Les Phénomènes Lunaires Transitoires
écrit en collaboration avec la Dr Winifred S. Cameron, NASA-GSFC
Introduction (I)
Pendant plusieurs décades, la Dr Winifred S.Cameron a coordonné pour le compte du
Goddard Space Flight Center de la NASA le programme d'étude des Phénomènes Lunaires
Transitoires (Lunar Transient Phenomena), plus connu sous l'acronyme LTP.
La Dr W.S. Cameron débuta cette activité en 1962 et dirigea quelques années plus tard ce
projet au sein de l'ALPO (Association of Lunar and Planetary Observers) en tant que
"Lunar recorder", dépouillant toute la littérature, les comptes-rendus d'observation amateurs
et professionnels.
En 1978 la Dr W.S. Cameron rassembla dans un catalogue toutes les observations de
LTP enregistrées sur la Lune! Parmi les milliers d'événements enregistrés, 1353 cas furent
dépouillés et analysés dans le but de déterminer les causes possibles des LTP. Ce sont ces
conclusions dont nous allons discuter et profiter de l'occasion pour vous proposer de
participer à ce programme d'étude.
Le catalogue Lunar Transient
Phenomena de W.S.Cameron.
Que sont les LTP ?
Il s'est avéré après une longue étude des reliefs lunaires que plusieurs dizaines, jusqu'à
200 sites lunaires, présentaient à l'observation de véritables anomalies durant un lapse de
temps de quelques heures à quelques jours.
Ce phénomène intriguant ne pouvait pas être dû à une erreur d'appréciation, des clichés
en avait été pris, ni plus à la chute d'un météorite sur le site observé car tous les rapports
confirmaient par la suite le retour à une situation normale.
Bien que quelques lueurs furent mentionnées, un feu-de-camp extraterrestre était exclu...
Comme la littérature en faisait aussi mention et que les anomalies se répétaient, les
professionnels reconnurent l'existence du phénomène sans pour autant pouvoir donner
quelque explication plausible.
Voici le compte-rendu de cette extraordinaire histoire.
Le 24 janvier 1956 l'amateur R.Houghton découvrit un éclair brillant émanant du cratère
Cavendish qui venait juste d'émerger de l'obscurité. Un pic situé sur le rempart est du
cratère scintilla de façon répétée.
Le 26 octobre 1956, le bord gauche du cratère Alphonsus (colongitude 4°) s'assombri
en lumière bleu-violette. Le même phénomène s'était aussi produit en étudiant les clichés
pris au télescope du mont Palomar. Le rapport concluait : "il semble qu'il y ait eu un
dégagement gazeux de molécules de carbone, d'une densité de 10-9 par rapport à un
échantillon de laboratoire, ce qui a pu expliquer l'effet observé en direct".
Le 7 Juillet 1958 Linné (348°) disparut en lumière infrarouge et fut remplacé par une
zone très brillante durant quelques heures. Le même phénomène se produisit à nouveau
quelques temps plus tard dans d'autres observatoires qui en avaient fait leur principal sujet
d'observation.
Dans la nuit du 2 au 3 novembre 1958 l'astronome Nikolai Kozyrev découvrit un étrange
phénomène sur les spectrogrammes du cratère Alphonsus, alors proche du terminateur.
Bien qu'il observa la Lune à l'oculaire, le pic central du cratère s'estompa et pris une
coloration rouge inhabituelle. Les spectrogrammes confirmèrent son impression : il y avait
eu un phénomène volcanique. Les spectres présentaient les raies d'émission de la vapeur de
carbone, le C2. Le même phénomène se produisit sur des clichés couleurs d'Aristarchus
(47°) réalisés par l'Observatoire Lowell qui révélèrent la présence de trois spots roses sur
ses remparts qui s'avèreront être des dégazages d'hydrogène
En 1963, Z.Kopal et T.Rackham au Pic-du-Midi photographièrent une brillance autour
des cratères Copernic, Kepler et Aristarchus. Kopal suggéra qu'il s'agissait d'un effet de
fluorescence provoqué suite au bombardement de la surface lunaire par le vent solaire.
Enfin, il y a les comptes rendus effectués par les équipages des missions Apollo entre
1969 et 1972 et étayés par des enregistrements physiques.
Images d'amateurs
Archimèdes, 82 km
Aristarchus, 50 km
Tycho, 85 km
Certains cratères de la surface
lunaire sont connus pour
manifester des phénomènes
transitoires, des dégagements
gazeux ou des brillances.
Cliquer sur les images pour
les agrandir.
Théophile, 110 km
Copernic, 107 km
Le 19 juillet 1969, le module de commande d'Apollo XI achevait son orbite autour de la
Lune, lorsque le Centre de Contrôle de Houston le prévint que deux amateurs allemands,
MM.Pruss et Witte venaient d'observer à 18h45m TU un phénomène transitoire dans les
environs d'Aristarchus. Une brillance exceptionnelle était apparue sur le mur NO durant 5 à
7 sec, d'une magnitude plus brillante que l'arrière-plan.
Et en effet, à 18h46m TU les astronautes Armstrong, Collins et Aldin virent le mur NO
d'un cratère qui se trouvait proche de l'horizon (probablement Aristarchus) d'une éclatante
brillance. Il s'agissait de la première confirmation en groupe, séparée par 380000 km dont
voici le compte-rendu :
- Armstrong : Hé, Houston ! - Je regarde le nord, vers Aristarchus, et à
cette distance je ne suis pas certain que ce soit bien Aristarchus, mais
il y a là une région considérablement plus lumineuse que la zone qui
l'entoure. Il est... on dirait qu'elle est légèrement fluorescente.
- Houston : Roger, Onze. Nous notons.
- Aldrin : Je regarde vers la même zone... Il semble en tout cas qu'une
des parois du cratère soit plus claire que les autres... Je ne suis pas
certain qu'il y ait fluorescence, mais c'est nettement plus lumineux que
ce qui l'entoure.
- Houston : Pouvez-vous percevoir une différence de couleur dans
l'éclairage et s'agit-il d'une paroi intérieure ou extérieure du cratère ?
Terminé.
- Aldrin : Je pense que c'est une paroi intérieure.
- Collins : Non Bruce, je ne pense pas que la couleur joue un rôle.
- Houston : Roger, Onze. Nous notons.
Apollo XI au Mission Control le 19 juillet 1969 alors qu'ils survolaient un
site LTP à environ 110 km d'altitude à 13h45m heure de Houston
(18h45m TU). Extrait de la bande son d'Apollo XI.
Et jusqu'au 20 juillet 1969 à 00h35m TU puis à nouveau de 05h30m à 23h45m TU
Aristarchus apparu à nouveau plus brillants aux observateurs terrestres ainsi qu'à l'équipage
d'Apollo XI. Ces deux groupes d'observateurs ainsi que d'autres dispersés aux quatre coins
du monde observèrent le même jour des zones brillantes ou rougeâtres autour de Proclus,
Théophile, Eudoxus, Grimaldi, Maskelyne, Mare Crisium, Moretus, Alphonsus, Cauchy,
Atlas et bien sûr à nouveau sur Aristarchus à partir du 23 juillet 1969 jusqu'au 2 Août. De
semblables apparitions se produisirent également sur Tycho, autour de Mare Crisium, Mare
Imbrium et Mare Serenitatis.
Par la suite alors que l'équipage d'Apollo XIV (22 février et 20 mars 1971) se trouvait
dans le site Fra Mauro (231-238°) le détecteur d'ions ALSEP enregistra des phénomènes
gazeux intenses suivis par deux petits phénomènes sismiques. Le premier phénomène
gazeux dura 13 heures ! De 14 à 20 molécules d'eau ont été enregistrées mais peut-être
également du néon, de la fluorine et de l'oxygène. Le second phénomène dura 19 minutes et
la quantité de gaz expulsé pendant ce temps augmenta d'un facteur 100.
L'année suivante l'astronaute Matingly d'Apollo XVI (21 avril 1972) observa un flash
brillant sur l'horizon durant plus de 30 minutes.
Quelques mois plus tard l'équipage d'Apollo XVII (10-11 décembre 1972) observa un
flash sur Grimaldi (321°) qui sera confirmé par des observateurs sur Terre et le lendemain
Cernan observa dans une fracture située à l'est de Mare Orientale (345°, coord. sélén. 88°O,
20°S) un flash brillant.
Grâce à ces enregistrements, la seule explication avancée à l'époque était liée à la
présence de gaz peu dense, ionisé par le rayonnement solaire qui, au sortir du sol lunaire
produisait un effet lumineux qui s'était accentué aux courtes longueurs d'ondes. Le
phénomène était donc pris au sérieux.
Analyse des sites LTP (II)
Ces phénomènes transitoires sont en fait des changements temporaires qui se produisent
sur la surface de la Lune et qui ont déjà été observés en l'an 557 avant JC, précédant
l'invention du télescope !
Parmi les 1353 cas analysés par la Dr W.S. Cameron une corrélation a pu être établie
avec certains phénomènes astronomiques. Statistiquement 201 sites furent reportés au
moins une fois; 50% des sites ont deux rapports ou plus; une douzaine de sites rassemblent
70% de toutes les observations, tandis que Aristarchus à lui seul représente 30% des
enregistrements.
Ces phénomènes temporaires apparaissent donc en certains endroits bien localisés de la
surface de la Lune et ne sont presque jamais des illusions d'optiques. Des observateurs aussi
réputés que William Herschel, Wilhelm Struve et E.Bernard ainsi que les équipages
d'Apollo XI, XIV, XVI et XVII en ont également observé. La NASA dispose également
d'enregistrements polarimétriques, photométriques et spectroscopiques qui tentent à
confirmer leur existence. Leur origine par contre fait encore l'objet de bien des polémiques.
Les observations LTP se manifestent par 5 phénomènes :
- Les phénomènes de brillances (Brightenings)
- Les assombrissements (Darkenings)
- Les dégagements de gaz (Gazeous)
- Les colorations rouges, roses, cuivre ou orange (Reddish)
- Les lueurs bleues-violettes (Bluish).
Quelques formations appartiennent à plusieurs catégories. Ainsi la montagne Piton dans
Mare Imbrium fut enveloppé dans un "nuage de brume" le 23 septembre 1958. Mais ce type
de rapport n'est pas unique. Le 11 et le 21 octobre 1981 M.B.Hobdell nota que la plaine de
Platon (183°) brilla soudainement et fut enveloppée d'une brume qui se dissipa peu de
temps après. Ce site LTP devient plus brillant au moment du coucher du Soleil sur ses
remparts, au 23e jour. Les observateurs surveillent depuis lors de telles apparitions au lever
du Soleil (colongitude 3-8° au 8e jour). Dawes est le plus instable, présentant 10.5%
d'anomalie par nuit, soit 2.6% des mesures individuelles, alors qu'un site LTP présente en
général des anomalies une fois toutes les dix nuits.
Origines des phénomènes LTP
Les missions Apollo ont établi que le volcanisme actuel de la Lune est inactif. Seuls
quelques légers dégazages se sont produits depuis lors et occasionnellement quelques
explosions plus fortes ont été mises en évidence par les détecteurs d'ions (1971) et les
compteurs Geiger (1974).
Les rapports LTP révèlent une activité très récente. Ces dégazages sont peu importants
mais ils pourraient soulever la poussière lunaire. Ils peuvent se produire à intervalles
réguliers, sporadiquement ou épisodiquement.
Si ces gaz existent bien tels qu'on les observe, la question est de savoir qu'elle est
l'activité qui peut ainsi les rendre suffisamment brillants pour qu'ils puissent être observés
depuis la Terre ?
La seule activité notable à laquelle on pense immédiatement sont les tremblements de
Lune imputables en partie à l’attraction terrestre sur l’écorce lunaire. 80 fois plus massive
que la Lune, la Terre soulève en effet l’écorce lunaire, étirant l’hémisphère visible de 2 à 3
km par rapport au diamètre moyen. Le stress ainsi accumulé au fil des lunaisons devant se
dissiper, à chaque nouvelle et pleine Lune et en respect avec les forces de marées, les
sélénologues observent cette détente sous la forme d’ondes sismiques. Ces tremblements
peuvent soulever la poussière lunaire. Ce réajustement est également à l’origine d’une
synchronisation de la rotation de la Lune avec sa durée de révolution autour de la Terre,
raison pour laquelle elle nous présente toujours le même visage à quelques balancements
près. Mais quelles sont les autres hypothèses ?
A partir de 1965, Green, Chapman et de nombreux autres chercheurs s'attachèrent à
déterminer les principales causes qui expliqueraient la variété des LTP. Onze hypothèses
invoquent des influences extérieures, parmi lesquelles nous pouvons retenir :
1- Un effet des marées terrestres (Green, 1965) et solaires (Chapman, 1967) sur la Lune
2- Un phénomène de thermoluminescence suite aux variations brutales de température
(Blizard, Sidran,1968)
3- L'effet des radiations ultraviolettes issues du Soleil qui provoqueraient une
fluorescence
4- Les turbulences produites par le front magnétique du champ magnétique terrestre
(G.Cameron, 1964)
5- Des tremblements de la surface lunaire, de préférence aux époques de périgée ou
d'apogée
6- Un effet piézo-électrique similaire à ce qui se produit sur terre lorsque des roches
soumises à de fortes contraintes émettent un champ électrique qui ionise l'air en
faisant apparaître des halos lumineux
D’autres hypothèses moins probables ont été envisagées bien que l'énergie mise en jeu
semble trop faible ou le phénomène trop rare pour expliquer les LTP. Ces influences
seraient :
Le bombardement météoritique (le 13 mai 1972, Apollo XIV enregistra un impact
équivalent à l'explosion de 1000 tonnes de TNT). Ces frappes sont cependant très
isolées par comparaison avec l'étendue de la surface lunaire
L'accélération des particules solaires par la magnétopause de la Terre (Speiser, 1965,
1967) et les effets de sa traînée magnétique (Pala, 1964), mais cet effet n'atteint que
30% de l'intensité d'un choc thermique
Un bombardement corpusculaire issu des éruptions solaires (Kopal, 1966), mais il
semble que les décharges électriques soient cependant trop faibles pour expliquer les
LTP
L'illumination du relief sous une lumière rasante (Greenacre, 1964) qui révélerait la
présence de gaz et de poussières expulsés (rare)
Une diffraction spectrale provoquée par des irrégularités de la surface lunaire qui
produiraient des aberrations chromatiques. Mais si cet effet existait, les LTP
devraient se produire en tout lieu du disque.
Des aberrations chromatiques dues au scintillement de l'atmosphère terrestre, mais ce
phénomène est en général bien maîtrisé par les observateurs.
Certains phénomènes LTP sont également provoqués par des effets atmosphériques
terrestres, telle que la diffusion de la lumière solaire sur des nuages, lumière qui se réfléchit
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