L’idée d’une gastrostomie
O. Mouterde
Gastrostomie… cette idée fait peur, quand le médecin vous en parle. Voici quelques
éléments de réflexion, centrés surtout sur l' « avant gastrostomie ». Par la suite l’équipe
soignante assurera l’éducation du patient et de sa famille et répondra à tous les
évènements qui peuvent survenir.
Il faut apprivoiser la gastrostomie ! Certes c’est impressionnant, mais il serait dommage par
ignorance ou par peur de passer à côté de cette technique efficace ou d’y avoir recours
seulement quand « ça va mal » du côté nutritionnel et qu’on s’est épuisé à se forcer à
manger…
Sachez d'emblée que seul certains patients se verront proposer cette technique de nutrition, à
des âges très variés. Cela dépend de beaucoup de paramètres : le patient lui-même, son âge et
son sexe, l'évolution de la maladie, l'insuffisance pancréatique, la croissance et la puberté,
l'alimentation, les protocoles de l'équipe de soin, les projets de traitement (transplantation), les
examens biologiques…
La gastrostomie, qu’est-ce que c’est ?
Gastro = estomac, stomie = orifice : la gastrostomie est un petit trou qui fait communiquer
l’estomac avec l’extérieur. Dans cet orifice, on laisse une sonde en matière plastique qui
permet de maintenir la stomie ouverte et de passer des aliments (et parfois des médicaments)
directement dans l’estomac. La nourriture passe normalement par la bouche, puis suit
l’œsophage avant d’atteindre l’estomac où commence la digestion. L’estomac se vide
progressivement dans le duodénum, qui est le début du petit intestin ou se poursuit la
digestion. Dans certains cas, il est nécessaire d’apporter l’alimentation directement dans
l’estomac. C’est le cas par exemple quand l’œsophage est sténosé (bouché), ou pour des
enfants incapables d’avaler en raison de maladies neurologiques ou musculaires.
Pourquoi a-t-on parfois besoin d’une gastrostomie dans la mucoviscidose ?
La nutrition par gastrostomie est utile quand l’enfant ou l’adulte n’est pas capable de manger
suffisamment par rapport à ses besoins. Dans cette maladie, les besoins en calories sont
augmentés, mais la faim ne suit pas toujours. Au début, la différence est souvent minime : il
suffit de donner quelques conseils afin d’enrichir l’alimentation en calories, et ce but est
atteint assez facilement.
Un écueil à ce stade : l’anorexie. Le message passé lors du début de la prise en charge
médicale peut avoir des conséquences néfastes : votre enfant « doit » manger plus pour aller
bien. Que ce soit mal dit ou mal compris, certains parents en font un objet de lutte quotidien,
pour faire leur « travail de parents » et, finalement mener à bien la seule partie du traitement
sur laquelle ils ont la main… Or l’alimentation calme la faim, et doit être un plaisir. Lorsque
la faim n’est pas là et que les repas sont une contrainte, l’enfant va résister comme il sait si
bien le faire, et risque de moins manger, de façon durable. Les enfants qui diminuent leur
alimentation à cause de cela risquent d’être moins bien nourris, ce qui va renforcer
l’inquiétude des parents et aggraver le problème…
Certaines études font état de prise en charge multidisciplinaire précoce de l’alimentation, avec
toute une équipe qui concourt non seulement à la quantité et la qualité de ce qui est proposé,
mais qui travaille aussi à la manière de donner à manger. Cette façon de faire nécessite
beaucoup de temps et de personnel, mais pourrait peut-être éviter ou retarder le recours à la
nutrition artificielle et diminuer le risque de troubles du comportement alimentaire.
Par la suite, le décalage entre l’appétit et les besoins augmente lorsque la maladie pulmonaire
évolue. L’infection, l’expectoration, les baisses de moral font diminuer l’appétit à un moment
ou un bon état nutritionnel est crucial pour lutter contre la maladie. Passée la phase du conseil
diététique, les suppléments caloriques sont proposés, sous forme de boissons, soupes, jus de
fruits enrichis. Malgré un grand choix de parfums et de textures, la lassitude vient vite…
Ce déséquilibre entre les besoins et les apports, dû à la maladie, et/ou à l’anorexie, mais
souvent dû à une association des deux, fait proposer une « nutrition artificielle » de soutien.
La nutrition artificielle : de quoi s’agit-il ?
L’alimentation naturelle, même enrichie, même avec suppléments caloriques, ne suffit plus…
Il faut aider l’organisme à avoir à sa disposition plus de calories pour mieux se défendre. La
nutrition artificielle va aider à remplir cette mission, mais aussi à diminuer la pression, la
préoccupation que représente l’alimentation. Les repas peuvent redevenir un plaisir sans
contraintes, car une partie de l’alimentation sera apportée quoi qu’il arrive, la nuit pendant le
sommeil.
Deux façons d’apporter cette alimentation : la sonde naso-gastrique et la gastrostomie. La
sonde naso-gastrique est un petit tuyau de plastique ou de silicone passé par le nez et
descendu vers l’estomac. La nourriture passe directement dans le tube digestif, souvent la
nuit, et la sonde peut être retirée le matin puis remise le soir. Dans d’autres cas, l’enfant
préfère la garder et ne la changer que toutes les semaines, ce qui entraîne des conséquences
esthétiques, bien sûr. Dans la mucoviscidose, la sonde peut presque toujours être essayée
quelques jours ou semaines : cela permet de tester la tolérance de la sonde, de tester la
tolérance de l’alimentation, de voir l’effet produit sur la croissance en poids. Dans d’autres
maladies, les enfants tolèrent souvent très bien cette technique, après quelques jours
d’accoutumance, et gèrent les poses et retraits de sonde eux-mêmes. Dans la mucoviscidose,
des difficultés particulières se rencontrent. Tout d’abord certains enfants ou adultes ont des
polypes dans les fosses nasales, qui gênent ou empêchent la pose ou la tolérance de la sonde.
Par ailleurs la sonde peut favoriser la toux, ou remonter à l’occasion de quintes de toux. Si
certains patients peuvent bénéficier de cette sonde pendant des mois, d’autres ne la tolèrent
pas : quelle que soit la maladie, la nutrition par sonde devient difficile à maintenir à long
terme. Le côté esthétique, les contraintes de pose et changement de sonde, des infections ORL
comme des otites, font envisager la gastrostomie. Si celle-ci fait peur, beaucoup d’enfants
nourris par sonde au préalable regrettent de ne l’avoir pas mise plus tôt, du fait du confort
qu’elle apporte.
Une gastrostomie, ni trop tôt, ni trop tard…
On ne décide pas de la pose d’une gastrostomie à la légère !
Une des plus grosses difficultés est de choisir la date à laquelle il faut se poser la question de
nutrition artificielle : ni trop tôt, ni trop tard ! En situation de dénutrition, quand la courbe de
croissance est préoccupante, la nutrition artificielle est moins efficace. Toutes les études
plaident pour une intervention précoce. Cela est particulièrement ardu, de proposer aux
parents ou au patient une technique vécue comme agressive, alors qu’il va encore « pas si
mal ». C’est à l’équipe du centre de soins de repérer les petits signes d’alerte, et de réaliser
les étapes préalables à la décision.
Devant des signes d’alerte que sont ralentissement de la croissance en poids, en taille, retard
de la puberté, anomalies biologiques, voire études de la composition du corps par différentes
méthodes, le médecin va identifier une alerte sur l’état nutritionnel.
Cette alerte peut être due à de nombreuses choses, que le médecin va passer en revue, avant
de décider que la nutrition artificielle est la solution.
- L’état pulmonaire est-il satisfaisant, quelles bactéries ou levures sont présentes
dans l’expectoration, l’oxygène est-il à un niveau suffisant dans le sang, bref ne
faut-il pas renforcer le traitement à visée respiratoire ?
- A-t-on bien vérifié la tolérance au sucre ? Certains patients peuvent déclencher un
diabète qui entraîne un amaigrissement. Une prise de sang et une analyse d’urine
permettent de le détecter.
- Que mange-t-il et comment ? A-t-il restreint son alimentation, est elle équilibrée et
riche, reçoit-il assez de sel ? En cas d’anorexie, qu’en pense le psychologue ?
- Où en est l’équilibre des enzymes pancréatiques, les prend-il correctement, les
adapte-t-il aux types de repas qu’il prend (augmenter si le repas est gras). Prend-il
ses vitamines, toujours avec des enzymes ? dans certains cas, des médicaments
peuvent améliorer l’effet des enzymes (anti-acides, taurine).
- A-t-on des signes d’autres maladies qui empêcheraient de grossir (allergie, maladie
inflammatoire…), est-il constipé, a-t-il mal au ventre…
Les étapes préalables, quand elle est décidée
Les cas où la gastrostomie est impossible sont rares, le médecin vous expliquera en ce cas
quelles raisons techniques s’y opposent. Par contre, quelques étapes préalables sont
nécessaires
Bien sûr l’explication complète des avantages et des risques est nécessaire auprès du patient et
de sa famille. La gastrostomie n’est jamais une urgence, et un temps de réflexion est
nécessaire. Au mieux une notice d’information est remise, et des photos sont montrées.
Parfois un autre patient accepte de livrer ses impressions, et de montrer sa sonde en place.
L’idée de la gastrostomie peut être difficile à accepter : impression d’aggravation, de cap
dans la maladie, dégradation de l’image du corps : il est important de prendre en compte
l’aspect psychologique de ce geste au préalable. La gastrostomie n’est pas un constat d’échec
ou une punition, c’est une arme puissante qu’on se donne contre la maladie.
Le reflux gastro-oesophagien (passage du liquide de l’estomac vers l’œsophage) est fréquent
dans la mucoviscidose. La gastrostomie ne va pas l’améliorer s’il existe, et rarement
l’aggraver. Dans certains cas, le reflux devrait être corrigé par une opération destinée à
« refermer » l’œsophage qui est trop ouvert. Cette intervention doit être envisagée avant la
gastrostomie, et réalisée en même temps. Si elle a déjà été faite, cela ne gêne pas la pose de la
gastrostomie par endoscopie. Avant une gastrostomie, des examens sont souvent proposés
pour détecter un reflux (pHmètrie).
La tolérance au sucre est parfois diminuée (pré-diabète ou diabète). L’utilisation d’une
gastrostomie va augmenter d’un coup la quantité de sucres que l’organisme aura à assimiler,
et devra augmenter sa production d’insuline. Sans que cela remette en cause l’indication de la
gastrostomie, ce paramètre doit être étudié, par prise de sang, parfois par une étape préalable
d’alimentation par sonde, ou au début de l’alimentation par gastrostomie.
La pose de la gastrostomie
Il va donc nous falloir pratiquer un petit orifice à travers la paroi, de l’abdomen, et mettre en
place un petit tuyau afin de laisser ouvert cet orifice et de passer l’alimentation. Plusieurs
techniques sont utilisées : la gastrostomie endoscopique, chirurgicale et la gastrostomie
radiologique ? qui est moins utilisée chez l’enfant
La gastrostomie chirurgicale est une intervention consistant à ouvrir un orifice dans les
différentes couches de la paroi (peau, péritoine, estomac) sous contrôle de la vue, sous
anesthésie générale. Elle est surtout utilisée en cas de contre-indication à la gastrostomie
endoscopique, ou de nécessité d’intervention anti-reflux associée.
La gastrostomie endoscopique est la technique de choix. Il s’agit d’un acte simple, effectué en
une dizaine de minutes sous anesthésie générale chez l’enfant. Les intervenants sont un
gastropédiatre aidé d’un autre médecin et d’un anesthésiste.
Le résultat est un peu impressionnant pour l’enfant et ses parents… (fig1) qui doivent avoir vu
des photos auparavant pour être informés de ce qui les attend !
La sonde est utilisée après quelques heures, la sortie est autorisée après 24-48 heures en
général.
Toute intervention médicale comporte des risques. Ceux de l’anesthésie sont maintenant bien
contrôlés, le patient et les parents rencontrent l’anesthésiste qui leur explique ces risques. Le
chirurgien ou l’endoscopiste font de même. Les complications de la gastrostomie sont rares :
- Tout d’abord l’échec de la pose de la gastrostomie par voie endoscopique : il n’est
parfois pas possible de mener la procédure à bien. Le chirurgien doit alors prendre
le relais, idéalement au cours de la même anesthésie.
- Dans certains cas, il existe de « faux trajets » de la sonde, qui conduisent à la
retirer, et parfois à une intervention chirurgicale pour corriger le problème.
- La paroi peut s’infecter, c’est pourquoi des antibiotiques sont donnés pendant
quelques jours.
- Un peu d’air peut se glisser dans la paroi, ce qui n’a pas grande conséquence
habituellement, il se résorbe tout seul.
- Les deux collerettes ne doivent pas être trop serrées, car la paroi s’abîmerait.
- Chez certains enfants, l’estomac doit « s’habituer » à la nouvelle situation, des
vomissements peuvent survenir les premiers jours.
Cette liste peut paraître impressionnante, mais ces complications sont très rares !
Vivre avec une gastrostomie
La surveillance et les soins ultérieurs de la sonde ne sont pas l’objet de ce texte, une éducation
du patient et de sa famille est faite avant la sortie.
Signalons malgré tout que les soins de la sonde sont simples : nettoyage à l’eau et au savon de
l’orifice, pas de pansement en général. La sonde est tournée quotidiennement et son serrage
vérifié. Il faut considérer ce nouvel orifice comme une « narine » supplémentaire !
Beaucoup de parents et d’enfants en ont cependant peur, mais d’autres sont très à l’aise, allant
jusqu’à changer eux-même la sonde ou le « bouton » de remplacement.
Une tubulure est branchée sur le bouchon le soir, et une pompe délivre l’alimentation à un
rythme constant durant le sommeil, ou plus rarement en plusieurs fois le jour. Les produits,
tubulures, pompes et matériels de remplacement de gastrostomie sont fournis à domicile par
des sociétés prestataires de service, sur ordonnance médicale. Le médecin précisera le produit
à utiliser, et les modalités de prise des enzymes : habituellement lors du branchement et au
coucher, éventuellement lors des levers nocturnes. Les enzymes ne sont pas ajoutés
directement dans le produit nutritif. Une gastrostomie n’est pas douloureuse, en dehors d’une
petite gêne les premiers jours. L’alimentation naturelle est bien sûr possible sans problèmes.
Les bains, la piscine sont possibles avec une gastrostomie, passés les premiers jours. La
majorité des sports peut également être pratiquée, surtout après remplacement de la sonde par
un bouton (voir ci-dessous).
Des problèmes peuvent survenir après la pose :
- Les plus fréquents sont en rapport avec le conflit entre l’organisme et la sonde :
l’orifice peut être le siège de petites surélévations rouges appelées « bourgeons »,
qui peuvent suinter un peu. Il ne s’agit pas d’infections, mais d’une cicatrisation un
peu exubérante de l’orifice, favorisée par une sonde pas assez serrée, les
pansements, l’hygiène trop scrupuleuse (nettoyage trop agressif de l’orifice). Le
médecin ou l’infirmière « stomathérapeute » (infirmière spécialisée dans le soin
des stomies) expliqueront comment régler le problème.
- Il faut éviter d’exercer une traction sur la sonde, par exemple pour la rendre plus
discrète en la serrant sous les vêtements : la collerette interne risquerait de sortir
petit à petit à travers la paroi. Pour la même raison, il ne faut pas trop serrer la
collerette et il est utile de tourner la sonde régulièrement.
- La sonde est parfois arrachée, dans un geste involontaire. Cela n’est pas très grave
en principe, surtout si elle est en place depuis longtemps. Il faut consulter
rapidement pour la remplacer, car l’orifice risquerait de se fermer en quelques
heures
- Enfin la sonde n’a pas une durée de vie illimitée, il faudra la changer lorsqu’elle
sera dégradée.
- Nous avons abordé le problème du reflux gastro-oesophagien, du diabète. Certains
patients peuvent avoir de la diarrhée, surtout si le débit d’alimentation est trop
rapide ou si les conditions d’hygiène ne sont pas respectées pour la manipulation
des produits et des sondes.
La question du bouton, le changement de sonde
Un bouton est un dispositif qui peut être posé d’emblée dans certains cas, en cas de
gastrostomie chirurgicale, ou remplacer une sonde. Son intérêt est sa discrétion, car on ne voit
plus sur le ventre qu’une petite pièce plastique (fig2). Il contient une valve anti-retour évitant
le reflux de liquide de l’estomac. La tubulure d’alimentation est branchée directement dessus.
Il existe deux types principaux de boutons : à ballonnet ou à « bulle ».
Les boutons à ballonnet sont un peu moins discrets, ils sont très faciles à changer, par les
parents ou le patient lui-même, mais leur durée de vie est limitée à quelques mois.
Les boutons à bulle sont plus discrets (fig2), de durée de vie plus longue (un ou deux ans),
mais plus difficiles à changer.
Quand changer la sonde pour un bouton ? À l’évidence quand la sonde est abîmée, c’est-à-
dire au bout de plusieurs mois, voire un an ou deux. De façon théorique, la sonde peut être
remplacée par un bouton au minimum deux mois après la pose (le temps de la soudure des
différents plans de la paroi). Il faut savoir que ce changement n’est pas sans risque (infection
de la paroi), et que selon le type de matériel, il nécessite une anesthésie et une endoscopie. .
Des facteurs médicaux interviennent dans la décision mais aussi les conséquences
psychologiques (image du corps). Un adolescent demandera un changement dès que possible,
un nourrisson n’y sera pas sensible, contrairement à ses parents parfois !
La gastrostomie, ça marche !
L’effet de la nutrition artificielle par gastrostomie est souvent spectaculaire, avec une prise de
poids notable en quelques semaines. Le confort est amélioré grandement par rapport à la
sonde si cette technique était utilisée auparavant. L’alimentation n’est plus une hantise et peut
redevenir un plaisir sans l’arrière-pensée de manger toujours plus. Dans certains cas, des
anorexies rebelles s’améliorent par le changement de rapport à l’alimentation.
Les conséquences bénéfiques d’un meilleur état nutritionnel sur le cours de la maladie sont
connues, à tous ses stades, et plus favorables encore quand le problème est identifié et traité
tôt.
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