L`évolution séquentielle des prix cotés par le teneur de marché

Chapitre 4
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La première approche théorique utilisée pour étudier la microstructure du marché,
l’approche inventaire, envisage la nature stochastique des flux de la demande et de l’offre
des clients sur le marché, sous deux aspects. D’une part, cette nature s’exprime dans la
quantité des biens que les clients souhaitent pouvoir acheter ou vendre. D’autre part, elle
concerne le moment les clients sur le marché ont recours aux teneurs de marché
1
pour
effectuer les échanges souhaités. En conséquence, il est a priori peu vraisemblable, pour un
teneur de marché, de conclure des transactions avec un synchronisme parfait. Les flux
d’ordres clientèles étant aléatoires, le déséquilibre temporaire de la position, quantité nette
des inventaires que détient un teneur de marché, s’avère un phénomène logique. Pourtant, une
position longue (excédentaire) ou courte (déficitaire) représente, pour un teneur de marché,
non seulement un problème en termes de liquidité, mais aussi un risque important
s’apparentant à l’éventuelle fluctuation du prix des biens qu’il détient. En cas de changement
défavorable du prix, un teneur de marché ayant une position ouverte subira des pertes, et ces
dernières pourront être d’une ampleur considérable. En d’autres termes, seul le maintien
d’une position couverte (zéro) permet au teneur de marché de tirer des profits sans courir
aucun risque.
C’est ainsi que l’analyse de la gestion de position par les teneurs de marché, qui sont
confrontés à une incertitude permanente sur les flux d’ordres clientèles, constitue le « noyau »
analytique de l’approche inventaire. Dans la littérature économique, nous trouvons trois
groupes de recherches qui sont menées dans ce paradigme.
Le premier groupe de recherches est représenté par les études menées par Garman
(1976) et Amihud & Mendelson (1980). Les deux objectifs essentiels de leurs recherches
consistent, d’une part, à déchiffrer le comportement intertemporel d’un teneur de marché
monopolistique et neutre au risque, et d’autre part, à déterminer les prix (le prix « bid » et
le prix « ask ») optimaux que cet agent doit fixer, afin que l’équilibre du marché soit atteint.
La position d’un tel teneur de marché s’écrit :
It = It-1 + Bt At .
(4.1)
It est la position du teneur de marché à la fin de la période t, et Bt et At représentent
respectivement la quantité des biens achetés (bid) et vendus (ask) par le teneur de marché au
1
Comme notre analyse dans les sections III, IV et V est basée sur une vision générale de la microstructure du
marché, nous employons le terme « teneur de marché » pour désigner l’intermédiaire entre clients sur le marché.
En effet, le sens de ce terme s’avère, si nous nous référons à la définition donnée dans la section I, plus large que
celui du terme « intermédiaire ».
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cours de la période t. Sans aucun recours aux emprunts
1
, le teneur de marché est obligé de
chercher à maintenir, au-dessus de zéro, les « richesses » accumulées, grâce à son rôle
d’intermédiaire au regard des échanges de biens sur le marché. En d’autres termes, le teneur
de marché doit rendre, à tout prix, ses affaires profitables. La valeur des « richesses »
accumulées du teneur de marché s’écrit :
Rt = Rt-1 + PaAt PbBt .
(4.2)
Rt est la valeur des « richesses » du teneur de marché à la fin de la période t. Les variables Pa
et Pb représentent quant à elles respectivement le prix « ask » et le prix « bid » que le teneur
de marché propose à ses clients
2
.
Le problème qui reste consiste à savoir comment caractériser la nature stochastique de
A et B, à savoir les flux d’ordres de vente et d’achat donnés par les clients. Garman, dans son
analyse, suppose que ces flux, stationnaires pourtant non identiques, suivent la loi de
Poisson. Avec cette spécification, la probabilité qu’un nouvel ordre d’achat (ou de vente)
donné par un client arrive entre l’intervalle t et t + t, suite au dernier ordre clientèle d’achat
(ou de vente) arrivant dans la période t, est de at (ou de bt) pour un t de petite valeur. Les
variables a et b représentant respectivement le taux d’arrivée des ordres clientèles d’achat et
de vente. Garman suppose que a est fonction de pa , tandis que b est déterminé par pb. Le
teneur de marché dans l’analyse de Garman doit donc trouver ces deux prix clés (pa et pb), qui
lui permettent d’optimiser ses profits en présence des flux d’ordres clientèles conditionnés par
la loi de Poisson. L’analyse de Garman montre que la probabilité approximative que la valeur
de Rt soit de zéro est de :
[(pb b(pb)) / (pa a(pa))] 2R0/(Pa + Pb) si pb b(pb) < pa a(pa) ;
1, dans le cas contraire.
(4.3)
Quant à la position du teneur de marché, la probabilité approximative que le niveau de It soit
de zéro est de :
[a(Pa)/b(Pb)] I0, si a(Pa) < b(Pb) ; 1, dans le cas contraire.
(4.4)
Comme Garman a, dans son analyse, imposé la condition, selon laquelle aucune facilité de
crédit pour financer les Rt et It ne doit être possible lorsque le teneur de marché en a besoin, ce
dernier doit éviter d’épuiser les stocks de ses marchandises, ainsi que ses « richesses »
accumulées. Sinon, ce sera la faillite de ses affaires. Via (4.3) et (4.4), il faut ainsi que :
1
Cette condition est imposée dans l’analyse de Garman.
2
Notons que ces prix sont toujours exprimés du point de vue du teneur de marché, et non pas du point de vue
de ses clients.
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pa(a)/pb(b) > b/a > 1, soit pa(a) > pb(b),
(4.5)
afin que les affaires du teneur de marché ne soient pas mises en faillite pour manque d’argent
et de stocks de marchandises. Il faut souligner, pourtant, que la condition (4.5) ne garantit pas
l’absence totale du risque de faillite. En revanche, c’est une condition nécessaire pour que le
teneur de marché ne devienne pas banqueroutier. En d’autres termes, la condition (4.5)
s’avère une « loi de survie » plutôt qu’un « secret du succès ».
La condition (4.5) donne un résultat fondamental pour la théorie de la microstructure du
marché : le prix « ask » étant plus élevé que le prix « bid », il existe un spread positif,
nécessaire pour rendre la position du teneur de marché « tenable », au sens ce dernier ne
deviendra pas banqueroutier à cause de son rôle d’intermédiaire entre les clients sur le
marché. A cet égard, le spread dérivé de l’étude de Garman est un spread défensif pour le
teneur de marché.
Dans la modélisation de Garman, les prix ainsi que le spread, sont invariables, une fois
qu’ils sont déterminés. La dynamique de la position du teneur de marché, et son rôle dans la
formation des prix, ne sont donc pas pris en compte dans son analyse. C’est par ce chemin
qu’Amihud & Mendelson (1980) ont approfondi le modèle de Garman, tout en restant fidèles
à son cadre d’analyse. Considérée comme un processus mi-markovien, la dynamique de
la position du teneur de marché est incorporée dans l’analyse de ces deux auteurs. Cette
dynamique détermine les prix (pa et pb dans le modèle de Garman) qui deviennent désormais
non constants au fil du temps.
Trois conclusions essentielles sont retenues dans l’étude d’Amihud & Mendelson.
Dans un premier temps, le prix « bid » et le prix « ask » optimaux, d’après leur étude, sont
tous les deux fonction décroissante de la position du teneur de marché. Ce résultat
correspond, en fait, à une stratégie logique relative à la gestion de position. Lorsque la
position d’un teneur de marché est excédentaire (déficitaire), il a tendance à baisser
(augmenter) à la fois le prix « bid » et le prix « ask », parce que cette baisse (hausse)
synchronisée des prix a un double effet au regard du réajustement de sa position. D’un côté, la
baisse (hausse) du prix à l’achat empêche (suscite) l’entrée de marchandises supplémentaires
venant des clients. De l’autre, la baisse (hausse) du prix à la vente suscite (empêche) des
achats clientèles. Cet ajustement simultané et parallèle des deux prix sert ainsi de mécanisme
automatique au rééquilibrage de la position. Dans un second temps, Amihud & Mendelson
montrent, à partir de leur analyse, l’existence, pour le teneur de marché, d’une position
optimale dont le niveau dépend de la variabilité des flux d’ordres clientèles. Dans un
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troisième temps, ces auteurs confirment, comme Garman, que le spread est positif. Pourtant,
sur un marché concurrentiel, ce spread a tendance à se rapprocher de zéro. Dans ce cas, le prix
« bid » et le prix « ask » deviennent le même prix : le prix d’équilibre du marché.
Le second groupe de recherches adoptant l’approche inventaire est représenté par les
études menées par Stoll (1978), Ho & Stoll (1981), O’Hara & Oldfield (1986). Simple mais
riche de résultats importants, l’étude de Stoll consiste à analyser comment un teneur de
marché décide s’il s’engage ou non dans les « affaires » d’intermédiation sur le marché. Stoll
suppose qu’un teneur de marché n’est prêt à tenir ces « affaires » que si le niveau anticipé de
son utilité, en termes de richesses, est aussi grand dans le cas de l’engagement que dans le
cas de la « retraite ». Cependant, son modèle se limite à une seule période, d’autant que le
teneur de marché ne s’engage que dans une transaction avec un client, soit sous la forme d’un
achat, soit sous la forme d’une vente. La spécification de ce modèle ne reflète donc pas
vraiment la caractéristique de « l’intermédiation » dans laquelle un teneur de marché s’engage
entre clients. Malgré cette lacune, la modélisation de Stoll met en lumière deux composants
essentiels qui constituent le coût global engendré des « affaires » d’intermédiation pour un
teneur de marché : le coût opérationnel et le coût inventaire. D’après Stoll, le coût
opérationnel est fonction décroissante de la taille (ou du volume) de transaction, facteur
affectant la position du teneur de marché, alors que le coût inventaire est fonction croissante
du même élément. La combinaison de ces deux relations implique ainsi qu’il existe une taille
optimale de transaction pour le teneur de marché. Quant au spread, destiné à compenser ces
deux coûts, il est, d’après l’analyse de Stoll, fonction croissante de la taille de transaction à
laquelle s’engage le teneur de marché, du degré de son aversion au risque, de la variabilité
du cours de la marchandise en question, mais en revanche une fonction décroissante du
fonds de roulement que détient le teneur de marché.
Ho & Stoll (1981) analysent le comportement du teneur de marché dans une dimension
temporelle plus élargie que celle de l’étude de Stoll (1978), tout en suivant la logique
essentielle de Stoll (1978). Le spread dérivé de cette étude est aussi déterminé conjointement
par le degré d’aversion au risque du teneur de marché, par la taille de la transaction, et par la
variabilité du prix de la marchandise échangée. Pourtant, leur étude montre que la taille du
spread est indépendante du niveau de la position qu’a le teneur de marché. En fait, le niveau
de la position n’influe que sur l’ajustement du prix « bid » et du prix « ask » sous forme de
réglage simultané et parallèle. Il est toutefois important de souligner que ces conclusions sont
soumises au mode relativement restrictif de spécification dans leur modèle : entre autres,
l’horizon temporel n’est pas infini, les flux d’ordres clientèles sont supposés suivre la loi de
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Poisson, et le prix réel du bien échangé sur le marché est invariable. C’est pourquoi O’Hara &
Oldfield (1986) proposent une élaboration de ce modèle, et confirment de nouveau le rôle du
niveau de la position dans la détermination du niveau de spread.
Enfin, le troisième groupe de recherches dans le paradigme de l’approche inventaire,
est représenté par les travaux de Cohen, Maier, Schwartz & Whitcomb (1981) et Ho & Stoll
(1983). Ces études analysent le comportement d’un teneur de marché dans un contexte de
concurrence entre teneurs de marché. A cet égard, elles contrastent avec toutes les études
précédentes, le teneur de marché est considéré comme ayant un monopole sur le marché.
Dans le contexte de compétition entre teneurs de marché, ces derniers rivalisent les uns avec
les autres en tant que « fournisseurs de liquidité », face à la « demande de liquidité » des
clients sur le marché. En différenciant la « demande clientèle » par plusieurs types d’ordres,
tels que l’ordre à l’appréciation, ces études montrent à nouveau que le spread fixé par teneurs
de marché est positif.
En résumé, l’approche inventaire porte essentiellement sur la gestion de la position par
le(s) teneur(s) de marché, dans un contexte d’arrivée aléatoire des ordres clientèles. Grâce à
l’analyse de cette gestion, des conclusions peuvent en être déduites relativement à la
formation des prix et à la détermination du spread, éléments centraux dans la théorie de la
microstructure du marché. Cependant, les analyses théoriques que nous avons examinées dans
cette section sont menées dans un cadre général de microstructure du marché. Nous
reviendrons, dans la section VI, à l’applicabilité de l’approche inventaire dans l’étude de la
microstructure du marché des changes.
IV. Analyse théorique de la microstructure du marché : l’approche informationnelle
La seconde approche proposée pour étudier la microstructure du marché, l’approche
informationnelle, s’interroge sur le processus des échanges alisés sur le marché, en
particulier le processus sous-jacent des échanges d’informations entre les deux parties qui
concluent une transaction. En effet, comme nous l’avons souligné dans la section I, si le mode
d’échange appliqué sur un marché est de gré à gré, les informations relatives aux transactions
deviennent, dans ce cas, de nature privée, ce qui fera émerger un phénomène d’asymétrie
d’information entre les agents sur le marché. La présence de ce phénomène rend
l’environnement d’échange sur le marché peu transparent, et a pour effet d’engendrer des
coûts de transaction implicites supplémentaires au cours du processus d’échange.
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