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I. Avant la problématique :
1. Premières Approches
a. Les Cultural Studies : de la sociologie de la culture de masse aux sous-cultures.
Courant de recherche britannique engagé voyant le jour à la fin des années 1950 à Birmingham,
les Cultural Studies ont entrepris de façon précoce des recherches pertinentes et novatrices
traitant des rapports entre culture et société.Très attentifs, tels R.Williams, E.P.Thompson,
R.Hoggart et S.Hall, aux rapports entre les classes ouvrières, les cultures populaires et la
société, notamment leur réception des médias, ils théoriseront au cours des années 1960-70 les
capacités de résistance aux message des médias, selon Hoggart « la simple force d’inertie que
représente un style populaire de ‘consommation nonchalante’ qu’il symbolise par la formule
‘cause toujours’ ». Pour Jean Claude Passeron, les Cultural Studies relèvent d’une analyse
« idéologique » ou externe de la culture : « les activités culturelles des classes populaires sont
analysées pour interroger les fonctions quelles assument par rapport à la domination sociale.»
On peut constater que l’objet culture est ici pensé dans une problématique du pouvoir, qui
amène à un ensemble d’interrogations, selon Mattelart et Neveu, quatre y prennent une place
structurante :
- La notion d’idéologie (influences Marxiennes)
- la thématique de l’hégémonie (Formulée par le théoricien marxiste italien Antonio Gramsci).
« L’hégémonie est fondamentalement une construction du pouvoir par l’acquiescement des
dominés aux valeurs de l’ordre social, la production d’une ‘volonté générale’ consensuelle »p
38
- La question de la résistance, et sous-jacente, celle des armes des faibles.
- La problématique de l’identité (se profilant « en filigrane »), qui amène à ajouter lors des
travaux de recherches des variables comme la génération, le genre, l’ethnicité la sexualité, et à
des questionnement sur le mode de constitution des collectifs et de structuration des identités.
C’est à la seconde moitié des années 1970 et au début des années 1980 que les problématiques
qui découlent de ces interrogations aborderont des sujets de plus en plus variés, étudiant les
rapports à la culture et à ses produits dans le quotidien des groupes sociaux, par le biais des
auteurs de la dite « seconde génération » de ce courant de recherche. Ces études vont alors
porter sur les pratiques culturelles « définies sans soucis de leur prestige social » p35, telles que
la publicité ou les musiques populaires, et vont s’étendre plus amplement sur l’audiovisuel et
ses émissions de distractions. C’est dans ce cadre que Simon Frith entreprend ses recherches
sur les musiques pop et rock. Dans son premier ouvrage, « The sociology of rock », il analyse
les rapports que ces musiques entretiennent avec la jeunesse, les loisirs, l’industrie du disque et
les médias (à l’époque, seulement la radio et la presse spécialisée), afin d’en dénoter les
éléments caractérisant « l’idéologie du rock » et de questionner les théorisations antérieures
s’articulant selon une dichotomie culture de masse/ culture d’élites.
Ses travaux s’intéressent premièrement à la réception de la musique chez les adolescents, le
rock étant perçu à cette période (les années 1960/70) comme un phénomène lié à la jeunesse. Il
en dégage certains principes sociologiques concernant la double importance de la musique pour
les jeunes groupes d’amis (peer-groups) : elle est un moyen par lequel le groupe se définit,
mais elle est également la source même de son statut interne SFp46, aidant ainsi à définir leur
identités personnelles par le biais du collectif. Un autre usage y est ajouté, d’avantage relatif à
un processus de distinction : « The second use of music-as-identity is to distinguish the young
from the old, to identify a place or occasion or time as youth’s property.» p 48 . Lors d’une
étude de terrain sur les relations entre la musique et les jeunes adolescents, Frith en ressort de
précieux éléments indiquant un certain réalisme vis-à-vis d’eux-mêmes et du monde qui les
entoure, « they know how commercial rock works, even as they enjoy it » SFp49. Il tente la
liaison de ces éléments avec l’approche sociologique s’intéressant aux sous cultures, mais
garde un point de vue critique vis-à-vis de celle-ci. « the thrust of sub-cultural approach is that
youth music is a symbol which expresses the underlying leisure values of the group which uses
it.”p 50 Cependant, si la musique peut être envisagée en tant que symbole de valeurs
récréatives, l’auteur indique l’étroitesse de cette approche, qui écarte les sub-culturalists de
penser la musique en tant qu’ « activité », ce qui est le cas de la majorité des jeunes
« non déviants». Cette approche a donc tendance à « geler » trompeusement le monde de la
jeunesse entre les déviants et les « autres ». Il faudrait donc selon lui penser d’avantage les sous
cultures et leurs liens avec la musique en termes d’usage et d’expérience que de symboles à
proprement parler.
Elargissant son analyse des sous culture à celle des « jeunes » classes de l’époque (les ouvriers,
les jeunes femmes, les étudiants), et la reliant à la réception de la musique en tant que loisir,
Frith nous incite à concevoir les loisirs comme une relation entre choix et contrainte, et indique
que les usages que ces classes en font sont différenciés. Puis, rendant compte des rapports entre
les musiciens avec la production industrialisée de la musique par l’intermédiaire du disque, de
la radio et de la presse musicale, il détermine un des principes de base qui caractérise
« l’idéologie du rock » : « The belief in a continuing struggle between music and commerce is
the core of rock ideology : at certain moments artists and audience break through the system,
but most of the time business interests are in control. »p191. Cette vision des dynamiques
articulant musique et commerce au sein de l’idéologie des musiques populaires et du rock se
retrouve également chez son homologue américain James Lull, utilisant pour les caractériser
l’opposition entre deux « modèles » au sein des l’industrie musicale : le « modèle de contrôle »
(« patterns of control ») indiqué par un certain conservatisme et une conventionalité dans toutes
les phases de production de la musique populaire, dont la majeure partie des contenus textuels
semblent aussi témoigner d’une certaine consensualité ; et le « modèle de résistance »
(« patterns of résistance ») illustré par un mouvement de protestation vis-à-vis du
gouvernement ou du système politique américain, ou plus généralement de la société
capitaliste.
Le « modèle de contrôle » est explicité par une forte concentration au sein du marché de la
musique, contrôlée par un nombre restreint de « majors », influant sur les contrats avec les
artistes, la production des albums et leur distribution. Ces majors, selon Lull, sont également
« intimement impliquées dans l’arrangement des performances live de ses artistes sous
contrats, (…) supervisent leurs interviews radiophoniques et orchestrent leur apparitions en
public ».pm&cp 14. Les techniques de programmation des grandes stations de radios
américaines, basées sur la répétition à outrance (« rotation system ») d’un nombre réduit de
titres (réunis sous le terme « top 40 »), sont également des caractéristiques de ce modèle.
Le « modèle de résistance », quant à lui, s’est formé dans les années 1960 en opposition au
« modèle de contrôle », et est caractérisé historiquement par la formation de sous-cultures dont
les artistes écoutés étaient majoritairement issus de groupes « opprimés » (initialement issus de
la classe noire et ouvrière). La diffusion de leur messages protestataires était néanmoins assez
large, passant par l’intermédiaire de nombreux labels indépendants et de stations de radios
« underground », n’ayant ni de technique de programmation spécifique ni de formats musicaux
imposés, et témoigna d’un immense succès auprès des sous cultures en formation (le
mouvement hippie), déstabilisant quelque peu les « majors » dans leur position dominante. Lull
remarque par la suite, à la fin des années 1970, un retour progressif à la domination de ces
derniers sur le marché de la musique, du à la déstabilisation du modèle de résistance (marquée
par la fin de la période punk), et à récupération par les majors des techniques effectives
utilisées par les radios et les labels indépendants. Le « modèle de résistance » se serait donc fait
peu à peu englober dans le « modèle de contrôle. » Cette position dominante sera accentuée par
la suite du fait de l’apparition de la musique à la télévision (les vidéoclips) et donc à sa mise en
scène de façon formatée, passage obligé et caractéristique de la production télévisuelle.
Ce retour en force vers le courant dominant de la musique (mainstream music) nous ramène
aux questionnements relatifs à la culture de masse et des idéologies qu’elle sous tend. Simon
Frith explore à ce propos le point de vue des théories marxistes, dont celui d’Adorno, analysant
à l’époque la musique « jazz » (terme désignant pour lui la « musique de masse » dans son
ensemble). Selon ce dernier le procès de culture de masse, par le biais de l’industrialisation de
l’art alors transformé en bien de consommation, a transformé simultanément la consommation
culturelle en un procès individualisant et aliénant. « Art has become entertainment, cultural
choice has become selection in the market place, popular creation has become the commercial
attempt to attract the largest possible number of consumers. Mass culture provides both a
pseudo-individualism and a pseudo-collectivism.» Ad cit/Frith p 194. La culture de masse, par
son réalisme, aurait donc selon lui « corrompu la base imaginative de l’art » comme source de
l’espoir humain, sa protestation utopique contre la réalité. Frith voyant dans cette analyse un
systématisme désarmant et difficilement récusable, constate cependant les faiblesses de celleci : « The weakest point of his argumentation seems to be his account of cultural consumption
–the actual use of pop is scarcely examined, their passivity is assumed rather than investigatedand it was the point that was developed by American media sociologists in the 1940’s. »SRp
195 Le point de vue acide d’Adorno sur la culture de masse de l’époque, et son manque
d’intérêt à l’égard des capacités de résistance de la réception s’explique selon l’auteur par le
manque d’opposition envers l’ordre social capitaliste jusque dans les années 1960, mais il
repère qu’à la même période Walter Benjamin inscrivait déjà des constatations similaires dans
une perspective plus positive. Dans « l’œuvre d’art à l’age de sa reproductibilité technique »,
s’il conçoit tel Adorno une modification de la relation des masses à l’œuvre d’art, vu sous
l’angle de la perte de l’autorité et de « l’aura » de l’art provoqué par la technologisation des
media de masse, celle-ci a ouvert des nouvelles possibilités pour le développement de moyens
d’expressions socialisants, le procès de création devenant collectif plus qu’individuel. Ces
conceptions redécouvertes dans les années 1960 éclairèrent certains chercheurs, tel Dave Laing,
soutenant que le rock comme les autres medias de masse est un lieu non pas de pluralisme
culturel mais de lutte culturelle (cultural struggle), « if the capitalist organisation of cultural
production is not entirely determined, then both artists and audiences can fight for the control
of the meanings of cultural symbols. Benjamin’s original point is remade : it is precisely the
technological and sociological basis of mass production that makes cultural struggle possible. »
srp 196. Selon Frith, il y a derrière ces arguments la suggestion explicite que certaines
musiques populaires expriment plus que la « culture du profit » ou l’idéologie d’une
consommation passive, le problème est de savoir comment les reconnaître.
Dans le but d’explorer l’idéologie du rock, l’auteur s’était résigné à la tentation d’analyser les
paroles, les textes des chansons à l’instar de la musique. « Most rock records make their impact
musically rather than musically –the words, if they are noticed at all, are absorbed, are
observed after the music has made his mark ; the crucial variables are sound and rythm. » Il
reviendra pourtant sur ce parti pris quelques années plus tard, dans son ouvrage “music for
pleasure”. Dans le chapitre “Why Do Songs Have Words”, Simon Frith analyse à travers les
écrits d’autres chercheurs ( Richard Hoggart, David Lodge, Dave Laing, Donald Horton...), et
des acteurs du “monde” de la musique ( producteurs, auteurs-compositeurs, critiques), les
différents thèmes abordés dans les paroles des chanteurs de musiques blues, soul, folk, country
et rock anglo-saxon, les “fonctions” occupées par ces thèmes ainsi que les “effets” possibles ou
impliqués par ces thèmes vis-à-vis de leurs auditeurs. Il met en opposition deux genres
principaux, dont nous pouvons constater les rapports directs avec les modèles « de contrôle » et
« de résistance » proposées par Lull. La « pop », qui représente selon l’auteur “l’idéologie
sentimentale” de la société capitaliste.mflp 109, la fonction de ses textes étant de transmettre
des sentiments et des émotions d’une certaine consensualité (lyrical banalities) et une forme
d’escapisme, abordant les thèmes de l’amour (thème très dominant) ou l’amitié, la joie de
vivre, et utilisant généralement le style direct (‘I’, ‘you’), impliquant selon Richard Hoggart
une « intimité forcée » (forced intimacy). Et le « folk » (à concevoir comme musique issue du
peuple, parlant du peuple) dont la fonction de ses textes est de traduire un certain réalisme
(lyrical realism) une « authenticité » vis-à-vis du monde qui l’entoure, abordant des thèmes tels
que la lutte de l’opprimé, le rejet de la société, et usant du conte (storytelling) ou du simple
témoignage pour transmettre leur pensées. Cependant l’auteur tient à rappeler le statut plausible
de « nonchalance active » du récepteur, les recherches empiriques effectuées par Robinson et
Hirsch dans un lycée américain suggèrent que “l’efficience” des messages chantés est limitée,
la majorité des jeunes personnes sondées ne portant pas d’attention particulière au sens de
paroles même protestataires, la minorité les ayant écouté plus attentivement ayant un point de
vue critique à leur égard.
Néanmoins, la prise en compte du point de vue du récepteur n’implique pas que les mots “ne
comptent pas”. S’il émet une distinction qualitative entre les genres folk et pop, il admet que
« le contenu textuel est une raison pour laquelle les gens achètent des disques ; les “hits”
instrumentaux restant inhabituels » p 120 L’auteur tente pour expliciter ce fait de rendre
compte de l’importance de la dimension “poétique” dans les chansons “pop”. Ces chansons
doivent selon lui se concevoir plus sous la forme de pièces que de poêmes, dans le sens ou les
chanteurs usent de procédés aussi bien verbaux que non verbaux pour s’exprimer : “emphases,
soupirs, hésitations, changements de ton...”p 120 Il tire également quelques conclusions
générales à partir des travaux d’analyses des techniques employées dans certains morceaux.
Dans ce cadre précis d’analyse, il est nécessaire de prendre en compte “les conventions
performatives utilisées dans la construction du sens conjointement par les chanteurs et par nous
mêmes, en tant qu’auditeurs. Ce n’est pas seulement ce qu’il chantent, mais également la
manière dont ils le chantent, qui détermine la signification que l’on en fait, ainsi que notre
position, en tant que public, en relation avec eux.” P 121
En soulevant ces questions relatives à l’identité et aux publics, Frith soulève implicitement
celles touchant aux genres : la diversité de ces publics écoutent des musiques de types
différents se rattachant à des communautés hétéroclites, ces différentes formes de musiques
engageraient leurs auditeurs dans des narrations aux aspirations différentes.
Un troisième point est soulevé sur les paroles de chansons populaires : elles “travaillent” avec
le langage commun, et en “mettant les mots en musique, les compositeurs leur donne une
nouvelle forme de résonnance et de pouvoir”.p 121 L’art du compositeur, affirme t’il en
reprenant les mots du critique Clive James, est d’écouter “le langage parlé comme un poême”,
apprécier les mots non pas seulement pour leur sens, mais pour leur équilibre et leur rythmique.
En outre, l’auteur suggère que les paroles de chansons qui “comptent le plus” sont “celles qui
restent ouvertes à l’interprétation –non seulement des chanteurs, mais également des
auditeurs.” P 123Il en conclue donc que “si la musique apporte à ses paroles une vitalité
linguistique, les paroles donnent aux chansons leur usage social.”p 123 Il exemplifie cette
conclusion en reprenant le cas des chansons “d’amour” de la musique “pop”, qui selon lui ne
“reflètent” pas les émotions, mais apportent aux gens les termes romantiques permettant
d’articuler et d’éprouver leurs émotions, le chanteur prenant alors le rôle de “messager
réciproque” (mutual messenger).
Les conceptions que nous venons d’explorer nous éclairent sur les fonctions sociales et
identitaires qu’occupe le langage verbal dans la musique, il ne fournirait pas forcément un
discours tout préparé mais contribuerait plutôt à la construction de rapports sociaux entre ses
récepteurs. La musique y prendrait donc une importance notable dans le sens où elle serait une
sorte de « catalyseur » de ces paroles, apportant force et vitalité aux mots qu’elle accompagne.
Sa conception complexe du phénomène de réception de la musique de façon générale (pas
seulement de ses textes), semble très singulière : l’idée qui la traverse dans ses ouvrages
renverse sa position : « ce qui est possible pour nous en tant que consommateurs (ce qui nous
est “disponible”, ce que nous pouvons faire), est un résultat des décisions faites dans la
production, par les musiciens, par les entrepreneurs et bureaucrates, faites selon les juridictions
des
gouvernements
et
des
“hommes
de
loi”,
en
réponse
aux
opportunités
technologiques »mfpp6. Cependant, nous pouvons remarquer que ces études, réalisées en
Angleterre ou aux Etats-Unis, portent ces conceptions sur un patrimoine culturel -ou du moins
linguistique- commun, elles ne peuvent par conséquent s’appliquer que sur les bases d’une
culture commune, et relativement « fermée » aux cultures extérieures. Si l’on tient compte de
l’exportation massive des musiques anglo-saxonnes par le biais des médias depuis bientôt un
siècle, accéléré par processus de globalisation, il semble donc pratiquement impensable
d’appliquer
ces conceptions telles quelles sans considérer l’influence potentielle de ses
musiques anglophones au sein des cultures non anglophones. Les Cultural Studies abordent
également cette problématique, et questionnent par cet intermédiaire la notion d’hégémonie et
d’impérialisme culturel.
Roger Wallis et Kirster Malm, dans le cadre d’un projet de recherche intitulé « Music industry
in small countries », cherchent à appréhender les effets de l’industrie musicale mondiale sur les
musiques et les cultures locales. En étudiant le cas de douze petits pays répartis sur quatre
continents, les auteurs rendent compte de la limitation du concept établi d’impérialisme culturel
pour expliquer le processus fondamental que subit la musique au niveau global. « We are
witnessing a two-way process that both dilutes and streamlines (profile) culture, but also
provides new opportunities for cultural enrichment .»pmcp 131 Ces auteurs introduisent le
concept de « transculturation », le substituant à celui d’impérialisme culturel dont l’idée
principale est la suivante : « The international music industry produces a nationless music with
various elements blended together from different cultures. The exposure to new talents
continually introduces new elements to the mixture. Some of the new elements subsequently
inspire other cultures to create their own form of expression, often a synthesis of local music
with imported influences. »p 131 Ce processus de « transculturation » de la musique
impliquerait donc une appropriation de certains éléments au sein des cultures locales, et
inspirerait la création dans la conception d’une musique « hybride » incorporant des aspects de
la culture locale et internationale. James Lull observe ce processus chez les groupes de rock
norvégiens suédois et danois dans les 1970’s, constituant selon lui un schéma historique
typique. Les groupes essayent au début d’imiter exactement la musique venant de l’étranger,
mais la tendance a long terme est, par soucis de cohérence, d’adapter ce nouveau matériau avec
leur spécificités culturelles locales, par exemple en chantant dans leur propre langue, ou en
utilisant des instruments de musique associés avec leur héritage culturel. Lull voit dans ce
schéma « le reflet d’une renaissance « nationaliste », une fierté et un moyen d’affirmer leur
propre culture à l’égard de la culture internationale, celle qui parle anglais. »p31 Wallis et
Malm tempèrent toutefois les aspects bénéfiques du processus de « transculturation », affirmant
qu’il laisse inévitablement sa marque dans les cultures musicales indigènes, et implique
invariablement la disparition de certains aspects communicatifs locaux, ce qui laisse
transparaître des conséquences homogénéisantes néfastes connectées à la production
industrielle de la musique.
Ces arguments sur l’industrialisation de la musique comme facteur d’homogénéisation ou
d’hétérogénéisation des cultures locales ne se réduit pas au seul secteur de la musique, elle est
notamment significative du débat concernant l’anglais comme langue internationale. Alastair
Pennycook s’interrogeant sur la globalisation et la mondialisation de la diffusion de l’anglais,
oppose sur ce sujet deux positions antinomiques : la « position homogène » (homogeny
position) soutenant que la diffusion globale de l'anglais mène à l’« homogéinéisation de la
culture du monde », et la position « hétérogène » (heterogeny position) se concentrant sur « les
manières selon lesquelles l'anglais s’est localement adapté et institutionalisé pour créer des
différentes variétés d'anglais (different Englishes) autour du monde ». Analysant les usages
langagiers de la sous-culture hip-hop dans des communautés danoises, canadiennes et
anglaises, il observe, par le biais de sa musique, le rap, le double mouvement de globalisation
par l’anglais et d’appropriation locale et identitaire du vocabulaire véhiculé par cette sousculture. Le hip-hop, selon lui est une forme de communication interculturelle, et dans le même
temps, une forme de culture globalisante qui se laisse approprier. « And as a part of this
emerging picture of globalization and English, this is neither reductible to homogeneizing
effects
of globalization not to heterogeneizing forms of adaptation, but, rather, involves
complex interaction among global forms and intermixed local forms. »
Ces analyses nous suggèrent donc que même dans le cadre d’un groupe non anglophone
s’exprimant en anglais dans sa musique, son explicitation par l’homogénéisation des cultures et
de la globalisation est à modérer, car l’appropriation d’une culture étrangère s’appréhende dans
le même temps selon les caractéristiques socioculturelles de chaque communauté. Le
« contexte de réception » est alors modifié, celui de la création résulterait donc de cette
modification.
Les auteurs des Cultural Studies que nous venons d’étudier, nous apportent de précieux
enseignements sur la façon complexe dont s’articule l’industrie musicale globalisée et leurs
auditeurs. Ils remettent en cause par leurs analysent les notions de culture de masse et
d’impérialisme culturel, par la prise en compte du point de vue actif du récepteur et du rôle
important qu’il joue dans cette articulation. Dans le sens inverse ils suggèrent les fonctions
(certes plus difficile à vérifier) que jouent la musique et ses paroles pour l’identité sociale et
culturelle. Nonobstant, si ces auteurs examinent la formation des identités sociales des
adolescents et abordent leur formation en groupes représentatifs de différentes sous-cultures, ils
n’évoquent pas la question de la formation identitaire des groupes de musique eux-mêmes.
Pourtant ces groupes de musique, si l’on raisonne selon les termes des Cultural Studies, font le
plus souvent partie de ces sous-cultures, et peuvent contribuer dans le même temps au
façonnage des identités de ces dernières. Dans la perspective d’une analyse des relations
qu’entretiennent les groupes de musiques actuelles avec leur culture, et plus précisément avec
leur langue d’expression dans la musique, un approfondissement des conceptions de ces
groupes dans leur dimension collective s’avère opportun, notamment celles touchant aux
imaginaires sociaux et aux représentations sociales des musiciens. Cet approfondissement ne
peut s’opérer à partir d’études de textes ou d’analyses des structurations de l’industrie, les
dynamiques sociales régissant les groupes de musique ne peuvent s’appréhender qu’à travers
une sociologie de l’ordinaire de la pratique de ces groupes et des musiciens qui les composent.
b.
Vers une sociologie de l’ordinaire de la pratique musicale
L’ouvrage de Damien Tassin consacré aux pratiques musicales rock rend compte de la
complexité des caractéristiques qui déterminent les rapports des musiciens en tant que groupe
et vis-à-vis de leur environnement extérieur. L’analyse de ces caractéristiques lui permet par la
suite la théorisation des imaginaires sociaux et des représentations sociales que construisent les
groupes de rock. Constatons tout d’abord que le phénomène rock développée par Tassin est
abordé sous un angle de vue se démarquant des approches issues des Cultural Studies : il ne
s’intéresse pas particulièrement aux groupes connus et reconnus par le public, mais à
l’ordinaire de la pratique, «celui des musiciens et des groupes qui jouent dans l’ombre de
l’industrie musicale et des médias, celui des praticiens qui accèdent peu aux concerts et aux
scènes locales. »p11 Remarquons dans le même temps que la récence de cet ouvrage
réactualise les caractéristiques sociologiques du phénomène rock : Il n’est plus composé de
musiques « faites par et pour les jeunes » telle que Simon Frith le concevait dans les années
1980, mais est maintenant porté par sa dimension hétérogène : la population de ses praticiens y
est très diversifiée, la pratique amateur regroupant des individus de tous les âges et de toutes les
classes sociales. Cette remarque explicite le fait que la majorité des travaux sociologiques
américains et britanniques abordant le phénomène s’est d’abord inscrite dans la catégorie de la
sociologie de la jeunesse et des comportements d’achat des jeunes, abordant alors celui-ci
comme un phénomène de génération. Il faut par conséquent recontextualiser ce phénomène
selon les caractéristiques actuelles des musiciens et des publics, et, comme l’indique Tassin,
prendre en considération que l’analyse du rock doit s’émanciper de l’étude d’un phénomène de
masse menant à des analyses globalisantes. Il n’est donc pas (ou plus) possible de réduire la
pratique rock à une sociologie de la jeunesse. Les travaux issus de la sociologie du loisir, en
revanche, inscrivent la pratique musicale des adultes dans leurs analyses. Celle-ci ne peut se
confondre avec les analyses de Simon Frith, qui étudie les loisirs de certaines classes sous
l’angle des conditions de réception et des usages des consommateurs, la pratique musicale en
tant que loisir n’étant pas évoquée. On retrouve néanmoins chez les analyses de cet auteur des
éléments de ressemblance avec celles de Joffre Dumazedier présentant le loisir comme une
« révolte contre la culture répressive » et une forme d’affirmation du droit a « l’épanouissement
des tendances les plus profondes de l’être, qui sont réprimées dans l’exercice des obligations
institutionnelles ». Cependant, comme le note Tassin, la sociologie des loisirs procède trop
souvent à une dichotomie issue d’une vision trop libératrice du loisir et aliénante du travail. Si
pour Dumazedier le loisir le plus complet est « celui qui offre aux individus des activités
d’expression de soi où l’individu est une fin, par opposition aux activités instrumentales ou
l’individu est un moyen », Tassin émet la remarque que la pratique musicale occupe aussi
souvent un rôle instrumental, et l’enquête que ce dernier à mené révèle des situations bien plus
complexes.
Les travaux sociologiques plus récents analysants les pratiques musicales nous apportent
plusieurs éléments de réflexions, tel le travail d’enquête de François Dubet, cherchant à
comprendre dans l’expérience de la galère l’éventuelle naissance d’un acteur social.
L’auteur prend en compte la complexité de ce fait social, la positionne en tant qu’expérience
sociale et interroge « les formes d’engagement des musiciens à travers le rapport qu’ils
entretiennent avec cette pratique »p 66. A travers ses observations, Il remarque un rapport
passionnel des jeunes avec la musique, l’incitant à focaliser son attention tant sur la musique
que sur l’expérience sociale qui en est le support, sans pour autant les dissocier. Il affirme que
« les principes de renversement de la « galère » ne sont pas liés au travail mais plutôt à des
« espaces passion » qui peuvent conduire a une résistance privée »p 66, et met en avant la
pratique musicale comme élément moteur de l’autodétermination du sujet. Poursuivant dans
son raisonnement, la pratique musicale caractériserait donc également un refus global de
classement et d’une position sociale déterminée. Il faut prendre en compte que les travaux
d’enquête menée par l’équipe de François Dubet se sont construits spécifiquement autour des
jeunes issus des classes populaires, et il est très probable qu’une étude analysant des jeunes
issus de classe plus aisées fassent ressortir des logiques différentes.
L’enquête de Jean Marie Séca réalisée à partir de groupes d’origines sociale plus large,
s’appuie sur la théorie de l’influence sociale. Selon lui, le groupe de rock constitue une
« situation minoritaire » avide de reconnaissance sociale. Il différencie selon les catégories
socioprofessionnelles les formes de l’engagement, et distingue trois groupes dont les
motivations à pratiquer cette musique sont différentes, mais ont un désir commun de
reconnaissance sociale : « Le premier qui refuse la destinée de leurs aînés vers l’usine ou le
bureau, fortement attirés par un désir de réalisation personnelle, un second qui cherche à
retarder leur entrée dans la vie active, un troisième, intégré au monde du travail et qui
manifeste une certaine insatisfaction très pudique et ritualisée vis-à-vis de leur principale
activité ». Ces classes sociales dominées manifesteraient donc les signes d’une confusion
identitaire et d’une instrumentalisation du travail, en revanche, pour les classes moyennes et
supérieures, n’exprimant pas le besoin d’une reconnaissance sociale, il faut donc concevoir cet
engouement « comme un phénomène culturel de masse et comme conduite psychosociale
fortement chargée de symbole de prestige. », la présence des classes supérieures et
intellectuelles s’expliquant alors comme par « un désir d’expression artistique longtemps mis
en veille et réprimé au profit de la poursuite d’études longues et d’activités professionnelles
sérieuses ».
Patrick Mignon, rejoignant d’une certaine manière cette dernière analyse, observe le
développement chez les musiciens de professions intermédiaires tel qu’instituteur, éducateurs,
animateur ou maître auxiliaire, « disposant de temps » et « aux contours flous », favorisent « le
flottement de l’identité professionnelle et le maintien de la quête d’une autre identité. ». Cette
constatation souligne les limites d’un classement selon les origines et les situations sociales de
cette population pour en rendre compte dans son intégralité.
Regroupant plusieurs études quantitatives examinant les caractéristiques sociologiques des
groupes et des musiciens, Damien Tassin observe la grande diversité de celles-ci, mais
également quelques formes de régularités. Il remarque principalement l’élargissement de l’age
des musiciens, le caractère très faiblement sexué de ceux-ci (majoritairement des hommes), et la
segmentation globale de la pratique dans des « micro espaces sociaux » qui se révélèrent lors de
ses enquêtes de terrain locales. Cette segmentation de la pratique et la diversité de sa population,
justifient donc la pertinence de la construction par cet auteur de typologies centrées sur une
observation directe des groupes, qui seront plus longuement abordée lors de la seconde partie de
cette recherche, la mise en place de notre méthodologie s’inspirant directement de ces
typologies.
L’imaginaire social des musiciens et des groupes est étudié de façon plus poussée dans la
seconde partie de cet ouvrage, par l’étude des représentations sociales des musiciens et des
conceptualisations relatives aux « petits groupes ». Ces dernières sont appréhendées par
l’auteur pour forger la notion du Nous musical, dont la perspective est d’expliciter
« l’expérience du rock dans sa dimension intime et collective en explorant les fondements de
l’engagement dans un groupe »p 129.
L’auteur pour ce faire s’inspire de l’approche développée par Georg Gurvitch, observant les
groupes
comme
des
« réalités
sociales
concrètes »
(des
« unités
réelles
mais
partielles »Gurvitch p 129). Le terme de représentations sociales, issu de la psychologie
sociale, renvoie au « savoir commun », il est développé dans cette étude comme désignant
« une forme de pensée sociale des musiciens et des groupes et permet ainsi de saisir les
fondements de l’engagement »p 130.
Un des éléments importants relevés lors de ses observations est l’importance portée par les
groupes sur la suppression des contraintes. Elle se concrétise dans les discours des musiciens
par les thématiques de la rencontre, du hasard, de l’aventure. Le groupe s’inscrit dans une durée
illimitée, l’introduction d’une clôture temporelle lors de sa constitution est impensable pour ses
membres « car cet événement cristallise, pour ses membres, un projet riche en perspective et en
potentialité ». Le groupe doit donc pour se considérer comme tel, se former et évoluer en
dehors de cadres définis temporellement comme les « jam sessions »1 ou les programmes
institutionnalisé par des structures sociales. Pour Jean Marie Séca, cette caractéristique est liée
à l’impératif d’improbabilité du destin du groupe, l’incertitude, ouvrant le champ à l’espoir. Le
hasard, souvent mentionné pour qualifier leurs rencontres, est aussi convoqué « pour mieux
dépendre de la chance, le groupe doit alors exister à travers des éléments extérieurs et
incalculables afin d’augmenter ses chances de réussite. » La destinée des groupes n’est
toutefois pas laissée à l’abandon, leurs membres cherchant constamment à la maintenir dans
une certaine trajectoire, mais entre intentions et réalisations, on constate des décalages parfois
importants. Les intentions des musiciens (qu’ils évoquent en tant que « projets ») occultent
fréquemment leurs interrogations liées au devenir du groupe ou leur dissensions internes. Les
discours répondant aux questions concernant leur devenir, souvent traités avec distanciation et
humour sont directement liés aux imaginaires sociaux du rock (la gloire, l’argent, le sexe, le
1 Rencontres musicales informelles entre musiciens
désir de puissance). Damien Tassin invite à considérer sur ces points « comme une sorte de
« voile » dans lequel se drape le discours des musiciens », qui laisse transparaître les
contradictions sociales et les tensions au sein des groupes » p 141, rarement abordés par ceuxci, particulièrement face à une personne extérieure.
Une autre thématique récurrente remarquée lors des entretiens, explicitant l’engagement et
l’unité cohésive des musiciens est celle évoquant « le plaisir de jouer et de faire plaisir à
autrui »p 142. Elle se traduit également dans les discours collectifs par le terme « d’équipe »,
du partage (la participation à une expérience), et dénote les liens unissant les dimensions
sociale et musicale. Selon l’auteur, le terme d’équipe renvoie à « un noyau central où se
croisent plusieurs registres qui la traversent ». Cette force cohésive inhérente au Nous musical
cherche à lutter contre les phénomènes d’individualisation, tout comme les autres contraintes
plus concrètes liées à la pratique. Mais elle induit également des phénomènes de dépendance –
pourrait-on dire d’inertie -, souvent mal vécus par les musiciens envisageant leur
professionnalisation.
Dans l’optique de l’élaboration de cadres conceptuels à la notion de Nous musical et de la
situer « à travers une dynamique du social et de la société », Damien Tassin propose
l’exploration de quelques approches théoriques de la psychologie sociale relative aux situations
de groupes restreints. Il y retrouve certains concepts qui pourraient s’appliquer à la notion de
Nous musical, comme la théorie de la relation humaine développé par Max Pagès, qui s’appuie
sur la philosophie existentielle et le concept de « Mitsein » (l’être avec) élaboré par Heidegger.
Celle-ci repose sur l’idée que « la relation avec autrui est l’objet d’une expérience immédiate,
irréductible, première (elle est) ». Perçu sous l’angle du Nous musical, Tassin explicite ce
procédé par la métaphore de l’harmonisation, « une conscience simultanée du Je et du Nous
articulés dans une unité complexe »p 148, telle la séquence de notes organisée pour produire un
harmonie. L’analyse des groupes restreint présente néanmoins ses limites pour appréhender le
Nous musical, car elle les observations sont issues de situations très institutionnelles, basés sur
des témoignages et donc sur une communication verbale. Or comme le note Tassin, dans l’agir
collectif sur lequel repose les groupes de rock, « la place de la parole face à l’expression
musicale est relativement modérée.»p150
Damien Tassin examine également le concept de « groupe primaire » proposé par Charles
Horton Cooley, se définissant « à travers les rapports de face à face et les liens intimes qui
s’établissent entre les membres. » La sociabilité de ces groupes primaires est fortement liée à
une appartenance territoriale ou familiale, et leur condition d’existence est caractérisée selon
Georges Balandier par « une attitude collective, une certaine pratique commune » Pour Tassin,
le Nous musical contient donc beaucoup de caractéristiques du groupe primaire, mais ne s’y
réduit pas : il contient également des éléments issus des groupes restreints, mais ne s’ajuste
exactement dans aucun des deux, Il faut donc le situer dans un contexte plus général.
S’affranchissant des conceptions positivistes qui abordent trop souvent les rapports sociaux
sous l’angle du contrôle et de la manipulation de ses rapports « à travers les institutions, les
appareils et les structures », l’auteur explore alors les théories critiques de Georg Simmel et
Cornélius Castoriadis proposant une conception de la société comme unité ouverte et des
relations interindividuelles autocréatrices et contribuant à la production du social.
Ces conceptions que l’on peut qualifier de constructivistes font sens pour l’auteur dans le cadre
de l’ordinaire des pratiques, et permettent d’éclairer une nouvelle dimension : « ainsi, les
musiciens et les groupes participent au support social de la pratique, ils contribuent sous des
formes diverses et à des degrés variés à son instauration, son renouvellement et à son
maintien. » Selon l’auteur, l’imaginaire social qui organise les pratiques rock produit donc en
partie les logiques sociales des acteurs, et les déterminent à travers leur expérience.
Reprenant l’expression de De Certeau, l’auteur envisage la production de soi « à travers un art
de faire et un agir collectif»p 156, considérée comme une quête, se concrétisant « sous la forme
d’un espace social spécifique dans lequel les acteurs tentent de faire advenir une réalité sociale
en se confrontant à l’imaginaire social »p156. Cette quête rassemble les thématiques de
l’aventure et de l’utopie, et prend alors la forme d’une utopie concrète. Elle se rapproche de la
production de soi, car « elle repose sur le paradigme de la vitalité des hommes qui participent,
de manière minuscule, à la production du social ». La notion du Nous musical renvoie par
conséquent à l’importance de sa
dimension collective, l’auteur nous en donne quelques
illustrations supplémentaires en étudiant les spécificités de la composition de la musique rock.
Une des caractérisations fréquemment observée est le caractère collectif de la création : les
morceaux sont le plus souvent signés collectivement, a contrario d’autres styles musicaux
(musiques classiques, jazz). Peu écrite, l’élaboration de cette musique se fait dans un rapport
direct avec le matériau sonore, ce qui induit une recherche active et des ajustements
systématiques pendant les séances de répétition. Ceci nous indique l’intrication de la
composition et de l’interprétation. Ce fait conduit à la création d’un répertoire non fixe, en
constante évolution, et qui peut s’adapter selon le contexte (lors d’un enregistrement ou d’un
concert par exemple). Dans la fabrication collective des morceaux, chacun apporte une idée
pour le construire, et « l’harmonisation du collectif met en jeu une conscience individualisée et
simultanée de soi et d’autrui. »p 162. Cette interprétation musicale, sans réel chef d’orchestre
comprend des règles complexes nécessitant « une forme de conduite musicale collective » p
163 dont le modèle est différent selon chaque groupe, mais exigeant de toutes manières une
écoute individuelle, interindividuelle et collective.
L’auteur associe ce ressenti subjectif apparaissant lors du process de création à une forme de
« supra-communication », qui est elle-même « présentée et vécue par les musiciens comme une
forme de communication transcendante ou performante »p 166. Il faut donc noter l’importance
pour les musiciens du ressenti passant par cette communication non verbale, qui peut se
traduire par la phrase « pas besoin de se parler puisqu’on se comprend dans la musique »
exprimant selon l’auteur la place de la musique dans le Nous musical.
Autre élément observé lors de l’enquête, la place de l’autorité dans le groupe est faiblement
assurée, le rapport au pouvoir y est souvent renié, évoquant d’après l’auteur « une forme
d’idéologie de la fraternité ». Dans d’autres cas, la présence d’un leader est clairement affirmée
par tous ses membres, ce qui est plus souvent le cas s’il y a présence d’un chanteur guitariste
auteur/compositeur. La répartition des tâches dans un groupe étant néanmoins fréquente, elle ne
tend que rarement à imposer des formes de leadership, ce qui peut aussi donner une explication
partielle à l’absence de leader dans beaucoup de groupes.
La sociologie des musiciens et des groupes de rock selon l’angle abordé par Damien Tassin fait
sens dans notre champ d’études. La double approche mise à l’œuvre, qui combine une
description socio-ethnographique de la pratique et une investigation sociologique des
représentations et de l’expérience de ses acteurs, parvient à faire ressortir de nombreux
éléments de compréhension. Ils apparaissent comme essentiels pour notre question de
recherche car ils constituent autant d’éléments à prendre en compte dans l’étude des musiciens
et des groupes danois, mais également à questionner car il n’est pas établi que les diverses
caractéristiques de la pratique musicale rock soient les mêmes dans tous les pays. Pour tenter
de répondre à la question initiale du rôle de la langue d’expression dans les musiques actuelles,
la tentation fut grande de limiter notre analyse à l’examen de ces caractéristiques dans un
contexte danois. Par ailleurs, l’observation des représentations sociales, de l’imaginaire social,
et de la dimension collective des musiciens auraient pu faire l’objet de problématiques
intéressantes dans le cadre d’une étude comparative entre la France et le Danemark. Notons
qu’elle aurait néanmoins requis des outils méthodologiques et conceptuels nécessitant pour
être exhaustive un déroulement sur un temps plus long que celui qui nous est imparti.
Dans le cadre de notre recherche, nous avons pu apercevoir plusieurs éléments fournis par
Damien Tassin qui pourraient se heurter à celle-ci, et tendraient à rendre plus complexe
l’opportunité de répondre à notre question de recherche. D’une part, le fait que la place de la
parole soit moindre face à l’expression musicale aux yeux des groupes observés nous
interpelle : ceci peut il également s’appliquer à la place de la parole dans l’expression
musicale ? Il semble difficile de concevoir que les textes d’une chanson soient uniquement
écrits pour accompagner la musique. Mais le contraire reste à prouver. D’autre part, les
difficultés qu’a rencontré l’auteur lors des entretiens quand il aborde des questions concernant
des points plus problématiques, tels les intentions ou les dissensions au sein du groupe, rendent
délicate l’interprétation des discours des musiciens. La considération de ces deux éléments
semble particulièrement importante pour éviter toute dérive spéculative.
Le premier élément que nous venons de citer, ainsi que l’évocation de cette forme de « supracommunication » expérimentée par les musiciens apporte à notre objet des questionnements
supplémentaires sur le rôle du langage verbal face au langage non verbal. Notre objet de
recherche entrent dans le champ des sciences de l’Information et de la Communication, il
convient donc d’inspecter les conceptions théoriques issues de celui-ci qui appréhendent les
formes de communications verbales et non verbales, ainsi que leur rapport à la culture et à la
construction identitaire. Mais également, si ces conceptions sont fondées empiriquement, sur
quelles approches méthodologiques reposent-elles? Nous aborderons pour ce faire les
conceptualisations émises aux Etats-Unis par un « Collège Invisible » regroupant des
chercheurs issus de disciplines variées.
c. Une conception « orchestrale » de la communication, un nouveau paradigme ?
L’exploration des différentes conceptions de la communication approchée par Yves Winkin
nous apporte des nouveaux outils de réflexion. Il indique dans ses ouvrages le développement
et l’opposition entre deux conceptions de la communication introduites au milieu du siècle
dernier : une conception « télégraphique », Fondée par Norbert Wiener et développée par
Claude Shannon et Warren Weaver, et une conception « orchestrale », introduite par Gregory
Bateson et Jurgen Ruech, et notamment affichée dans les travaux de Ray Birdwhistell et Erving
Goffman. La première, devenue depuis « le modèle de la communication en sciences sociales,
tant
aux
Etats-Unis
qu’en
Europe »nc.p20,
est
caractérisée
par
son
extrême
dépouillement progressif : un couple émetteur-récepteur, un message, un code, une source de
bruit (et une rétroaction, que Shannon retirera par la suite), selon un schéma linéaire. Selon
Winkin, ce schéma est significatif du contexte dans lequel Shannon l’élabore, travaillant à
l’époque pour la compagnie Bell Telephone (ce qui explique la linéarité du modèle et le
vocabulaire employé). La communication est alors perçue comme un acte verbal (écrit ou oral),
intentionnel, linéaire limité dans le temps et dans l’espace, évoquant alors le modèle du
télégraphe. Bateson, anthropologue d’origine anglaise, récusera quelques années après cette
conception qui semble mal adaptée à l’analyse des interactions entre êtres vivants. Bateson est
rattaché à un groupe de chercheurs venant d’horizons divers aux dont les parcours
s’entrecroisent (Birdwhistell, Goffman, Hall, Scheflen, Watzlawick…) et formant un « collège
invisible », ceux-ci vont alors tenter d’élaborer un modèle de communication propre aux
sciences sociales, car selon eux « la théorie de Shannon a été conçue par et pour des ingénieurs
de la télécommunication, et il faut la leur laisser. »nc p22 En outre, cette théorie se présente
plus comme une théorie de la transmission, et ranime selon eux « une tradition philosophique
où l’homme est conçu comme un esprit encagé dans un corps, émettant des pensées sous forme
de chapelets de mots. »ncp22. Bien qu’une théorie de la communication ne soit clairement
proposée par aucun de ses chercheurs, Winkin illustre leur conception de celle-ci en la
comparant à un orchestre « sans chef ni partition », la communication n’est pas déterminée par
l’intention de l’acteur mais est l’objet d’une construction de sens entre les différents acteurs (ou
participants) qui y participent volontairement ou non ; elle revient à l’autre source de son
étymologie : la communion, la participation. L’auteur nous avertit cependant du danger
potentiel que représente cette image, la communication comme communion, partage,
effusion, font émerger des valeurs positives « qui font glisser la réflexion de l’analyse à la
morale. » acp 54. Ce danger est renforcé par l’image de l’orchestre, qui appelle au chef, et peut
donc rapidement dériver vers une théorie fasciste, son utilisation est par conséquent à manier
avec précaution, et nécessite une compréhension exhaustive des idées développées par ces
chercheurs.
Ruech et Bateson, dans « Communication : The social Matrix of Psychiatry » y proposent leur
définition de la communication, « basée sur le prémisse que toute action et tout événement
offrent des aspects communicatifs, dès qu’ils sont perçus par un être humain.». Celle ci
inclurait alors «l’ensemble des processus par lesquels les sujets s’influencent mutuellement. ».
p55. Ce positionnement entraîne irrémédiablement la question : « qu’est ce qui n’est pas de la
communication ? ». Ruech et Bateson proposent une double réponse, d’une part
méthodologique : « l’extension de la communication dépend du point de vue adopté sur les
choses par l’observateur »p 56 ; d’autre part substantielle, car elle « renvoie à la nature
«d’animal social » de l’homme : les êtres humains sont « biologiquement contraints » à
communiquer, quel qu’en soit le contexte. Quatre niveaux de communication sont ainsi
distingués, relatifs au positionnement subjectif de l’observateur : intrapersonnel (limité au self),
interpersonnel (deux individus), groupal (plusieurs individus), et culturel (nombreux individus).
La nature de leurs travaux (la psychiatrie) les dirigeront vers l’étude des niveaux
interpersonnels et du groupe, et émettront en outre l’idée que le chercheur occupe une fonction
dans le système étudié. Cette façon de concevoir la communication contient à la fois des
avantages et des inconvénients : elle intègre l’ensemble des modes de communication non
lexicaux, mais dans le même temps elle a tendance à limiter l’étude de la communication à
l’interaction hic et nunc « la ramenant ainsi dans le giron de la psychologie sociale » p 59
Yves Winkin tente de synthétiser les théories de Bateson et Birdwhistell en quelques
dimensions définissant la communication orchestrale, qui semblent structurer la pensée de ce
courant de pensée. La principale dimension est déterminée par la présence d’une matrice,
dénommée communication sociale, appréhendée comme un mécanisme supérieur à la toute
communication interindividuelle, constituant « l’ensemble de codes et de règles qui rendent
possibles et maintiennent dans la régularité et la prévisibilité les interactions et les relations
entre les membres d’une même culture »acp 88. Cette matrice est proche du concept de culture
dans son acception anthropologique, utilisée par Edward T. Hall, l’ensemble de codes et de
règles qu’elle régit se déclineront sous les notions de « cadres analytiques » pour Goffman, ou
encore de « programme » pour Scheflen, rangeant ces auteurs dans le courant du
structuralisme. L’individu est alors perçu comme « un participant à une entité qui le
subsume»acp88, et la communication, comme « un vaste système intergénérationnel », dans
lequel les acteurs apprennent progressivement les codes et « programmes» commun à son
groupe. La multiplicité des modes de communication, verbale et non verbale, doit donc pousser
le chercheur à porter son attention non pas sur le contenu mais sur le contexte, la signification,
il doit donc s’efforcer de travailler par « niveau de complexité croissante ». L’intentionnalité ne
détermine pas la communication, elle n’est qu’un « moment » intégré dans un mouvement
beaucoup plus vaste, qu’un « élément parmi d’autres dans le flux des messages »acp 88.Tenant
compte de ces éléments, le chercheur, même au sein d’une
culture étrangère, « fait
nécessairement partie du système qu’il étudie »acp89.
Ces dimensions vont alors constituer un terreau fertile pour ces chercheurs, qui vont les
appliquer à leurs disciplines respectives, la psychologie, la sociologie, l’anthropologie ou la
kinésique verront ainsi éclore des nouvelles théories qui centrent leurs observation sur le
contexte et travaillent selon ces niveaux de complexité. Leur approche méthodologique,
souvent proche de l’ethnographie, fait souvent appel aux outils d’observation et d’interprétation
du réel, tels la photographie de scènes interactionnelles pour Bateson ou Hall, l’étude de cas
filmés et enregistrés pour Birdwistell, ou encore l’observation directe, « sur le terrain », qui
suppose non pas l’observation passive (ce qui modifierait le contexte) mais la participation du
chercheur à la vie du groupe étudié. Ce furent notamment les méthodes employées par Bateson,
Sigman et Goffman.
Cette conception de la communication et les dimensions qui y sont liées semblent pouvoir
éclairer la forme de « supra-communication » qu’évoque Tassin pour caractériser l’importance
d’un ressenti d’un ressenti subjectif dans les groupes de musique rock. Celle-ci indiquerait
l’intrication de formes de communication non verbales se rapportant à la fois aux dimensions
interactionnelles musicales (dont la « matrice » serait une certaine appréhension commune du
solfège, et de la structure des morceaux de musique propres aux esthétiques rock) et visuelles
(l’ensemble des regards, des gestes, indiquant aux membres d’un groupe les attitudes et actions
à adopter lors du process musical). Ces esquisses de réflexion sont néanmoins difficilement
démontrables et requerraient une étude bien plus approfondie de ce phénomène complexe,
accompagnée d’outils méthodologiques solides, conséquemment, nous ne nous risquerons pas
au développement de ces idées. Nonobstant, elles nous permettent d’observer des pistes
intéressantes que peuvent ouvrir ces théories.
Certaines conceptions dégagées par les auteurs de ce « collège invisible » présentent un intérêt
particulier dans le cadre de notre étude. Edward T. Hall étudie la construction des différentes
cultures en abordant les différences de ses membres dans la perception de l’espace et du temps,
et invente le terme de proxémique, désignant « l’étude de la perception et de l’usage de
l’espace par l’homme »ncp 191. Il accordera progressivement « une importance fondamentale
au contexte dans le phénomène de communication », sans ce cadre de référence, un message ne
peut être compris car le code en lui-même est insuffisant. Ses conceptions, dans « Au-delà de la
culture », l’amèneront à distinguer deux types de contexte, dont dépendent deux types de
communication (deux types de message) : les « contextes riches et pauvres ». « Dans une
communication ou un message au contexte très dense, la majeure partie de l’information se
trouve dans le contexte physique ou est intériorisée, tandis qu’une petite part est transmise dans
la partie du message codée et explicite. Dans une communication au contexte faible, la masse
de l’information se trouve dans l’énoncé explicite. »addcp92 Jean Caune commente ce cadre
contextuel pauvre en affirmant que dans celui-ci « la grille de sélection qu’est la culture joue un
rôle mineur pour filtrer les informations qui passent dans le message proprement dit. »ccp83
Cette distinction conduit Hall à penser un positionnement des différentes cultures selon un
continuum, une échelle dont les deux extrémités sont ces contextes riches et pauvres.
« L’échelle de richesse » d’une culture donnée peut alors s’observer dans ses différentes formes
de communication (verbales et non verbales), ses différentes institutions (la loi, le
gouvernement), tous les aspects qui différencient une culture d’une autre. Selon Jean Caune,
« la prise en compte du contexte introduit un paradigme communicationnel pour distinguer les
cultures ». D’une part, elle ouvre «sur une grille de compréhension de l’expression », car à la
connaissance de Hall, « il n’existe pas de système de communication à contexte faible qui ait
pris une forme artistique. L’expression artistique de qualité a toujours un contexte riche, la
mauvaise, un contexte pauvre.»adlcp93 .D’autre part, elle permet à Hall de percevoir que la
densité du contexte est relatif à la stabilité de la culture : « La communication à contexte riche
est économique, rapide, efficace et satisfaisante ; mais il faut accorder du temps à sa
programmation. (…)Ces formes de communications (…) agissent comme force d’unification et
de cohésion, elles sont durables et résistantes au changement. Les communications pauvres en
contexte n’unifient pas, mais elles peuvent changer facilement et rapidement.»
Hall, d’après ses analyses, considère la culture américaine comme ayant un contexte faible,
aussi serait-il pertinent de se demander si cela transparaît dans les paroles de la musique que
cette culture produit, et quels en sont les interprétations quand elles sont reçues dans une
culture à contexte différent. La difficulté qu’implique ce type questionnement réside dans
l’intrication de la musique et des paroles : dans ce cas, comment mesurer la richesse
contextuelle d’une musique ?
Le deuxième aspect que nous souhaitons évoquer n’est pas directement écrit par ces
chercheurs, mais par Yves Winkin qui en reprend certaines bases afin de tenter quelques
ouvertures conceptuelles. Il réintroduit notamment de la notion (inspirée par la sociologie) du
don/contre-don par la simple exploration étymologique du terme « communication ». Il associe
par conséquent cette notion de communication non seulement au partage, mais au
« commerce » car une attention est portée sur l’équilibre des échanges. Sa proposition est la
suivante : « la notion de communication désignerait une économie archaïque encore à l’œuvre
au sein des relations sociales. » p 267 Reposant sur une dénégation, comme toute économie du
don, la communication serait alors également conçue comme une « économie parallèle » ou
souterraine comparée à l’économie économique.
La notion de performance est elle aussi explorée, terme polysémique mais renvoyant dans
beaucoup d’études relative l’événement, la cérémonie, Goffman la rapportant à celle de
cérémonie religieuse. Celui-ci considérait toute performance interactionnelle (et par extension,
le monde) comme une cérémonie, ses fonctions étant celles du rituel religieux. Cela ramène
donc l’auteur à l’idée de « performance de la culture » (très « visible »), qui semble à première
vue incompatible avec celle d’ « économie du don » (déniée et souterraine). Cependant, en
s’appuyant sur les évocations de Goffman à propos des « offrandes » dans les cérémonies
religieuses, Winkin remarque que dans sa dimension de don/contre-don, « l’engagement dans
une interaction est bien un engagement moral », et qui correspond dans le même temps « au
processus permanent de mise en œuvre des règles culturelles ».p 272 .Cette « performance de
la culture » renvoie alors à la convocation des nombreuses « règles de conduites, formelles et
informelles, implicites et explicites », agissant en tout lieu et tout temps, les participants étant
littéralement « plongés » dans la communication.
L’auteur reprend alors la métaphore de l’orchestre jouant sans chef, sur la base d’une partition
« apprise inconsciemment » (Scheflen) p 274 : « L’orchestre serait la société, la partition
invisible, la culture, et la performance musicale, la communication. » L’auteur met tout de
même en garde contre l’exploitation trop systématique de cette analogie, celle de la partition
musicale semble figer l’interaction, «Or toute société improvise et crée en permanence, sans
doute parce qu’il n’y a précisément pas de partition culturelle. » On peut apercevoir des
parallélismes entre la notion de don contre-don et le « plaisir de jouer et de faire plaisir » des
musiciens rapporté par Damien Tassin pour qualifier l’unité cohésive d’un Nous Musical. Il y
retrouve les liens entre les dimensions sociales et musicales, soit un rapport entre
communications verbales et non verbales qui construisent l’identité du groupe. Aussi, le
caractère « moral » de l’engagement dans une interaction semble se retrouver au sein des
interactions des groupes de musique rock, et y prendre une place particulière.
Les apports théoriques ici présentés paraissent très appropriés pour la construction de bases
permettant d’analyser les interactions dans une situation spécifique telle qu’un groupe de
musiques actuelles lors d’une répétition, d’un « bœuf » (séance d’improvisation ) ou d’un
concert. Tout d’abord, parce que les participants lors de ces interactions communiquent par des
multiples modes (verbal, musical, gestuel…) qui - on l’a vu avec Tassin – se forment et se
présentent de façon différente selon chaque groupe, et on peut le présumer, selon chaque
culture. Ensuite, car certaines notions comme l’économie du don (selon Bourdieu l’art étant de
plus, avec la famille et la religion, « un des seuls « secteurs épargnés» reposant encore sur la
dénégation de l’économique »W p 267), l’engagement, par exemple, semblent tellement
prégnants pour la pratique musicale qu’ils sont fréquemment reconnus et objectivés (voire
revendiqués) par les acteurs eux-mêmes. Toutefois, leurs visions de ces notions restent souvent
très subjectives, pour ne pas dire personnelles. L’analyse de ces concepts pourraient entre
autres contribuer au repérage de « comportements » et de relations spécifiques liés à la pratique
musicale, et éventuellement à la pratique artistique de manière générale, mais nécessiterait
encore une fois la mise en place d’une méthodologie excessivement précise et complexe.
Pour les besoins de cette recherche, et suivant les enseignements d’Edward T. Hall, une
contextualisation –tout d’abord culturelle, mais aussi musicale- s’imposait. C’est ce que nous
nous efforcerons de faire dans le prochain point abordé.
1. Contextualisation
a. Les spécificités de la culture danoise
Séjourner dans un pays étranger nécessite, si l’on souhaite s’adapter rapidement au nouvel
environnement dans lequel on évolue, une forme d’observation systématique des particularités
sociales et culturelles de ses
habitants. Cette démarche se rapproche d’une recherche
anthropologique, néanmoins souvent inconsciente, visant à appréhender l’ensemble des
attitudes requises pour ne pas être perçu comme un « déviant ». La terme de culture sera alors,
dans ce cadre, pris dans son acception anthropologique, telle que Ward Goodenough la conçoit
: “tout ce qu’il faut savoir ou croire pour se conduire de manière acceptable pour les membres
de cette société”. « Savoir » où « croire » ne signifie pas pour autant « comprendre » ou
« appréhender », c’est par ailleurs ce qu’il fait la difficulté du métier d’anthropologue, qui doit
s’intégrer à une population tout en cherchant à objectiver celle-ci, ainsi que lui-même par
rapport à celle-ci. N’ayant point la prétention et les moyens d’adopter une démarche
anthropologique, nous avons alors opté pour une recherche bibliographique des différents
sociologues et anthropologues abordant le cas de la culture danoise. Cette recherche fut
cependant très fortement limitée par le peu de littérature consacré à ce sujet, la majorité des
ouvrages scientifiques restant en danois. Nous avons néanmoins pu trouver quelques ouvrages
anglophones destinée aux potentiels immigrants décrivant les attitudes, les principaux traits
culturels caractéristiques des danois, qu’il convient de connaître afin d’évoluer sans trop de
difficultés dans la société danoise. Une étude menée par des universitaires sur l’identité des
ressortissants français au Danemark nous a égal.et des études universitaires Cette littérature,
bien qu’informelle, converge sur plusieurs points qu’il semble important d’aborder.
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