LA DISCIPLINE SCOLAIRE : PRÉVENTION, CORRECTION
ET DÉVELOPPEMENT SOCIAL À LONG TERME
Titre : School Discipline in the United States : Prevention Correction and Long-Term Social Development
Auteur : Bear, George G.
Source : School Psychology Review, Vol. 27, p. 14-32, 1998
Cet article résume les principales stratégies que les enseignants utilisent aux États-Unis pour résoudre les
problèmes liés à la discipline scolaire. Depuis l’avènement de l’éducation publique, la population s’attend à
ce que les écoles développent une discipline personnelle chez les élèves et qu’elles utilisent des mesures
disciplinaires. Ces deux attentes continuent d’être supportées à la fois par la population et par les initiatives
fédérales en éducation.
Un des pères fondateurs de l’éducation publique et président des États-Unis, Thomas Jefferson, croyait
que la démocratie ne saurait être protégée que par l’établissement d’une nation d’apprenants à l’esprit
indépendant, capables de se gouverner eux-mêmes. L’enseignement de la discipline ne devait pas viser la
crainte de Dieu ou la peur de la punition. Pour Jefferson, l’éducation devait aider les enfants à surmonter
leurs intérêts égoïstes en encourageant ce qui était perçu à l’époque comme un instinct de soin et de
devoir envers autrui. Il a rapidement découvert que son idéal devait céder la place aux réalités d’une salle
de classe alors qu’il cherchait à réprimer une émeute organisée par des étudiants.
Le défi demeure toujours, pour les enseignants soucieux de démocratie, d’éduquer des individus
socialement responsables et capables de se gouverner eux-mêmes tout en utilisant un minimum
d’encadrement disciplinaire. Le débat se situe sur l’importance à accorder aux cognitions et sentiments
reliés au comportement moral (comme le raisonnement moral, les valeurs, les buts, les normes et la
résolution de problème moral) versus l’enseignement direct des comportements appropriés.
Selon un récent sondage Gallup, 98% de la population américaine croit que le premier but de l’éducation
est de préparer les étudiants à être des citoyens responsables. Bien que le public croit que les valeurs et la
discipline doivent être enseignées, 70% des gens sont insatisfaits de la façon dont cela est fait dans les
écoles. Les enseignants partagent les inquiétudes du public face à la discipline à l’école, mais attribuent
généralement l’origine du problème aux élèves et à leurs foyers. Ils croient que les quatre plus importants
problèmes auxquels font face les écoles sont :
1. les élèves qui arrivent à l’école mal préparés pour apprendre ;
2. le manque d’engagement des parents ;
3. l’apathie des étudiants ;
4. la pauvreté.
Les parents s’accordent toutefois avec les enseignants pour dire que plusieurs foyers manquent de
discipline. Les relations foyer/école, en ce qui concerne la discipline, ont beaucoup changé depuis le début
du siècle. Il y a plus de mobilité et moins de cohésion dans la communauté. Les familles sont moins
stables. La violence dans les médias, l’abus de substances et certains facteurs sociaux associés à la
pauvreté contribuent à l’augmentation des problèmes de discipline. De plus, les écoles doivent maintenant
éduquer des élèves qui autrefois en auraient été exclus.
En réaction à l’augmentation des comportements antisociaux et non conformes aux deux buts traditionnels
de l’éducation, les enseignants utilisent plusieurs stratégies. Premièrement, l’école doit développer la
discipline personnelle et l’auto-régulation du comportement chez les élèves. La discipline personnelle
implique une motivation interne et l’intériorisation d’idéaux démocratiques qui sont plus évidents en
l’absence de régulateurs externes du comportement. Deuxièmement, l’école doit imposer la discipline
lorsque les élèves ne démontrent pas de discipline personnelle. Cette discipline externe, particulièrement
l’utilisation de stratégies positives de promotion des comportements pro-sociaux, permet de maintenir un
climat sécurisant et ordonné qui favorise l’apprentissage. Cet environnement, en retour, aide à atteindre le
but à long terme de développer la discipline personnelle chez les élèves.
Approches et stratégies usuelles de discipline scolaire
L’approche la plus commune pour faire face aux problèmes de comportement, qu’il s’agisse d’un
comportement agressif/hostile, défiant, passif/agressif ou, dans une moindre mesure, hyperactif, est de
contrôler et supprimer le comportement indésirable. Les approches positives sont moins fréquentes. Les 10
stratégies les plus populaires se regroupent en trois catégories :
1. Les stratégies orientées vers la prévention ou axées sur les antécédents :
proscrire un comportement (limites, règles, attentes) ;
prescrire et enseigner un comportement désirable ;
inhiber un comportement par la proximité, le regard, la voix ;
intervention minimale, rediriger l’attention.
2. Les conséquences spécifiques :
punir ;
récompenser ;
ignorer ;
retirer l’élève de la classe.
3. La collaboration avec les parents et le personnel de soutien :
solliciter la participation des parents ;
avoir recours à des figures d’autorité ou à des professionnels pour obtenir du support ou de l’aide à
la résolution du problème.
Il est à noter que des stratégies comme les louanges, le modeling, les contrats et la résolution de
problèmes sociaux ne font pas partie des techniques les plus fréquemment utilisées.
Stratégies efficaces : L’enseignant autoritaire
Les enfants problèmes se soumettent habituellement rapidement aux stratégies de contrôle des
enseignants, mais il s’agit d’une soumission par peur de représailles. Des stratégies plus positives comme
le contact visuel, la proximité, l’humour et les éloges amènent l’enfant à se soumettre par bon vouloir et
sont plus efficaces à long terme. Les réprimandes verbales et non verbales demeurent quand même
efficaces pour réduire les comportements perturbateurs, mais leur effet est meilleur lorsqu’elles sont
administrées avec douceur et à proximité de l’élève.
Les enseignants les moins efficaces sont ceux qui réagissent à la situation par de fréquents
avertissements, des punitions, en grondant l’élève ou en contactant les autorités. Les enseignants les plus
efficaces utilisent aussi les avertissements, les menaces et les punitions, mais ils le font moins
fréquemment et combinent ces méthodes avec des stratégies positives. Ces stratégies font aussi partie
d’un système d’interventions qui combine des stratégies préventives, des stratégies d’apprentissage
opérantes à court terme et des stratégies qui favorisent la prise de décision sociale et la résolution de
problème. Ceci permet de rer le comportement à court terme tout en veloppant la discipline
personnelle à long terme.
Les enseignants autoritaires travaillent non seulement sur le comportement immédiat de l’élève défiant,
mais aussi sur ses cognitions, dans le but de le socialiser et de l’aider à apprendre à résoudre son
problème.
Trois composantes d’une discipline scolaire efficace
Le style d’enseignement qui favorise une discipline scolaire efficace se caractérise par trois composantes
qui s’influencent l’une l’autre :
1. des stratégies de gestion de classe et un climat positif pour prévenir les problèmes de
comportement ;
2. des stratégies d’apprentissage opérantes pour la gestion à court terme et le contrôle des
problèmes de comportement ;
3. des stratégies de prise de cision et de résolution de problèmes sociaux pour développer à long
terme la discipline personnelle.
1. Stratégies de gestion de classe préventives
L’enseignant efficace se distingue de celui qui l’est moins en intervenant de façon préventive sur le
problème et en agissant sur-le-champ lors de petits problèmes, avant que ceux-ci ne s’amplifient. Les
conditions d’apparition des comportements perturbateurs doivent être prises en considération pour une
gestion de classe préventive. Un climat de classe positif se caractérise par une relation élève/enseignant et
des relations entre pairs chaleureuses et aidantes, des règles et des attentes claires et des activités qui
développent l’autonomie et l’estime de soi. Les élèves sont activement impliqués dans les prises de
décision qui concernent la classe.
2. Stratégies d’apprentissage opérantes
Pour la gestion à court terme, ces stratégies systématiquement appliquées réussissent à diminuer les
comportements indésirables et à augmenter les comportements recherchés. Les techniques comme le
renforcement des comportements appropriés par des privilèges et des récompenses sociales et matérielles
favorisent les bons comportements alors que des punitions légères aident à les éliminer. Ces techniques
sont utiles mais leur portée est limitée :
1. elles enseignent aux élèves à être tranquilles et dociles, mais ne proposent pas d’alternative pro-sociale
;
2. leur effet est à court terme ;
3. elles contribuent très peu à changer les cognitions et sentiments qui ont conduit l’élève à mal agir ;
4. elles nuisent souvent à la relation élève/enseignant ;
5. elles entraînent souvent du ressentiment ou des émotions qui nuisent à l’apprentissage.
Bien que les récompenses améliorent le comportement à court terme, dans certaines conditions, elles
réduisent de fait le rendement et la motivation intrinsèque, et ce, particulièrement à long terme. Les
étudiants en viennent à se demander pourquoi il faudrait bien se comporter lorsqu’il n’y a pas de
récompense.
Les enseignants sont souvent réticents à utiliser ces méthodes behaviorales pour diverses raisons.
Souvent il s’agit d’un manque de compréhension ou d’entraînement, d’un manque de confiance en
l’efficacité de l’intervention ou d’une préférence pour le placement en classe spéciale. Toutefois, plusieurs
enseignants rejettent ces approches parce qu’elles ne comportent pas de dimension cognitive et ne
donnent que des résultats à court terme.
3. Des stratégies cognitives sociales pour développer la discipline personnelle
L’approche cognitive sociale prend de plus en plus d’ampleur en psychologie scolaire. La discipline
affirmative de Canter & Canter encourage la participation active des élèves dans la résolution des conflits
interpersonnels et dans la création des règlements de classe.
Plusieurs programmes de prévention et de traitement des troubles de comportement présentent aux
enfants des stratégies de résolution de problèmes sociaux. Certains s’adressent spécifiquement aux
comportements violents, d’autres à la médiation des conflits par les pairs. Tous ces programmes visent
l’apprentissage des étapes de la résolution des problèmes sociaux. Ils enseignent aux enfants comment
penser pour résoudre des conflits. Ils reconnaissent que la cognition, le comportement et les émotions sont
dynamiquement liés. Ils diffèrent toutefois dans les habiletés cognitives abordées et les processus mis en
valeur.
Les approches peuvent être divisées en fonctionnelles/directes et structurelles/de découverte. Les
approches fonctionnelles sont davantage réductionnistes et visent l’enseignement d’habiletés sociales
cognitives spécifiques. Les approches structurelles/de découverte sont constructivistes. Elles mettent
l’emphase sur le développement de l’enfant et la compréhension plus générale des relations sociales.
L’approche fonctionnelle repose fortement sur les instructions verbales, le modeling et la pratique
d’habiletés de résolution de problème dans des situations spécifiques comme la gestion de la colère ou le
contrôle des impulsions. L’approche structurelle se base sur la discussion, la méthode socratique, les jeux
de rôle et l’apprentissage coopératif. L’enseignant assume le rôle de guide ou de facilitateur.
Dans la pratique, les deux approches se chevauchent souvent. Les enseignants cherchent non seulement
à fournir des stratégies de résolution de problème, mais aussi à développer l’empathie, le raisonnement
moral et une meilleure compréhension d’autrui. Il existe encore peu de recherches à long terme sur
l’efficacité des approches cognitives sociales. Elles doivent surtout leur popularité au fait que leur modèle
théorique est très attrayant.
Trois projets modèles
Trois projets de recherche exemplaires, le Child Development Project, le FAST Track Program et le projet
ACHIEVE présentent des avantages communs. Ils sont préventifs dans leur orientation, ils comportent une
importante composante foyer/école, une composante de promotion des compétences de l’enfant, un plan
stratégique à long terme pour l’implantation du programme, une formation prolongée des enseignants, du
soutien pour le personnel, l’implication des agences de la communauté et un volet évaluation.
Le Child Development Project
Il s’agit d’un projet implanté dans 12 écoles primaires aux États-Unis. Il se concentre sur le développement
à long terme de comportements pro-sociaux tout en minimisant le contrôle externe des punitions et
récompenses. L’emphase est mise sur les stratégies de développement de la responsabilité sociale, de la
motivation intrinsèque et des comportements pro-sociaux qui y sont reliés. Les méthodes traditionnelles de
gestion de classe préventives et les stratégies behaviorales à court terme jouent un rôle important dans la
gestion des comportements en salle de classe. Toutefois, le développement des cognitions et des
émotions reçoit une attention de premier ordre; particulièrement lorsque ces cognitions sont liées aux
comportements pro-sociaux comme le raisonnement social moral, la résolution de problèmes et l’empathie.
Le programme comprend des activités d’apprentissage coopératif :
un curriculum riche en littérature qui souligne d’importantes valeurs sociales, culturelles et morales
;
des activités conçues pour bâtir une communauté scolaire soucieuse du bien-être de chacun ;
des activités de collaboration foyer/école ;
des activités qui visent l’intériorisation de valeurs démocratiques.
Lorsque des mesures disciplinaires externes sont requises, elles sont minimales et visent à favoriser
l’intériorisation des valeurs plutôt que l’obéissance forcée.
Ce projet inclut 30 jours de formation pour le personnel, répartis sur trois ans, et une évaluation du
programme en profondeur. Les résultats obtenus jusqu’à présent démontrent une augmentation des
comportements pro-sociaux et de meilleures habiletés de résolution de problème chez les élèves. Il n’y a
toutefois pas de différence dans le nombre de comportements négatifs. Les résultats n’appuient pas
l’hypothèse d’une généralisation des comportements pro-sociaux à l’extérieur de la classe, mais les élèves
des cinquième et sixième années sont moins susceptibles de consommer de l’alcool et ont moins de
comportements délinquants.
Le FAST Track Program
Ce programme se compose de deux aspects : l’éducation des parents et l’entraînement à la résolution de
problèmes sociaux. Le projet met l’emphase sur le développement de relations entre la famille, l’école et
l’enfant. La formation intensive des parents comporte une approche individuelle et de groupe pour aider les
parents à devenir des modèles de comportements pro-sociaux et à renforcer ces comportements chez
leurs enfants.
Dans la composante sociale cognitive, les enfants apprennent des habiletés de traitement de l’information
sociale et de résolution de problèmes. Les enfants reçoivent deux ou trois leçons par semaine de la
première à la cinquième année. Les parents reçoivent sensiblement la même formation afin de favoriser la
généralisation des apprentissages à l’extérieur de l’école. Les enseignants et les parents apprennent à
encourager les enfants à utiliser les stratégies apprises pour régler des conflits dans leur vie quotidienne.
Le projet ACHIEVE
Ce projet vise toute la communauté scolaire. Les enseignants sont formés en gestion de classe efficace.
Les enseignants apprennent à implanter un programme d’entraînement aux habiletés sociales dans toute
l’école. Ce programme comprend l’enseignement direct d’habiletés sociales, de stratégies de résolution de
problèmes sociaux et de la gestion du contrôle de soi. Tout le personnel de l’école est formé pour
collaborer au processus de résolution de problème. Un volet foyer/école augmente l’engagement des
parents à l’école et favorise la communication entre les enseignants, les parents et les élèves dans le but
de former les parents à gérer les comportements de manière positive.
Ce programme est exemplaire dans sa façon d’aborder le problème d’une manière systémique en
encourageant les enseignants à voir la discipline comme une responsabilité partagée.
La discipline scolaire et la psychologie scolaire
Les chercheurs en psychologie scolaire ont beaucoup contribué à la littérature sur les stratégies opérantes
de l’apprentissage, mais peu d’entre eux ont participé à la littérature sur les mécanismes cognitifs
d’autorégulation du comportement des enfants. Les stratégies de réaction au comportement ont donc été
mises au premier plan alors que les stratégies de prévention et de développement à long terme ont é
reléguées au second plan. Lorsque la discipline scolaire est vue comme une fin en soi, le contrôle du
comportement et non le développement de l’élève devient le but premier. Cela se produit alors aux dépens
du développement social et des accomplissements scolaires.
Le rôle le plus important du psychologue scolaire, en ce qui concerne la discipline scolaire, est celui de
consultant en résolution de problème auprès des parents, des enseignants et des administrateurs, que ce
soit dans la salle de classe ou dans l’école. Cela implique un engagement dans le développement des
politiques scolaires, du curriculum et dans la formation du personnel afin de s’assurer que le
développement de la discipline personnelle se vit à tous les échelons.
Les partenariats entre les écoles et les agences de soins de santé communautaire sont de plus en plus
nombreux. Les services offerts aux écoles par ces agences sont habituellement ciblés sur les
comportements reliés à la discipline. Les élèves sont rarement impliqués dans les prises de décision en ce
qui concerne les besoins de l’école et les interventions souhaitables. Cela va à l’encontre du
développement d’une discipline personnelle et renforce la discipline imposée de l’extérieur. Les
interventions risquent d’être moins bien acceptées par les élèves. Des recherches seraient utiles dans ce
domaine, de même que dans le champ des relations entre les différences culturelles et la discipline.
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