LE DIALOGUE SOCIAL, UN ELEMENT DE LA PERFORMANCE DE L’ENTREPRISE TABLE DES MATIERES Définitions La rationalité limitée des acteurs Le processus de régulation L’approche stratégique La théorie de la régulation conjointe Dialogue social et performance L’approche systémique des relations professionnelles L’approche stratégique des relations professionnelles Méthodologie de la recherche Bibliographie Définitions Avant de nous intéresser au lien entre dialogue social et performance, il nous faut préalablement définir ces termes. Une définition du dialogue social nous est apportée par l’Organisation Internationale du Travail (OIT). Celle-ci peut être consultée sur le site internet, http://www.ilo.org Cette définition débute en ces termes : « L’OIT définit le dialogue social comme incluant tous les types de négociation, de consultation ou simplement d’échange d’informations entre les représentants des gouvernements, des employeurs et des travailleurs sur des questions présentant un intérêt commun relatives à la politique économique et sociale… La concertation peut être informelle ou institutionnalisée, et elle conjugue souvent ces deux aspects. Elle peut intervenir au niveau national, au niveau régional ou à celui des entreprises. Elle peut être interprofessionnelle, sectorielle ou présenter toutes ces caractéristiques à la fois… Le dialogue social peut prendre diverses formes, depuis le simple échange d’informations jusqu’aux formes de concertation plus abouties… » Nous entendons ainsi sous le vocable « dialogue social », l’ensemble des consultations entre les partenaires sociaux c'est-à-dire les représentants des employeurs et ceux des salariés. Le dialogue social est inclut au sein des relations professionnelles. Le terme relations professionnelles peut se définir comme « l’étude des relations entre l’Etat, les employeurs, les employés et leurs organisations individuellement ou collectivement, entre eux et avec leur environnement technique, économique, politique et social » Rojot (1989). Ce terme n’a pas été retenu par tous les auteurs. Les termes « relations industrielles » (qui est la traduction littérale de « industrial relations ») ou « relations sociales » lui sont parfois préférées. Pour notre part, et comme le propose Rojot (1989) nous considérerons l’ensemble de ces termes comme synonymes. Le terme de performance, quant à lui, est largement utilisé en sciences de gestion sans que sa définition fasse l’unanimité parmi les chercheurs (Bourguignon, 1996). De nombreux travaux ont été menés afin d’appréhender l’ensemble des dimensions entrant dans le champ de la performance. Nous retiendrons la définition de Morin, Savoie et Beaudin (1994) qui ont élaboré une typologie sur le sujet. Ceux-ci énumèrent quatre grandes approches théoriques de la performance. Une première approche économique reposant sur la capacité de l’entreprise à dégager des profits et à rémunérer les capitaux investis. Cette approche est le plus souvent énoncée en terme économique ou financier (par exemple, la valeur boursière). L’approche sociale, quant à elle, prend en considération les dimensions humaines de l’organisation. Cette approche met l’accent sur la cohésion et le moral des salariés qui sont supposés améliorer l’intensité et la qualité du travail et, par conséquent, la performance de l’organisation. Une troisième approche s’est développée, par opposition aux précédentes, préconisant non pas un modèle idéal d’organisation mais plutôt un modèle adapté à l’environnement assurant la pérennité de l’organisation. Dans cette conception les critères d’appréciation de la performance sont liés à la protection et au développement des ressources financières (rentabilité), du marché (compétitivité) et de la qualité des produits et services. Ces critères révèlent la capacité de l’organisation à s’adapter à son environnement. L’approche politique, enfin, repose sur une remise en cause des trois approches précédentes. Chacune de ces approches entend la performance soit comme la mesure d’un résultat, soit comme l’action qui aboutit au résultat. Au contraire, l’approche politique ne se focalise plus sur la réalisation des objectifs de l’organisation mais considère que tout individu peut avoir ses propres critères pour juger la performance d’une organisation. La performance ne pourrait s’apprécier dans l’absolu, mais par rapport à un référentiel dont le choix appelle un jugement, une interprétation. La performance serait ainsi, une construction sociale qui dépend du point de vue des acteurs. Le modèle de Morin, Savoie et Beaudin permet de faire ressortir les caractères multidimensionnel et subjectif du concept de performance. Le lien dialogue social- performance de l’entreprise a fait l’objet de nombreuses études, principalement dans les pays anglo-saxons, sous son aspect « quantitatif » (Pour un développement récent voir la thèse de P. Laroche : « L’influence des organisations syndicales de salariés sur la performance économique et financière des entreprises »). Notre recherche, quant à elle, propose d’étudier ce lien dialogue social- performance sous son aspect « qualitatif ». Nous nous focaliserons sur le processus par lequel les acteurs mettent en œuvre leurs stratégies dans le cadre de la négociation collective ; et tenterons de rapprocher ce processus de la performance de l’entreprise. Puisque nous souhaitons démonter les mécanismes de la négociation collective, il nous faut comprendre, d’une part, le comportement des acteurs concernés par ce processus et, d’autre part, comment les règles se forment. LA RATIONALITE LIMITEE DES ACTEURS Ce concept est l’œuvre de Simon (1947). Par la suite, de nombreux auteurs ont repris cette hypothèse de rationalité limitée des individus ( Boudon (1979), Crozier et Friedberg (1977) notamment). La rationalité limitée peut, tout d’abord, être explicitée en reprenant l’approche adoptée par March et Simon (1957). Les choix des individus s’appuient sur « un schéma simplifié, limité et approximatif de la situation réelle ». Les éléments de ce schéma sont « le produit de processus psychologiques et sociologiques, comprenant les activités propres de celui qui choisi, et celles des autres dans son milieu ». Les auteurs illustrent la différence entre la rationalité absolue et la rationalité limitée par un exemple concret : « L’exploration d’une meule de foin pour y trouver la plus fine aiguille, et l’exploration pour en trouver une assez fine pour pouvoir coudre, sont d’ordre différent », la plus fine correspond à un optimum, la rationalité absolue, une assez fine pour pouvoir coudre correspond à la rationalité limitée. Pour approfondir ce concept, nous pouvons nous référer à un ouvrage de Rojot (1994) qui nous offre une vue synthétique de ce concept. En voici un extrait : « « En général, la rationalité concerne la sélection de branches d’alternatives de comportement préféré dans les termes d’un système de valeurs quelconque à travers lequel les conséquences de ce comportement peuvent être évaluées. »° Cependant, l’on ne peut s’attendre à ce que des individus soient parfaitement et totalement rationnels et se comportent comme tels. Par exemple, il n’est pas possible pour un individu de définir clairement ou même simplement de deviner les principaux comportements alternatifs qu’il lui serait loisible d’adopter quand il se trouve dans une situation donnée. Dans la plupart des cas, il y a trop de possibilités et de directions d’actions pour qu’il lui soit possible de les découvrir toutes et même simplement de les énumérer. Il n’est pas possible de considérer ensemble, dans leur totalité, celles qui vont être évoquées car cela dépasse les capacités de traitement des informations d’un cerveau humain. Il est encore plus difficile d’appliquer complètement les mesures d’un système de valeurs stable et cohérent aux branches d’alternatives évoquées et à ceux de leurs aspects considérés car une situation est trop riche en détail et il n’y a pas assez d’informations disponibles. Enfin, il est totalement impossible, en terme absolu de faisabilité, de dérouler les chaînes possibles et probables de conséquences qui découlent de chaque branche d’alternative, car le futur est trop incertain. Trop de branches d’alternatives s’ouvrent, se ferment avec trop de conséquences imprévisibles. Tenter de comprendre ou simplement de deviner les conséquences d’une action donne, au mieux, toujours des résultats fragmentés et jamais complets. En d’autres termes « les limites de la rationalité dérivent de l’incapacité de l’esprit humain à faire porter sur une simple décision tous les aspects des valeurs, connaissances et comportements qui seraient pertinents .»° ° SIMON H.A., Administrative Behavior, New-York, The Free Press, 1947 Traduit et cite dans l’ouvrage : ROJOT J., La négociation , Paris, Vuibert, 1994 Les individus ne peuvent donc être parfaitement et « objectivement », au sens de Simon, rationnels, pas plus qu’ils ne peuvent avoir un comportement prédéterminé ainsi que cela vient d’être dit. Cependant, cela ne veut pas dire non plus qu’ils vont agir au hasard ou de manière irrationnelle. Dans le cadre de leurs connaissances limitées, de leurs capacités réduites, et des moyens d’action dont ils pensent disposer, ils vont sélectionner une branche d’alternative qui est celle que, dans ces circonstances, ils préfèrent. Donc, ils ne sont pas irrationnels, mais leur rationalité est liée, limitée. » Nous adopterons tout au long de nos développements cette hypothèse de rationalité limitée. En effet, les choix des acteurs du dialogue social, comme ceux de n’importe quel individu, ne se font pas en recherchant l’optimum, mais en choisissant une solution qui leur parait « satisfaisante » c'est-à-dire une solution qui est réaliste et qui donne des résultats acceptables. LE PROCESSUS DE REGULATION L’activité de régulation peut être analysée à travers différentes théories. Si une approche stratégique peut être entreprise, nous ne pouvons faire l’économie d’une analyse redonnant un caractère politique à l’activité de régulation : nous entendons par là les développements issus des travaux portants sur la régulation conjointe. Une approche de type interactionniste peut nous éclairer quant aux mécanismes de coordination. L’approche stratégique Cette vision a été adoptée par Schelling (1986) ainsi que par Walton et Mc Kersie (1965) et consiste à appliquer la théorie des jeux au conflit social. Schelling propose d’examiner la stratégie ainsi que les coups joués par les acteurs. Walton et Mc Kersie proposent, quant à eux, d’analyser les négociations intra parties, les zones de contrat, les points de résistance ainsi que le caractère distributif et intégratif des négociations. Les négociations intra parties Lors du processus de régulation, le négociateur de chaque partie est mandaté par un groupe d’individus qui n’est jamais totalement homogène, aussi bien du point de vue de leurs intérêts objectifs que de leurs perceptions des problèmes. On ne peut donc comprendre une activité de régulation sans mettre en lumière les différences de point de vue au sein de chaque partie. Les zones de contrat Selon Walton et Mc Kersie, les individus prennent leurs décisions en fonction des limites qu’ils s’autorisent, leurs points de résistance, et de leur appréciation des points de résistance de l’autre partie. Un point de résistance peut se définir comme une situation lors de laquelle un des négociateurs préfère renoncer à la perspective d’un accord plutôt que d’accepter ce qui lui est proposé. Un accord n’est possible que s’il existe une zone de contrat c'est-à-dire une zone au sein de laquelle un compromis peut être trouvé. La zone de contrat a pour limite les points de résistance des acteurs de la négociation. Cette analyse permet de connaître les raisons pour lesquelles un accord a été trouvé ou, au contraire, les motifs d’un blocage sur un thème particulier. Négociation distributive et négociation intégrative Selon Walton et Mc Kersie, une négociation porte toujours sur deux types d’enjeux : des enjeux relevant d’un modèle de jeu à somme nulle, chacun gagnant ce que l’autre perd ; alors que d’autres enjeux relèvent d’un jeu à somme non nulle, une des parties pouvant gagner plus que l’autre ne perd et réciproquement. Il existe, ainsi, des situations plus avantageuses à l’une et l’autre des parties. Dans une situation de négociation distributive, les intérêts des acteurs sont antagonistes. Au contraire, lors d’une situation de négociation intégrative, même si les intérêts des acteurs sont opposés, une meilleure solution pour les différents protagonistes peut être recherchée, ce qui est communément appelée une solution « gagnant-gagnant ». Cependant, et comme le propose Adam et Reynaud (1978), les enjeux de nombreuses négociations empruntent à la fois un caractère distributif et un caractère intégratif. Les auteurs parlent de « jeux mixtes » car une négociation intégrative possède toujours un caractère conflictuel puisque, même si des gains sont possibles pour les deux parties, les intérêts des acteurs restent divergents. Nous considérons ainsi que toute situation de négociation collective ne peut être comprise sans intégrer sa dimension conflictuelle, à savoir l’affrontement des intérêts et des rationalités des employeurs et des salariés. La théorie de la régulation conjointe Celle-ci ajoute à l’approche économique, pour laquelle les acteurs de la négociation se caractérisent avant tout par des intérêts divergents ; une approche plus politique pour laquelle les acteurs possèdent des « formes de rationalités différentes » (Gavini, 1998). Ainsi, les acteurs ne sont pas uniquement animés par des considérations économiques, comme le prétendent les tenants d’une approche économique, mais agissent selon des conceptions de la justice ou de l’équité différentes. Ce courant se propose d’analyser le processus de régulation au sein d’un collectif. Au sein d’une entreprise, de nombreuses sources, niveaux et domaines de régulation existent (Reynaud, 1994). Les sources de la régulation Deux sources de régulation peuvent être distinguées La régulation de contrôle : Il s’agit des règles officielles émises par une autorité supérieure. Ces règles émanent de la direction et de l’encadrement. Elles visent à fixer ou orienter l’activité, l’organisation, la cadence de travail ou la qualité des résultats d’un groupe. La régulation autonome : Ce même groupe détermine lui-même certaines règles à propos des même sujets. La distinction entre régulation autonome et régulation de contrôle n’est pas identique à celle entre formel et informelle (Reynaud, 2000). Tout d’abord, la régulation autonome vise bien à imposer des règles et prétend, par là même à la légitimité. Ensuite, cette distinction n’entend pas opposer une logique d’efficacité en terme, par exemple de coûts, à une logique tournée vers les satisfactions sociales. Les régulations autonomes visent très souvent un résultat externe. Le développement des pratiques favorisant la responsabilisation prouvent que l’efficacité des régulations autonomes est aujourd’hui, largement reconnue au sein des organisations. Les niveaux et domaines de la régulation Lorsque l’on pense au groupe qui assure la régulation de contrôle, on pense immédiatement à l’encadrement, à la direction. Il en va de même en ce qui concerne la régulation autonome, laquelle, pense t-on émane des exécutants. Cependant, Reynaud (2000) nous explique que l’opposition entre régulation autonome et régulation conjointe peut s’appliquer à des niveaux très différents de l’organisation. Il peut s’agir, par exemple du siège social et d’une usine. En outre, la dépendance que présuppose la régulation de contrôle n’est pas obligatoirement hiérarchique ; elle peut également être fonctionnelle. Par ailleurs, l’activité de régulation peut porter sur de nombreux domaines : les salaires, les méthodes de travail mais également l’adoption de technologies nouvelles. Ainsi, la complexité du processus de régulation peut être soulignée puisqu’il émane de différentes sources et articule différents niveaux et domaines. Il est également essentiel de comprendre que les régulations au sein d’une entreprise ne forment pas, si on les considère à une période donnée, un ensemble cohérent. Les régulations procèdent plutôt de la juxtaposition de pratiques et de règles de nature le plus souvent différentes, voire même opposées (Reynaud, 2000). Puisque, au sein d’une organisation, coexistent différentes sources, différents niveaux et domaines de régulations, le problème se pose de comprendre comment ces régulations se coordonnent, se juxtaposent et s’affrontent. La coordination de ces différentes régulations conduit inévitablement à un compromis qui est la régulation conjointe (Reynaud, 1999). DIALOGUE SOCIAL ET PERFORMANCE Notre objet de recherche nous conduit à nous intéresser à la place que peut occuper le concept de performance au sein des relations professionnelles. Ceci nous conduit à présenter l’approche systémique, d’une part, et l’approche stratégique, d’autre part. Nous nous appuyons, pour ce faire, sur la synthèse réalisée par P. Laroche (2002) dans le cadre de sa thèse de doctorat. L’approche systémique des relations professionnelles Ce modèle est l’œuvre de Dunlop (1958). Un système de relations professionnelles doit être considéré comme une abstraction permettant de faire des relations professionnelles une discipline à part entière. Les règles du système sont alors placées au centre de l’analyse. Ainsi, pour Dunlop « l’établissement des règles est la principale fonction d’un système de relations professionnelles dans une société industrielle ». Il distingue deux types de règles : Les règles de contenu ou de fonds qui définissent le contenu des normes liées aux conditions de travail (durée du travail, rémunération, droits et devoirs des travailleurs etc…). Les règles de procédure, quant à elles, précisent les modalités d’exercice des relations professionnelles (droit de grève, critères de représentativité etc…). Selon Dunlop, un système de relations professionnelles est constitué par des acteurs, qui établissent des règles, dans un certain contexte et ayant une idéologie commune. Les acteurs d’un système de relations professionnelles sont au nombre de trois : les institutions représentatives du personnel, le management de l’entreprise et les organisations d’employeurs, ainsi que les instances étatiques. Ces trois acteurs sont toujours présents mais leur importance varie très fortement selon le système de relations professionnelles auquel on fait référence. La place de l’Etat est particulièrement fluctuante selon les pays. Dunlop ajoute que les acteurs agissent au sein d’un contexte spécifique, lequel va limiter leur autonomie. Ce sont ces contextes qui vont donner forme aux règles établies par les acteurs au sein du système de relations professionnelles. Dunlop distingue : - Le contexte technique qui va fortement définir les conditions de vie au travail. - Le contexte économique qui va lui définir le « grain à moudre » c'est-à-dire les sujets sur lesquels vont porter la négociation. - Le contexte politique qui influencera lui aussi le système de relations professionnelles (par exemple, la construction de l’Union européenne). L’idéologie, quant à elle, va assurer la cohérence du système : pour que le système de relations professionnelles soit viable, il faut qu’un ensemble de convictions soit partagé de façon commune par les acteurs. Il s’agit du rôle et de la place que chaque acteur peut avoir de lui-même ainsi que du rôle et la place des autres acteurs. Selon Dunlop, les règles constituent la principale production du système de relations professionnelles. Or, il est nécessaire de connaître la nature des objectifs poursuivis par les acteurs, à travers l’élaboration des règles, pour apprécier la place de la performance au sein du système de relations professionnelles. Barbash (1984) a ainsi mis en exergue le besoin d’efficacité des employeurs et le besoin de sécurité des employés. Ainsi, selon cet auteur, les employeurs sont animés par l’efficience économique alors que les salariés se préoccupent avant tout de leur rémunération, de leur carrière, et de la sécurité de leur emploi. Geare (1977) s’est aussi intéressé aux objectifs poursuivis par les acteurs lors de l’établissement des règles au sein du système de relations professionnelles. Selon cet auteur, les règles sont des moyens permettant d’aboutir à une fin ; contrairement à Dunlop pour qui la règle est une fin en soi. Pour Geare, les règles sont un moyen d’atteindre des objectifs comme l’amélioration de la productivité, la satisfaction des salariés ou l’accroissement du pouvoir sur le lieu de travail. Ainsi, les règles établies au sein du système de relations professionnelles peuvent avoir un impact sur la performance de l’entreprise. La performance est clairement un but à atteindre pour l’employeur. Dès lors, évaluer l’effet des relations professionnelles sur la performance de l’entreprise revient à adopter le point de vue de l’employeur même si cet objectif peut intéresser l’ensemble des acteurs de l’entreprise. Apports et limites L’intérêt principal de la théorie systémique dunlopienne est d’avoir accordé le primat au processus d’élaboration des règles. Cela permet une meilleure interprétation des faits observés. L’analyse systémique des relations professionnelles permet de mettre l’accent sur la forte interdépendance des éléments du système ; ce qui n’est pas le cas si l’on adopte une perspective strictement issue de l’individualisme méthodologique. En outre, les acteurs sont considérés comme des collectifs au sein desquels peuvent exister des conflits d’intérêts. Cette prise en compte d’une pluralité d’objectifs au sein d’un même acteur collectif permet d’enrichir l’analyse. Cependant, Dunlop ne reconnaît pas au conflit un rôle prépondérant et structurant des relations professionnelles, contrairement à Clegg (1975) et Flanders (1968) qui s’intéressent aux mécanismes d’élaboration des règles sous un aspect plus conflictuel, en analysant les jeux de pouvoir. Plusieurs critiques ont été adressées aux travaux de Dunlop : - Une conception statique du système de relations professionnelles - Son intérêt pour la structure du système et non pas au processus mis en œuvre - L’absence de différence entre le niveau local, celui de l’organisation, et le niveau global, par exemple l’Etat. Pour remédier à ces critiques, différents auteurs ont proposé des améliorations du modèle de base. Pour Boivin (1987), un système de relations professionnelles ne produit pas uniquement des règles. Celui-ci est également source de deux autres catégories d’outputs. Une première catégorie est constituée d’indicateurs d’attitudes et de comportements au niveau organisationnel (rotation du personnel, absentéisme, etc…). Une seconde catégorie fait référence aux grands objectifs d’un système de relations professionnelles (satisfaction au travail, productivité). Ainsi, selon Boivin, le système de relations professionnelles ne se limite pas à la seule production de règles. Une autre amélioration de la théorie dunlopienne est proposée par Blyton, Dastmalchian et Adamson (1987). Ces auteurs introduisent le concept de climat des relations sociales en tant que variable intervenant dans la relation entre la structure, le processus et les résultats des relations professionnelles. L’approche systémique nous permet de mettre en exergue deux points importants : - La place du concept de performance n’est pas bien établie : est-ce un objectif des acteurs ou un résultat du système ? Le système ne produit pas uniquement des règles. L’absentéisme, la productivité sont eux aussi des produits du système de relations professionnelles. Alors que la principale critique adressée à Dunlop fut que son système « ne donne aucune indication des processus complexes par lesquels les inputs sont transformés en output » ; Kochan, Katz et Mc Kersie (1986) vont proposer d’introduire une dimension stratégique dans les choix des acteurs. Ainsi, l’approche stratégique permet une analyse plus dynamique des relations professionnelles en prenant en compte, en plus du contexte, le rôle des stratégies des acteurs. L’approche stratégique des relations professionnelles Kochan, Katz et Mc Kersie (1986) ont proposé une approche stratégique des relations professionnelles en rapprochant la vision systémique des relations professionnelles de Dunlop aux théories de l’action. Ces dernières prônent une position volontariste des acteurs sociaux au sein de l’entreprise ; contrairement aux approches déterministes (théorie systémique) et aux analyses faisant référence à un One Best Way (théorie néo-classique). Selon l’approche stratégique, les acteurs prennent leur décision de façon volontaire et ils possèdent une marge de manœuvre. In fine, la prise de décision repose sur les valeurs et la volonté des individus. Cette approche repose sur les concepts de l’institutionnalisme américain de Commons (1970). Ce dernier a reconsidéré les fondements des sciences sociales en proposant une voie médiane entre individualisme méthodologique et holisme. Commons considère, contrairement à la théorie économique, que la négociation collective entre les groupes représentatifs des différents intérêts composant le système économique, est l’unique moyen de concilier les parties prenantes. De l’institutionnalisme de Commons, Kochan, Katz et Mc Kersie tirent l’idée fondamentale de l’autonomie de décision des entrepreneurs mais aussi de l’entreprise et des organisations syndicales. Ces auteurs pensent que la transformation historique qui a affecté les relations professionnelles américaines, oblige à revoir le cadre d’analyse développé par Dunlop. Du fait des changements de nature affectant les différents acteurs du système, il convient de revoir la force relative des stratégies des acteurs des relations professionnelles. Kochan, Katz et Mc Kersie mettent en avant l’action stratégique des dirigeants destinée à introduire les changements jugés utiles pour l’entreprise. Les auteurs reconnaissent au management un rôle considérable visant à modeler à leur guise les relations professionnelles de l’entreprise ; et ceci contrairement à la vision traditionnelle considérant que le management intervient en réponse aux pressions syndicales. Les dirigeants examinent les stratégies possibles et choisissent la plus appropriée (par exemple, celle de l’évitement des syndicats) en réponse aux pressions de l’environnement et afin d’assurer la survie de l’entreprise. Ce choix des dirigeants sera établi de façon cohérente avec la stratégie de l’entreprise. Kochan, Katz et Mc Kersie considèrent donc les relations professionnelles comme le fruit d’une intention de la part de la direction des entreprises. Ce modèle met en relief les conditions et le contexte dans lesquels se forme le processus de négociation et la politique générale de l’entreprise. Les nombreux aspects de l’environnement externe sont modulés par les stratégies économiques, les valeurs des acteurs ou encore par l’histoire des parties et les structures de relations entre celles-ci. Ceci incite à prendre en compte les multiples interactions existantes entre processus de négociation et système de management dans la formation de la stratégie. L’une des particularités de ce modèle est la matrice des niveaux en relations professionnelles, les auteurs montrent que la nature des décisions et des activités varie selon le niveau de décision considéré dans le système : - le niveau stratégique (planification et formulation de la stratégie) - le niveau fonctionnel (négociation collective et GRH) - le niveau du lieu de travail (organisation du travail et relations quotidiennes entre les individus). Les actions se déroulent sur trois niveaux, indissociables les uns des autres, et il existe des interactions inévitables entre les décisions prises à chacun des niveaux. Cette conception est importante puisqu’elle permet de concilier différents niveaux dans la pratique des relations professionnelles, ce qui n’était pas le cas dans les modèles précédents. Apports et limites Dans cette approche la performance est considérée comme le principal résultat des relations professionnelles contrairement à la vision dunlopienne dans laquelle la place de la performance est peu claire. La performance semble être à la fois un objectif, de l’employeur, ainsi qu’un résultat produit par le système de relations professionnelles. Toutefois, la grille d’analyse proposée par Kochan, Katz et Mc Kersie présente certaines limites soulevées par Lewin (1987). Selon ce dernier, l’influence des dirigeants est insuffisante pour véritablement mettre en place une stratégie des relations professionnelles. De plus, comme le soulignent d’Arcimoles et Huault (1996), « la dimension stratégique des relations industrielles suppose l’existence et la clarification de liens significatifs entre la performance économique et la présence syndicale ». Ces mêmes auteurs ajoutent qu’ « il est difficile d’affirmer la dimension managériale d’une variable dont les effets économiques finaux sont apparemment nuls (…) Sans effet économique établis, on peut cependant craindre que l’impulsion managériale soit moins forte, remettant en cause la dynamique même du modèle ». Notre revue de littérature nous conduit à préciser notre question principale de recherche : Comment les partenaires sociaux peuvent-ils construire un dialogue social qui améliore la performance de l’organisation ? METHODOLOGIE DE LA RECHERCHE Notre étude empirique s’appuiera sur l’étude du cas de la RATP. Nous souhaitons analyser le dialogue social au sein de cette entreprise. Pour ce faire, nous envisageons de développer deux études distinctes. Tout d’abord, nous souhaitons étudier les systèmes de relations professionnelles de différents établissements de l’entreprise. Notre objectif sera de rendre intelligible le processus de régulation mis en œuvre dans chacun des établissements étudiés. Concrètement, nous emprunterons une méthodologie qualitative basée sur : des entretiens, l’étude de documents internes à l’entreprise ainsi que l’étude de variables de performance sociale. Nous souhaitons nous entretenir avec l’ensemble des partenaires sociaux. A travers ces différents entretiens, c’est la performance perçue par les différents acteurs que nous tenterons de mettre en lumière. Les documents internes que nous pourrons étudier pourront, par exemple, être les protocoles d’accord collectif. La principale variable de performance sociale que je pourrais développer est le budget de fonctionnement du comité d’entreprise. Ce dernier permettant de connaître les moyens donnés par l’entreprise au fonctionnement des organisations syndicales. Dans un second temps, nous souhaitons comparer les niveaux de grèves de la RATP avec ceux d’autres entreprises telles que EDF, La Poste… Nous envisageons notamment d’étudier la variable arrêt de travail sans préavis. Nous souhaitons ainsi, disposer d’un faisceau d’indices nous permettant d’apporter des éléments de réponses à notre question de recherche. 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