Denis Castra L`insertion professionnelle des publics

Denis Castra L
insertion professionnelle des publics précaires
Paris, PUF, 2003,243 p.
Note de lecture réalisée par Michel Boutanquoi
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Louvrage de Denis Castra sintéresse à la question de lefficacité des politiques en matière
dinsertion des publics en situation précaire, jeunes sans qualification, Rmistes Plus
exactement, il sinterroge sur les raisons de leur inefficacité en cherchant à se démarquer
fortement dexplications qui attribuent léchec de linsertion « aux lourds handicaps des publics
accueillis » (p. 14). Le propos peut être situé dans la lignée des critiques de la psychologisation des
problèmes sociaux, dont le travail social serait un des champs privilégiés dexercice. Pour autant, il
nest pas une simple illustration de lapplication sur un terrain de la norme dinternalité, celle-ci se
trouvant à plusieurs reprises discutée.
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Dans un premier chapitre, prenant appui sur nombre détudes qui montrent, entre autres,
labsence de lien entre formation préalable et embauche, lauteur souligne léchec des différents
dispositifs mis en œuvre depuis 1982, date de la publication du rapport Schwartz sur linsertion
professionnelle des jeunes. Cet échec, ces échecs successifs sont alors mis en lien avec un des
modèles prégnants du travail social, laide psychosociale et sa propension à analyser les difficultés
des personnes sur le chemin de lemploi en termes psychologiques et personnologiques, en termes
dexplications internes.
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Partant du postulat selon lequel « la quasi-totalité des méthodologies de linsertion
professionnelle concerne quasi exclusivement les cognitions : savoirs, informations, attitudes
représentations, projets » (p. 40), le deuxième chapitre est consacré à une étude du lien entre
cognitions et conduites. Contre lidée reçue dune détermination des conduites par les cognitions,
il réunit un certain nombre déléments théoriques, en particulier issus des travaux sur les
représentations sociales, qui mettent en évidence une détermination inverse, principalement dans
les situations de changement. Assez naturellement, puisque les cognitions ne seraient donc
quasiment pas prédictives des comportements, lauteur sintéresse alors à la théorie de
lengagement comme source dinspiration pour la pratique : « Puisque seuls nos actes nous
engagent, on ne peut pas particulièrement attendre dun travail sur les cognitions quil inaugure
des conduites effectives 204 constitutives de linsertion professionnelle » (p. 69). Dès lors, D.
Castra sinterroge sur leffet de « chronicisation » des publics par les dispositifs du fait dun
centrage sur des problématiques personnelles (cognitions) qui tiennent le sujet éloigné de lemploi
et analyse de manière très pertinente la notion de projet, la dictature du projet, celui quon attend
dune personne au chômage comme preuve de sa capacité à sinsérer.
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Dans un troisième chapitre, prenant appui sur les apports de Lewin et de linteractionnisme,
lauteur cherche à montrer quil ny a pas de cause ultime de lexclusion et encore moins
circonscrite au niveau personnel. Lexclusion sinscrit dans un système dinteractions entre les
bénéficiaires, les professionnels, les employeurs. Dès lors, laction ne saurait porter sur un seul des
éléments du système qui assumerait seul les raisons de son malheur, mais sur lensemble des
acteurs, dont on doit dabord examiner les pratiques, comme celles touchant par exemple au
recrutement.
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En invitant les professionnels de linsertion à quitter une position clinique inadaptée, lauteur
avance dans un quatrième chapitre un certain nombre de propositions issues dexpérimentations
de terrain. Il sagit de « mobiliser la théorie la plus efficace » (p. 194): la théorie de lengagement.
Les illustrations données des modalités de mobilisation des ressources ne sont pas sans intérêt.
« Qui veut travailler le peut » : pour lauteur, la demande est « le critère nécessaire et suffisant
pour engager une recherche demploi » (p. 210). La demande demploi doit être entendue comme
un premier niveau dengagement et tout détour par le diagnostic classique ne peut quéloigner le
demandeur de son objectif.
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Louvrage de Denis Castra réclame une lecture attentive au regard de limportance des questions
soulevées, mais également au regard déléments de réflexion qui méritent discussion.
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Lauteur ne manque pas de produire une forte critique de la notion demployabilité en tant que
construction sociale qui incite à analyser les difficultés daccès à lemploi en termes individuels,
alors que « décider quune personne est trop loin de lemploi informe sans doute plus sur la rare
des propositions quon peut lui faire que sur son employabilité » (p. 225).
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Cela a déjà été souligné, mais, à un moment où lidéologie du projet prend une telle importance, il
nétait pas inutile den discuter les fondements et surtout la perversion lorsquelle agit comme
forme de sélection pour décider qui peut bénéficier dune aide, lorsquelle sépare ceux qui ont dé
un projet de ceux qui ne peuvent en formuler aucun.
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De fait, la critique des pratiques analysées à partir dun champ théorique affirmé ne manque pas
dà-propos, dautant quelle ne se situe pas dans la dénonciation mais dans la description
minutieuse des mécanismes à lœuvre.
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Sur dautres points, louvrage est moins convaincant. Choisir un niveau dexplication en
psychologie sociale na rien dillégitime. Peut-on pour autant expédier comme pseudo-explication
lanalyse de facteurs plus sociaux, voire plus idéologiques ? À ne considérer que le niveau de
linteraction, ne prend-on pas le risque de faire peser sur les agents toute la responsabilité, en
ignorant superbement en quoi les politiques dinsertion sont fortement liées aux politiques de
lemploi, en quoi elles sont axées « sur des logiques de créations dactivité pour pallier la pénurie
demplois [1] », en quoi elles sont une manière de gérer des populations, les désaffiliés, selon
lexpression de Castel ? Dès lors, on peut envisager un retournement de la question : sous leur
remarquable inefficacité, ces politiques et les pratiques quelles induisent peuvent savérer
redoutablement efficaces du point de vue du maintien à la marge de la marge.
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Par ailleurs, la volonté de mettre en avant « lefficacité » de la théorie de lengagement,
limportance des actes par rapport aux cognitions, conduit sans doute à des manques de précision.
Le terme cognition englobe ici un ensemble hétéroclite (attitudes, savoirs, représentations )
comme si ces termes avaient tous exactement la même portée.
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Conduite, comportement, pratiques sont également plus ou moins pris comme équivalents.
Sagissant des représentations sociales, les derniers développements insistent justement sur les
diverses fonctions des différentes cognitions constitutives dune représentation et sur les
activations différenciées de celles-ci en fonction des situations [2]. Dès lors, le lien décrit entre
cognitions et conduites apparaît parfois trop simplifié pour que la démonstration soit vraiment
probante.
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Enfin, si lauteur se garde de vouloir faire dune théorie le modèle unique dune ingénierie sociale,
il sy réfère constamment, en particulier quand il prône une liberté de choix qui repose sur la
multiplication des offres, facteur décisif de lengagement du demandeur demploi. On en vient à
sinterroger sur le réalisme dune telle proposition.
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En conclusion, il se dégage de louvrage de Denis Castra une question importante du point de vue
de la pratique.
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À montrer que, trop centrées sur les problématiques individuelles et insuffisamment sur les
contextes et les situations, les pratiques dinsertion manquent leur objectif, à suggérer dautres
approches, en particulier le travail sur loffre et les modalités de recrutement, il nous conduit à
nous demander si le secteur de linsertion ne relève pas effectivement dune professionnalité
différente, qui ne serait plus tout à fait celle du travail social classique. Manière peut-être de
reconnaître quil ne faut pas demander au travail social de résoudre une question pour laquelle il
na pas été conçu.
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