BOUTRY – 16/01/06 Le mouvement des nationalités en Europe Nationalité : LE mot du premier XIXème siècle. Le sentiment de nationalité va s’exacerber. (On parle de nationalisme plutôt dans le 2ème XIXème siècle) Idée de Nation plutôt à gauche dans le premier XIXème siècle, à droite dans le second. Étymologiquement, nation -- naissance Nation « nom collectif qui se dit d’un grand peuple habitant une grande étendue de terre » (1er dictionnaire) « obéit au même gouvernement » (Encyclopédie de Diderot) Littré : « intérêts assez communs pour qu’on les regarde comme appartenant à une même race » Larousse : « se distinguant (…) par une origine commune, le caractère, la constitution physique, les traditions historiques. » Définition complexe du mot. Eléments constitutifs de la nation : la naissance, la race, la culture, la langue, le territoire, le gouvernement ou l’Etat. Eléments constitutifs de la nationalité : on parle du droit de nationalité. Ce mot évoque une aspiration libérale, qui s’oppose à l’ordre ancien, qui se construit sur une nation et non sur une dynastie. I) Définition du mot nation 4 influences ont joué pour faire du mot « nation » un mot central dans le vocabulaire politique du premier XIXème siècle: - Lumières autour des révolutions américaine et française. En France et en Amérique, on entend par nation un peuple, des droits naturels qu’il possède, et une représentation politique commune. La nation, c’est donc d’une certaine manière la nationalité. On retrouve la même idée en Allemagne en 1813. Paradoxe du mot et de spn fait. Il existe d’après les français ou les allemands un besoin d’émancipation de leur nation. La France révolutionnaire s’est fait la porteuse de ces idées révolutionnaires et de l’idée de Nation, tout en conquérant en Europe. Les monarchies restaurées restent prudentes face à ce mot, justement à cause de sa portée émancipatrice. - romantisme politique. Il s’oppose au cosmopolitisme des Lumières, selon lesquelles tous les hommes sont doués de droits naturels. Le romantisme fonde la nation sur le particulier : peuple, sol, race, langue, culture, religion, histoire particuliers. Rôle essentiel, avec Herder, premier théoricien de cette pensée, et Fichte, auteur d’un Discours à la nation allemande. En France, Michelet estime lui aussi que la nation française est faite de particularismes. Mazzini en Italie. Romantisme de droite, bâti autour du sang : nation comme forteresse nationalisme, un demi-siècle plus tard. / Romantisme de gauche : idée de nation ancrée dans celle de gauche idée révolutionnaire. - libéralisme. Les questions essentielles sont celles des libertés individuelles, de la construction de l’État et de la représentation de la nation par des organes parlementaires. Il faut que la nation soit représentée dans des institutions réelles. Nation doit donc être conjuguée avec État et libertés. Pour les libéraux, nation = Etat Nation, fondé sur le consentement des peuples. Idée du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes : apparition des premiers plébiscites, surtout sous la Seconde République et le Second Empire (Savoie, Nice). En 1870, l’Allemagne annexera l’Alsace-Lorraine sans consultation, ce qui sera perçu en France comme la négation du principe du libéralisme. Ernest Renan et Fustel : « l’existence d’une nation est un plébiscite de tous les jours. » - pensée démocratique et sociale. Nation fondée sur la volonté du peuple, sur le droit du peuple à disposer d’eux-mêmes. Nécessité de satisfaire les volontés du peuple. Pour les démocrates, la nation est fondée sur le suffrage universel, la démocratie, avec l’alphabétisation, l’instruction, l’association, le droit au travail. La logique du romantisme de gauche est donc poussée jusqu’au bout. Aspiration générale à l’émancipation des hommes. C’est pourquoi on parle de nationalité, non de nationalisme. II) L’Europe des nationalités en 1848 Cinq cas de figures : - Etats-Nation (alliage de la nation et de la nationalité) anciennement constitués : modèle de la France ou de l’Angleterre. On retrouve des nations anciennes mais souvent divisées au Danemark, en Suède, aux Pays-Bas, dans la péninsule ibérique. Le sentiment national y est ancien et vif. Affirmation très forte de la nation à l’âge romantique. L’idée de nation est triomphante en Angleterre, elle est plus douloureuse en France suite aux défaites de Napoléon qui lui donnent des accents parfois cocardiers et chauvins. - Nouveaux Etats Nation. (Jeunes nations où l’Etat est en construction). Il faut un certain temps pour que la nation prenne corps. Ils n’ont pas de tradition ancienne, mais sont en train d’en acquérir. C’est le cas des États-Unis, avec l’idée, chère aux Américains, que les États-Unis sont un pays d’avenir. C’est aussi le cas de la Grèce, née en 1830, et qui se constitue une identité très forte, face à l’Empire ottoman. Cas original de la Belgique, qui fait sa révolution en 1830, contre les Pays-Bas, à laquelle elle avait été réunie, ou encore de la Serbie. Les Belges étaient catholiques et libéraux, alors que les Hollandais étaient protestants et vivaient sous une monarchie quasi-absolue. La révolution belge est donc une alliance des catholiques et des libéraux, elle est relativement pacifique et aboutit à la naissance de la Belgique actuelle. C’est le modèle d’une nation fondée sur l’institution parlementaire et sur l’unité religieuse. On avait cependant ignoré un problème : celui de la langue, qui divise wallons et flamands. - Nations divisées : ensembles d’États où le sentiment de la nationalité est très fort. C’est le cas de l’espace germanique et de celui italien mais il n’existe pas d’Etat allemand ou italien. Il y a donc dans ses Etats un très fort stmt de nationalisme. La langue, la culture communes leur font sentir une identité commune, à laquelle s’ajoute l’idée de nation exportée par la France. Mais ces pays sont dominés par un ensemble d’États de monarchies absolues. On en compte une trentaine dans l’ensemble allemand, 7 ou 8 en Italie. Se pose la question de la façon de créer un État-Nation sur la base du sentiment de nationalité. Il faut des conditions politiques et militaires pour détruire l’ordre ancien. - Empires multinationaux, au nombre de trois : l’Autriche, la Russie, et l’Empire ottoman. (il y a une nation dominante, et des nations dominées.) L’Empire d’Autriche est dirigée par la dynastie des Habsbourg, princes allemands catholiques, qui dominent des nationalités très nombreuses et diverses : Hongrois, Tchèques, Slovaques, Slovènes, Croates, une partie de la Pologne et de la Roumanie actuelle (Transylvanie), une partie de l’Italie (Milan, Venise), les Ruthènes…. Il y a de plus de nombreux Juifs dans l’Empire, qui aspirent à former une nation. L’allemand, langue des élites et de l’administration, est la langue obligatoire. Néanmoins, la tolérance religieuse règne. Mais le sentiment de nationalité s’affirme fortement dans les nationalités dominées, particulièrement en Hongrie et parmi les nationalités slaves. Les terres italiennes connaissent également un sentiment de nationalité. Il y a donc dans cet Empire une ébullition extraordinaire de sentiments nationaux, d’autant plus vive que l’Autriche est une monarchie absolue. La Russie connaît une expansion formidable au XIXème siècle : elle s’empare de la région du Caucase, elle colonise définitivement l’immense Sibérie et en fait une partie intégrante de son territoire. Cette Russie est fondée sur la dynastie des Romanov - dynastie moscovite et orthodoxe. Empereurs Alexandre Ier (vainqueur de Napoléon) et Nicolas Ier ont une obsession : l’ouverture aux mers libres (qui permettent la navigation toute l’année) : Mer Noire, Mer Baltique. Le Tsar se définit comme « l’autocrate de toutes les Russies ». Il gouverne avec une administration immense. Toute la noblesse russe est fonctionnarisée et forme les cadres du gouvernement. L’armée joue également un rôle majeur, de même que l’Église orthodoxe, organisée autour d’un Saint Synode, dont le président est le Tsar. Celui-ci est aussi appelé « petit père des peuples » : il domine des populations qui ne sont pas toutes russes, les Biélorusses et les Ukrainiens, qui restent relativement proches des Russes, mais aussi la Finlande, les États Baltes, une grande partie de la Pologne, le Caucase, avec déjà des révoltes des Tchétchènes. Il y a encore des peuples d’Asie centrale, des peuples de Sibérie, et des Juifs très présents et mal intégrés. L’Empire s’organise dans l’autocratie, sans qu’il soit question de réforme. Un coup d’État qui voulait libéraliser échoue. L’Empire ottoman a possédé, au XVIème siècle, une très grande partie de l’Europe, s’étendant sur l’ensemble des Balkans. Au XIXème siècle, il a déjà beaucoup reculé, il a perdu la Hongrie et une partie de la Roumanie, puis la Grèce, la Serbie, le Monténégro. Il reste néanmoins solidement installé dans les Balkans (Albanie, Bulgarie, etc.). Cet Empire a plusieurs particularités : il y a une forte unité politique et religieuse. Le Sultan est à la fois chef politique et chef religieux de tous les Musulmans (Calife). L’Empire ottoman respecte néanmoins la liberté religieuse de ses sujets. L’Empire est étendu sur plusieurs continents : en Afrique du Nord, au Proche-Orient. Or il recule de toutes parts : Maroc, Algérie conquise par la France à partir de 1830, Égypte. L’Empire est donc en crise, c’est « l’homme malade de l’Europe » comme l’appellent les Anglais. Cela pose des problèmes : les nationalités sont nombreuses et mêlées. La doctrine anglaise veut qu’on respecte l’Empire ottoman, car de sa survie dépend un certain équilibre en Europe. Mais la Russie le menace, afin d’essayer de libérer la population orthodoxe à ses profits. Les grandes puissances (GB, Autriche, France) s’accordent pour préserver cet Empire. - Les nationalités niées ou asservies, qui ont une forte identité mais n’ont aucune existence politique, et parfois même culturelle et religieuse. C’est le cas de la Pologne et de l’Irlande. La Pologne n’existe pas à cette époque, elle est partagée entre Prusse, Autriche, et surtout Russie (qui possède notamment Varsovie). Les Polonais ont du mal à conserver leurs traditions, en particulier à cause de la russification dans la partie russe, avec des tentatives relatives à la langue et la religion. En 1841, la première insurrection polonaise est écrasée dans le sang. Tentative de germanisation dans la Pologne prussienne, avec une offensive protestante. Le sentiment de nationalité polonais grandit et se fonde sur la langue et la religion - le catholicisme. L’Irlande, quant à elle, est colonisée par l’Angleterre depuis la fin du Moyen Age, et de façon aggravée sous Cromwell et Guillaume d’Orange. L’Irlande a perdu son Parlement en 1800. Le nationalisme irlandais se développe autour du catholicisme, ce qui pose des problèmes avec la minorité protestante de l’Ulster. Mais la Grande famine de 1846 frappe durement la population, qui émigre aux États-Unis et en Angleterre, et règle provisoirement la question, qui reste pendante. Dimensions de la question nationale : - dimension géographique : les idées de sol et de race sont unies. Chaque nation a des frontières naturelles, qui correspondent aux peuples. Cette idée a surtout des allures religieuses : c’est Dieu qui a posé ces frontières. La théorie des frontières naturelles est dangereuse, en ce qu’elle ne s’intéresse pas au consentement des peuples. Pour les Français, le Rhin est la frontière naturelle, ce qui entraînerait l’annexion de la Belgique, du Luxembourg, de la hétaïre, alors que les Allemands perçoivent le Rhin comme un fleuve allemand. - dimension historique. Age d’or des histoires nationales, considérées comme des patrimoines, constitutifs d’une identité. Des grandes figures sont exaltées, par exemple Jeanne d’Arc en France. Ranke, Carlyle, Thierry et Michelet sont des grands historiens nationaux. - dimension linguistique. L’idée de nationalité se fonde sur l’unité linguistique, et on exalte la langue de la nation. Parmi les langues possibles pour la nation, une s’impose et devient nationale. - dimension linguistique : uni dans la langue : mais c’est un problème pour certains pays, car il peut exister plusieurs langues dans un même pays. C’est d’autre part un problème international car les pays essaient d’imposer leur langue (exemple du Russe en Pologne). - dimension culturelle. Au XIXème siècle s’invente la notion de patrimoine, la culture des ancêtres. La culture nationale devient donc une identité nationale. On exalte les grands poètes, le génie de la culture, de la langue. Cela passe aussi par la musique, et par l’art total et très populaire qu’est l’opéra, avec Wagner, Verdi, auteurs d’opéras nationaux. - dimension religieuse. La religion devient parfois le ciment national, par exemple dans la Russie orthodoxe, dans la Prusse protestante, dans l’Angleterre anglicane, ou dans certaines nationalités opprimées comme la Pologne et l’Irlande catholiques. Se pose la question des minorités religieuses, nombreuses et qui réclament des droits au nom de l’idéologie libérale. La France puis l’Angleterre renonceront à fonder la nation sur la religion. - dimension sociale, qui correspond à l’idée très forte mais ambiguë de peuple, dans laquelle on veut rassembler toutes les classes sociales. Le sentiment de nationalité ignore les tensions sociales. - dimension économique. Créer une économie nationale. Comme l’écrira Cavour, « l’économie politique est la science de l’amour de la patrie ». Sans développement économique, la nation ne peut pas être forte. Les grandes nations répondent aussi à des questions économiques, industrielles surtout. Apparaît par exemple la notion de marché national (union douanière en Allemagne, par exemple). - dimension internationale. Passe par les échanges (culture, religion, langue, diplomatie). Se créent en effet des notions de solidarité entre les nations. La France, comme grande nation, encourage les autres nations à la liberté. Ce mythe fait partie de la croyance des démocrates français, et Paris accueille des exilés de toutes les nations. Existe aussi une solidarité par la race ou la religion, par exemple avec les Slaves, les Polonais, les Tchèques, Croates, Slovaques. La Russie orthodoxe encourage les orthodoxes de l’Empire ottoman. La question nationale est d’une très grande complexité, elle va aboutir aux grandes révolutions nationales.