JFS souhaite en tirer un maximum de profit en mettant l’acteur au centre de la représentation, plus
que jamais. L’acteur sera tout aussi important que le personnage qu’il joue.
Jusqu’à présent, il a monté des fables dans lesquelles, au fil de la représentation, les acteurs
arrivaient à établir un lien avec le spectateur, et faire en sorte que celui-ci n’ait plus la sensation
d’être au théâtre mais de construire le présent avec les acteurs. Pour ce projet-ci il souhaite faire
cela du début à la fin.
Ce qui l’intéresse chez Molière, c’est comment, par la comédie, on ré-enchante quelque chose. Dans
ce sens, Jean-François Sivadier précise que ce qu’il trouve extraordinaire dans le divertissement
c’est la forme : plus que le message, c’est le geste qui compte, la prise de risque.
Il y a une mise en péril, au théâtre, de toute parole de vérité : elle est vite démentie. La raison, dans
la comédie, est affaire de circonstance. Au-delà de savoir, donc, si le poème est beau ou pas, si
Alceste a raison ou pas, ce qui compte c’est qu’il y a une « mise en forme », un vrai plaisir à
construire une situation qui est sur le point d’exploser, et que Molière prend du plaisir à la faire
durer, et l’acteur prend du plaisir à la jouer.
LA PIECE :
Une vision globale de celle-ci s’impose pour pouvoir après l’aborder dans le détail. Comme nous
l’avons dit, pour JFS c’est une pièce à part dans le répertoire de Molière, et en plus très
contemporaine par le manque de linéarité et d’action.
Alceste, ennemi du genre humain, est amoureux de Célimène, la plus grande des coquettes. Philinte,
ami d’Alceste, est amoureux d’Eliante, qui trouve qu’Alceste est tout à fait acceptable comme
partenaire. La prude Arsinoé voudrait « prévenir » Alceste du manège de Célimène, et l’attirer vers
elle si possible. La première scène s’ouvre par une discussion « philosophique » entre Alceste et
Philinte. Pour le premier, être hypocrite c’est condamnable, pour le second être trop sincère c’est
une folie.
La facilité qu’on peut avoir à s’identifier tantôt à Philinte, tantôt, à Alceste, contrairement à Dom
Juan ou au Tartuffe, facilite le jeu de complicité avec le spectateur. C’est ce que JFS cherche…
Philinte représente l’harmonie, Alceste la passion. C’est la tension entre les deux qui donne
naissance au jeu.
La situation de départ du spectacle est la suivante : c’est un groupe de gens qui jouent la pièce. Par
ce qu’ils disent et par ce qu’ils font sur le plateau, c’est le monde qu’ils inventent (le Louvre, la
Cour, le protocole). C’est donc une pièce de salon, où tout s’organise parce que des gens se
rapprochent, s’éloignent, se rencontrent, s’évitent. A priori personne n’a le pouvoir. Ce sont des
électrons libres, il n’y a pas de couples (trois femmes libres, non soumises aux hommes, ce sont
d’ailleurs elles qui font bouger la machine). Ils se ressemblent tous, ils sont tous égaux.
Dans ce contexte, donc, ils sont tous uniques. Mais, Alceste voudrait qu’on le distingue.
La mise en scène est conduite par les tentatives de l’un et l’autre de prendre le pouvoir. Mais ça ne
marche jamais. Ces tentatives mènent souvent à des confrontations, où l’opinion des autres compte
beaucoup. De sorte que, dans le salon de Célimène, les conversations ne sont pas superflues, il y a
un danger permanent auquel le spectateur est sensible. Ce danger permet aux acteurs/personnages et
aux spectateurs d’être dans le présent, d’être impliqués dans une situation qui devient de plus en
plus vertigineuse jusqu’à l’acte V.
Pour faire avancer la situation et développer la tension, Molière utilise ce que JFS a appelé la
dramaturgie de l’interruption. Tout le monde interrompt tout le monde. De manière artisanale, c’est
ainsi qu’est construite la pièce. Le désir grandit chez le spectateur de voir comment les acteurs vont
se tirer de cette situation qu’ils ont créée, comment ça va se résoudre.