LA QUESTION KURDE EN SYRIE site: www.1ibrairiehannattan.com e.mail: harmattan! (â),wanadoo.fr ~L'Hannattan,2005 ISBN: 2-7475-9296-0 EAN : 9782747592963 Abdulbaset Seida LA QUESTION KURDE EN SYRIE CHAPITRES OUBLIÉS D'UNE LONGUE SOUFFRANCE Préface de Marc Kravetz L'Harmattan 5-7, rue de l'École-Polytechnique; 75005 Paris FRANCE L'Hannattan Hongrie Konyvesbolt Kossuth L. u. 14. I 6 1053 Budapest Espace L'Harmattan Kinshasa L'Harmattan Italia L'Harmattan Burkina Faso Fac. .des Sc. Sociales, Pol. et Adm. ; BP243, KIN XI Via Degli Artisti, IS 10124 Torino 1200 logements villa 96 12B2260 Université de Kinshasa - RDC ITALIE Ouagadougou 12 Ouvrages du même auteur: Positivisme logique et tradition arabe, Liban, 1991. De la conscience mythologique aux débuts de la pensée philosophique théorique. Le cas de la Mésopotamie, Syrie, 1995. La question kurde en Syrie. Chapitres oubliés d'une longue souffrance, Suède,2003 Couverture: Œuvre de Bachar-el-ISSA, peintre Kurde de Syrie vivant en France Edition originale: Nina TRYCKERI - UppsaleSUEDE - 2002 N°ISBN: ISBN 91-631-4171-X Devant l'absence de tout livre récent en langue française sur la question Kurde en Syrie, un groupe de Kurdes de Syrie vivant en France, regroupé en association, a décidé de faire traduire et publier ce livre d'Abdulbaset SElDA écrit et édité, à l'origine (en 2002), en arabe. Nous remercions tous ceux qui nous ont soutenus dans cette entreprise et ont permis par leurs dons la traduction de ce livre. Remerciements particuliers à Laura et Stéphane. PREFACE Autant le dire d'entrée, je ne suis certainement pas le mieux qualifié pour écrire une introduction au livre de M. Abdulbaset Seida. Je ne connais pas l'auteur, je ne suis ni un chercheur, ni un spécialiste universitaire de la « question kurde». Si j'ai beaucoup appris en lisant le livre, je ne me sens pas pour autant autorisé à porter un jugement à son sujet. Je ne doute pas qu'il donnera motif à discussion et peut-être à controverse, ce pourquoi aussi il a été écrit. A ma place, plus modeste, je voudrais seulement souligner l'importance qu'un tel livre puisse être publié en français ce qui n'est pas un mince exploit. Dire d'un livre qu'il a d'abord le mérite d'exister pourrait sembler un compliment douteux. Les qualités intrinsèques de l'ouvrage ne sont pas en cause, mais c'est un fait. Il faut croire que la seule mention du mot « kurde» semble avoir un effet glacialement dissuasif chez les éditeurs de l'hexagone. Ainsi par exemple le livre de Jonathan Randal After such knowledge, what forgiveness? - my encounters in Kurdistan " paru en 1997 aux Etats-Unis " n'a toujours pas trouvé d'éditeur dans notre pays. C'est à la fois une somme et un récit, merveilleusement écrit par un journaliste remarquable et le meilleur connaisseur d'un terrain qu'il parcourt depuis des décennies et de plus l'auteur entre autres d'un « Osama» célébré par la critique. Rien n'y a fait. Les Kurdes, comme ont dit « ne font pas vendre» (*) Pour faire exister le livre que vous avez entre les mains, il aura fallu les efforts patients d'un petit groupe de Kurdes et d'amis des Kurdes qui lui ont trouvé un traducteur puis un éditeur qui lui-même prenne le risque commercial de sa publication. Reste maintenant à lui trouver des lecteurs et si la voix d'un journaliste peut y aider, cela seul justifierait l'honneur qui m'a été offert d'écrire quelques mots en tête de ce livre. Un honneur qui est aussi une sorte de dette. C'est le mot qui convient quand on a eu la chance qui fut la mienne en tant que reporter, de travailler avec des Kurdes en Iran d'abord, en Irak ensuite puis en Turquie et, plus rarement il est vrai en Syrie. J'y ai découvert non seulement des hommes remarquables, au premier rang desquels Abdheramane Ghassemlou, qui dirigeait alors le Parti démocratique des Kurdes d'Iran et fut plus tard assassiné à Vienne par les agents de Téhéran, mais aussi un peuple extraordinaire dont la générosité et I'hospitalité n'avaient d'égales que le courage. A la mesure des épreuves traversées, ce sont des qualités que les journalistes que nous sommes -pas très nombreux sur le sujet- n'ont pas le droit d'oublier. Le «malheur kurde» comme souvent on le nomme a d'innombrables facettes mais l'indifférence générale dans laquelle il a été tenu au fil des décennies n'est pas la moins poignante. Ce n'est évidemment pas ici le propos de retracer l'histoire moderne de quelque 25 millions de Kurdes et de ce qu'ils ont subi, en Turquie, en Iran, en Irak et en Syrie, à tour de rôle, inégalement et dans des situations très diverses sinon pour rappeler que les Kurdes ont été les grands « oubliés» au moment où les vainqueurs de la 1ère guerre mondiale se partageaient les dépouilles de l'empire ottoman. Comme si le fameux «Droit des peuples à disposer d'eux-mêmes », s'accompagnait d'un codicille: « Bon pour tous, sauf les Kurdes ». La question d'un (grand) Kurdistan indépendant n'est certes pas à l'ordre du jour. Elle n'aurait pourtant rien de scandaleux même si , réalisme oblige, et comme disait fort bien A. Ghassemlou, on ne saurait imaginer que la communauté internationale accepte de bouleverser la carte de trois pays (au moins) pour en créer un quatrième. Le peuple kurde n'en existe pas moins avec des droits imprescriptibles dont la satisfaction quelle qu'en soit la forme institutionnelle, est assurément l'une des clés pour l'avenir d'un Moyen-Orient pacifié, ouvert et démocratique. Et cela vaut bien sûr, pour les Kurdes de Syrie, l'objet du présent ouvrage, qui revendiquent rien plus que de pouvoir parler et enseigner leur langue et d'être enfin reconnus comme des Syriens de plein droit. Ils sont entre 1,5 et 2 millions de Kurdes dans le dernier pays gouverné par le parti Baas, et quelque 200 000 d'entre eux n'y ont pas même une identité légale. Il aura fallu les violents affrontements du printemps 2004 qui firent au moins 40 morts dans les régions kurdes de Syrie pour que la presse internationale en rappelle l'existence. C'est dire à quel point ce livre vient combler un vide. Et à l'heure -historique- ou un président kurde a été élu à la tête de l'Irak, voilà aussi une pièce de plus au dossier pour en finir avec le déni d'existence du peuple kurde. Marc KRA VETZ (*) A qui veut pourtant s'informer, rappelons cependant que la France a le privilège d'héberger l'Institut Kurde qui, tant par ses actions que ses publications, est un centre de ressources mondialement reconnu pour l'histoire, la culture et l'actualité des Kurdes. .... c:: CI) e .! ....... CI) .a(.) ca .CI) t: :; c:: CI) ~ -e ~ ~ c:: o N fi) ~ c:: .0 ..c ca .~ ....... ca (.) o ...... .! .! ~ c:: ~ e II; Q) ::s C) e '0> 't-- .!!! ,m ..-;. ~ .... c:: .Q) oi:: c:: ~ ~ Q) ...... Q) .!!! Be:: ~~~~~-e :::t .ee:: e:: J! e:: ~e:: ~~~e:: ~~~0 fi) ~~~~of( 0fi) of( of( TABLE DES MATIÈRES NOTE DU TRADUCTEUR 15 CHAPITRE L Du crime à la tragédie perpétuelle 17 CHAPITRE II. Kurdistan Syrien ou régions Kurdes en Syrie? 43 CHAPITRE II/. Aujourd'hui le peuple Kurde en Syrie 77 CHAPITRE IV. Double persécution 131 CHAPITRE V. Le parti Baas et la question kurde en Syrie 169 CONCLUSION 191 BIBLIOGRAPHIE 201 NOTE DU TRADUCTEUR Cette traduction française comprend le corps de l'ouvrage rédigé par Abdelbaset Seida en arabe. Nous avons pris le parti de traduire le moins de notes possibles, la plupart renvoyant à des documents en arabe ou aux annexes de l'ouvrage en arabe. Le texte original comprend en effet une série d'annexes: un article de l'auteur sur l'histoire ancienne de la région et les massacres d'Arméniens et de chrétiens au début du XXe siècle; un tableau des familles kurdes de Damas; un compte-rendu de réunion du ministère des Affaires étrangères russe datant de 1923 ; le texte de l'accord franco-turc de 1921 ; les articles du traité de Sèvres1 relatifs au dossier kurde; deux notes du gouverneur d'al-Hassakeh, l'une demandant l'arabisation des noms de circonscriptions, de villes et de villages datant de 1994 et l'autre rappelant aux fonctionnaires l'interdiction de toute autre langue que l'arabe dans les administrations (1996) ; un rapport de police sur l'incendie de la prison d'al-Hassakeh ; une note du ministre de l'administration locale datant de 1977 et communiquant une liste de 103 toponymes à arabiser (avec l'ancien et le nouveau toponyme) ; 1 Disponible en anglais sur le site: 15 un courrier du gouverneur d'Alep demandant la fermeture de magasins de musique aux noms kurdes; des extraits de la réponse du gouvernement syrien au rapport de Human Rights Watch concernant les Kurdes de Syrie; un courrier du ministère de l'Enseignement supérieur rappelant l'interdiction d'admission des élèves ne possédant pas de nationalité syrienne, «les étrangers d'alHassakeh » précise la note; une liste de fonctionnaires (kurdes) à ne pas nommer dans la province d'al-Hassakeh ; les recommandations faites à la police en cas de perte de carte d'identité par un « citoyen d'origine kurde» ; des cartes des trois régions kurdes de Syrie. Les spécialistes constateront des variations notables dans les règles de transcription des noms arabes et kurdes. Pour les noms les plus connus, la transcription usuelle en français a souvent été préférée à la transcription scientifique. La transcription de l'arabe a été simplifiée pour ne pas alourdir le texte par l'ajout de signes diacritiques aux lettres. 16 CHAPITRE I Du crime colonial à la tragédie perpétuelle À la veille de la Première Guerre mondiale, tout indique que les jours de l'homme malade sont comptés. L'appétit aiguisé, chacun entame des négociations secrètes ou publiques, bilatérales ou multilatérales, afin d'obtenir une part de cet héritage convoité. L'empire Ottoman et l'État iranien héritier de l'empire safavide (défaite safavide de Chaldiran en 1514) se partagent alors le Kurdistan. La plus grande partie du Kurdistan se trouve dans l'empire Ottoman défait pendant la Grande guerre et fait, comme toutes les régions ottomanes, l'objet de longues discussions et de négociations compliquées pendant et après la guerre. Nous nous intéresserons ici plus particulièrement au sort de la province de Mossoul, directement lié au thème principal de cet ouvrage. Avant la fin de la guerre, l'accord Sykes-Picot plaça la province de Mossoul ainsi que le Sud-Ouest du Kurdistan sous la tutelle du mandataire français. Cet accord fit ensuite l'objet de nombreux amendements résultant des convoitises britanniques sur la province de Mossoul, riche en ressources aquifères et où le parfum du pétrole commençait à s'exhaler. Cette province se situait en outre à un emplacement stratégique: aux confins de la Turquie et de l'Iran et à proximité de la Russie devenue soviétique en 1917. Ces amendements se décidèrent lors de la conférence de paix tenue à Paris en 1919. Les participants adoptèrent une première décision, sur la proposition du Président américain Wilson, consistant à amputer la Turquie de l'Arménie, du Kurdistan, de la Syrie, de la Mésopotamie, de la Palestine et de la Péninsule arabique. L'historien 17 américain Howard constate que « le 30 janvier 1919, les grands pays européens ont annoncé la mort de l'empire turc ». Le projet de décision provoqua un débat animé au Conseil des nations, le 30 janvier 1919, et il apparut, curieusement, que le terme Kurdistan n'était pas mentionné dans la première version du projet présentée au Conseil. Le Premier ministre britannique Lloyd George déclara après l'introduction d'un amendement au projet par la délégation britannique: «Je regrette qu'un pays faisant partie de la Turquie ait été oublié. Je pensais qu'il faisait partie de la Mésopotamie ou de l'Arménie, mais on m'a appris que ce n'était pas le cas. Il s'agit du Kurdistan, situé entre la Mésopotamie et l'Arménie. Je pense qu'il n'y a aucune objection à ce que nous l'incluions dans le projet ». Il n'y eut en effet aucune objection. Suivirent les points de vue du leader arménien Aharonian et du prince Faysal, fils du chérif de la Mecque Hussein ben Ali, qui appela à l'indépendance des « peuples d'Asie arabophones ». Le général Chérif Pacha, ex-ambassadeur de l'Empire ottoman en Suède, présenta un mémorandum définissant « les revendications légitimes de la nation kurde» selon son point de vue. Ces revendications se limitaient à l'instauration d'un État kurde indépendant en accord avec le principe de droits des peuples à l'autodétermination (les fameux « 14 points» du Président Wilson). Parallèlement, le représentant de la Turquie vaincue, Farid Pacha, appela à la « nécessité de maintenir la plus grande partie du Kurdistan ainsi que les autres territoires asiatiques ottomans sous domination de l'État turc ». Balfour, ministre britannique des Affaires étrangères, lui répondit alors: « la Turquie a volontairement attaqué les alliés, sans motif ni provocation de leur part; il leur incombe maintenant le lourd devoir de 18 décider du sort des différents peuples de cet empIre multiethnique ». Par ailleurs, lors de la conférence de Paris, l'Iran demanda les régions situées en Asie mineure jusqu'à l'Euphrate, soit le Kurdistan, Diyarbakir, Mossoul, les régions au-delà du Caucase, Mari et Hawâ. Les revendications de l'État perse sur le Kurdistan dépassèrent donc celles de la Turquie, puisqu'il le revendiqua en son entier, ce qui incita les organisateurs de la conférence à refuser de les écouter dans leur ensemble. Devant l'opposition, ou mieux la contradiction entre aspirations nationales et coloniales, les divergences sur le tracé des frontières, les intentions pressenties des peuples et la volonté de trouver un accord accepté par les différents partenaires, le Président américain Wilson proposa la formation d'une commission internationale. Cette commission devait étudier la question sur le terrain, s'informer à la source de la situation et de la volonté des peuples, puis émettre des propositions pour l'avenir, notamment concernant la question des mandats. La France refusa d'envoyer une délégation auprès de cette commission. Le Royaume-Uni, qui s'était déclaré prêt à y participer, rejoignit finalement la France, soucieux de lui plaire afin d'assouvir ses appétits palestiniens et mésopotamiens. La commission ne se composa plus que de la seule délégation américaine (Henry King et Charles Crane). Du 10 juin au 22 juillet, elle visita la Palestine, la Syrie (Liban compris) et la Cilicie, et y recensa la population. Le rapport de la commission King-Crane fut remis le 28 août à la délégation américaine à Paris. Nous examinerons ici les points du rapport traitant plus spécifiquement de la question kurde. À partir du rapport, le professeur Albert Lee, membre de la délégation 19 américaine, présenta le programme suivant pour résoudre la question kurde: Les Kurdes doivent obtenir la zone géographique naturelle délimitée par l'Arménie (à créer), la Mésopotamie au sud, entre l'Euphrate et le Tigre à l'ouest et la frontière iranienne à l'est. Cette région doit être soumise à un mandat tenu de préparer l'indépendance ou une fédération avec les pays voisins sur la base d'une large autonomie. Ces recommandations ne convenaient en rien aux ambitions pétrolières britanniques et françaises en Mésopotamie et au Kurdistan. Les deux puissances souhaitaient en outre une barrière de sécurité entre leurs colonies syrienne et mésopotamienne (nom donné dans les documents des alliés à la région située au sud de la province de Mossoul en Iraq). Quand il apparut nettement que le Royaume-Uni souhaitait contrôler Mossoul, la France répondit par une note de Clemenceau au Premier ministre britannique Lloyd George, le 2 décembre 1919, indiquant que « en ce qui concerne la France, le parlement et l'industrie insistent pour recevoir Mossoul en compensation et affirment la nécessité d'une égalité totale dans l'exploitation des ressources pétrolières en Mésopotamie et au Kurdistan. Ne possédant pas de pétrole et en ayant un besoin impérieux, la France accorde à cette question une importance capitale» . Après une succession de discussions et d'échanges de mémorandums, la conférence de San Remo débuta le 19 avril 1919. Elle aborda notamment la question kurde. En réponse à une proposition de Lloyd George, la conférence reconnut les intérêts particuliers de l'Italie dans le sud de l'Anatolie, ceux de la France en Cilicie et dans l'ouest du 20