au début de 2006, les deux zones kurdes d'Erbil et Souleimaniye sont réunies en une seule région. Un référendum devait avoir lieu en 2007 pour déterminer les frontières définitives de la région kurde, mais il est indéfiniment reporté. En juin 2014, pendant la seconde guerre civile irakienne, l'offensive du mouvement djijhadiste État islamique (Daesh) et la débâcle de l'armée gouvernementale permettent à la région du Kurdistan d'incorporer Kirkouk et d'autres territoires contestés. 5 - Le Kurdistan iranien Les Kurdes constituent approximativement 7 % de la population totale de l’Iran. Ils vivent dans les régions les moins développées du pays et sont privés de toute reconnaissance politique. En effet, en Iran, les Kurdes expriment leur identité culturelle librement mais n’ont pas de gouvernement autonome ou d’administration gérée gouvernemental est par eux. L’appartenance interdite. Les opposants à un parti politique encourent des non peines d’emprisonnement, voire la mort. Juste après la Seconde Guerre mondiale, les Kurdes d’Iran proclament une république kurde indépendante à Mahabad entre 1946 et 1947. Dès 1946, pendant l’occupation soviétique d’une partie de l’Iran, la république kurde, soutenue par les Soviétiques, déclare l’indépendance dans certaines parties du Kurdistan iranien. Néanmoins, la république autoproclamée tombe face à l’armée iranienne après seulement quelques mois. Son président de la république, est pendu. Après le coup d’État iranien de 1953, Reza Pahlavi supprime la majeure partie de l’opposition. Il interdit aussi tout enseignement de la langue kurde. Après la révolution iranienne, d’intenses affrontements ont lieu entre des groupes militants kurdes et la République Islamique entre 1979 et 1982. Khomeini, déclare une « guerre sainte » contre les rebelles kurdes qui luttent pour l’autodétermination. Il ordonne de repousser les rebelles kurdes et de restaurer l’autorité du pouvoir central dans le pays. Une photo d’un peloton des Gardiens de la Révolution exécutant des prisonniers kurdes gagne même le Prix Pulitzer en 1980. L’Etat iranien veut rétablir le contrôle du gouvernement dans les régions kurdes (environ 10 000 Kurdes sont tués). Depuis 1983, le gouvernement iranien a toujours maintenu son contrôle sur le Kurdistan iranien. À la suite du meurtre de plusieurs kurdes par les forces de la sécurité iranienne en 2005, six semaines d’émeutes et de manifestations éclatent dans les villes et villages à travers tout le Kurdistan oriental. Elles font un très grand nombre de tués et de blessés. Ont lieu d'innombrables arrestations sans charge. Les autorités iraniennes ferment aussi plusieurs journaux kurdes, arrêtant éditeurs et journalistes (dont Roya Toloui, militante des droits des femmes et chef du journal Rasan). 6 - Le Kurdistan syrien Les Kurdes forment 10 % de la population syrienne, soit à peu près 2 millions de personnes. Ils sont la plus grande minorité ethnique dans le pays. Ils se concentrent surtout dans le nord-est et le nord. On trouve des populations kurdes importantes à Alep et à Damas. Les Kurdes parlent souvent en kurde en public mais les militants kurdes des droits de l’homme sont maltraités et persécutés. Aucun parti politique, kurde ou autre, n’est autorisé. Les techniques utilisées pour supprimer l’identité kurde en Syrie comprennent différentes interdictions de l’usage du kurde, le refus d’enregistrer les enfants sous un nom kurde, le remplacement des noms de lieux en kurde par un nom arabe, l'interdiction d'entreprises qui ne portent pas un nom arabe, la prohibition des écoles kurdes et des livres écrits en kurde. Après la perte de leur citoyenneté syrienne, à peu près 300 000 kurdes sont privés de tous droits sociaux en violation du droit international. Ces Kurdes se trouvent réellement piégés à l’intérieur de la Syrie. III- La naissance du sentiment national kurde 1) L’aspiration à l’autodétermination mise en échec au XXème siècle C’est à partir de la fin du XIXème siècle et du début du XXe siècle que le peuple kurde cherche à obtenir son autodétermination et défend l’article du Traité de Sèvres, signé en 1920. Cet article concerne l’autonomie kurde. Il se fixe donc comme but un Kurdistan indépendant. Mais la résurgence turque sous Kemal Atatürk fait obstacle à la réalisation de ces aspirations. La Turquie réprime les révoltes de 1925, 1930 et 1937 – 1938, l’Iran fait de même dans les années 1920. Une brève république kurde en Iran ne survit pas longtemps à la Deuxième Guerre mondiale. Quand les administrateurs irakiens attaquent les ambitions nationalistes kurdes en Irak, une guerre éclate dans les années 1960. En 1970, les Kurdes rejettent un projet de gouvernement sur un territoire limité en Irak, exigeant une zone plus importante 7 incluant les riches champs pétrolifères de la région de Kirkuk. De 1991 à 2003, c’est néanmoins la première expérience d’un kurdistan irakien dit autonome. Toutefois, l’objectif d’un grand kurdistan kurde est mis en échec. 2) La naissance du PKK et la gauche radicale de nos jours Les années 1970 voient une évolution dans l’expression du nationalisme kurde. Dans le même temps, la pensée politique marxiste influence une nouvelle génération de nationalistes kurdes de Turquie opposés aux autorités féodales locales. Ces kurdes finissent par créer le parti séparatiste militant : le PKK ou Parti des travailleurs du Kurdistan, dirigé par Ocalan. Dans le Kurdistan turc, un conflit armé oppose le PKK aux forces turques entre 1984 et 1999. Beaucoup des campagnes du Sud-Est sont dépeuplées. Les civils kurdes se déplacent vers des centres locaux défendables ainsi que les villes de Turquie occidentale et même en Europe de l’Ouest. Parmi les raisons de cette dépopulation, il y a les atrocités des opérations militaires de l’Etat turc et la pauvreté dans le Kurdistan turc. Les militaires turcs évacuent de force des villages, détruisent des maisons et l'équipement civil pour empêcher le retour des habitants. On estime que 3 000 villages kurdes en Turquie sont complètement effacés de la carte, représentant le déplacement de près de 400 000 personnes. La région continue toutefois à être instable. Ainsi, de nouvelles flambées de violence ont lieu dans les années 2000. Le traitement des Kurdes par l'État turc est particulièrement violent et impérialiste. 3) La criminalisation idéologique du PKK Précisons que les Etats-Unis, l’Union européenne et la Turquie considèrent indûment le PKK comme une organisation terroriste, cherchant à créer un État kurde indépendant dans un territoire (traditionnellement appelé Kurdistan). Pourtant, le peuple kurde qui lutte n'est ni ethniciste, ni nationaliste : c'est même tout le contraire. 8 Au sein du bloc politique HDP (Parti Démocratique des Peuples), la gauche anticapitaliste kurde a su s'allier à la gauche radicale turque. Ils militent tous ensemble pour une alternative démocratique. Le peuple kurde qui lutte expérimente un socialisme démocratique et autogestionnaire novateur. Au niveau de chaque quartier, de chaque village, le PKK a su mettre en oeuvre une démocratie directe où toutes les décisions importantes sont prises pour et par le peuple, et dans le cadre de la satisfaction des intérêts collectifs et populaires. Cette nouvelle ligne politique du PKK dépasse les frontières puisqu'elle trouve une assise y compris au sein du HDP. 4) Le combat contre l’impérialisme et le fascisme religieux de Daech 9 L’attention de la presse internationale s’est tournée vers les Kurdes lors de l’avancée des islamistes au Nord de l’Irak à l’été 2014 et notamment au moment de la prise de Mossoul, la deuxième ville du pays. Les puissances occidentales ont confié des armes et du matériel militaire au Kurdistan irakien pour l’aider à faire face. Depuis, le Kurdistan résiste, accueille des réfugiés et défend les villes menacées jusqu’en Syrie. Les Kurdes ont désormais l’opportunité d’étendre leur influence au-delà de la région autonome irakienne et prendre position dans les régions du nord de l’Irak que le gouvernement kurde revendique depuis plusieurs années. Les peshmergas constituent maintenant l’armée régulière du Kurdistan irakien et se sont emparés de la ville de Kirkouk en juin 2014 alors que l’armée irakienne avait pris la fuite face à l’arrivée des djihadistes de l’EI. Le contrôle de cette ville où vivent de nombreuses communautés ethniques et religieuses et dont les alentours regorgent de pétrole peut désormais constituer un atout majeur pour un Kurdistan indépendant, ou en tout cas une force pour mener des négociations avec le pouvoir irakien en vue d’obtenir un territoire plus vaste et une autonomie plus approfondie. Les Kurdes de Syrie sont devenus à leur tour des symboles de la résistance à l’EI avec la bataille de Kobane, ville frontalière du nord de la Syrie, abandonnée par la Turquie qui craint de renforcer le PKK qu’il criminalise. C’est le paravent fondamentaliste (Daesh, Al-Nosra) des monarchies pétrolières qui a tenté d'éradiquer ce que les Kurdes représentent actuellement sur le plan d'une alternative politique à la barbarie moyenâgeuse, au système capistaliste et à sa politique impérialiste dans la région. C'est précisément la nature du combat politique du peuple Kurde pour sa liberté qui retient aujourd'hui toute notre attention. Les États-Unis eux-mêmes ont été contraints d’apporter un soutien aérien à la résistance kurde des brigades féminines notamment. Ils ont commencé fin octobre 2014 à larguer du matériel médical et des armes au profit du PYD. Ankara a dû autoriser 160 peshmergas irakiens, envoyés par le PDK, à franchir la frontière turque pour rejoindre Kobané. L’exemplaire résistance du peuple kurde a contraint les impérialistes eux-mêmes à en rabattre. 10 Le peuple kurde qui lutte applique la parité intégrale entre les hommes et les femmes. Bien des pays européens sont en retard par rapport à un tel processus d'émancipation individuelle. Nous voulons rendre aujourd'hui un hommage appuyé à toutes les combattantes kurdes qui ont su sur le terrain faire reculer les islamo-fascistes au service des logiques capitalistes et de leurs politiques nouvelles de "choc des civilisations". Les combattantes kurdes rendent un immense service aux femmes et à toute l'humanité en s'opposant à la barbarie et en le payant parfois au prix de leur vie. Conclusion Du point de vue de cette journée internationale des luttes du monde du travail, nos camarades de lutte du PKK font la démonstration que notre résistance collective peut déboucher sur une alternative démocratique et émancipatrice au capitalisme. Il est donc inadmissible que ces militantes et militants pour l'autogestion économique et sociale et la démocratie directe soient placés sur la liste des organisations terroristes, alors que des Etats criminels et moyenâgeux n'y figurent pas. Il est urgent de reconnaitre au PKK sa place dans le débat démocratique et dans le concert des nations. Il est vital, en Corse comme ailleurs, d'apporter notre solidarité à ces combattants de la Liberté. Evviva aLotta di u Populu Corsu ! Evviva a Lotta di u Populu Corsu ! Evviva a Lotta di i travagliadori ! Sources - www.lesclesdumoyentorient.com - www.institutkurde.org - www.rfi.fr - www.lemonde.fr 11