Section 2 - Les politiques de l’emploi dans les pays européens Il s'agit tout d'abord d'étudier les explications du chômage actuel. Les rigidités productives et celles du marché du travail permettent de dégager un faisceau de causes explicatives de l'accroissement du niveau actuel du chômage, en particulier dans les sociétés européennes. Il faut insister également sur les explications plus globales du sous-emploi actuel mettant l'accent sur la transition de paradigme techno - économique. La multiplicité des causes du chômage va justifier une approche multidimensionnelle des politiques de l'emploi. A - Les facteurs du chômage en Europe Le chômage reste encore aujourd'hui un mal affectant principalement les pays européens par rapport aux Etats-Unis ou aux pays d’Asie. Les facteurs explicatifs de ces différences sont multiples : progression peu dynamique du PIB, coût du travail élevé pour les travailleurs non qualifiés, rigidités qui affectent le fonctionnement du marché du travail. A la fin de la décennie 2000, la situation de l’emploi en Europe évoluait favorablement mais la crise économique qui a débuté en 2008 a enrayé ce processus positif. Les explications avancées pour rendre compte du sous-emploi sont multiples ainsi que les solutions envisagées pour y pallier. De façon synthétique, les causes peuvent être cherchées, d'une part, dans les rigidités du mode de production dominant actuel (ou mode de production fordiste) et, d'autre part, dans l'implantation en cours et insuffisante d'un nouveau paradigme techno- économique, assis sur les nouvelles technologies de l'information et des communications. 1 - Les caractéristiques d’un contexte économique peu favorable Le chômage européen se caractérise par trois éléments majeurs : un niveau élevé, l’importance du chômage de longue durée (avec un risque associé de perte d’employabilité), un chômage des jeunes significatif. En France, le chômage est plus spécifique : un chômage de longue durée (aujourd’hui un peu moins important que dans le reste de Europe), un chômage des jeunes en revanche plus élevé (accès plus difficile au premier emploi), un chômage des travailleurs non qualifiés qui est revenu récemment dans la moyenne européenne et un chômage des seniors (personnes âgées de plus de 55 ans) faible. Au total, il apparaît que c’est autant par son taux de chômage élevé que par son faible taux d’activité1 que la France se caractérise par rapport à ses principaux partenaires européens. Le taux d’emploi (ou proportion des personnes disposant d’un emploi parmi celles en âge de travailler) qui reflète la capacité de l’économie à utiliser son facteur travail était en 2008 de 63,2% en France contre 65,5% en Allemagne, 71,7% au Royaume-Uni et 63,5% en Espagne. La dégradation de la situation de l'emploi en Europe a coïncidé avec un ralentissement de la croissance et un dérèglement des mécanismes de stabilisation du travail, processus qui démarre après le premier choc pétrolier de 1973. L'insuffisance de la coordination entre les politiques conjoncturelles et l'absence de réaction face aux dysfonctionnements du marché du travail peuvent être également mises en avant. a - Le contenu de la croissance en emplois Si le niveau de la croissance est essentiel pour expliquer les variations du taux de chômage, le contenu de la croissance en emploi remplit un rôle important pour expliquer celles-ci. Le lien entre croissance et création d'emploi dépend à terme de l'augmentation de la productivité apparente du travail qui est égale au rapport entre le PIB et les effectifs salariés. A niveau de croissance égal, l'augmentation des postes de travail offerts est d'autant plus forte que la productivité du travail progresse faiblement et que son évolution ne permet pas de répondre à l'augmentation de la production. A moyen terme, la hausse de la productivité du travail est à peu près stable, même si dans la courte période, elle varie de façon cyclique en fonction de la conjoncture (cycle de la productivité). Elle croît en période de reprise (les firmes hésitant à embaucher) et elle diminue en période de ralentissement (les firmes ne procédant pas immédiatement à des licenciements). L'impact d'une hausse de la croissance sur l'emploi est ainsi, au bout de quelques mois, intégrale et proportionnelle, dès lors qu'elle est supérieure à l'augmentation moyenne de la productivité du travail : PIB = productivité du travail + emploi En France, comme dans la plupart des pays européens, le niveau élevé de la productivité du travail a longtemps atténué l'effet de la croissance sur l'emploi. Ainsi, de 1974 à 1989, la croissance n'a été créatrice d'emploi qu'au-delà d'un seuil de 2,3% par an contre 0,5% aux EtatsUnis. Cette productivité relativement élevée s'expliquait par : Selon l’INSEE, le taux d’activité est le rapport entre le nombre d’actifs (actifs occupés et chômeurs) et la population totale correspondante. 1 -2- - une importante substitution du capital au travail, ce qui entraînait une augmentation naturelle de la productivité du travail (Y/L) et a contrario, une baisse de la productivité du capital (Y/K) ; - un phénomène de rattrapage technologique des pays européens par rapport aux EtatsUnis, qui s'est achevé au début des années 80 ; - des difficultés d'embauche pour les travailleurs non qualifiés, engendrant une exclusion massive de cette population du marché du travail. Toutefois, depuis 1990, on constate une tendance à la baisse de la croissance annuelle de la productivité du travail en France, à l'origine de créations d'emplois plus nombreuses. Il convient de noter que cette baisse de la productivité du travail ne veut pas dire que l’économie française est moins productive et moins compétitive. Le surcroît d’emploi permet en effet d’accroître l’utilisation du capital et sa productivité : la productivité totale des facteurs est préservée. La baisse de la croissance de la productivité s'expliquerait par : - le développement du temps partiel qui concentre désormais plus de 15% des actifs en France (proportion plus élevée aux Etats-Unis : 18% ; Royaume-Uni : 24% ; Pays-Bas : 35 %). - l'allégement des charges sur les bas salaires qui a permis le développement des emplois dans les services et l'embauche de travailleurs peu qualifiés. La majeure partie des créations d'emplois a concerné depuis 1993 le tertiaire marchand (en particulier les services aux particuliers) et dans une moindre mesure le tertiaire non marchand (emplois publics, par exemple). Simultanément, les effectifs de l'industrie et du BTP (surtout du BTP) diminuaient légèrement. A la fin des années 90, la reprise de la croissance économique à un niveau élevé a permis d’amplifier le retour à de fortes créations d’emplois. L’emploi total a ainsi progressé de 700 000 unités au cours des années 1999 et 2000. On peut noter que la création de 200 000 emplois s’explique par le dispositif d’emplois aidés du secteur non marchand (emplois jeunes, emplois à domicile, etc) et 500 000 postes de travail ont été créés dans le secteur marchand. Sur ces 500 000 emplois salariés, l’impact des allègements de charge est estimé à 80 000 unités, celui de la réduction du temps de travail à 40 000 unités, le reste (plus de la moitié des créations) étant imputable à la croissance économique. En résumé, si une croissance forte de la productivité du travail a des effets négatifs sur l'emploi à court terme, en revanche à long terme, cette réalité est plus nuancée. En effet, les gains de productivité sont redistribués par les firmes, notamment sous la forme de baisse des prix ou de hausse des salaires, ce qui conduit à une augmentation de la demande et des salaires réels. La production est alors appelée à se développer. A long terme, l'impact des gains de productivité sur -3- l'emploi est donc plutôt positif. On peut ajouter que l’accroissement de la productivité augmente le niveau de croissance économique potentielle et exerce grâce à l’innovation à laquelle elle est liée un effet bénéfique sur la compétitivité de l’économie nationale. A long terme, l’impact des gains de productivité sur l’emploi est donc bénéfique car il influence la croissance économique (l’emploi n’est plus la variable d’ajustement). C’est ce que montre l’étude du chômage européen : de 1980 à 1997, la montée du chômage a coïncidé avec un ralentissement de la productivité du travail et non pas avec une augmentation de celle-ci, tandis que le retour à un rythme important de productivité et d’innovation, à partir de 1997, s’est accompagné d’une baisse du chômage. Par ailleurs, la concomitance aux Etats-Unis, depuis 1990, de gains de productivité élevés et d’une baisse forte du chômage montre le lien qui unit progrès technique, productivité, croissance et emploi. b - La progression de la population active Une partie de la hausse du chômage en France est imputable à la progression régulière de la population active depuis plus de 30 ans, qui n'a pu être absorbée par le marché du travail du fait de l'insuffisante création d'emplois. Toutefois, on ne peut ramener la hausse du chômage à ce phénomènes démographique : en effet, la population active a crû en France de 0,8% par an en moyenne entre 1985 et 2005, c'est-à-dire moins rapidement que dans les autres pays de l'OCDE (1 %) alors que le taux de chômage y est moins élevé, et moins rapidement qu'aux Etats-Unis (1,5%) où le chômage y est plus faible. Dans l’avenir, la population active pourrait s’inscrire en stabilité, ce qui faciliterait la baisse du chômage : là où il fallait créer plus de 200 000 emplois pour réduire le chômage au début des années 2000, il en faut moins de 100 000 aujourd’hui. 2 - L'existence de rigidités importantes du marché du travail Des rigidités d'ordre structurel affectent le fonctionnement du marché de travail au sens large et contribue à expliquer la montée du chômage en Europe. a - L'apparition d'un chômage structurel important et inégal dans les pays européens La théorie économique distingue à l'intérieur des taux de chômage trois composantes dont chacune exige des politiques économiques adaptées : -4- - une composante conjoncturelle explicative du chômage keynésien traditionnel dans un contexte économique d'insuffisance de la demande de biens et d'offre rentable excédentaire ; - une composante structurelle (on parle de taux de chômage naturel ou taux de chômage d'équilibre) liée au niveau des coûts salariaux, à la flexibilité du marché du travail ainsi qu'à l'adéquation des qualifications à l'emploi. C'est le chômage classique : l'offre de biens est insuffisamment rentable en raison de salaires trop élevés. Chômage keynésien et chômage classique peuvent coexister dans une même économie, ce qui va nécessiter une politique économique s'attachant à augmenter la demande (relance budgétaire) tout en améliorant la flexibilité des salaires réels. - une composante frictionnelle liée à la recherche d'emploi et aux délais d'adaptation du marché du travail La notion de taux de chômage naturel a été mise en évidence par M. Friedman en 1968. Il est dit d'équilibre parce qu'il correspond à une augmentation des salaires compatible avec une inflation constante, c'est-à-dire à une situation équilibrée du marché du travail (NAIRU ou Non Accelerating Inflation Rate of Unemployment). En deçà de ce taux de chômage, les salaires croissent plus vite que la productivité du travail, ce qui engendre une hausse des prix. Au-delà de ce taux de chômage, la pression sur les salaires diminue et l'inflation diminue. On peut ajouter que le taux de chômage naturel dépend de plusieurs facteurs qui renvoient aux caractéristiques structurelles de l'économie : - la croissance de la productivité du travail : une baisse de celle-ci doit entraîner une augmentation moins rapide des salaires réels ; si celle-ci ne se produit pas spontanément, une hausse du chômage interviendra pour ramener l'élévation des salaires réels dans des limites raisonnables ; - la prise en compte dans les négociations salariales de la productivité ; - la hausse du prix des importations ; - tous les facteurs contribuant à accroître momentanément le coût du travail (salaire minimun, cotisations sociales ou impôts) engendrent des tensions inflationnistes et nécessitent une augmentation du chômage d'équilibre pour arrêter ce surcroît d'inflation. Dans les faits, le taux de chômage d'équilibre a augmenté dans la CEE de 3,5% avant 1973 à 6,5% en 1990, notamment sous l'effet du freinage des gains de productivité et de la hausse des prix du pétrole. En 2005, il s'est établi à 6% à cause de la sensibilité croissante des salaires réels aux évolutions de la productivité. En France, selon la Communauté européenne, ce taux d'équilibre est relativement plus élevé (7 à 8 % en 2005), ce qui explique en grande partie la -5- persistance du chômage en période de reprise de l'activité. Aux Etats-Unis, inversement, le taux de chômage d'équilibre est plus faible (6% en 1994, 4,5% en 2005) du fait d'une bonne indexation des salaires sur la productivité et d'une moindre sensibilité aux chocs extérieurs. b - Le rôle du coût du travail On cite souvent le niveau élevé du coût du travail (salaires et cotisations sociales inclus) pour expliquer l'importance du chômage structurel en France. Un salaire supérieur au salaire d'équilibre du marché du travail est susceptible de créer du chômage par apparition d’un écart salarial (wage gap). De plus, une augmentation trop forte des coûts salariaux peut influencer l'emploi à long terme par la substitution des facteurs de production capital et travail. On peut aussi ajouter que la compétitivité des firmes nationales se dégradent sur les marchés internationaux si les coûts de production sont trop élevés. L'élasticité de l'emploi au coût du travail apparaît significative au regard des travaux économétriques effectués : une hausse de 10% du salaire réduirait l'emploi qualifié de 1,5% et l'emploi non qualifié de 2,5% (Sneessens, 1995). En ce qui concerne le travail non qualifié, l'important reste le mécanisme d'apparition du chômage des personnes non qualifiées : une hausse du coût du travail peu qualifié et une réduction de l'éventail des salaires incitent les employeurs à substituer du travail qualifié, plus productif à du travail non qualifié, ce qui augmente le non- emploi du personnel non qualifié (effet d'escalier). En France, l'évolution du salaire minimum a pu pénaliser, compte tenu des charges sociales associées, le travail non qualifié. Cependant, cette situation a connu une inflexion récente: depuis 1992, la progression du SMIC a été globalement parallèle à l'inflation et la réduction des cotisations patronales à ce niveau de salaire en a diminué le coût pour l'employeur. c - Les effets pervers des réglementations publiques L'idée est qu'une rémunération minimale pour les salariés (SMIC en France) peut être à l'origine de l'exclusion du marché du travail des salariés dont la productivité est inférieure à ce niveau de salaire. Cette situation concerne surtout les personnes non qualifiées et éventuellement les jeunes. Toutefois, l'incidence d'un salaire plancher sur l'emploi reste difficile à apprécier. Un autre argument sur l'effet pervers des réglementations publiques est fréquemment avancé : le niveau et la durée des allocations de chômage seraient susceptibles d'avoir un effet négatif sur l'emploi dans la mesure où des indemnités trop "généreuses" n'incitent pas les chômeurs à retrouver du travail. C'est le cas notamment quand le taux de remplacement (rapport -6- entre l'indemnité perçue en situation de chômage et le salaire reçu en situation d'emploi) est élevé et quand la durée d'indemnisation dépasse quelques mois. L'écart entre la prestation versée et le revenu escompté du travail est si faible que l'offre de travail baisse, ainsi que la pression exercée par les chômeurs sur les salaires : on parle du piège du chômage. Les travaux empiriques ont nuancé l'analyse précédente : l'indemnisation du chômage aurait tendance à allonger seulement la durée du chômage mais n’empêcherait pas à terme le retour à l’emploi. Les conditions d'indemnisation se sont progressivement durcies (notamment depuis 1993 en France) sans que l'effet sur la reprise de l'emploi des chômeurs soit sensible. En prenant en compte les effets du système des prélèvements et de transferts sur le revenu des salariés et des chômeurs, l'OCDE souligne que dans un nombre limité de cas, le retour à l'emploi entraîne un accroissement marginal du revenu disponible, ce qui serait de nature à dissuader la sortie du chômage : on parle alors de trappe à pauvreté. Enfin, à titre terminal, on peut souligner qu'une partie du chômage structurel trouve son origine dans l'inadéquation de l'offre de travail à la nature des postes offerts. La France doit donc poursuivre son effort de qualification de la population active sans que l'élévation du niveau de formation ne constitue une garantie absolue contre le chômage (en 1995, 35% des personnes âgées de 25 à 65 ans ne disposait d'aucun diplôme secondaire contre 18% en Allemagne et 32% au Royaume-Uni). 3 - La crise de l’emploi dans la transition actuelle de paradigme techno - économique La crise du mode de production fordiste (consommation et production de masse) depuis le milieu des années 70 entraîne une mutation de l’emploi dans les sociétés développées qui connaissent une transition de paradigme techno - économique. Deux phénomènes négatifs s’additionnent : - l’importance actuelle du chômage imputable à l’ancien paradigme ; - la création insuffisante d’emplois dans le nouveau paradigme des technologies de l'information. a - Le chômage imputable à l’ancien paradigme L’importance du chômage des années 80- 2000 peut s’expliquer par un processus endogène de développement. Ainsi, l’élasticité - prix de la demande de nombreux biens de consommation durables a baissé dans le temps à mesure que les ménages, grâce à leurs -7- patrimoines, accumulaient des biens durables. A partir des années 50 jusqu’à la fin des années 70, on observe dans les pays industrialisés un taux de chômage faible, une croissance de l’emploi dans les activités industrielles à forte productivité, une hausse des revenus et une baisse des inégalités de salaires. Des gains de productivité sont réalisés dans les divers secteurs industriels et se traduisent par une augmentation sensible de l’emploi. Les économies capitalistes industrialisées, notamment européennes, connaissent une croissance économique exceptionnelle. Deux types d’activités enregistrent des gains de productivité : - les secteurs à productivité élevée et croissante (industrie manufacturière) ; ils se caractérisent par une attraction forte de main - d’œuvre et l’octroi de salaires plus élevés que dans le reste de l’économie ; - les autres secteurs moins productifs qui ont, eux aussi, offert des salaires plus élevés pour recruter la force de travail nécessaire à l’entreprise. Les hausses salariales réelles ont eu tendance à s’aligner sur l’augmentation moyenne de la productivité dans l’économie ; plus précisément, les rémunérations ont augmenté moins vite que la productivité dans les secteurs où la croissance de celle-ci était supérieure à la moyenne et plus vite que la productivité dans les secteurs où la croissance de celle-ci était inférieure à la moyenne. Par conséquent, les prix relatifs ont évolué à la baisse dans les secteurs à forts gains de productivité et à la hausse dans les autres secteurs. Les premières activités ont connu une forte expansion du fait d’une forte élasticité - prix de la demande de biens et services les caractérisant tandis que les secondes ont vu leur croissance entravée par la hausse de leurs prix relatifs. C’est dans l’industrie manufacturière que les gains de productivité assis sur des gains d’économies d’échelle se sont révélés être les plus forts. L’expansion de l’emploi a alors été permise par la conjonction des facteurs suivants : la baisse des prix relatifs combinée à une demande de produits manufacturés élastique par rapport au prix a entraîné une expansion de la demande qui a plus que compensé les économies d’emploi permises par les hausses de productivité. L’augmentation sensible du niveau de vie moyen dans les économies occidentales a été affectée à l’acquisition des biens de ces industries productives, essentiellement dans la fabrication de biens durables. A la fin des années 70 et dans les années 80, apparaissent dans les pays industrialisés des tendances divergentes dans l’emploi et dans les rémunérations des salariés. Le changement majeur concerne la stagnation voire la baisse de l’emploi dans les secteurs à forts gains de productivité. Progressivement, au cours des années 70, les gains élevés de productivité ont engendré une diminution de la demande de travail dans les industries de pointe. Ce sont alors les activités à gains réduits de productivité qui ont enregistré l’élévation de l’emploi la plus -8- significative. Dans les pays où l’emploi a augmenté, c’est le secteur des services (activités à productivité relativement moins élevée) qui a enregistré des créations de postes de travail suffisantes pour compenser le déclin de l’emploi dans le secteur manufacturier. Dans les pays où ce transfert s’est avéré insuffisant, l’emploi a stagné ou a régressé. Le changement de nature de la relation gains de productivité - emploi a reposé sur la modification de l’élasticité - prix de la demande des biens de consommation durables. La saturation progressive des besoins et les nouveaux achats expliquent une faible croissance des ventes aux agents économiques (demande d’acquisition des nouveaux acheteurs et demande de renouvellement des agents déjà équipés). La demande de biens de consommation durable antérieurement très élastique est devenue inélastique au fur et à mesure que les ménages s’équipaient. Les données de l’OCDE pour les pays du G7 montrent que l’emploi dans l’industrie s’est abaissé au cours des deux dernières décennies, soit en termes absolus (Allemagne, Italie), soit en part de l’emploi total (Etats-Unis, France, Royaume-Uni, Canada, Japon). Dans ces pays, toute augmentation de l’emploi est à imputer à l’augmentation de la part de la population active employée dans les services. b - L'emploi dans les paradigmes néo - technologiques Une grande actualité est donnée dans la période contemporaine aux analyses en termes d’ondes économiques longues ou cycles d’activité économique. Pourquoi ? La période de croissance de l'après Seconde Guerre mondiale a débouché sur un retournement de conjoncture au début des années 70. Celui-ci a ouvert une longue période (encore inachevée) de contraction de l'activité économique. La question suivante se pose : est-on en présence d'un schéma de cycles longs d'activité (25 ans de croissance et 25 ans de dépression) ? Des recherches récentes tentent d’en préciser l’existence et de définir les caractéristiques d'un nouveau cycle long d'activités. C'est notamment le cas des travaux inspirés par J. Schumpeter qui mettent l’accent sur le rôle des innovations techniques dans le développement économique. Ainsi, les travaux de Ch. Freeman pour qui les cycles longs d’activités correspondent à une succession de paradigmes techno - économiques. Précisons tout d’abord l’analyse de J. Schumpeter (économiste autrichien du début du siècle précédent). - L’apport de l'analyse schumpéterienne Les apports analytiques de Schumpeter sont principalement contenus dans sa Théorie de l'évolution économique de 1911. Il apparaît une opposition entre l'économie de circuit et -9- l'économie de l'évolution. La première est une économie stationnaire (qui se reproduit à l'identique) et qui concerne une économie sans accumulation de capital, c'est-à-dire sans investissements productifs : il n'y a ni crédits aux entreprises ni profits. A l'équilibre, les firmes ne font ni bénéfices ni pertes. De plus, chaque agent étant censé être à l'équilibre, il n'y a aucun motif ni d'ailleurs aucun moyen de prêter ou d'emprunter, qu'il s'agisse des producteurs ou des ménages. L'évolution naît de deux conditions : - une condition nécessaire : l'innovation que Schumpeter définit comme une "combinaison nouvelle" des facteurs ou plus tard, comme "la mise en œuvre d'une nouvelle fonction de production". Elle peut revêtir une des cinq formes suivantes : fabrication d'un nouveau bien (qualité nouvelle d'un bien), introduction d'un nouveau procédé (nouveau procédé commercial ou reposant sur une découverte scientifiquement nouvelle), ouverture d'un nouveau débouché, conquête d'une source nouvelle de matières premières ou de produits semi-ouvrés, nouvelle forme d'organisation (concentrations, création d'un monopole). J. Schumpeter distingue deux fonctions apparemment voisines : l'innovation et l'invention. L'inventeur est un technicien ; l'innovateur est un entrepreneur, c'est-à-dire un chef d'entreprise qui prend la responsabilité d'exécuter, de mettre en œuvre l'innovation en engageant dans cette démarche tous les moyens dont il dispose. Il permet au progrès technique de s'incarner dans le processus économique. De plus, Schumpeter insiste sur le fait que l'innovateur va "faire l'éducation" du consommateur en lui révélant une demande virtuelle, à laquelle il n'avait donc pas songé. - une condition suffisante : le crédit bancaire qui permet par une création monétaire ex nihilo d'émettre un pouvoir d'achat qui sera mis à profit par les entrepreneurs pour concrétiser leurs combinaisons productives nouvelles et en tirer un profit que l'on appelle "surplus ou rente de monopole". Le profit découle de l'innovation tant que cette dernière n'est pas généralisée. Le banquier "a une position intermédiaire entre ceux qui veulent exécuter de nouvelles combinaisons et les possesseurs des moyens de production. Il est donc une composante de l'évolution". Ce profit permettra d'acquitter un intérêt sur les crédits consentis, intérêt dont le niveau résulte tout simplement de l'offre et de la demande de capitaux (approche monétaire de fonds prêtables). Le couple innovation - crédit suffit ainsi à expliquer non seulement le "développement" (la croissance) mais aussi, les fluctuations. En effet, les innovations surviennent par grappes et se généralisent en se diffusant à partir des entrepreneurs les plus dynamiques qui ont recours au crédit pour rompre avec l’économie de circuit et jouent ainsi un rôle-clé dans la croissance. La mise en œuvre et la diffusion de l’innovation génératrice de profit correspondent à la période de l’expansion. La généralisation de l’innovation étant faite, la croissance des investissements innovants s’achève et les perspectives de profit se détériorent. La - 10 - crise puis la dépression vont alors survenir. J. Schumpeter exprimera son scepticisme quant à la survie du capitalisme du fait d’une bureaucratisation accrue, issue d'un ralentissement du processus d'innovation et de l'affaiblissement de l'esprit d'entreprise, entraînant la disparition progressive du profit. On peut souligner que Schumpeter distingue des cycles longs assis sur l'évolution technologique qu'il nomme Kondratieff. Ils ont une durée de 55 à 60 ans (les économistes ne sont pas tous d'accord quant à leur existence). J. Schumpeter pense en avoir relevé trois, chacun étant associé à un ensemble d'innovations majeures. Le premier s'étendrait de 1780 environ à 1842 et correspondrait à la révolution industrielle. Le deuxième Kondratieff, de 1842 à 1897, serait celui de la vapeur et de l'acier. Le troisième Kondratieff irait de 1898 à 1950 environ et correspondrait à l'électricité, à la chimie et aux moteurs à explosion. Un quatrième Kondratieff peut-il être associé aux technologies de l'information et des télécommunications ? - Les paradigmes techno - économiques Ces analyses ont été développées par Ch. Freeman à l’Université du Sussex. Il considère que les cycles longs d'activité correspondent à une succession de paradigmes techno économiques semblables aux ondes longues décrites par J. Schumpeter. Le principe du changement de paradigme repose sur une transformation radicale du système de pensée qui prévalait dans presque toutes les industries en matière technique et de gestion pour l’obtention d’une productivité et de profits élevés. Le nouveau paradigme apparaît et se développe d’abord à l’intérieur de l’ancien et démontre progressivement ses avantages décisifs au cours de la dépression longue. Il est appelé à l’issue de cette période à entraîner de nombreuses innovations radicales et des innovations d’amélioration ainsi qu'à contribuer à de nouveaux systèmes technologiques. Par conséquent, il va aboutir à un nouveau régime technologique dominant. Une telle situation ne survient qu’après une crise d’ajustement structurel qui implique le remplacement des branches motrices de l’économie ainsi que de profonds changements institutionnels et sociaux. En effet, la dépression serait un processus de destruction créatrice non seulement dans la sphère productrice mais aussi, dans les sphères sociales et institutionnelles. - la transition actuelle de paradigme C. Freeman précise qu’au sein de chaque nouveau paradigme, se trouve un intrant ou un ensemble d’intrants particuliers qui apparaît comme le facteur déterminant du paradigme et qui remplit trois conditions : - un coût relatif peu élevé qui s’abaisse rapidement ; - 11 - - une disponibilité apparemment presque illimitée en longue période ; - une capacité à être utilisée dans de nombreux processus productifs. Quelques exemples : pour Ch. Freeman, le rôle de facteur - clé aurait été successivement joué par le faible coût du travail et par le coton lors de la révolution industrielle, par le bas coût du charbon et des transports à vapeur au milieu du XIXème siècle, par le faible coût de l’acier pour la troisième expansion longue au début du XXème siècle et par le faible coût du pétrole et des matériaux à fort contenu en pétrole (pétrochimie, chimie de synthèse) pour l’expansion d’après 1945. Cependant, pour Ch. Freeman, chacun de ces facteurs - clés existe et est utilisé bien avant que le nouveau paradigme ne se développe. Comment expliquer alors la crise d’aujourd’hui ? Pour Ch. Freeman, la crise actuelle serait précisément une transition entre d'une part, un régime technologique fondé sur le pétrole bon marché et les matériaux issus du pétrole et conduit par des firmes géantes orientées vers la production de masse, et d'autre part, un régime nouveau en cours de constitution sur la base d’instruments microinformatiques à faible coût (appelé encore à diminuer) utilisés dans une organisation productive intensive en information. Celle-ci lierait à la fois le design, la production, la gestion et le marketing en systèmes de travail intégrés au niveau informatique. Capables de produire de façon flexible et rapidement changeante avec des équipements intégrant de plus en plus largement l’ordinateur, les secteurs de l’électronique et de l’informatique deviennent ainsi les nouvelles industries motrices. Les éléments de ce nouveau régime technologique destiné à devenir dominant dans les années 2000 se sont constitués progressivement au sein même de l’ancien paradigme ; ils constituent un nouveau paradigme techno- économique mais ne sont pas encore dominants. - l’investissement public nécessaire La machine à vapeur, l'énergie électrique ou plus récemment, l'informatique (qui touche toutes les branches d'activité) ont eu et continuent d'avoir de profondes conséquences sur les comportements d'investissements au fur et à mesure de leur incorporation dans le système économique. L'analyse des comportements d'investissement révèle une influence sur les cycles de moyen et long terme. Outre les décisions d’investissement des firmes, le comportement des consommateurs influence fortement les investissements et joue un rôle majeur dans les cycles économiques. Autrement dit, c'est l'investissement qui enregistre les plus grandes fluctuations et qui constitue la principale source d'instabilité dans le système économique. La confiance influence fortement les comportements d'investissement. Celle-ci n'est pas exclusivement liée à la stabilité politique ou à l'action gouvernementale mais aussi aux changements technologiques. - 12 - Keynes dans le Treatise on Money de 1930 : "En matière de capital fixe, il est facile de comprendre la raison pour laquelle des fluctuations interviennent dans les taux d'investissement. Les industriels sont tentés de se lancer dans la production de capital fixe, ou dissuadés de le faire, en fonction des bénéfices escomptés. A l'exception de nombreuses causes secondaires de fluctuation dans un monde en mutation, l'explication des grands mouvements que donne J. Schumpeter peut être acceptée sans réserve". En matière de politique économique, il apparaît la nécessité de ne plus se fonder uniquement sur une action par les taux d'intérêt. Ainsi, au début de 1990, les Etats-Unis et le Japon ont pratiqué des taux d'intérêt réels quasiment nuls sans obtenir une réponse positive de l'investissement. Ch. Freeman en conclut à la nécessité de programmes d'investissements publics pour la diffusion de nouvelles technologies, en particulier celles relevant de l’informatique. Cet effort est d'autant plus nécessaire qu'une des sources principales d'investissement de la Guerre froide disparaît. Mais, une politique alternative s'appuyant sur le changement technologique et institutionnel pour relancer les investissements ne donnera de résultats satisfaisants que si elle concerne de nombreuses firmes (une large diffusion et des effets multiplicateurs sont indispensables). L'investissement public (notamment dans les infrastructures) et le changement institutionnel pendant les longues périodes de crise sont essentiels. Précisons cet argument : la pénétration de nouvelles technologies exige une nouvelle gamme de qualifications, de nouvelles techniques managériales et de nouvelles structures organisationnelles (elle nécessite aussi de nouveaux types de réglementations des marchés et la création de normes nationales et internationales comme pour le chemin de fer, l'énergie électrique et aujourd'hui, les télécommunications). Le paradigme techno - économique doit largement se diffuser et adapter l'ensemble du système économique et social. En premier lieu, l’ajustement doit concerner le cadre national. L'ajustement du cadre institutionnel international (création de structures permettant la diffusion et le transfert de technologies) ainsi que l'ensemble des ajustements nationaux au potentiel des technologies de l'information et de la communication (TIC) pourraient créer dans les années 90 - 2000 et au-delà, les conditions nécessaires à une expansion mondiale au XXI siècle, comparable à celle du troisième quart du XX siècle, mais beaucoup plus porteuse d'espoir pour le Tiers Monde. Très concrètement, aujourd’hui, deux principales interrogations économiques se posent quant à l’informatisation de la société qui caractérise le nouveau paradigme : - l’impact de l’informatisation sur l’efficacité des firmes en termes de gains de productivité ; - l’impact du nouveau paradigme sur l’emploi. - 13 - Pour l’heure, les gains de productivité se concrétisent progressivement plus nettement au fur et à mesure que se développe l’informatique de réseau. En revanche, le nouveau paradigme ne semble pas prendre le relais du précédent paradigme en termes de création d’emplois : il apparaît au contraire économiseur d’emplois. La caractéristique du chômage technologique actuel, c'est qu'il ne concerne pas uniquement le bas de l'échelle professionnelle (agents qualifiés, les "cols blancs" de la classe moyenne tout autant que les femmes, les jeunes et les immigrants sans formation). La société digitale ou économie informatisée exige des compétences spécifiques du fait des modes nouveaux de production, de distribution et de consommation. Cette "nouvelle économie impitoyable" entraîne une dualisation croissante des fonctions et des revenus dans la société et oppose de plus en plus les producteurs et les gestionnaires du changement technique percevant de hauts revenus et la masse grandissante d'une population qualifiée sans emploi ou percevant des revenus faibles. Daniel Burstein et David Kline (économistes américains, auteurs d'un ouvrage sur les autoroutes de l'information) notent qu'il existe une forme nouvelle de la loi de Moore (un des fondateurs d'Intel) : "à mesure que s'élève le rythme de création de la nouvelle richesse stimulée par la technologie digitale, le nombre de gens requis pour la produire diminue". (la loi de Moore soulignait que les capacités d'un ordinateur disponible à un prix donné doublaient à intervalles réguliers, aujourd'hui tous les 18 mois). B - Les stratégies multidimensionnelles des politiques de l'emploi La diversité des causes du chômage va conduire à des politiques économiques multiples luttant contre ses facteurs d'ordre macro-économique (croissance insuffisante, faiblesse de la croissance en emplois) et ses facteurs d'ordre micro-économique (principalement les dysfonctionnements du marché du travail). Notons aussi la remise en cause des politiques keynésiennes fondée sur l’instabilité de la courbe de Phillips. 1 - La recherche d'une politique macro-économique favorable à l'emploi En dehors de la relance budgétaire (politique conjoncturelle), la lutte contre le chômage a consisté dans la mise en œuvre d’une politique monétaire inflationniste. Toutefois, cette politique a été discréditée depuis les années 70, d'une part, à cause de la faiblesse de ses résultats et, d'autre part, à cause de ses effets négatifs à long terme sur le fonctionnement de l'économie. Les politiques de l'emploi mises en place au niveau européen peuvent être définies comme l'ensemble des programmes portant sur l'offre et la demande de travail, en dehors des - 14 - régulations macro-économiques et des politiques d'assistance (aides sans contreparties aux plus défavorisés). L'idée que le chômage européen est lié à une trop grande rigidité du travail a débouché au Conseil européen d'Essen (décembre 1994) sur un programme de lutte contre le chômage à appliquer dans les pays de l'Union européenne, fondé sur les cinq principes suivants : - le développement de la formation professionnelle pour accroître la mobilité des travailleurs ; - l'augmentation du contenu en emplois de la croissance économique par une plus grande flexibilité des conditions de travail, par une politique salariale restrictive et par la création d'emplois liés à l'environnement ou au domaine social; - la réduction du coût total du travail, en particulier non qualifié ; - l'accentuation des politiques actives d'emploi en évitant les mesures désincitatives tendant à accroître les durées du chômage ; - le financement de programmes ciblés sur des catégories à risque (jeunes, chômeurs de longue durée, femmes au chômage, travailleurs âgés) pour accroître leur employabilité. La stratégie européenne de l'emploi sera réaffirmée par la suite. Aujourd’hui, les efforts s’incarnent dans la stratégie de Lisbonne (2000 - 2010) qui propose une série de mesures structurelles pour augmenter le niveau de croissance potentielle et mettre davantage de personnes au travail. A mi-parcours, cette stratégie n’a pas donné les résultats attendus. Au niveau de l'OCDE, les dépenses publiques pour l'emploi peuvent être classées en deux composantes : d'une part, les mesures actives correspondant aux coûts des différents programmes (mesures en faveur des jeunes, des handicapés, formation professionnelle, aide à l'embauche, coûts de fonctionnement des administrations et services publics d'aides à l'emploi) ; d'autre part, les dépenses passives relatives à l'indemnisation des chômeurs. Par exemple, la France en 1993 consacrait 3% de son PIB aux dépenses totales pour l'emploi dont un tiers de celle-ci pour les dépenses actives. Examinons la question de la réduction du temps de travail comme moyen de résorber le sous-emploi.. A production et à productivité constantes, le même volume de travail est alors réparti entre plusieurs personnes, ce qui permet de réduire le chômage. En France, le projet gouvernemental le plus récent concerne la diminution de la durée légale hebdomadaire du travail à 35 heures (décembre 1997). Il a fait surgir le débat sur le partage du travail comme moyen de lutte contre le chômage. Il s'agit là d'augmenter le nombre de personnes employées à volume de travail inchangé ; la baisse des horaires individuels étant compensée par des embauches pour obtenir le même niveau de production. De façon générale, pour rendre possible la réduction du - 15 - temps de travail, plusieurs conditions doivent être réunies, concernant le maintien d'une productivité suffisante et le niveau de la compensation salariale : - la réduction du temps de travail doit être suffisamment forte pour ne pas être compensée par une hausse de la productivité du travail. - la baisse du temps de travail doit s'accompagner d'une réorganisation des méthodes de travail et d'un allongement de la durée d'utilisation des équipements pour maintenir quasi constants les coûts de production ; - la réduction du temps de travail peut difficilement s'accompagner du maintien du pouvoir d'achat des salariés à son niveau antérieur sans aide financière de l'Etat ; l'aide financière étatique est transitoire puisque les effets attendus de la réduction du temps de travail sur l'emploi conduisent à la baisse des cotisations d'assurance-chômage et à la hausse du pouvoir d'achat des salariés. Cependant, un tel système rencontre plusieurs difficultés d'application : - le lien entre faible durée du travail et faible taux de chômage n'est pas solidement établie ; - la réorganisation du temps de travail entraîne des difficultés de mise en pratique ; en effet, certains salariés ne sont pas toujours aisément substituables (cadres, ouvriers spécialisés, etc); la réorganisation du travail est plus délicate dans les PME que dans les grandes entreprises ; - le développement des contrats à temps partiel (avec incitation financière étatique) constitue une forme directe de partage du travail sans compensation salariale puisque le salarié est payé au prorata de son temps de travail. Un problème survient quand le salarié subit le temps partiel (risque de "pauvreté laborieuse", c'est-à-dire que l'activité salariée est insuffisante pour permettre de dépasser le seuil de pauvreté). - le coût de la compensation salariale pour l'Etat peut s'avérer élevé par rapport au nombre d'emplois créés, même si l'assistance financière n'est que temporaire. 2 - La lutte contre les dysfonctionnements du marché du travail Plusieurs rigidités sur le marché du travail apparaissent, les stratégies à développer seront donc multiples. Le plus fréquemment, il s'agira d'actions de type réglementaire ou d'activation des dépenses de la politique de l'emploi. a - Les politiques de baisse du coût du travail - 16 - C'est le travail non qualifié qui est principalement concerné et qui peut faire l'objet d'actions conduites avec vigueur, à l'instar des pays anglo-saxons. Tout d'abord, la stabilisation voire la baisse ou la suppression du salaire minimum peut permettre d'abaisser le niveau du chômage des personnes non qualifiées (Sneessens, 1996). Toutefois, l'efficacité de la diminution du salaire minimum reste contestée parce qu'elle aurait en définitive des effets réduits sur l'emploi tout en ayant un impact négatif sur la demande intérieure à court terme et sur la productivité des travailleurs à plus ou moins long terme. En France, les politiques économiques se sont plutôt attachées à l'allégement des cotisations sociales payées par les employeurs, principalement sur le travail non qualifié. Une telle mesure abaisse sensiblement le coût de ce type de travail sans amoindrir le pouvoir d'achat des personnes concernées (croissance de l'embauche des entreprises et hausse des services aux particuliers). Les créations d'emplois obtenues améliorent le revenu disponible des ménages et stimulent la consommation. La réduction des charges sociales sur les bas salaires engendre un effet positif sur la croissance et l'emploi mais d'une importance insuffisamment sensible pour constituer la solution au chômage. De plus, le coût de ce dispositif reste élevé. Par ailleurs, l'offre de stages et de formations qualifiantes, en direction notamment des jeunes, peut permettre en améliorant la qualification du travail de favoriser le recul du chômage de personnes au départ peu qualifiées (exemple de l'apprentissage en Allemagne). Plus généralement, la nécessité d'augmenter la qualification conduit à renforcer l'efficacité de la formation continue. b - Les stratégies de réduction des rigidités du marché du travail L'OCDE a insisté sur la nécessité d'une réorientation de la fiscalité et des transferts sociaux pour encourager financièrement les personnes à travailler. Trois domaines peuvent être concernés : - la réduction du montant des allocations chômage ; - l'exercice d'un emploi comme condition à l'octroi de certaines prestations ou de crédits d'impôt ; les Etats- Unis ont institué un crédit d'impôt égal à 40% du salaire gagné jusqu'à 9000 dollars par an et dégressif ensuite jusqu'à 30 000 dollars. - l'articulation progressive entre allocation chômage, prestations sociales et travail réduit ou à temps partiel pour éviter une rupture brutale du pouvoir d'achat en cas de retour à l'emploi. Les chômeurs sont ainsi autorisés à travailler à temps partiel dans certains pays (France, Allemagne) sans perdre le bénéfice de leurs allocations. - 17 - La flexibilité de l'emploi et des salaires peut constituer un moyen d'action. En France, les rigidités de la réglementation du travail (durée strictement définie du temps de travail, limites au droit de licenciement, etc) peuvent limiter la flexibilité externe des firmes et entraver leur propension à l'embauche. A partir de 1986, de nouvelles dispositions sont entrées en vigueur (suppression en 1986 de l'autorisation administrative de licenciement, extension de l'utilisation des contrats à durée déterminée...). Malgré ces améliorations de la flexibilité, il existe encore des dispositifs qui alourdissent les coûts de licenciement et de rotation de main-d'œuvre, ce qui peut ralentir les restructurations nécessaires (délais de préavis, plan sociaux, etc). c - La réorientation de la dépense publique pour l'emploi La dépense publique pour l'emploi concerne deux types de mesures : d'une part, les dépenses passives (dispositions d'indemnisation du chômage et mesures incitatives au retrait d'activité telles les préretraites) et, d'autre part, les dépenses actives recouvrant des mesures d'incitation à l'emploi (exonérations de charges sociales, aides à l'embauche, dispositifs de formation professionnelle, mesures en faveur des jeunes, des handicapés...). Les pays développés se sont peu à peu orientés vers une accentuation de la part des dépenses actives dans leur politique de l'emploi au détriment des dépenses passives. Les actions visant à améliorer la mobilité et la qualification des travailleurs ont été développées. Depuis 1974, la politique pour l'emploi a connu des inflexions significatives qui ont abouti finalement à un empilement des dispositions successives sans une rationalisation suffisante. La multiplication des aides financières a eu un impact relativement limité en raison d'effets d'aubaine (incitation financière accélérant une embauche qui de toute façon aurait eu lieu), de substitution (travailleur aidé éliminant de l'emploi le travailleur non assisté) et d'appel (aides à l'emploi incitant les individus à se présenter sur le marché du travail). Exemple : en ne prenant pas en compte l'allégement général du coût du travail sur les bas salaires, l'effet des dispositifs publics ont abouti en 1995 à la création de 99 000 emplois supplémentaires à 27 000 chômeurs en moins, du fait d'un effet d'appel de 72 000 personnes sur la population active. C'est un résultat modeste. Malgré la diversité des dispositions effectivement adoptées, les politiques européennes d'emploi présentent un certain nombre de caractéristiques communes, révélant une analyse similaire des dysfonctionnements du marché du travail : accent mis sur les politiques de formation pour réduire le chômage structurel ; abaissement des coûts salariaux pour la main- 18 - d'œuvre non qualifiée, politiques de partage du travail assises sur le développement du temps partiel ou sur la réduction du temps de travail. Toutefois, en raison de l'ampleur du chômage, ce dispositif ne semble pas suffisant pour ramener les économies au plein emploi. Une croissance économique plus forte assise sur une coordination plus affirmée au niveau européen serait de nature à améliorer la situation du chômage en Europe. Mais cette solution se heurte aux écarts de convergence réelle entre les économies de l’Union européenne, écarts qui empêchent in fine toute politique commune en la matière. - 19 -