Quelle place pour les entretiens collectifs dans les sciences sociales en général, et en sociologie des
organisations en particulier
. Sociétude, 8 Novembre 2001.
Page 3 de 11
Et quand bien même on pourrait distinguer deux sortes de théories des organisations (celles
qui interprètent et celles qui veulent transformer), elles s’alimentent l’une et l’autre pour
donner
des doctrines interventionnistes
dont s’alimente le management (AKTOUF).
D’autre part, si une totale extériorité du chercheur est quasiment impossible, l’objectivité
scientifique est elle aussi difficile à atteindre.
Les chercheurs en sciences sociales […] ont
manqué tout à la fois d’humilité et de l’intelligence qui leur auraient permis de se rendre
compte qu’ils étaient en train d’alimenter leurs machines de vérité, avec des données
contaminées de multiples façons par l’homme et qu’ils ne faisaient donc, en dépit d’une
« méthodologie » obsessionnellement exacte, que de redécouvrir le savoir folklorique
local sur notre société contemporaine
(CABARRE, in DEVEREUX). Si le verdict est sévère, il
est incontestable : les sciences sociales se sont largement laissées envahir par l’obsession
de l’objectivité scientifique, sur le modèle des sciences exactes (AKTOUF, p. 145). Et c’est
dans les théories de l’organisation que cette objectivation serait la plus présente.
Enfin, du fait qu’il soit écarté des manuels méthodologiques (ce qui lui confère une faible
légitimité), l’entretien collectif peut être considéré comme ne présentant les garanties
nécessaires à une démarche « scientifique ». Les limites inhérentes au recueil d’informations
par entretiens individuels ont été largement débattues en sociologie (à la fois par rapport à
la situation déséquilibrée de l’interaction et à la validité des matériaux recueillis, notamment
à travers le fait que le discours présente une justification postérieure aux faits étudiés). Or
les interventions collectives sont des situations construites, au même titre que les
entretiens individuels. Dans cette optique il convient, plutôt que de les éliminer hâtivement,
de réfléchir aux réserves d’interprétation qu’elles impliquent.
C’est pourquoi il semble préférable de ne pas confondre les considérations sur la posture
scientifique (qui est - volontairement ou non - interventionniste) et celles sur la méthode
utilisée (qui doit identifier les biais méthodologiques et tenter de s’en affranchir). Dans cette
perspective, les techniques de groupe peuvent revendiquer une place parmi les techniques
sociologiques.
En effet, les problèmes individuels peuvent s’exprimer dans le groupe et l’influencer.
Inversement, les problèmes de groupe peuvent être racontés par un individu ou s’observer
face au groupe. On peut alors, comme le fait GRAWITZ (p. 435), identifier deux catégories
de techniques d’entretien :
les techniques individuelles :
rapport enquêteur / enquêté plus ou moins
complexe et qui consiste d’une façon ou d’une autre à interroger
les techniques de groupes : observation des individus agissant et réagissant les
uns avec les autres dans un groupe (et permettant l’étude de comportements)
Selon ces techniques, on ne recueille pas les mêmes informations. Ici, les techniques de
groupe permettent d’observer des processus en train de se faire au sein d’un groupe.
Mais on pourrait aussi envisager les conditions de validité d’une méthode mixte :
des techniques d’entretien collectif qui, comme les entretiens individuels,
cherchent à cerner une réalité extérieure au contexte de l’étude, et qui, comme
dans les techniques de groupe, recueillent les discours, les impressions, les
réactions dans un contexte collectif.
Dans cette perspective, nous pouvons nous appuyer sur les travaux de DEJOURS et
d’AKTOUF. Mais il est important de comprendre d’abord les différentes expérimentations
antérieures qui nous renseignent sur les techniques de groupe possibles. Elles s’appuient sur
des méthodes et des conceptualisations parmi lesquelles on peut citer l’étude de groupes
restreints, la recherche active, la sociométrie…