Statut des fonctionnaires : les premières pistes du projet

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Gerard CLEMENT
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CENTRE RHONE –ALPES D’INGENERIE SOCIALE SOLIDAIRE & TERRITORIALE
REVUE DE PRESSE
Du 12 AU 20 AOUT 2015
 Le point sur la rupture conventionnelle
 QUEL BILAN DE L’USAGE DE LA RUPTURE CONVENTIONNELLE
DEPUIS SA CRÉATION ?
 Malgré le vote de la loi NOTRe, l’État n’entend abandonner
aucune de ses compétences en matière d’économie, d’emploi
et de formation professionnelle
 Dignes des raffarinades : les sapinades
 Emploi dans les associations : des chiffres contradictoires
 Ne laissons pas l’économie collaborative au capitalisme
sauvage
 Pour un management au plus près du travail
 Europe : le déni de soi
 Jacques Billard : "On naît en république, mais on apprend à
devenir républicain"
 Ce 0% de croissance qui conforte Hollande
 LE 3ème PLAN DE ROULEMENT DE LA DETTE GRECQUE, par
François Leclerc
 La leçon de bonheur d’Alain Badiou
 L’école française n’est pas le mauvais élève de l’Europe
 Comment lutter contre la fraude aux travailleurs détachés?
 Les contrats de génération, le bilan en demi-teinte de la
première année
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Le point sur la rupture conventionnelle
samedi 15 août 2015
Nouveau mode de rupture créé par les partenaires sociaux, pour uniquement les CDI, la rupture conventionnelle
introduite en août 2008 s’est beaucoup développée.
En effet, en 2008, 31 671 ruptures conventionnelles ont été homologuées, 192 125 en 2009, 253 654 en 2010,
319 897 en 2012, 314 380 en 2013 et 333 306 en 2014 - 26 297 rien que pour le mois de février 2015. En terme
d’impact, les ruptures conventionnelles représentaient 17 % des fins de CDI en 2013, du fait notamment des
petites entreprises et du secteur tertiaire.
Pour rappel, les objectifs implicites de la rupture conventionnelle sont :

donner un cadre juridique pour encadrer par une procédure juridique des ruptures déjà existantes,
résiliations à l’amiable, licenciements consensuels déguisant des démissions, ou négociés dans le cas de
licenciements suivis d’une transaction (transaction pouvant être étendue à tous les salariés) et ouvrir des droits à
l’assurance chômage à ces salariés ;

diminuer les contentieux dans les ruptures de contrat ;

fluidifier le marché du travail en facilitant la séparation, ce qui était considéré en conséquence comme
favorisant l’embauche.
Les études se référant aux objectifs qui lui étaient assignés montrent que la rupture conventionnelle a permis de
minimiser les contentieux judiciaires et de fluidifier le marché du travail. En revanche, aucune étude ne met à jour
un effet sur les embauches, est-ce l’effet du contexte économique actuel ? Par ailleurs 80% des salariés ayant
conclu une rupture s’inscrivent à Pôle Emploi et donc dans la perspective, pour cette institution, de mettre en
œuvre une meilleure sécurisation des trajectoires professionnelle des salariés.
L’application des procédures par les employeurs confirme la flexibilité introduite : des refus d’homologation faibles
de l’ordre de 7%, moins de 10 % d’entretiens assistés par un tiers, une négociation des indemnités de rupture
limitée aux salariés les mieux rémunérés.
Si les études qualitatives évoquent une initiative majoritaire du salarié de l’ordre de 56 %, dans ce cadre 25% des
salariés évoquent une mésentente avec la hiérarchie comme cause principale de rupture, 23% des insatisfactions
liées aux caractéristiques de l’emploi, seulement 16% évoquent le fait d’avoir un projet professionnel ou personnel
ou un projet de formation.
QUEL BILAN DE L’USAGE DE LA RUPTURE CONVENTIONNELLE DEPUIS SA CRÉATION ?
Issue de l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2008 et de la loi du 25 juin 2008 « portant Modernisation du marché du
travail », la rupture conventionnelle (RC), inscrite dans le Code du travail, est entrée en vigueur le 1er août 2008. Elle n’est possible
que pour des contrats de travail à durée indéterminée (CDI) et représente une alternative à la démission et au licenciement.
Elle offre la possibilité à l’employeur et au salarié de convenir en commun des conditions de rupture du contrat qui les lie,
notamment de décider du montant de « l’indemnité spécifique de rupture conventionnelle ». Elle est entourée d’un certain nombre
de garanties pour le salarié (possibilité d’être assisté par un tiers, délai de rétractation de quinze jours, homologation par
l’administration du travail) et lui donne accès, dans les conditions de droit commun (notamment une durée de cotisation suffisante),
à l’assurance chômage.
Plus de six ans après l’entrée en vigueur du dispositif, des études et des exploitations statistiques permettent de dresser u n bilan
de l’usage de ce nouveau mode de rupture du CDI, d’expliquer le succès qu’il semble rencontrer et d’analyser dans quelle mesure
il répond aux objectifs qui lui étaient assignés par la loi (cf. encadré 1).
Connaissance de l’emploi Camille Signoretto Centre d’études de l’emploi
Nouveau mode de rupture du contrat de travail à durée indéterminée, la rupture conventionnelle a été introduite
en août 2008 et apparaît comme un succès, notamment dans les petites entreprises.
Les études se référant aux objectifs qui lui étaient assignés montrent que la rupture conventionnelle a permis de minimiser les
contentieux judiciaires et de fluidifier le marché du travail. En revanche, aucune étude ne met à jour un effet sur les embauches.
L’application des procédures par les employeurs confirme la flexibilité introduite : des refus d’homologation faibles, moins de 10 %
d’entretiens assistés par un tiers, une négociation des indemnités de rupture limitée aux salariés les mieux rémunérés. La « liberté
du consentement des parties » prévue par la loi1 ne peut toutefois se réduire à des procédures. Les études qualitatives évoquent
tout à la fois une initiative majoritaire du salarié et une insatisfaction face aux conditions de travail et d’emploi.
Le bilan esquissé ici révèle un usage du dispositif pour motif économique avec un risque pour le salarié de ne pas bénéficier des
dispositions d’indemnisation et de reclassement prévues dans le cadre du licenciement économique. Le succès de la rupture
conventionnelle pourrait conduire à une participation accrue de l’assurance-chômage à la sécurisation des parcours
professionnels.
1 Article L1237-11 du Code du travail.
LES OBJECTIFS AFFICHÉS DE LA RUPTURE CONVENTIONNELLE
Issue d’un accord national interprofessionnel (ANI) signé par les partenaires sociaux le 11 janvier 2008 (seule la CGT n’était pas
signataire), la rupture conventionnelle s’intègre dans un compromis plus large lié aux négociations de l’ANI.
Au vu des débats parlementaires et sénatoriaux autour de la loi d’août 2008 qui l’a instaurée, trois objectifs affichés peuvent être
identifiés (cf. Berta et al., 2012) :
1) Il s’agit en premier lieu de donner un cadre juridique formel à des ruptures déjà existantes, consensuelles (résiliations à
l’amiable, licenciements consensuels déguisant des démissions) ou négociées (licenciements suivis d’une transaction), autrement
dit d’encadrer ces types de rupture par une procédure juridique particulière et d’ouvrir des droits à l’assurance-chômage pour les
salariés concernés.
Concernant les transactions, l’idée soutenue par le ministre du Travail de l’époque, Xavier Bertrand, est même d’en démocratiser la
pratique, c’est-à-dire de les généraliser à tous les salariés et non pas de les réserver aux seuls cadres supérieurs. Ce premier
objectif est largement partagé par les organisations patronales et syndicales, ces dernières souhaitant par ce biais favoriser la
mobilité des salariés tout en sécurisant leur trajectoire professionnelle.
2) C’est ensuite la demande d’une sécurisation juridique des ruptures qui est en partie à l’origine de ce dispositif. Cet objectif,
soutenu par les organisations patronales, renvoie à la volonté de diminuer le contentieux judiciaire lors de la rupture du contrat de
travail, et par là même d’en atténuer sa conflictualité.
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3) Le dernier objectif est de fluidifier le marché du travail, dans le sens d’une simplification et d’une flexibilité accrue des règles du
droit du travail pour permettre une plus grande facilité d’embauche et de séparation. Il est particulièrement défendu par les
organisations patronales.
Encadré 1
l Les ruptures conventionnelles représentent 17 % des fins de CDI en 2013
De par ses caractéristiques, la rupture conventionnelle apparaît comme attrayante à la fois pour les employeurs et les salariés (cf.
graphique).
Pour les premiers : absence de motif à énoncer et de préavis, homologation de la convention par l’administration du travail sous
quinze jours, diminution du risque contentieux.
Pour les seconds : droit à l’assurance-chômage. C’est ce qui explique son succès rapide : 16 000 ruptures conventionnelles
homologuées par mois en moyenne dès 2009 et plus de 27 000 en 2014. Les ruptures conventionnelles représentent 17 % des fins
de CDI dans les établissements d’au moins un salarié en 2013, soit le troisième motif de fin de CDI après les démissions et les
licenciements pour motif personnel, mais avant les licenciements pour motif économique (Sanzéri, 2013). C’est surtout dans les
petits établissements (moins de 50 salariés) qu’elles sont conclues et dans le secteur tertiaire (Sanzéri, 2013).
Mais, face à ce succès et au fait qu’en moyenne 80 % des salariés ayant conclu une RC s’inscrivent à Pôle emploi, certains
commentateurs ont pu diffuser dans les médias l’idée d’un abus de son usage par les employeurs et salariés, au détriment de
l’assurance-chômage. Pourtant, l’un des objectifs affichés de ce dispositif (cf. encadré 1) était justement d’ouvrir des droits aux
allocations-chômage pour des formes consensuelles ou négociées de rupture du CDI. C’est ainsi l’ajout d’une nouvelle mission
à l’assurance-chômage, qui n’est plus seulement chargée de répondre au risque de chômage, mais doit aussi participer à
une meilleure sécurisation des trajectoires professionnelles des salariés.
Afin de mesurer et analyser l’atteinte des objectifs recherchés par la mise en place du dispositif, plusieurs indicateurs élaborés à
partir des données et études disponibles peuvent être mobilisés (cf. tableau 1).
l Des garanties procédurales peu effectives pour les salariés
La procédure de rupture conventionnelle devait, grâce aux garanties dont elle est dotée, pallier le manque de formalisme des
ruptures consensuelles ou négociées déjà existantes, tout en protégeant le salarié d’un éventuel vice de consentement, puisque ce
dernier est toujours en relation de subordination juridique vis-à-vis de son employeur au moment où l’accord intervient.
Or, si la portée de ces garanties, qui semblaient constituer de simples formalités administratives (cf. Berta et al.), était considérée
comme limitée en 2008, les statistiques disponibles aujourd’hui le confirment. En effet, très peu de salariés (7,4 % en 2011) sont
dans les faits assistés par une tierce personne. En outre, le taux de refus d’homologation est inférieur à 7 % depuis 2011 (Minni,
2013), sans que l’on sache si la procédure d’homologation a véritablement permis de vérifier le libre consentement du salarié.
Ainsi, les refus d’homologation sont essentiellement motivés par le non-respect de règles procédurales (indemnité de rupture
inférieure au minimum légal, non-respect du délai de rétractation et des règles d’assistance) et moins de 1 % d’entre eux est dû à
un constat d’absence de liberté de consentement.
l Des indemnités de rupture très inégales mettant à mal l’objectif de démocratisation des transactions
La volonté de démocratiser les transactions, exprimée par le ministre du Travail de l’époque, fait référence à la possibilité offerte à
l’ensemble des salariés, quels que soient leur catégorie socioprofessionnelle ou leur revenu, d’engager une négociation sur les
conditions de rupture du U de travail. Tout un processus de négociation est en effet à l’oeuvre dans ce dispositif : décision de
départ, choix de la rupture conventionnelle pour mettre fin au contrat (cf. Berta et al., 2012), montant de l’indemnité spécifique de
rupture versée au salarié (le minimum exigé par la loi est équivalent à l’indemnité légale ou conventionnelle de licenciement).
Pour apprécier la réalisation de cet objectif, le bilan quantitatif réalisé ci-dessous exploite les données statistiques existant sur les
indemnités de rupture conventionnelle2, en faisant l’hypothèse que, plus celles-ci sont élevées, plus le salarié a réussi à négocier
de manière avantageuse son départ, comme il aurait pu le faire dans le cadre d’un licenciement transactionnel. Les données
disponibles montrent une forte hétérogénéité : la moyenne de ces indemnités est égale à plus du double de la médiane qui divise
la population en deux groupes également répartis (cf. tableau 2).
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De plus, la faible différence entre cette médiane et l’indemnité légale de licenciement (0,20 mois de salaire par année d’ancienneté)
traduit le fait que la moitié des salariés reçoit une indemnité dont le montant ne s’éloigne vraisemblablement pas ou très
peu du minimum légal véritable (certaines conventions collectives offrant des conditions plus avantageuses que la loi).
Comparée à l’indemnité légale de licenciement, celle de rupture conventionnelle ne représente Un gain élevé que pour le dernier
décile de la distribution des salaires (médiane égale à 0,33 mois de salaire pour les salaires mensuels bruts d’au moins 2 500
euros ; cf. Minni, 2013). Seuls les salariés les mieux rémunérés, correspondant à des catégories socioprofessionnelles
supérieures, parviennent à négocier leurs indemnités de rupture conventionnelle, comme auparavant dans le cas des
licenciements suivis d’une transaction.
l Un mode de rupture sécurisé juridiquement pour l’employeur : un contentieux quasi inexistant
Si le salarié garde le droit de contester la rupture conventionnelle devant les conseils de prud’hommes, la procédure formelle qui
entoure celle-ci – notamment l’homologation de la convention –, ainsi que le délai de recours d’un an (vs deux ans en ce qui
concerne les licenciements pour motif personnel), ont pu laisser présager que les contentieux seraient rares. Ainsi, en se fondant
sur l’existence d’environ 1 000 cas de recours entre janvier 2009 et novembre 2014, et en doublant ce chiffre pour prendre en
compte les affaires qui n’ont pas donné lieu à un appel3, on constate que seulement 0,1 % des ruptures conventionnelles conclues
durant cette période a conduit à un recours devant les prud’hommes4.
Pour les seules années 2013 et 2014, ce taux de recours se situe vraisemblablement aux alentours de 0,2 %, ce qui répond bien à
l’objectif initial de sécurisation juridique.
Pour autant, cela ne signifie pas que ces ruptures ne trouvent plus leur origine dans un conflit avec l’employeur. La faiblesse du
contentieux s’explique plutôt par le fait que le litige, s’il existe, ne se traduit pas ou plus par une procédure juridictionnelle. Il est
d’ailleurs juridiquement possible de conclure une rupture conventionnelle alors même qu’un litige ou un différend existe entre le
salarié et l’employeur (cf. les arrêts de la cour de cassation du 3 juillet 2013 n° 12-19.268, ou du 23 mai 2013 n° 12-13.865).
2 Les statistiques disponibles proviennent de l’exploitation des montants inscrits sur les formulaires d’homologation des ruptu res
conventionnelles conclues en
2011 (cf. Minni, 2013).
3 D’après une recherche statistique sur la base JURICA exhaustive sur les cours d’appel, avec comme critère les mots « rupture
conventionnelle », « prudhommes
» et « homolog* » (soit homologation, ou homologué, etc.), 950 arrêts sont ressortis entre janvier 2009 et novembre 2014.
Néanmoins, certains contentieux
n’ont pas donné lieu à un appel après la décision du conseil de prud’hommes (CPH), ce chiffre est donc sous-estimé. C’est
pourquoi on lui applique le taux d’appel
des décisions rendues au fond par les CPH qui s’élevait à 64 % en 2012.
4 Pour les licenciements économiques, le taux de recours se situe entre 1 et 2 % ; celui des licenciements pour motif personnel,
entre 17 et 25 % (cf. Serverin, Valentin, 2009).
UN DISPOSITIF QUI INTENSIFIE LES SORTIES D’EMPLOI
Pour tester l’hypothèse d’une intensification des flux d’emplois due à la mise en oeuvre de la rupture conventionnelle, deux
groupes de 1 760 entreprises comparables ont été construits (à l’aide de la méthode d’appariement sur score de propension),
c’est-à-dire deux groupes qui présentent des caractéristiques observables
statistiquement semblables (même gestion de la main-d’oeuvre, mêmes performances économiques, même secteur d’activité,
etc.), mais qui se différencient par le simple fait que l’un a utilisé la rupture conventionnelle au moins une fois au cours de l’année
2009 et l’autre, pas. Il s’agit ensuite de comparer l’évolution des indicateurs de flux d’emplois, avant et après l’introduction de la
rupture conventionnelle, pour apprécier une différence significative entre les entreprises des deux groupes, qui pourrait s’expliquer
par l’usage du dispositif (méthode des doubles différences).
Les résultats montrent que le taux de sorties d’emploi dans les entreprises utilisatrices a augmenté plus rapidement entre 2008 et
2009 que celui des non-utilisatrices. De même, le groupe des entreprises utilisatrices a connu des destructions d’emploi (sorties
non compensées par des entrées) plus importantes entre 2008 et 2009, au-delà de l’effet de la crise observé pour l’ensemble des
entreprises (cf. Signoretto, 2013).
l Une probable fluidification du marché du travail
L’objectif de flexibilisation du marché du travail, assigné à la rupture conventionnelle, s’appuie sur les théories économiques
mettant en avant l’effet des coûts de séparation sur les flux d’emplois, des coûts qui contribuent à diminuer les embauches et les
séparations. Par ses caractéristiques (pas de motif à énoncer ni de préavis, homologation sous quinze jours, faible risque
contentieux), la rupture conventionnelle est moins coûteuse et moins incertaine pour les employeurs. Son utilisation devrait donc
intensifier les flux d’emplois. Cette hypothèse a été testée sur un échantillon d’entreprises entre 2006 et 2009 (Signoretto, 2013 ; cf.
encadré 2) à partir de données administratives et d’enquête (Emmo-Dmmo et EAE-Esane).
Si la portée des résultats obtenus reste limitée à un échantillon particulier de grandes entreprises et à une période de crise (20082009), cette étude valide l’hypothèse de la facilité de séparation apportée par la rupture conventionnelle : celle-ci a permis des
ruptures de contrat de travail qui n’auraient pas eu lieu sans son existence. Pour autant, cela ne signifie pas qu’elle ne se substitue
pas à des ruptures déjà existantes. Si l’étude ne montre pas d’évolution significativement différente des usages du licenciement
pour motif personnel et de la démission entre les deux groupes d’entreprises de l’échantillon durant la période 2006-2009, elle
étaye l’hypothèse d’une mise en oeuvre de la rupture conventionnelle pour raison économique : suppression du poste de
travail et non-recrutement ultérieur sur le poste. Cet usage est d’ailleurs reconnu comme légal par la jurisprudence (cf. l’arrêt de la
cour de cassation du 9 mars 2011 évoquant des ruptures conventionnelles qui « ont une cause économique »). Il laisse cependant
entrevoir un risque pour le salarié de ne pas bénéficier des dispositions d’indemnisation et de reclassement prévues dans le cadre
du licenciement économique.
Quant à l’effet de la rupture conventionnelle sur les embauches, tel que prédit par les théories économiques préconisant plus
de flexibilité sur le marché du travail, il reste difficile à évaluer. D’abord, parce que l’hypothèse selon laquelle faciliter les
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séparations permettrait d’accroître les créations d’emploi (l’entreprise créerait plus facilement un emploi sachant qu’elle pourra le
supprimer sans coût excessif) est une décision intertemporelle difficilement estimable d’un point de vue microéconomique. Ensuite,
parce que la rupture conventionnelle a été introduite à une période de crise peu favorable aux créations d’emploi. Un recul
temporel supplémentaire et un contexte économique meilleur seraient nécessaires pour juger du rôle moteur que pourrait jouer la
rupture conventionnelle en matière de création d’emplois.
l Des ruptures « plutôt choisies ou acceptées » par les salariés, mais pouvant refléter une fuite de la relation d’emploi
Selon l’enquête de la Dares effectuée auprès de salariés ayant signé une rupture conventionnelle entre avril et juillet 2011
(Bourieau, 2013), la mise en oeuvre du dispositif serait considérée comme résultant d’une « acceptation commune », pour
reprendre les termes du questionnaire, par 48 % des enquêtés, alors qu’elle serait « plutôt un choix des salariés » pour 38 %
d’entre eux, et un « choix de l’employeur » pour 14 %. Toutefois, 29 % des salariés estiment qu’en définitive ils ont été contraints
par leur employeur à quitter l’établissement, ce qui est bien supérieur aux 14 % indiqués précédemment. Selon une autre étude
qualitative étudiant 101 procé dures de rupture conventionnelle (Dalmasso et al., 2012), celle-ci serait, dans 56 % des cas, à
l’initiative principale du salarié, et dans 44 % des cas, à l’initiative de l’employeur.
Si ces statistiques laissent penser que la rupture conventionnelle résulte plutôt d’un choix des salariés, ce dernier reste ambigu.
Ainsi, Dalmasso et al. (2012) montrent que, lorsque ce mode de séparation est à l’initiative des salariés (56 %), les raisons du
départ sont de nature conflictuelle dans plus de la moitié des cas. Une autre étude confirme, du point de vue du salarié, que la
rupture conventionnelle peut être due à une insatisfaction liée à l’emploi ou aux relations de travail, plutôt qu’à un véritable projet
professionnel ou à une opportunité d’emploi future5 (Bourieau, 2013).
Si la rupture conventionnelle semble répondre à certains des objectifs qui lui étaient assignés lors de sa création (sécurité juridique,
facilité de départ), son usage révèle des comportements de la part des employeurs et des salariés qui posent question sur la
nature des relations sociales au sein des entreprises et sur la résolution des difficultés qui leur sont liées. En effet, la facilité de
séparation permise par la loi de 2008, autant pour les employeurs que pour les salariés, semble dissimuler des problèmes
inhérents à la relation d’emploi : mésentente, voire conflit, insatisfaction des conditions de travail, etc., qui ne sont pas réglés à
l’intérieur des entreprises. L’existence du dispositif ne facilite pas le débat sur les conditions et la qualité de la relation d’emploi,
alors même que ces problématiques peuvent en retour influencer les performances économiques des entreprises (productivité des
salariés, turn-over, etc.).
RÉFÉRENCES
Berta N., Signoretto C., Valentin J., 2012, « La rupture conventionnelle : objectifs officiels versus enjeux implicites », Revue
Française de Socio- Economie, 1/2012 (n° 9).
Bourieau P., 2013, « Les salariés ayant signé une rupture conventionnelle. Une pluralité de motifs conduit à la rupture de contrat
», Dares Analyses, n° 064.
Dalmasso R., Gomel B., Méda D., Serverin É., 2013, « Les raisons de rompre un CDI par rupture conventionnelle », CEE,
Connaissance de l’emploi, n° 97, janvier.
Minni C., 2013, « Les ruptures conventionnelles de 2008 à 2012 », Dares Analyses, n° 031.
Sanzeri O., 2013, « Les mouvements de main-d’oeuvre au 2e trimestre 2013. Hausse des entrées et des sorties », Dares
Indicateurs, n° 072,novembre.
Serverin É., Valentin J., 2009, « Licenciement et recours aux prud’hommes, questions de mesure », in Gomel, Méda, Serverin,
L’emploi en ruptures, Presses universitaires de Paris Ouest, Dalloz.
Signoretto C., 2013, « Rupture conventionnelle, destructions d’emplois et licenciements : une analyse empirique sur données
d’entreprises (2006-2009) », Document du travail du CES, n° 2013.69, octobre.
5 Plus précisément, 25 % des salariés évoquent une mésentente avec la hiérarchie comme cause principale de rupture et 23 %
des insatisfactions liées aux caractéristiques de l’emploi, alors que 16 % des salariés évoquent le fait d’avoir un projet
professionnel ou personnel, ou un projet de formation, comme cause principale de rupture.
Malgré le vote de la loi NOTRe, l’État n’entend abandonner aucune de ses compétences en matière
d’économie, d’emploi et de formation professionnelle
Alors que la loi NOTRe, dont il était annoncé qu’elle avait, entre autres, comme objectif de renforcer le pouvoir
économique des régions vient à peine d’être publiée, il est possible de se rendre compte que celle-ci n’est que très
marginalement une loi de décentralisation, et que l’Etat n’entend nullement cesser d’exercer des responsabilités
importantes dans les domaines de l’économie, de l’emploi et de la formation professionnelle
Pour ceux qui penseraient que cette loi se situerait dans une démarche de simplification et de décentralisation, il
suffit de lire la partie consacrée à ces sujets dans le document établi pour la réunion du Conseil national des
services publics du 9 juillet 2015 intitulé “Présentation des propositions issues de la concertation” dont la
première proposition est la suivante
Conforter le rôle et les missions de l’État en matière d’économie et d’emploi
Dans le champ du développement économique, il s’agit notamment de renforcer l’État dans ses fonctions
stratégiques afin qu’il puisse jouer pleinement son rôle d’impulsion et cible prioritairement ses actions. Aussi, un
certain nombre de propositions vont dans le sens d’un repositionnement des DIRECCTE afin de :
- Sur la fonction économique :
Clarifier la fonction économique de l’Etat au sein des territoires en adéquation avec la loi NOTRe
(1) renforcer la veille stratégique et la connaissance du tissu économique
(2) assurer les contrôles
(3) mieux organiser la fonction de relais et d’appui des politiques nationales, en lien avec les sous-préfets
facilitateurs.
Assurer la coordination des acteurs locaux tant sur le plan « défensif» (commissaire au redressement
productif, soutien aux entreprises en difficultés) qu’« offensif (accompagnement des projets d’investissement
d’intérêt stratégique).
- Sur le volet emploi :
Poursuivre la mise en œuvre de la réforme de l’inspection du travail, et articuler lesinterventions sur les politiques
de l’emploi autour de trois prioritésb:
(1) piloter les politiques d’intervention en faveur des demandeurs d’emploi
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(2) assurer l’animation stratégique de la nouvelle gouvernance issue de la loi du 5 mars 2014 relative à la
formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale
(3) refonder la relation avec les entreprises, et notamment les PME, autour du développement de l’emploi.
Alain Rousset qui avait dénoncé avec force une organisation fondée sur des doublons entre les services
déconcentrés de l’Etat et les services régionaux ne peut que constater que la loi NOTRe n’ pas changé grand chose
à cette situation
Dignes des raffarinades : les sapinades
Billet léger avant réouverture prochaine du magasin des billets plus sérieux. On se souvient des formules ineptes de Jean-Pierre
Raffarin,premier Ministre de mai 2002 à mai 2005 (date où il démissionna après l’échec cinglant du referendum sur le projet de
Traité Constitutionnel Européen). En fait on ne s’en souvient pas vraiment, on se rappelle juste qu’elles ont fait rire par leur vacuité
ou leur stupidité, au point que le terme « raffarinade » restera plus surement dans les mémoires que les « réformes » menées par
son gouvernement.
En voici quelques-unes, choisies dans une longue liste (voir la rubrique « Raffarinade » de Wikipedia). La première est la plus
connue :
• « Notre route est droite, mais la pente est forte »
• « Il vaut mieux un bilatéral approfondi qu’un multilatéral confus »
• « Il est curieux de constater en France que les veuves vivent plus longtemps que leurs maris »
• (À Bernadette Chirac) « Merci de nous montrer que la victoire n’est pas facile, qu’elle se gagne étable par étable, commune par
commune »
• « L’avenir est une suite de quotidiens »
• « Les jeunes sont destinés à devenir des adultes »
• « Il faut avoir conscience de la profondeur de la question du sens »
Eh bien, notre actuel Ministre des finances, Michel Sapin, est bien parti pour prendre la relève. Raffarin disait « Je ne suis pas
énarque, je parle directement comme je suis » (sic). Michel Sapin, lui, est énarque (de la fameuse promotion Voltaire), mais pour
ce qui est des formules creuses, il n’est pas mal non plus.
Première sapinade, inspirée de la méthode Coué, en décembre 2013 : “Les chiffres du chômage au mois le mois, ça baisse puis ça
monte. Ce qui compte, c’est comment ça bouge, et la tendance est une tendance à la baisse. » Si l’inversion de la courbe du
chômage avait commencé fin 2013, ça se saurait…
Une deuxième en 2014, qui lui a valu les encouragements au prix 2014 de l’humour politique : “Quand on ne va pas assez loin,
c’est déjà qu’on va quelque part”. En passant, la même année, François Hollande avait lui aussi été primé pour cette saillie qui fait
honneur à la promotion Voltaire de l’ENA : « « Quand ça va bien, on devrait se rappeler que ça ne va pas durer. Et quand ça va
mal, on peut penser que cela pourrait aller plus mal ou que ça ne va pas durer. »
La troisième en mai 2015 : “Le pouvoir d’achat des Français s’est amélioré même s’ils ne s’en rendent pas compte.” Il y a
décidément beaucoup d’améliorations dont les Français, ce ramassis d’ingrats, ne se rendent pas compte.
Mais les plus stupides sont les dernières, il y a quelques jours sur France Inter, car on ne peut même pas y déceler une dose
d’humour, juste un énorme embarras conduisant à dire n’importe quoi et finalement à se moquer du monde :
D’abord ce sommet de l’économie politique post-croissance : “Une croissance nulle conforte nos objectifs en matière de
croissance”.
D’ici peu, Michel Sapin nous proposera d’aller chercher la croissance zéro avec les dents.
Puis cette évocation poétique de nouveaux rivages :
« Avec 1% de croissance, on commencera à aborder les rivages qui permettront de faire reculer solidement le chômage ».
En langage vulgaire on parlerait de foutage de gueule, quitte à fournir une référence littéraire pour atténuer le côté vulgaire : «
C’était tellement absurde que quelques spectateurs furent pris d’un rire nerveux. Voilà qui offrait enfin la possibilité de considérer
tout ce discours comme un immense foutage de gueule. » (Jonathan Coe, Bienvenue au club, Gallimard, 2011).
Enfin cette pure raffarinade : « Si nous voulons réussir, il ne faut pas zigzaguer. Il faut maintenir le cap ». Michel Sapin n’a pas dû
pratiquer les sports de voile…
Emploi dans les associations : des chiffres contradictoires
de Jacques Dughera, le 14 août 2015
Les évolutions de l’emploi dans les associations sont difficiles à cerner dans la période présente. Les collectivités
locales, sous contrainte financière et sans réel débat politique, sauf exception, diminuent leur subvention en
direction des associations. Parallèlement depuis 2011, le nombre de marchés publics diminue : 4 milliards en
moins en 2013, soit une diminution de 6673 contrats initiaux.[1] Comme les pouvoirs publics avaient tendance à
remplacer la subvention par les marchés publics, c’est donc la double peine pour les associations.
Certes toutes les associations ne réalisent pas des activités économiques et ne sont pas concernées par les
marchés publics. La diversité associative est telle qu’il faudrait éviter de raisonner en moyenne.
C’est la principale critique que l’on peut adresser au document de Recherches et Solidarités publié en juin 2015
« les associations face à la conjoncture ». Cette note conclut que l’emploi associatif progresse année après année,
semblant contredire les évolutions constatées sur le terrain.
Mais cette approche globale ne permet pas de distinguer entre secteurs et surtout tailles d’associations. Cette
approche masque la bipolarisation des structures associatives, avec d’un côté quelques milliers de grandes
entreprises associatives qui ont pour la plupart une logique d’entreprise et de croissance externe et de l’autre une
masse de petites associations sans beaucoup de moyens et d’associations moyennes. Les travaux de Viviane
Tchernonog démontraient pourtant que ce sont ces associations moyennes qui subissent aujourd’hui de plein fouet
l’évolution négative de l’emploi associatif. Une évolution de l’emploi associatif total oscillant entre +0,1 % et 0,1% chaque trimestre correspond, en réalité, à une stagnation. En effet, 0,1 % de 1 800 000 emplois corespond
à 1800 emplois, ce qui est inférieur à la marge d’incertitude des estimations. A contrario, la note de Recherches
et Solidarités évoque 250 000 associations dans les secteurs de la santé, du social, des loisirs, de la jeunesse et
l’éducation populaire qui sont en extrême difficulté et risquent de disparaitre.
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Nous savons en effet aussi que l’emploi associatif est de plus en plus précarisé sous l’effet de la politique publique
des contrats aidés et des emplois d’avenir.
L’emploi total associatif a ainsi augmenté de 1,3 %, du 3emme trimestre 2013 au 3emme trimestre 2014, ce qui
correspond au lancement des emplois d’avenir. 62 000 emplois d’avenir ont été créés. Les emplois d’avenir
s’adressent à des jeunes sans emploi ou faiblement qualifiés, qui connaissent des difficultés d’insertion dans la vie
active. Ils ont une durée d’un à trois ans maximum. Cela signifie que ces 62 000 jeunes employés temporairement
vont se retrouver, parfois dès cette année, en recherche d’emploi.
En conclusion, à coté des productions d’acteurs privés, il nous faudrait une observation publique et pérenne de
l’emploi associatif pour pouvoir apprécier tant l’évolution de la quantité que de la qualité de l’emploi associatif.
Le rapport « la France associative en mouvement » et encore plus l’enquête en préparation sous les auspices de
l’INSEE, dès lors que ces productions ne seraient pas ponctuelles mais bien régulières, pourraient constituer
l’ossature d’un véritable observatoire public. Le Conseil national des CRESS dans sa fonction d’Observatoire,
reconnue par la loi relative à l’ESS, ne pourrait il pas être l’opérateur de cette observation permanente en lien
avec l’INSEE ?
[1] Lettre DAJ n°32 avril 2015
Ne laissons pas l’économie collaborative au capitalisme sauvage
de Hugues SIBILLE, le 13 août 2015
L’affaire Uber en est une preuve évidente : économie collaborative et économie coopérative ne sont pas synonymes. Elles ne
doivent plus être confondues. L’économie collaborative, récente, est selon wikipedia “une activité humaine qui vise à produire de la
valeur en commun, en s’appuyant sur une organisation horizontale, rendue possible par les plateformes internet; elle privilégie
souvent l’usage sur la possession”.
Ici commence une forme de mystification : supprimer les intermédiaires ne veut pas dire mettre en commun la valeur créée. C’est
l’inverse qui se produit : les plateformes internet sont souvent des entreprises à forme capitaliste qui accaparent une valeur
financière créée (AirBnB introduite en Bourse pour 8 Milliards de dollars) en partie grâce au fait qu’elles n’ont pas à investir dans
les biens utilisés (voitures, appartements, etc). Pire, ces firmes captent, s’approprient et concentrent des masses énormes de
données, sur des systèmes d’information fermés et privés. Les usagers n’ont là aucun pouvoir sur la gouvernance ni retour sur les
résultats économiques.
C’est donc l´exact opposé de l’économie coopérative, beaucoup plus ancienne, qui repose sur des groupements de personnes et
non de capital, dans lesquels les usagers ou les salariés (ou les deux) ont le pouvoir sur l’entreprise (une personne égale une voix)
et se partagent les résultats après avoir fait des réserves. Chez Uber les résultats repartent dans la Silicon Valley après un
passage par les bermudes pour échapper à l’impôt.
Le moment est amplement venu pour le monde coopératif et plus largement celui de l’économie sociale et solidaire, de passer à
l’offensive, car il y a évidemment du bon dans ces approches collaboratives qui permettent à chacun de devenir acteur et de
partager des usages. Nous devons concilier coopératif et collaboratif en travaillant, vite, dans trois directions.
D´abord rendre les choses plus lisibles pour les usagers en proposant des circuits courts coopératifs, répondant à des exigences
conformes aux valeurs de l’Économie sociale et solidaire. Le Labo de l’ESS a rédigé une Charte des circuits courts économiques et
solidaires reposant sur 4 critères : le lien social établi entre les usagers, la coopération structurant une communauté d’intérêts non
fondée sur la rémunération du capital, la transparence des informations données et l’équité pour une juste répartition des
rémunérations en fonctions des contributions de chacun. On voit immédiatement que Uber et AirBnB ne pourraient signer cette
charte et se revendiquer de circuits courts coopératifs…
Ensuite mettre en place des stratégies de conquête entrepreneuriale de cette nouvelle économie de la fonctionnalité. Ne laiss ons
pas le capital envahir et prendre le contrôle de la totalité de l’économie du Nouveau Monde Digital. Nous devons créer des
coopératives collaboratives dans les secteurs du tourisme, de la mobilité, de l’alimentation, de la santé, de l’éducation, du
crowfunding… La Maif l’a compris qui vient de créer Maif Avenir, structure dédiée au financement de l’innovation, du digital, et de
l’économie collaborative. Il y a urgence à mettre en place des stratégies de filière que la Loi ESS rend possibles et de nouveaux
outils financiers (FPCI Impact Cooperatif) rendent finançables.
Enfin occuper résolument le terrain de l’open data, des logiciels libres et de la révolution digitale, pour ne pas laisser se concentrer
les données entre les mains de firmes internationales. Nous pouvons devons créer des coopératives de données dont la
valorisation profite à tous. L’ESS doit rapidement établir les liens qui s’imposent avec l’approche des Biens communs.
Conjuguons collaboratif et coopératif pour que la révolution digitale soit porteuse de progrès social et non de désintermédiation
sauvage.
Article publié dans La Croix du 20 juillet
Pour un management au plus près du travail
Par Michel Tavernier | 17/07/2015, 14:17 | 477 mots
L'évidence est là : le management ne parvient plus à jouer son rôle de courroie de transmission. Il est temps de
replacer le travail au cœur de la vie de l'entreprise et de sa stratégie pour que la fonction management puisse s'en
ressaisir. Par Michel Tavernier, directeur de l'Agence Rhône-Alpes de valorisation de l'innovation sociale et
d'amélioration des conditions de travail (Aravis).
D'un côté, des entreprises qui cherchent à s'insérer dans une économie mondiale de plus en plus ouverte et
constatent la difficulté d'être agiles, innovantes ou de satisfaire aux exigences financières à court terme. De
l'autre, des salariés à la recherche d'un travail source d'expression de leur identité, mais qui ne parviennent pas
toujours à faire un travail de qualité, manquant de reconnaissance, parfois en mal-être.
Le management ne parvient plus à jouer son rôle
Classiquement, la fonction management concourt à relier les différents niveaux de l'entreprise et à réduire les
écarts entre « le haut et le bas ». Courroie de transmission et force de régulation, l'encadrement intermédiaire doit
en effet traduire les orientations de la direction et les ajuster à l'activité. Il contribue ainsi à articuler les exigences
du marché, de la production et du travail et à favoriser l'élaboration des compromis quotidiens gagnant-gagnant.
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Mais l'évidence est là : le management ne parvient plus à jouer ce rôle. Que voit-on à la place ? Des manageurs
éloignés du terrain à force de reporting, engagés dans la conduite du changement sans marges de manœuvre,
manquant de temps pour comprendre le travail et soutenir les équipes, démunis pour gérer les inévitables
contradictions de l'activité, etc.
Le travail n'est plus ainsi le fil rouge
Que s'est-il passé qui explique ce glissement du rôle des manageurs ? Absent de la stratégie de l'entreprise, le «
travail » - dans ses différentes dimensions : son organisation, sa qualité, ses conditions de réalisation, etc. - n'est
plus au cœur de la création de valeur. Il a disparu du langage des décideurs. Les processus de gestion générés par
la financiarisation de l'économie le masquent. Conçu « en haut », sans prise en compte des conditions nécessaires
pour le réaliser, le travail n'est plus ainsi le fil rouge de la relation direction-manageur-équipe.
Replacer le travail au cœur de la vie de l'entreprise
Replacer le travail au cœur de la vie de l'entreprise et de sa stratégie requiert que la fonction management puisse
s'en ressaisir afin de jouer pleinement son rôle d'interface et de régulation. Un point essentiel pour conjuguer au
mieux les attentes des parties prenantes : d'un côté, les envies de développement et les rêves stratégiques, de
l'autre, les réalités et les limites de toute activité humaine.
À condition d'être relié au travail - et d'avoir les moyens de l'être - le management a ainsi un rôle à jouer pour
aider l'entreprise à faire les meilleurs choix : des choix pertinents stratégiquement et faisables opérationnellement.
À la fois favorables à la performance et à la qualité de vie au travail. Et pour cela, il ne faut pas nécessairement
moins de management, comme certains le réclament, mais davantage de management du travail.
Europe : le déni de soi
Dimanche 16 Août 2015 à 5:00
Paul Thibaud
Historien et philosophe, ancien directeur de la revue Esprit.
Austérité inefficace et crise en Grèce, performances médiocres de l'euro, absence de politique extérieure et repli sur soi fa ce aux
migrations... Pour le philosophe Paul Thibaud, l'Institution Europe doit sortir de son narcissisme pour faire son bilan.
L'efficacité de la politique que l'on fait ingurgiter aux Grecs n'est aucunement garantie [3]. Selon Joseph Stiglitz (le Monde du 25
juin), comme selon l'analyse de Marie Charrel - également dans le Monde -, ils ont subi des baisses de dépenses publiques et des
baisses de salaire équivalentes à ce qu'ont accepté les « meilleurs élèves » de l'Union. Ce qui les distingue, et les accule, c'est la
baisse d'un quart de leur PIB qui s'en est suivie. Au moins dans leur cas, la politique à l'européenne a échoué. Mais la doctrine dit
que, si on le prolonge, le traitement ne manquera pas d'être efficace. En fait, il ne s'agit pas d'efficacité, il s'agit qu'ils se mettent en
règle. Son formalisme rend l'Europe infalsifiable.
Au premier degré, ce fétichisme des règles tient à l'embrouillamini institutionnel dans l'Union : les compromis décisionnels
sont sacralisés parce qu'ils ont été difficiles à obtenir. Comme tout le monde y a mis du sien, ils sont le bien commun, le lien,
l'astreinte et le point d'honneur d'une classe politique multinationale. Cette complexité dans un cadre mal défini fait que la décision
elle-même importe plus que son contenu. A cette prépondérance de la procédure sur les effets, la classe politique européenne
trouve bien des avantages [4] : la rétribution pour avoir abouti est immédiate, alors que les inconvénients sont éventuels et à venir.
De plus, ce qu'il y a de sacrificiel dans l'européanisation de l'exercice du pouvoir lui ajoute une aura de moralité.
Formalisme et narcissisme caractérisent une institution dont toute l'énergie est consommée par son fonctionnement. Les
problèmes de l'Europe tiennent à sa nature même, mais quelle est cette nature ? Jadis, Jacques Delors a qualifié l'Europe d'« objet
politique non identifié ». Cette formule correspondait à une interrogation alors récurrente : fédération ou confédération ? L'étonnant
est que le débat que semblait ouvrir Delors n'a jamais eu lieu et qu'on a cessé de se poser la question de l'objet européen. Son
absence d'identité est devenue une sorte d'identité.
On a longtemps cru que cette indétermination était provisoire, en attendant, pensaient certains, le passage de
l'intergouvernemental à la vraie fédération. Depuis 2005 au moins, on n'espère plus le saut fédéral. On vit dans un entremêlement
d'Etats qui se compromettent ensemble dans des politiques qu'ils assument plus ou moins. Ce triomphe de l'immanence sur le
projet se traduit par un centrement sur soi, la perte du sens de l'avenir comme celle du sens du monde extérieur. L'Europe n'a pris
conscience qu'elle avait un Sud et un Est que lorsque de nouveaux partenaires ont sonné à sa porte. Depuis, elle répète qu'il faut
s'adapter, mais l'idée d'anticiper les évolutions du monde ne lui était pas venue.
Après la crise grecque, devant l'échec d'une pratique enfermée dans des règles sommairement uniformes, et mal justifiées,
après le choc ressenti quand (encore une fois) s'affiche le mépris de la dignité des peuples, l'Europe devrait chercher un autre type
d'entente. Ce serait le moment qu'elle se définisse autrement que comme une habitude ancrée, qu'on la caractérise comme
institution, comme projet d'avenir pour le monde. Ce serait le moment, mais il y a peu de chances qu'on le fasse, faute de franchise
devant les enjeux, faute en particulier d'une réflexion sur le rapport aux nations qui la constituent. Pour sortir de la situation où elle
est encalminée, l'institution Europe devrait affronter les questions qu'elle a jusqu'à présent jugé habile de réserver : faire son bilan,
et surtout sortir de la croyance qu'une providence la préserve pour s'interroger sur la dynamique qui la détermine et/ou l'entrave.
Encore une fois, sortir de son narcissisme.
De l'euro, certains attendaient des merveilles. Au bout de quinze ans, la performance économique de la zone est
particulièrement médiocre. Mais on répète que les « réformes exigées », avec leur effet dépressif, sont nécessaires pour faire
entrer dans la mondialisation des pays endormis dans l'Etat de bien-être. Cette apologie rencontre aussitôt un paradoxe et une
objection. Le paradoxe, c'est qu'après des décennies vouées à une vaste ambition nous recevions, plus que jamais, la leçon de
l'extérieur, au point que l'Europe apparaît souvent comme un relais de la mondialisation. L'objection, c'est que la mise à la raison
des peuples par une contrainte externe organisée n'est peut-être pas la meilleure méthode de modernisation, qu'il y a lieu de
s'interroger sur ses effets politiques, sociaux et même économiques, surtout s'il s'ensuit une course à l'austérité entre nations.
Non seulement la performance économique de l'Europe est médiocre, mais son absence de politique extérieure est accablante.
Les migrations à travers la Méditerranée font rétrospectivement apparaître scandaleux le long repli sur soi de l'Europe. Mais la
critique la plus dévastatrice de notre genre d'union ne concerne pas ses effets, mais sa manière d'être. Le mode européen de
gouvernance institue une séparation entre l'exercice du pouvoir et les peuples (séparation que les contempteurs des référendums
nationaux avalisent sans état d'âme). C'est là une cause déterminante de la montée des populismes et du discrédit de la politique,
de son personnel comme de ses procédures. La crise grecque a même fait apparaître un effet plus pervers d'un système qui
implique les peuples en préjugeant de leur consentement, ou en le forçant. Se sont manifestés aussi à cette occasion des
préjugés, des prétentions, des rancœurs, des idées de soi et des autres qui couvaient sous l'uniformisation des règles. Ces
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particularismes agressifs, la participation à une vie politique commune permet de les surmonter quelque peu dans le cadre
national, mais pas dans un simple espace de coréglementation. Il se peut même que la coexistence rapprochée sous un pouvoir
éloigné génère de l'hostilité, du chauvinisme, des consciences de supériorité... Le système européen d'interactions subies, sous un
pouvoir étranger aux peuples, évoque ce que furent les empires. Ce rapprochement n'a rien d'encourageant. Si Rome a su intégrer
les dieux et les élites des peuples soumis, ce n'a pas été le cas des empires modernes. C'est même dans la zone de ces empires
(Empire ottoman, Autriche-Hongrie) que les tensions ethniques sont aujourd'hui les plus vives, des peuples privés de participation
au pouvoir n'ayant pas pris de distance avec leur fond ethno-religieux.
La crise grecque est un moment de vérité pour la sorte de coopérative de bureaucraties nationales qu'est l'Europe : ni
fédérale ni confédérale, mais quasi impériale. Non seulement les Etats voués au grand œuvre ont dû restreindre leur pouvoir e t
leurs perspectives, mais les peuples, politiquement externalisés, sont portés à craindre ou à mépriser des voisins proches mais
étrangers, avec lesquels ils vivent une sorte de promiscuité. Cet aboutissement est l'effet d'une longue pratique, celle de bâtir
l'Europe en contournant le politique. De cette méthode, Jean Monnet a été le premier maître d'œuvre. Au politique, voué selon lui
aux passions irrationnelles, il a opposé le rapprochement et la conciliation des intérêts par les débats entre experts. La logique
aurait été le gouvernement de l'Union par la Commission. Cette utopie ne s'est pas réalisée, mais il en est resté une manière
d'anticiper les accords sur le fond en créant des situations (l'euro, par exemple) qui doivent obliger les responsables à décider
ensemble, donc à resserrer l'unité. En Europe, l'existence, croit-on, détermine non seulement la conscience, mais aussi la volonté.
La carence de politique à quoi renvoient toutes les faiblesses de l'Europe a été clairement désignée par Jürgen
Habermas parlant de « dissolution du politique dans la conformité au marché » et du « déficit institutionnel fondamental » révélé
par la crise grecque, à savoir le manque « d'une perspective permettant la constitution d'une volonté commune des citoyens » (le
Monde du 25 juin). Habermas ne dit pas comment passer du patriotisme national au patriotisme européen, mais il récuse la
méthode aujourd'hui à bout de course, la croyance naïve (idéologie ou paresse) que le patriotisme européen ne peut manquer
d'apparaître, comme un champignon sur une pelouse, quand les patriotismes nationaux auront été suffisamment rabaissés et
intriqués. On oublie ainsi qu'inventer un sujet politique, c'est inventer un acteur, donc qu'il y faut un geste positif, une vue de
l'avenir, une anticipation, non une conformation. Une flagrante contradiction afflige la pensée européenne standard, celle de croire
qu'une grande création politique peut passer par un point bas, voire un point zéro, de la politique, en l'occurrence par un congé
désinvolte donné à la nation, donc à ce qui est sans doute la principale invention de l'Europe.
Le narcissisme de l'institution européenne, sa difficulté à ne se rapporter à aucun extérieur, donc à aucun projet, apparaîtra
excusable à qui considère que l'Europe instituée vaut par ce qu'elle est supposée remplacer, les nations européennes. Considérée
dans une perspective longue, cette impatience à sortir de l'époque des nations est absurde. L'Europe des nations (ce petit bout de
continent) a vu pendant des siècles naître et s'affirmer cinq ou six grandes cultures, échangeant et s'affrontant. Mais, de cet exploit
sans équivalent, de cette variété productive, c'est à peine si les Européens actuels sont conscients, les catastrophes du XXe siècle
les ayant séparés de ce grand passé. En tout cas, au sortir du XXe siècle, ils ne se sont pas sentis capables de bâtir un nouvel
équilibre entre la diversité créatrice et l'exigence universaliste. Par faiblesse spirituelle, ils se sont enfermés dans la négativité. Au
lieu de vouloir, ils ont préféré se délester ; ils se sont voués à une sorte de pragmatisme négatif, rongeur de ce à quoi, le sachant
ou non, ils tenaient, pragmatisme qu'ils ont associé à un idéalisme tout aussi négatif, souvent pénitentialiste. Ils ont pensé faire leur
salut en se déniant. Le choix de cette voie, de cette sortie par le bas, révèle un fond de lassitude, voire une détestation de soi, une
soif de se désavouer qu'il reste à comprendre, et à surmonter.
Jacques Billard : "On naît en république, mais on apprend à devenir républicain"
Mercredi 12 Août 2015 à 6:00
Philippe Petit
Jacques Billard : "On naît en république, mais on apprend à devenir républicain"
En ce mois d'août, "Marianne" se replonge dans ses archives estivales. Eté 1998, le triptyque : Education,
République et programme scolaire faisait déjà débat...
Où en est-on, aujourd'hui, de l'instruction civique à l'école ?
C'est une matière qui est enseignée dans le primaire et dans les collèges, assez peu dans les lycées et pas du tout
dans le post-baccalauréat. D'abord on ne dit plus «instruction civique» mais «éducation civique». Autrefois on
disait «instruction civique et morale». Mais aujourd'hui on préfère - hélas ! - parler d'éducation et le mot morale a
disparu.
Pourquoi hélas ? L'éducation n'est-elle pas préférable à l'instruction ?
En apparence, oui, mais en fait, non. L'éducation, c'est l'exhortation. On essaie de convaincre les enfants de bien
agir. L'instruction; c'est la compréhension. On leur demande de comprendre pourquoi il faut bannir tel ou tel
comportement. Il est vrai que la plupart des éducateurs font en fait de l'instruction, de sorte que cette querelle de
vocabulaire peut paraître un peu vaine. Mais il peut être bon de rappeler que la mission de l'école est d'éduquer
par l'instruction, c'est-à-dire en faisant principalement appel à la capacité de comprendre et non de se satisfaire de
la seule exhortation.
Et la disparition du mot morale ?
J'ai moi-même posé la question, en leur temps, aux responsables des programmes. C'était en 1985. Il m'a été
répondu que c'était un mot qui ne «passait» plus et que, de toute façon, il était compris dans le mot «éducation».
Il est très regrettable que les responsables de l'Education nationale hésitent à employer les mots essentiels de
l'éducation. Il faut que l'Education nationale assume hautement l'idée morale.
On n'enseigne plus la morale dans l'Education nationale ?
Je vais certainement scandaliser nombre d'instituteurs et de professeurs en disant qu'en effet on n'enseigne plus
guère la morale car ils ont l'impression, eux, de le faire. Pourtant, c'est moins la morale qui est enseignée que les
règles de la vie en commun. En outre, ces règles sont enseignées par la pratique plus que par la prise de
conscience de leur nécessité. On fait exercer des petites responsabilités, on organise des débats
«démocratiques»... Tout ceci est intéressant et utile, mais je ne suis pas sûr qu'on entre ainsi dans l'univers de la
morale. La morale suppose la considération du bien ou de la rectitude, dont il faut avoir une véritable conscience.
C'est une affaire d'intériorité plus qu'un réglage des rapports à autrui.
Que pensez-vous des manuels actuels d'éducation républicaine ?
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Ah ! Il faudrait que vous me les montriez. Je n'en connais pas. Il existe de nombreux manuels qui font découvrir
les principales institutions politiques, souvent par des méthodes d'enquête, comme s'il s'agissait là d'une science
d'observation. On ne peut pas parler d'éducation républicaine. Pour qu'il y ait éducation républicaine, il faudrait
que les institutions politiques soient rapportées à leurs principes essentiels: souveraineté, séparation des pouvoirs
et garantie des droits. Puis, à partir de ces principes, rendre compte des institutions existantes en montrant le
processus historique qui les a produites. Eventuellement en signalant leur perfectibilité. Mais une pure description
des institutions existantes donne une impression d'arbitraire et d'inutilité.
Les programmes d'instruction civique ont-ils énormément varié de la IIIe République à nos jours ?
Oui. Les programmes de la IIIe République étaient républicains et moralisants. Ceux de nos jours sont
démocratiques et socialisants. Il faudrait les deux. Mais revus. C'est-à-dire une morale non moralisante et une
approche politique aussi bien démocratique que républicaine. Mais, évidemment, ce serait un peu long à
développer. La difficulté vient de ce qu'un tel programme nécessite une sorte de consensus dans le pays. Or, cette
matière est sensible et tout programme sera nécessairement violemment critiqué. Pour l'établir tout de même, il
faudrait que le pouvoir politique s'y engage résolument et prenne le temps, par des débats publics, de susciter ce
consensus. Car je suis sûr qu'en France un tel consensus peut se trouver.
Certains parlent aujourd'hui d'école citoyenne, voire de contrat de citoyenneté au sein des lycées.
N'est-ce pas là une manière d'échec que de vouloir imposer le civisme à l'école ?
En tout cas, il y a un risque de malentendu. J'ai l'impression que ce qu'on entend aujourd'hui par civisme, c'est le
fait de respecter le matériel public, ne pas couvrir les murs de tags, etc. Tout ceci est très bien, très utile, et il faut
y arriver. Mais ce n'est ni de l'éducation civique ni de la morale. L'éducation civique forme le citoyen et un citoyen
bien formé respecte le mobilier urbain. On ne parviendra jamais au civisme en cherchant à faire l'économie de la
formation du citoyen et de la formation morale. Et si l'on réalise correctement l'un et l'autre, on aura résolu la
question du civisme. Et bien d'autres problèmes. Le ministère actuel avait eu une bonne idée, il y a, je crois, un
an: un enseignement civique dans les lycées. Le premier objet de programme n'était pas mauvais...
Malheureusement il est passé à la trappe à la suite d'innombrables frilosités dont l'Education nationale a le secret.
Dommage.
Pourquoi y a-t-il si peu de symboles républicains dans les écoles et les universités nouvelles ?
Tout simplement parce qu'il y a quelques années la mode était au dénigrement et à la négation de la France, au
refus de la nation française, etc. De sorte que les symboles de la République ont été récupérés par l'extrême
droite et qu'il est maintenant difficile de les lui reprendre. Pourtant, on pourrait. La Marseillaise a été chantée
spontanément par tous lors de la Coupe du monde et il n'y a plus que quelques intellectuels dépassés et vieillis
pour refuser que la France ait de l'allure. Mais les Français, dans leur majorité, aiment leur pays et y croient ! Il
faudrait, de la part des intellectuels, peut-être, une action résolue en vue de réinstaller non seulement les
symboles mais aussi les grands noms qui ont fait la nation. Et ne pas laisser l'extrême droite en faire son profit.
samedi 15 août 2015
Ce 0% de croissance qui conforte Hollande
L’annonce d’une croissance zéro a été vue comme une « douche froide » et la ligne de défense de Michel Sapin a suscité l’ironie
généralisée dans les médias. Pourtant, à y regarder de près, ce chiffre est loin d’être aussi mauvais qu’il n’y paraît, à l’inverse de la
bonne surprise du premier.
Une baisse qui cache une stabilité
Bien sûr, au premier trimestre, le PIB a progressé de 0,7% selon les chiffres révisés, ce qui fait apparaître la stabilité du second
trimestre comme un fort retournement de tendance. Cependant, chose ignorée par les économistes interrogés par le Figaro, si on
exclut les variations de stocks (qui ont contribué à hauteur de 0,3% à la croissance du premier trimestre et -0,4% au second
trimestre), il en ressort qu’hors variations de stocks, la croissance a été stable, à 0,4% sur les deux premiers trimestres de
l’année. En clair, la bonne performance du premier trimestre venait d’un phénomène de stockage et la contre-performance du
second vient du déstockage, comme je l’avais prévu il y a trois mois
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Les dynamiques du second trimestre sont très contrastées. L’investissement rechute encore sensiblement, même s’il faut noter
que les chiffres du premier trimestre ont été révisés à la hausse. Le commerce extérieur contribue de manière positive, à hauteur
de 0,3%, reflétant sans doute les bénéfices de la baisse de l’euro et du pétrole, la croissance de la consommation étant limitée.
L’acquis de croissance pour 2015 est de 0,8%. En outre, le fort mouvement de déstockage du 2 ème trimestre devrait logiquement
provoquer un mouvement inverse de stockage au 3 ème trimestre (traditionnel avant les fêtes de fin d’année). La croissance devrait
donc être positive au prochain trimestre et l’objectif atteint pour 2015.
Statistiques et myopie
Non sans ironie, les réactions un peu rapides des uns et des autres (dans une période qui y est favorable), illustrent bien le papier
d’hier sur cette société myope, qui ne semble même pas capable de regarder les chiffres communiqués par l’INSEE, qui
relativisent grandement le 0% de croissance du second trimestre, pour qui passe ne serait-ce qu’une minute à les étudier. Bien
sûr, cette croissance est tout aussi insuffisante qu’illusoire, qu’inégale ou temporaire, mais la conclusion à tirer de ces résultats du
second trimestre est que la trajectoire de croissance pour 2015 et 2016 semble bel et bien se confirmer, malgré toutes les limites
que l’on peut toujours y voir, notamment sur les investissements.
La reprise illusoire que j’annonce depuis quelques temps se réalise. Et ceux qui voient dans la dévaluation du yuan un signe de
faiblesse (bien qu’elle soit trois fois moins importante que celle de l’euro), devraient méditer le fait que la baisse de l’euro a permis
à nos exportations de progresser légèrement plus rapidement que les importations, cassant (momentanément) la dégradation de
notre solde commercial, et améliorant ainsi notre croissance. Ce faisant, même si on peut le regretter, il faut bien comprendre que
ce vent plus porteur sera sans doute un atout non négligeable pour Hollande en 2017, qui pourra s’appuyer sur un léger regain de
croissance en fin de mandat pour en solliciter un autre.
Contrairement à ce que des analyses trop rapides indiquent, ces résultats ne sont pas mauvais. Ils confirment la légère reprise de
l’activité, tendant sur une croissance de 1,5% en rythme annuel, hors phénomène de stocks. Et il est probable que les chiffres du
3ème trimestre seront bons.
LE 3ème PLAN DE ROULEMENT DE LA DETTE GRECQUE, par François Leclerc
Un simple Eurogroupe a suffi pour avaliser dans l’urgence un 3ème plan dont Wolfgang Schäuble a estimé qu’il
serait « totalement irresponsable de ne pas utiliser cette chance » ! Exit la « sortie provisoire » de l’euro, la Grèce
en restant membre « de manière irréversible » selon Jean-Claude Juncker. De quoi peut se prévaloir ce plan ? Du
transfert de la dette du FMI et de la BCE au MES, c’est-à-dire aux États européens qui en garantissent les
emprunts sur le marché. Pour le reste, tout est en suspens.
L’accent est mis sur les objectifs de privatisation – 6 milliards d’euros dans le cadre du plan sur un total
hypothétique de 50 milliards à terme qui laisserait l’État démuni- ainsi que sur les tranches et sous-tranches de
versements successifs d’un plan plafonné à 86 milliards d’euros, dont le montant final n’est pas donné car son
financement n’est pas bouclé. La mise sous tutelle de la Grèce sort renforcée et emprunte la forme d’un examen
continu.
Soumises à très rude épreuve par la BCE, qui les a maintenues juste à flot dans le cadre du dernier bras de fer
intervenu entre le gouvernement grec et ses créanciers, les banques grecques sont l’objet d’attentions
particulières, recapitalisées dans l’urgence grâce à 10 milliards d’euros en attendant que la BCE y voie plus clair,
avant de remettre probablement au pot 15 milliards d’ici novembre. L’objectif de ce calendrier est de ne pas avoir
à appliquer les nouvelles règles européennes du bail-in, qui n’entreront en vigueur qu’en 2016, afin de ne pas
mobiliser les fonds de roulement des PME grecques, ce qui parachèverait la destruction du tissu économique du
pays déjà très mal en point.
Comment redresser cette économie dévastée ? Seuls 3 milliards d’euros du programme pourront être utilisé à
cette fin, s’ils sont disponibles. À propos de la dette, le FMI va faire antichambre, tout effacement nominal de
celle-ci ayant été écarté dans le communiqué final de l’Eurogroupe. Seul un « rallongement des périodes de grâce
et de remboursement » pourra être envisagé en octobre prochain, quand la question reviendra sur le tapis d’après
Jeroen Dijsselbloem. Un arrangement qui ne satisfait pas le FMI, Christine Lagarde continuant d’insister sur le fait
que la dette est trop lourde.
Le quotidien allemand Die Welt a dévoilé une analyse de l’évolution de la dette grecque par la Commission.
Actuellement de 320 milliards d’euros (170 % du PIB), elle va continuer à grimper pour dépasser les 200 % de
celui-ci l’an prochain. Selon le scénario intermédiaire, elle ne devrait être redescendue qu’à 122 % à échéance de
2030, soit au-dessus de la limite théorique de sa soutenabilité par le FMI (120 %). Mais ces données en
pourcentage du PIB s’appuient sur des prévisions de croissance qui n’ont pas été données. Or la Grèce, à peine
sortie de six ans de récession, va y replonger dès cette année, et les prévisions de retour à la croissance, à partir
de 2017, n’engagent que la responsabilité de leurs auteurs (elles atteignent 3,1 % en 2018)…
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Si une partie des six heures de discussion de l’Eurogroupe a été consacrée aux objectifs d’excédent budgétaire
primaire (avant remboursement de la dette), rien n’en a finalement transpiré. Ceux-ci ne semblant pas avoir été
augmentés, ils n’en restent pas moins établis à des niveaux très élevés dès la troisième année du plan, pour les
besoins de la cause.
Le mot de la fin revient à Benoit Coeuré, membre du directoire de la BCE : « Peut-être que si nous avions porté
auparavant une plus grande attention à ces mesures structurelles comme l’ouverture des marchés, l’amélioration
de la collecte des impôts, la lutte contre les groupes d’intérêts, le poids de l’ajustement porté sur les plus
vulnérables aurait été réduit et le redressement de la Grèce accéléré ». Il est un peu trop tard pour s’en rendre
compte mais il serait encore temps d’y remédier et de recalibrer la politique d’ajustement budgétaire poursuivie
dans toute l’Europe.
La leçon de bonheur d’Alain Badiou
LE MONDE | 14.08.2015 à 06h38 • Mis à jour le 16.08.2015 à 15h06
Alain Badiou est philosophe et professeur à l’Ecole normale supérieure. Son dernier ouvrage en date est « Le Second Procès de
Socrate » (Actes Sud, 2015).
Quelles ont été les rencontres déterminantes pour l’orientation de votre vie ?
Alain Badiou : Avant le théâtre et la philosophie, il y a eu une phrase de mon père. Pendant la seconde guerre mondiale, en effet,
s’est constitué un souvenir écran, déterminant pour la suite de mon existence. A l’époque, j’avais 6 ans. Mon père, qui était dans la
Résistance – il a été nommé à ce titre maire de Toulouse à la Libération –, affichait sur le mur une grande carte des opérations
militaires et notamment de l’évolution du front russe. La ligne de ce front était marquée sur la carte par une fine ficelle tenue par
des punaises. J’avais plusieurs fois observé le déplacement des punaises et de la ficelle, sans trop poser de questions : homme de
la clandestinité, mon père restait évasif, devant les enfants, quant à tout ce qui concernait la situation politique et la guerre.
Nous étions au printemps 1944. Un jour, c’était au moment de l’offensive soviétique en Crimée, je vois mon père déplacer la ficelle
vers la gauche, dans un sens qui indiquait nettement que les Allemands refluaient vers l’Ouest. Non seulement leur avance
conquérante était stoppée, mais c’est eux qui désormais perdaient de larges portions de territoire. Dans un éclair de
compréhension, je lui dis : « Mais alors, nous allons peut-être gagner la guerre ? », et, pour une fois, sa réponse est d’une grande
netteté : « Mais bien sûr, Alain ! Il suffit de le vouloir. »
Cette phrase est-elle devenue votre maxime ?
Cette réponse est une véritable inscription paternelle. J’en ai hérité la conviction que quelles que soient les circonstances, ce que
l’on a voulu et décidé a une importance capitale. Depuis, j’ai presque toujours été rebelle aux opinions dominantes, parce qu’elles
sont presque toujours conservatrices, et je n’ai jamais renoncé à une conviction uniquement parce qu’elle n’était plus à la mode.
Vous faites grand cas de la volonté. Or une grande tradition philosophique, le stoïcisme, conseille aux hommes de vouloir
ce qui arrive pour être heureux. N’y a-t-il pas plus de sagesse à accepter le monde tel qu’il est plutôt que vouloir le
changer ?
Notre destin, dans les années 1940, était d’avoir perdu la guerre. Un stoïcien allait-il alors dire qu’il était raisonnable d’être tous
pétainistes ? Pétain faisait un triomphe lors de ses visites en province, on pouvait penser qu’il avait épargné au pays le plus dur de
la guerre. Fallait-il accepter ? Je me méfie du stoïcisme, de Sénèque qui, richissime et du fond de sa baignoire en or, prônait
l’acceptation du destin.
Il y a aussi des matérialistes rigoureux, les épicuriens, qui considéraient comme absurde de se lever contre les lois du monde et de
risquer ainsi inutilement sa vie. Mais à quoi aboutit cette doctrine ? A jouir du jour qui passe, au fameux Carpe diem d’Horace ? Ce
n’est pas sensationnel. Il y a dans ces sagesses antiques un élément d’égoïsme foncier : le sujet doit trouver une place tranquille
dans le monde tel qu’il est, sans se soucier que ce monde puisse ravager la vie des autres.
Quelle est l’origine de ces éthiques égoïstes ?
Ces sagesses ont prospéré dans l’Empire romain, dont la situation historique ressemble beaucoup à la nôtre : une hégémonie
mondiale offrant peu de chance de définir et de pratiquer une orientation absolument contraire à celle qu’exige le système
économique et politique. Ce genre de situation favorise partout l’idée que ce qu’il faut, c’est s’adapter à ce système pour y trouver
la meilleure place possible.
Alors, le philosophe « réaliste » devrait dire : « Renonçons à toute perspective de changement du monde. Installons-nous » ? Ou,
dans la version que donne Pascal Bruckner de ce conservatisme buté : « Le mode de vie occidental est non négociable » ? Je ne
m’y résous pas. Je veux autre chose. C’est ma fidélité à la maxime paternelle.
Après la guerre, il y a eu un professeur qui vous a fait rencontrer le théâtre. Pourquoi cette rencontre a-t-elle été
déterminante ? Comment le théâtre est-il devenu un guide de vie ?
Lorsque j’ai fait mes études, quiconque arrivait au collège commençait immédiatement par Racine, Corneille et Molière. Que ça
nous plaise ou non, nous devions les étudier minutieusement, jusqu’en première, à raison d’une pièce de chacun d’eux par an :
c’était le programme. Mais on rencontre plus facilement une personne qu’un programme. Et c’est ce qui m’est arrivé : en 4e, j’ai
rencontré un professeur de français qui a traité le théâtre comme une merveille à laquelle nous pouvions prendre part, parce que
l’essentiel n’était pas de l’étudier, mais de le jouer.
Il a créé une troupe dans laquelle chaque volontaire pouvait trouver sa place. Et c’est ainsi que, progressivement, moi et d’autres
sommes devenus acteurs. Quelle rencontre ! C’était une sorte d’interruption dans nos vies ordinaires de potaches. Nous montions
sur scène, face à un public, seuls responsables de ce qui alors arrivait. Cela aussi, comme le disait mon père, il fallait le vouloir !
J’ai joué le rôle-titre des Fourberies de Scapin, ce qui m’a dressé à la ruse et à la répartie. Je me souviens de l’émotion tremblante
au moment où je me jetais dans la lumière de la scène, de ma première réplique, « Qu’est-ce, Seigneur Octave, qu’avez-vous, qu’y
a-t-il, quel désordre est-ce là ? » que, bondissant sur scène, je devais projeter vers un parterre d’inconnus. Oui, pour faire du
théâtre, il faut le vouloir et passer outre l’extrême difficulté d’être là, seul en pleine lumière devant tous, avec le trac, qui est en vous
ce quelque chose qui se révolte contre le risque.
Y a-t-il un conservatisme subjectif, une disposition humaine à la conservation de soi et du monde tel qu’il va ?
Oui, il y a quelque chose dans l’esprit humain de profondément conservateur et qui vient de la vie elle-même. Avant toute chose, il
faut continuer à vivre. Il faut se protéger, afin, comme l’écrit Spinoza, de « persévérer dans son être ». Lorsque mon père
m’expliquait que la volonté peut suffire, il sous-entendait qu’il faut parfois mater en soi cette disposition conservatrice.
Le théâtre, c’est aussi ce moment où le corps vivant sert une fiction. Quelque chose entre alors en contradiction avec le pur et
simple instinct de survie. Dans l’acte du comédien, il y a la décision miraculeuse d’assumer le risque d’une exposition intégrale de
soi. Grâce à mon professeur de 4e, j’ai rencontré tout cela. Le théâtre a été ma vocation première. Et j’y reviens toujours.
Au théâtre, vous avez donc rencontré la rencontre tout comme la décision…
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J’ai en effet, avant tout, rencontré quelqu’un : mon professeur de français. Il a été la médiation vivante de la rencontre du théâtre.
C’est exactement ce qu’explique Platon dans Le Banquet, où il expose que la philosophie elle-même dépend toujours de la
rencontre de quelqu’un. Tel est le sens du merveilleux récit que fait Alcibiade de sa rencontre avec Socrate. A travers cette
rencontre de quelqu’un sont posées les questions du vouloir, de la décision, de l’exposition et du rapport à l’autre. Tout cela vous
met dans une situation vitale magnifique et périlleuse.
Votre autre rencontre a été la philosophie et la lecture de Jean-Paul Sartre. Pourquoi avoir choisi la philosophie comme
orientation de la vie ?
La philosophie, telle que je l’ai rencontrée dans la médiation de Sartre, prolonge elle aussi la maxime paternelle. Je reste fidèle à
Sartre sur un point essentiel : on ne peut pas arguer de la situation pour ne rien faire. C’est un point central de sa philosophie. La
situation n’est jamais telle qu’il soit juste de cesser de vouloir, de décider, d’agir. Pour Sartre, c’est la conscience libre et elle seule
qui donne sens à une situation, et dès lors on ne peut pas se débarrasser de sa responsabilité propre, quelles que soient les
circonstances. Si même la situation semble rendre impossible ce que notre volonté veut, eh bien il faudra vouloir le changement
radical de cette situation. Voilà la leçon sartrienne.
En quoi la philosophie pourrait-elle nous aider à être heureux ?
Le bonheur, c’est lorsque l’on découvre que l’on est capable de quelque chose dont on ne se savait pas capable. Par exemple,
dans la rencontre amoureuse, vous découvrez quelque chose qui va mettre à mal votre égoïsme conservateur fondamental : vous
allez accepter que votre existence dépende intégralement d’une autre personne. Avant de l’expérimenter, vous n’en avez pas la
moindre idée.
Vous acceptez soudainement que votre propre existence soit dans la dépendance de l’autre. Et les précautions que vous prenez
habituellement pour vous protéger sont mises à mal par cet autre qui s’est installé dans votre existence. Ensuite, il faudra chercher
à tirer les conséquences de ce bonheur, essayer de le maintenir à son apogée, ou tenter de le retrouver, de le reconstituer, pour
vivre sous le signe de cette nouveauté primordiale. Il faut alors accepter que ce bonheur travaille parfois contre la satisfaction.
Pourquoi opposer bonheur et satisfaction ?
Tout d’abord, le bonheur est fondamentalement égalitaire, il intègre la question de l’autre, alors que la satisfaction, liée à l’égoïsme
de la survie, ignore l’égalité. Ensuite, la satisfaction n’est pas dépendante de la rencontre ou de la décision. Elle survient quand on
a trouvé dans le monde une bonne place, un bon travail, une jolie voiture et de belles vacances à l’étranger. La satisfaction, c’est la
consommation des choses pour l’obtention desquelles on a lutté. Après tout, c’est pour jouir de ses bienfaits que nous avons
essayé d’occuper une place convenable dans le monde tel qu’il est. Donc la satisfaction c’est, par rapport au bonheur, une fi gure
restreinte de la subjectivité, la figure de la réussite selon les normes du monde.
Le stoïcien peut dire : « Soyez satisfait d’être satisfait. » C’est une position ordinaire que tout le monde, y compris moi, partage plus
ou moins. Pourtant, en tant que philosophe, je suis sommé de dire qu’il y a quelque chose de différent que j’appelle le bonheur. Et
la philosophie a toujours cherché à orienter l’humanité du côté de ce bonheur réel, y compris lorsque celui-ci ne s’obtient qu’au
détriment de la satisfaction.
Si le bonheur consiste à jouir de l’existence puissante et créatrice d’une chose qui semblait impossible, faut-il changer le
monde pour être heureux ?
Le rapport normal au monde est régi par la dialectique entre satisfaction et insatisfaction. Au fond, c’est une dialectique de la
revendication, on pourrait l’appeler « la vision syndicale du monde ». Mais le bonheur réel n’est pas une catégorie normale de la
vie sociale. Lorsque vous faites une demande de bonheur à laquelle on vous répond non, vous avez deux possibilités. La première
consiste à vous changer vous-même et à cesser de demander cette chose impossible. On vous interdit le bonheur et on vous
enjoint de vous contenter de la satisfaction. Vous obéissez. Telle est la racine subjective du conservatisme.
La deuxième possibilité est, comme le dit Lacan, de ne pas céder sur votre désir, ou, comme le disait mon père, de ne pas cesser
de vouloir ce que vous voulez. Alors, il y a un moment où il faut désirer changer le monde, pour sauver la figure d’humanité qu’il y a
en vous, plutôt que de céder à l’injonction de l’impossible.
C’est donc en étant heureux que l’on peut changer le monde ?
Oui ! En étant fidèle à l’idée d’être heureux, et en défendant le fait que le bonheur n’est pas semblable à la satisfaction. Les maîtres
du monde n’aiment pas le changement, donc si vous choisissez de maintenir contre vents et marées que quelque chose d’autre est
possible, on va vous faire savoir par tous les moyens que c’est faux. C’est exactement le problème de la Grèce aujourd’hui : le
peuple grec a dit : « Nous ne voulons pas de votre tyrannie financière. Nous voulons vivre autrement. » Les institutions
européennes leur ont répondu : « Il faut vouloir ce que nous voulons, même contre votre propre vouloir, et si vous continuez à ne
pas vouloir ce que vous ne voulez pas, vous allez voir ce qui va vous arriver ! »
Quand les gens sont dans le refus de la servitude volontaire, on les menace. Donc, les Grecs ne sont pas en train de demander
que l’on reste dans la dialectique satisfaction/insatisfaction. Ils expliquent qu’ils aimeraient pouvoir décider que quelque chose
d’autre est possible que ce qui leur est imposé. D’autant que nous ne sommes pas dans le registre de l’utopie : quantité
d’économistes parfaitement conservateurs expliquent que l’on peut restructurer la dette grecque, ce qui revient à la supprimer sans
le dire. En réalité, ce que les dirigeants européens considèrent comme impossible, c’est de laisser un peuple décider sur ce point.
Ce n’est donc pas une sanction économique rationnelle, mais une punition politique. C’est un châtiment du désir de bonheur, au
nom de la satisfaction insatisfaite.
« Nous ne vivons jamais, mais nous espérons de vivre, et nous disposant toujours à être heureux, il est inévitable que
nous ne le soyons jamais », écrit Pascal. Un véritable bonheur doit-il être désespéré ?
C’est une phrase sinistre ! Mais si Pascal l’a écrite, c’est précisément parce qu’il pense qu’un salut dans l’autre monde l’attend.
Tous ceux qui arguent de l’impossibilité du bonheur en philosophie en promettent un autre, ils savent que l’on ne peut pas
enthousiasmer le lecteur en lui exposant l’impossibilité au bonheur. Ils sortent ensuite de leur chapeau un bonheur transcendant.
Je suis absolument contre cette thèse du bonheur toujours rêvé auquel on n’accède jamais. C’est faux, le bonheur est absolument
possible, mais pas dans la forme d’une satisfaction conservatrice. Il est possible sous la condition des risques pris dans des
rencontres et des décisions, lesquelles sont proposées, en définitive, à un moment ou à un autre, à toute vie humaine.
Mais que faites-vous des malheurs : la maladie, les accidents de la vie, les drames, les ruptures et les séparations
conflictuelles ?
Le fait qu’il y ait une différence entre bonheur et satisfaction entraîne une division du mot malheur. Il y a des malheurs qui se
contentent d’être de profondes insatisfactions. Mais, même dans les situations les plus abîmées, la piste du bonheur est rarement
entièrement fermée, parce que la zone et l’importance du possible se déplacent. Pour quelqu’un qui a deux jambes en bon état,
faire trois pas, ce n’est rien ; pour un paralysé en rééducation, c’est un bonheur immense.
Il ne faut donc jamais déclarer que le bonheur est supprimé : il existe en modifiant, dans une situation déterminée, la limite entre le
possible et l’impossible. Il consiste à ne pas se laisser imposer des impossibilités abstraites et générales.
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Qu’est-ce que le malheur, alors ?
On pourrait donner comme première définition du malheur un état d’insatisfaction grave et d’extension extrême de l’impossible.
Mais le malheur peut également être un échec du bonheur. La norme de fidélité que j’introduis, et qui est toujours liée à une
rencontre, et donc au bonheur, propose comme impératif la permanence de cette recherche du bonheur. La fidélité est le seul
impératif éthique, mais cet impératif n’est pas une assurance tous risques.
Il faut reconnaître qu’il existe des catastrophes du bonheur. Ces dernières sont de différents ordres : certaines surviennent par
lassitude, par abandon, d’autres par infidélité ou par trahison. Dans ma philosophie, le mal, c’est le fait d’être subjectivement
responsable d’une catastrophe du bonheur. J’appelle cela un désastre. C’est une expérience aussi terrible que celle du bonheur
est intense. Les conservateurs aiment beaucoup les désastres, parce qu’ils y puisent leur argument principal pour appeler à se
contenter de la satisfaction.
Pourtant, vous dites qu’« il vaut mieux un désastre qu’un “désêtre” »…
Ah oui ! Mieux vaut courir le risque d’un désastre, mais donc aussi du bonheur réel, que de se l’interdire d’emblée. J’appelle
“désêtre” cette disposition conservatrice du sujet humain qui le ramène à sa survie animale, à sa seule satisfaction et à sa place
sociale. Le “désêtre” est ce qui interdit à un sujet d’expérimenter ce dont il est véritablement capable.
Les liens d’amour et d’amitié sont-ils altérés par ce règne de la satisfaction des besoins immédiats ?
Le monde d’aujourd’hui a un modèle fondamental de l’altérité et de l’échange, qui est le paradigme commercial. Nous sommes
tentés de ramener tous les rapports à l’autre à une dimension contractuelle d’intérêts réciproques bien compris. C’est la raison pour
laquelle la séparation est aujourd’hui bien plus menaçante qu’elle ne l’était auparavant. Nous avons très rapidement le sentiment
prématuré de l’obsolescence de quelque chose, sur le modèle de l’obsolescence des produits. Le conservatisme d’aujourd’hui est
rongé par la question de la marchandise, qui exige que vous achetiez toujours le nouveau modèle et suppose donc cette
obsolescence rapide des produits.
Le consommateur est la figure objective dominante, celle qui fait tourner le monde. Nos maîtres suivent avec angoisse le niveau
d’achat de marchandises par les gens. Si, tout à coup, plus personne n’achetait, le système s’effondrerait comme un jeu de quilles.
Donc nous sommes enchaînés à la nécessité d’acheter les choses dans leur surgissement, leur nouveauté, leur inutilité foncière ou
leur laideur criminelle. Or je pense que ce n’est pas sans contaminer la figure générique des rapports entre les hommes, rapports
qui valorisent désormais officiellement la concurrence.
Faites-vous un éloge de la fidélité ?
En quelque sorte, car cette obsession de la nouveauté marchande, souvent déguisée en mode, est un phénomène qui porte
atteinte au bonheur : la fidélité sous toutes ses formes est désormais une valeur menacée. On n’a pas le droit d’être indéfiniment
fidèle à sa vieille voiture, il faut en acheter une autre, sinon le système économique est menacé !
Cet impératif pénètre l’univers collectif ou personnel et crée beaucoup de séparations. A cette logique, il faut opposer la maxime
héritée de mon père : « Tu peux vouloir continuer ce que tu as désiré, ce que tu as voulu, et ce dont tu te sais capable. Tu peux,
donc tu dois. »
Propos recueillis par Nicolas Truong
L’école française n’est pas le mauvais élève de l’Europe
LOUIS MAURIN
16/08/2015
L'école française, royaume des inégalités et du décrochage ? La thèse est devenue un lieu commun. Pourtant, si
notre modèle d'éducation et de formation est mal placé dans les classements internationaux, c'est surtout en
matière de formation des adultes, selon les données européennes. Dans le domaine de l'échec et des inégalités
scolaires, la France n'est pas en si mauvaise position.
Elle fait ainsi partie des pays qui comptent le plus de diplômés de l'enseignement supérieur au sein des
générations récentes : ils représentent 44 % des 30 à 34 ans, contre 35,7 % en moyenne en Europe, 40 % en
Espagne, 32 % en Allemagne et même seulement 21,7 % en Italie. Parmi les pays les plus peuplés, seul le
Royaume-Uni fait mieux, avec 47 %. Pourtant, l'Hexagone a longtemps été à la traîne dans ce domaine, du fait
d'un développement tardif de l'Université.
Peu de sortants précoces
La France est parmi les pays qui comptent le moins de sortants précoces, toujours selon les données d'Eurostat :
en 2013, un peu moins de 10 % des 18-24 ans ont quitté l'école prématurément. Notre pays se situe au niveau de
l'Allemagne, bien au-dessous de la moyenne de la zone euro (13,7 %), de l'Italie (17 %) ou de l'Espagne
(23,6 %). Seuls la Suède, l'Autriche et le Danemark font vraiment mieux, comptant entre 7 et 8 % de sortants
précoces.
Relativement peu de sortants précoce
En matière de reproduction sociale, la France n'est pas si mal située non plus. Eurostat a réalisé en 2011 une
étude sur le niveau de diplôme des enfants en fonction de celui de leurs parents. Si l'on considère les descendants
des parents peu diplômés (ayant au mieux le niveau fin de troisième), 22 % sont eux aussi peu diplômés, contre
34 % en moyenne dans l'Union européenne. Parmi les grands pays, seul le Royaume-Uni fait mieux, avec 16 %.
La persistance de bas niveaux de diplôme est bien plus forte en Allemagne (36 %), Espagne ou Italie (50 %).
Inversement, 23 % des descendants de parents peu diplômés ont eu accès à l'enseignement supérieur, contre
18 % en moyenne dans l'Union, 16 % en Allemagne et seulement 9 % en Italie. Le Royaume-Uni (32 %) et
l'Espagne (27 %) font mieux.
Le poids de la reproduction sociale
En revanche, notre retard est important en matière de formation professionnelle : la France arrive en queue de
peloton, juste devant la Grèce, avec seulement 5,7 % des adultes de 25 à 64 ans ayant suivi un cours ou une
formation en 2012, contre 9 % en moyenne en Europe, 6,6 % en Italie, 8 % en Allemagne, 15,8 % au RoyaumeUni et 18,3 % en Espagne.
En bas du classement pour la formation continue
Une pédagogie à revoir L'école française « n'augmente » pas les inégalités, comme on l'écrit de plus en plus
souvent. Pour le comprendre, il suffit d'imaginer le niveau des inégalités si l'école relevait d'un système marchand.
Si c'était le cas, des générations de catégories populaires resteraient quasi illettrées faute des moyens de se payer
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une formation. Au fond, la plupart des autres systèmes éducatifs - hormis dans les pays du Nord de l'Europe - ne
sont pas vraiment plus performants en termes d'inégalités et d'échec scolaire.
Mais cela ne veut pas dire que l'école française n'a pas de marge de progression. Les inégalités ont tendance à y
augmenter. Notre système repose sur une pédagogie rigide, qui laisse une grande place à l'apprentissage par
coeur et à la compétition entre des élèves poussés par la peur de l'échec. Et les filières les plus sélectives (les «
grandes écoles ») sont réservées à une poignée de jeunes socialement triés.
LOUIS MAURIN
Comment lutter contre la fraude aux travailleurs détachés?
VINCENT GRIMAULT
13/08/2015
Quitter son pays pour aller travailler ailleurs, voilà une histoire aussi vieille que le monde. Mais depuis des années, l'Union
européenne est traversée par des travailleurs immigrés un peu particuliers. Ce sont des travailleurs détachés : des salariés
envoyés par leur entreprise dans un autre pays de l'Union pour leur travail. Une entreprise polonaise qui a décroché un chantier en
France peut ainsi dépêcher temporairement des salariés dans l'Hexagone. Ces salariés sont soumis au droit du travail français
(pour leurs salaires, leur temps de travail, etc.), mais l'employeur paie ses cotisations sociales aux taux de la Pologne.
Ce système a été mis en place en 1996 par une directive européenne pour permettre la circulation des travailleurs entre les
différents pays. Et il connaît un gros succès. Entre 2010 et 2013, le nombre de travailleurs détachés est passé de 1,05 à 1,34
million, soit une hausse de 28 %. Les trois premiers pays à accueillir des travailleurs détachés sont l'Allemagne, la France et la
Belgique.
Dumping social et chômage
Cette augmentation fait craindre que le dispositif ne soit une arme du dumping social1. Comme le système de protection sociale
français, notamment, repose sur des cotisations sociales plutôt élevées par rapport à certains de ses voisins (où le système de
protection est davantage privé), un travailleur détaché "coûte" à son employeur nettement moins cher qu'un salarié français.
en 2013, on comptait ainsi en France 12 688 salariés détachés… français ! Ils sont embauchés par des entreprises "boîte aux
lettres", qui s'installent administrativement au Luxembourg, par exemple, et qui détachent les salariés à quelques kilomètres, de
l'autre côté de la frontière, en toute légalité.
A cela s'ajoute le travail étranger illégal, qui perdure. Il y avait en France 300 000 salariés détachés non déclarés en 2010, selon un
rapport du Sénat. Soit un manque à gagner de 380 millions d'euros chaque année pour les caisses de sécurité sociale, selon la
Cour des comptes. Le groupe Bouygues risque ainsi 150 000 euros d'amende pour avoir employé des travailleurs étrangers non
déclarés sur le chantier de construction du réacteur nucléaire EPR de Flamanville.
Une fraude organisée
Quant aux entreprises qui déclarent des travailleurs détachés, elles ne les déclarent pas tous. Et même quand elles le font, elles
peuvent encore enfreindre le droit du travail. Elles profitent par exemple du fait que les salariés détachés connaissent très mal leurs
droits dans le pays où ils arrivent pour les faire travailler dans des conditions indignes, comme l'a illustré le cas de la c entrale
photovoltaïque de Marmanhac, dans le Cantal : à côté de 20 travailleurs détachés déclarés participaient aussi au chantier 280 nondéclarés. A côté de 20 travailleurs détachés déclarés participaient aussi au chantier 280 non-déclarésAvec en tout trois WC pour
300 personnes et aucun local de vestiaires. Certains travailleurs étaient payés 195 euros par mois pour dix heures de travail par
jour, 7 jours sur 7.
Enfin, les entreprises peuvent recourir à de "faux indépendants" : ces employés devraient avoir le statut de salarié détaché, mais
l'entreprise leur impose un statut d'indépendant, évitant ainsi de se soumettre aux cotisations sociales et aux règles du droit du
travail les plus protectrices.
Un arsenal législatif insuffisant
Face à ces abus, l'Union européenne a décidé l'année dernière de serrer la vis, en adoptant une nouvelle directive. En définissant
plus clairement le détachement, le texte apporte des améliorations dans la lutte contre les entreprises "boîte aux lettres". Il prévoit
ainsi que seule une entreprise exerçant "réellement des activités substantielles" dans un pays donné pourra détacher des salariés
dans un autre pays. Il définit aussi le statut de "faux indépendant".
Enfin, il renforce les échanges entre les pays membres afin de raccourcir les délais de réponse entre eux. Car pour savoir si une
entreprise est vraiment installée dans un pays, il faut demander des renseignements à ses voisins. Or, quand un service français
réclame des informations à un homologue européen sur une entreprise étrangère, il n'est pas rare qu'il attende la réponse pendant
trois mois. Un délai qui laisse le temps à l'entreprise de terminer le chantier et donc de passer entre les mailles du filet. Un délai qui
laisse le temps à l'entreprise de terminer le chantier et donc de passer entre les mailles du filet. Les chantiers de construction
notamment, où les abus sont les plus nombreux, sont par définition éphémères. Et si l'inspection du travail surveille de près les
nouvelles déclarations de chantier, elle ne peut pas tous les contrôler.
La législation européenne se développe donc progressivement, mais reste insuffisante. Il n'est pas encore possible, par exemple,
d'avoir accès en temps réel aux informations sur une entreprise étrangère par le biais d'une plate-forme, un dispositif qui
permettrait d'améliorer considérablement la lutte contre la fraude aux travailleurs détachés.
 1.Dumping social : correspond à toutes les pratiques qui tentent de dégrader le droit social en vigueur pour en tirer un
avantage économique.
VINCENT GRIMAULT
Les contrats de génération, le bilan en demi-teinte de la première année
mercredi 19 août 2015
La Dares a fait paraître au printemps le premier bilan des contrats de génération, pour l’année 2013,
première année de mise en œuvre. Si les résultats sont modestes, il convient de rappeler que les
premières années de mise en œuvre de tout dispositif sont difficiles et que, d’autre part, le contexte
économique de la France est dégradé.
Le contrat de génération, qui est un des engagements de campagne du Président de la République, a pour objectif
d’améliorer l’accès des jeunes à un emploi en CDI, de recruter et maintenir dans l’emploi les salariés âgés et
d’assurer la transmission des savoirs et des compétences entre les âges. Il comporte deux volets : une aide
financière à l’emploi et une incitation à négocier un accord collectif en faveur des jeunes et des salariés âgés.
Voici les principaux éléments de l’enquête de la DARES
Gerard CLEMENT
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du 12 AU 20 AOUT 2015 76976705816/04/2017
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La situation des accords collectifs
Dans le cadre du contrat de génération, les entreprises de taille intermédiaire (entre 50 et 299 salariés ou
appartenant à un groupe de 50 à 299 salariés) et les grandes entreprises (300 salariés et plus ou appartenant à
un groupe de 300 salariés et plus) sont incitées à négocier un accord collectif avec les représentants des salariés
ou à défaut à établir un plan d’action (décision unilatérale de l’employeur). Les incitations sont différentes pour ces
deux catégories d’entreprises. Ainsi, le dépôt d’un d’accord ou d’un plan d’action conforme :
 exonère les grandes entreprises d’une pénalité financière pouvant atteindre 1% de leur masse salariale ;
 ouvre droit, pour les entreprises de taille intermédiaire, à l’aide à l’emploi en contrat de génération.
Au 10 février 2014, 7 150 accords et plans d’action avaient été signés, dont 86 % par de grandes entreprises pour
lesquelles une pénalité est applicable. Ces entreprises emploient 4,2 millions de personnes. Par ailleurs, 13
accords de branche ont été étendus à cette date. Ces accords couvrent plus de 300 000 entreprises et près de 5
millions de salariés.
Les accords collectifs ne représentent que 51 % des textes signés. Les contraintes de calendrier ont laissé peu de
temps aux négociations et donc à l’établissement d’accords collectifs.
15 500 entreprises ont déposé un dossier d’aide à l’emploi
19 824 demandes d’aide ont été déposées par 15 550 entreprises au cours de l’année 2013. 84 % d’entre elles ont
conduit à la signature d’un contrat de génération. On constate une progression régulière des demandes d’aide
jusqu’au 3ème trimestre 2013, interrompue lors du dernier trimestre.
64 millions d’euros ont été versés par l’État
En moyenne, les entreprises bénéficiaires ont reçu 820 euros par trimestre. Alors que l’aide est forfaitaire (1 000
euros par trimestre), le montant effectif moyen, par trimestre et par contrat de génération, varie selon les
secteurs. Ainsi les entreprises de l’industrie ont perçu en moyenne 845 euros, tandis que celles de l’hébergement
et de la restauration ou du secteur non marchand percevaient respectivement 748 euros et 793 euros. Ces
montants plus faibles s’expliquent par un recours plus important au temps partiel des salariés âgés ainsi que, pour
le secteur de l’hébergement et de la restauration, par une fréquence plus importante des interruptions provisoires
de l’aide.
87% des entreprises bénéficiaires sont à l’origine d’un seul contrat de génération. Les 13% d’entreprises restantes
sont à l’origine de 2,4 contrats de génération en moyenne. À la fin octobre 2014, 64 millions d’euros ont été
versés par l’État aux entreprises pour des embauches réalisées en 2013.
Les secteurs bénéficiaires révèlent quelques surprises
Le commerce, l’industrie et la construction sont les principaux secteurs utilisateurs du dispositif. Ils représentent
60 % de l’ensemble des aides au contrat de génération. La comparaison avec l’enquête sur les mouvements de
main-d’œuvre (EMMO) montre des différences importantes avec les embauches de jeunes en CDI dans les
entreprises de petite taille et de taille intermédiaire. Cela renvoie à un recours à l’aide, différencié selon le secteur.
Ainsi, les secteurs de l’industrie et de la construction utilisent bien davantage le contrat de génération que le
secteur de l’hébergement et de la restauration. Ce dernier est à l’origine de 5,7 % des contrats de génération en
2013 alors qu’il est le premier secteur pour les embauches de jeunes en CDI dans les petites entreprises en 2013
(29 %).
D’abord concernés, les jeunes hommes ouvriers
Le contrat de génération bénéficie essentiellement aux jeunes hommes ouvriers, ayant un baccalauréat et déjà
présents dans l’entreprise avant leur embauche en CDI ainsi qu’aux seniors hommes titulaires d’un emploi qualifié.
23 % des contrats de génération ont duré moins d’un an.
Des engagements modestes dans un contexte économique dégradé
Pour la DARES, les engagements relatifs à l’embauche de jeunes pris dans les textes sur le contrat de génération
sont globalement inférieurs aux embauches réalisées par les entreprises au cours des dernières années. Les
entreprises semblent donc faire preuve d’une relative prudence dans leurs engagements sur des volumes
d’embauches.
Figure, parmi les freins à la prise d’engagements chiffrés, le souci de non discrimination à l’embauche, notamment
liée à l’âge. Prendre des engagements sur des publics ciblés peut en effet constituer de fait une discrimination
positive, et peut être perçu comme une injonction contradictoire difficile à mettre en œuvre.
En outre, les textes relatifs au contrat de génération ont été rédigés dans un contexte économique dégradé auquel
peuvent s’ajouter des difficultés sectorielles De plus, les embauches sont conditionnées à réception de
candidatures. Cette difficulté semble accrue pour les salariés âgés (les entreprises reçoivent peu de candidatures)
ainsi que pour certains secteurs d’activités qui attirent plus spécifiquement certaines classes d’âge (commerce par
exemple).
Enfin, bien que les engagements pris par les entreprises semblent modestes, la réalisation de diagnostics sur la
situation des deux catégories de salariés, l’obligation de suivi annuel devant les représentants du personnel ou la
possibilité pour les seniors d’un entretien de seconde partie de carrière (remplacé par l’entretien professionnel à
partir de 2015) apparaissent comme des outils innovants dans la politique des ressources humaines des
entreprises.
Affaire à suivre avec le bilan 2014.
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