PO Box 369, WODEN ACT 2606, AUSTRALIA

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Les Églises Chrétiennes de Dieu
[B6]
LA DOCTRINE
SOCRATIQUE DE L’ÂME
Du
Professeur John Burnet
(Édition 1.0 20000920-20000920)
Cet ouvrage produit par le Professeur Burnet est une étape importante dans la
compréhension de l'introduction de la doctrine de l'Âme à la philosophie gréco-romaine et
de là au Christianisme trinitaire.
Christian Churches of God
PO Box 369, WODEN ACT 2606, AUSTRALIA
Courriel : [email protected]
(Copyright  2000 Wade Cox)
(Tr. 2013)
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La Doctrine Socratique de l’Âme [B6]
Page 2
Introduction
Cet ouvrage produit par le Professeur Burnet
n'a pas reçu la reconnaissance qu'il mérite
largement en raison de l'impact qu'il a sur le
Christianisme trinitaire et la doctrine de l'Âme.
Il met à juste titre l'utilisation et le
développement de l'expression Psuche avec
Socrate et examine l'importance de ce
processus de pensée de la Philosophie grecque
ultérieure.
L’ouvrage a été réalisé pour la Deuxième
Conférence Annuelle de la British Academy le
26 Janvier 1916. Il a été copié dans les Books
for Libraries Press, Free Port New York, 1930
et réédité en 1968. Il est resté épuisé en grande
partie et irrécusable à l'heure actuelle et il
mérite beaucoup plus d'attention qu'il n'en a
reçu.
L’ouvrage souffre d'un défaut, ce qui est
compréhensible. Il assure le lien entre la
doctrine de l'Âme dans les Mystères et le
développement dans le système gréco-romain
ultérieur. En outre, il n'examine pas de manière
adéquate la relation entre le Dieu triune
développé par les Romains et le système de la
Trinité, tel qu'il figure parmi les mystères.
Ici le Professeur Burnet montre que l'Âme, telle
que postulée par Socrate était un
développement du démon orphique. Le démon
orphique était vraiment l'esprit d'un dieu déchu
qui devait être purifié par le rituel et l’ascèse.
Les Romains avaient amené cela à la position
où la Trinité sur le Capitole était le dieu Jupiter
qui était représenté par un chêne debout. Il
représentait le Génie collectif des Romains,
c'est-à-dire, le système reproducteur masculin
collectif de l'État romain. La Junon représentait
les junones collectives ou la capacité
reproductrice féminine de l'État romain. Le
troisième élément était la Vierge Minerve qui
était la fille vierge conçue de façon immaculée
de Jupiter. Ainsi, le triple aspect du Dieu triune
liait la force reproductive de l'État et les dieux
et ils formaient la force de la vie, que nous
voyons représentée dans le Temple de Vesta.
Burnet aurait pu faire beaucoup plus des
premiers aspects de l'élaboration philosophique,
mais peut-être qu'il est allé aussi loin qu'il le
pouvait, compte tenu des circonstances dans
lesquelles il a été contraint et les horreurs
subséquentes et le but de l'Holocauste après la
Première Guerre Mondiale.
Pour en savoir plus à ce sujet, vous pouvez lire
les études suivantes :
L'Âme (No. 092) ;
La Résurrection des Morts (No. 143) ;
Le Végétarisme et la Bible (No. 183) ;
La Doctrine du Péché Originel Partie I Le
Jardin d'Éden (No. 246) ;
La Doctrine du Péché Originel Partie 2 Les
Générations d'Adam (No. 248) ;
La Doctrine Socratique de l'Âme
Deuxième Conférence Annuelle Philosophique.
Lue à la British
Academy, 26 Janvier, 1916
Messeigneurs, Mesdames et Messieurs
Lorsque le Président et le Conseil m'ont fait
l'honneur de m'inviter à prononcer la
Conférence Annuelle Philosophique, et quand
ils m'ont demandé de prendre Socrate comme
sujet, ils étaient, bien sûr, conscients du fait que
le traitement d'un tel thème devait être en
grande partie philologique et historique. Je n'ai,
certes, pas de prétention pour être considéré
comme un philosophe, mais je me suis efforcé
de comprendre ce que Socrate était et ce qu'il a
fait, et je conçois que cela est une question
d'intérêt philosophique authentique. Peu
importe ce que c'est, la Philosophie, dans un de
ces aspects, est l'effort progressif de l'homme
La Doctrine Socratique de l’Âme [B6]
pour trouver sa véritable place dans le monde,
et cet aspect doit être traité historiquement, car
il fait partie du progrès humain, et
philologiquement,
car
elle
implique
l'interprétation des documents. Je n'ai pas peur,
alors, de l'objection que la grande majorité de
ce que j'ai à dire aujourd'hui soit de l'histoire
plutôt que de la philosophie. Nous sommes des
hommes, non des anges, et pour beaucoup
d'entre nous notre meilleure chance d'obtenir un
aperçu des choses de leur côté éternel est de les
approcher sur le chemin du temps. En outre,
certains d'entre nous ont ce qu'on peut appeler
un sentiment de loyauté envers les grands
hommes. D'une certaine manière, sans doute, ce
n'est pas grave si nous devons une vérité à
Pythagore ou Socrate ou Platon, mais il est
naturel pour nous de désirer connaître nos
bienfaiteurs et les garder en souvenir
reconnaissant. Je ne m'en excuse pas, donc,
pour le caractère historique des choses que je
dois déposer devant vous, et je vais commencer
par poser le problème sous une forme
strictement historique.
1
Dans une lettre au philosophe Themistius,
l'Empereur Julien dit :
Les réalisations d'Alexandre le Grand sont
surpassées à mes yeux par Socrate fils de
Sophronisque. C'est à lui que j'attribue la sagesse de
Platon, le courage d’Antisthène, le généralat de
Xénophon, les philosophies Eretriac et Megaric,
avec Cebes, Simmias, Phédon et d'innombrables
autres. À lui aussi, nous devons les colonies qu'ils
ont plantées, le Lycée, le Stoa et les Académies. Qui
a jamais trouvé le salut dans les victoires
d'Alexandre ? . . . Alors que c'est grâce à Socrate
que tous ceux qui trouvent le salut dans la
philosophie sont sauvés, même maintenant. 1
Ces paroles de Julien sont toujours vraies, et
c'est en partie pourquoi il y a si peu d'accord sur
Socrate. Les philosophies les plus diverses ont
cherché à se concevoir sur lui, et chaque
nouveau compte-rendu de lui tend à refléter les
modes et les préjugés de l'heure. Une fois il est
un déiste éclairé, à une autre un athée radical. Il
a été salué comme le père du scepticisme et de
nouveau comme le grand prêtre du mysticisme ;
comme un réformateur social-démocrate et en
tant que victime de l'intolérance et l'ignorance
démocratique. Il a même été affirmé - avec au
Page 3
moins autant de raison - comme un Quaker. Pas
étonnant que son dernier biographe, H. Maier,
s'exclame :
En présence de chaque nouvelle tentative pour
amener la personnalité de Socrate près de nous,
l’impression qui revient toujours est la même :
‘L'homme dont l'influence était si répandue et si
profonde ne peut pas avoir été comme ça !’ 2
Malheureusement, ce n'est que l'impression
laissée sur moi par le gros volume de Maier,
mais il a maîtrisé le matériel, et son traitement
de celui-ci est sain dans la mesure où il va. Si
nous pouvons trouver une autre ligne
d'approche, il semble que Socrate doit encore
rester pour nous le Grand Inconnu.
Cela, bien sûr, n'est pas le point de vue de
Maier. Il pense qu'il sait beaucoup de choses
sur Socrate, ou il n'aurait pas écrit 600 pages et
plus sur lui. La conclusion à laquelle il vient
c'est que Socrate n'était pas, à proprement
parler, un philosophe, ce qui rend d'autant plus
remarquable que les philosophes de la
génération suivante, quand bien même ils
diffèrent à d'autres égards, sont tous d'accord
pour considérer Socrate comme leur maître.
Maier fait beaucoup de différences entre les
écoles socratiques et insiste que celles-ci ne
pourraient avoir lieu si Socrate avait été un
philosophe avec un système à lui. Il semble y
avoir quelque chose dans cela à première vue,
mais il ne fait que rendre plus curieux que ces
philosophes auraient voulu représenter leurs
philosophies comme socratiques du tout. Dans
les temps modernes les philosophies les plus
contradictoires ont été appelées cartésienne ou
kantienne ou hégélienne, mais dans ces cas, on
peut généralement faire savoir comment elles
ont été obtenues à partir de Descartes, Kant ou
Hegel, respectivement. Chacun de ces penseurs
a mis en place un nouveau principe qui a été
appliqué de manière divergentes, voire
contradictoires par leurs successeurs, et nous
devrions nous attendre à trouver que Socrate a
fait quelque chose du même genre. Zeller, de
qui la plupart d'entre nous ont appris, pensait
qu'il savait ce que c'était. Socrate a découvert
l'universel et a fondé la Begriffsphilosophie.
Maier n'aura rien à voir avec cela, et je pense
plutôt qu'il est sage. La preuve ne permet pas à
l'examen, et en tout cas l'hypothèse ne ferait
La Doctrine Socratique de l’Âme [B6]
Page 4
que rendre compte de Platon (si elle faisait
même cela). Les autres Socratiques restent
inexpliqués. Toutefois, si nous voulons être
privés de cette construction ingénieuse, nous
voulons quelque chose pour la remplacer, et
pour cela, nous comptons sur Maier en vain. Il
nous dit que Socrate n'était pas un philosophe
au sens propre du mot, mais seulement un
maître de morale avec une méthode particulière
bien à lui, celle de ‘protreptique dialectique’.
En d'autres termes, sa ‘philosophie’ n'était rien
de plus que son plan pour rendre les gens bien
en discutant avec eux d'une façon particulière.
Certes, l'homme dont l'influence a été si grande
'ne peut pas avoir été comme ça !’
II
Maintenant, il est évidemment impossible de
discuter de la question socratique sous toutes
ses faces dans les limites d'une seule
conférence, donc ce que je propose de faire,
c'est de prendre Maier en tant que défenseur
habile et plus récent de la vue que Socrate
n'était pas vraiment un philosophe, et
d'appliquer la méthode socratique de
raisonnement à partir des aveux faits par l'autre
côté. Si nous essayons de voir où ceux-ci nous
conduisent, nous pouvons peut-être tirer des
conclusions que Maier lui-même n'a pas réussi
à tirer, et celles-ci seront d'autant plus
convaincantes si basé uniquement sur des
preuves, il permet d'être valide. Il est un
écrivain sincère, et les hypothèses qu'il fait sont
si peu nombreuses que, si une affaire peut être
faite sur celles-ci seulement, elle a une chance
équitable d'être saine. L'expérience valait au
moins la peine d’être essayée, et le résultat de
celle-ci était nouveau pour moi en tout cas, de
sorte qu'il peut être nouveau pour les autres.
Je décidai de ne pas chercher querelle, alors,
avec l'estimation de la valeur de nos sources de
Maier. Il rejette le témoignage de Xénophon,
qui n'appartenait pas au cercle socratique
intime, et qui avait à peine plus de vingt-cinq
ans quand il a vu Socrate pour la dernière fois.
Il a également interdit la preuve d'Aristote, qui
est venu à Athènes alors qu’il était un garçon
de dix-huit, trente ans après la mort de Socrate,
et qui n'avait pas d'importantes sources
d'information autres que celles accessibles pour
nous. Cela nous laisse avec Platon comme
notre seul témoin, mais Maier n’accepte pas
son témoignage dans son intégralité. Loin de là.
Pour des raisons que je ne dois pas discuter, car
je me propose d'accepter sa conclusion comme
base de discussion, il estime que nous devons
nous en tenir aux premiers écrits de Platon, et il
sélectionne particulièrement l'Apologie et
Criton, auxquels il ajoute le discours
d'Alcibiade dans le Symposium. Dans ces deux
œuvres, et cette seule portion d'une troisième, il
estime que Platon n'avait pas d'autre intention
que ‘de définir la personnalité et l’œuvre du
Maître devant nos yeux sans ajouts de sa part’
3
. Cela ne signifie pas, notez, que l’Apologie
soit un rapport du discours effectivement
prononcé par Socrate à son procès, ou que la
conversation avec Criton dans la prison ait
jamais eu lieu. Cela signifie simplement que le
Socrate que nous apprenons à connaître à partir
de ces sources est le vrai homme, et que le seul
objet de Platon était jusqu'ici de préserver une
mémoire fidèle de lui. Maier utilise d'autres
premiers dialogues aussi, mais il fait certaines
réserves quant à eux ce dont je souhaite éviter
de discuter. Je préfère prendre ses aveux au
sens strict et avec toutes les qualifications sur
lesquelles il insiste. La question, alors, prend
cette forme : ‘Que pouvons-nous savoir de
Socrate en tant que philosophe si aucun autre
récit de lui n’était descendu à nous à part
l'Apologie, le Criton, et le discours d'Alcibiade,
et à la condition que même ceux-ci ne doivent
pas être considérés comme des rapports de
discours ou conversations réels ?’ Je dois
ajouter que Maier nous permet également de
traiter les allusions dans la comédie
contemporaine, preuves à l'appui, bien qu’elles
doivent être admises avec prudence. Telles sont
les conditions de l'expérience que je résolus
d'essayer.
III
Ensuite, en premier lieu, nous apprenons de
l'Apologie et Criton que Socrate avait un peu
plus de soixante-dix quand il a été mis à mort
au printemps de 399 avant JC, et cela signifie
qu'il est né en 470 ou 469 avant JC. Il a été,
ensuite, un homme de l’Âge de Périclès. Il avait
déjà dix ans quand Eschyle a fait ressortir la
trilogie d’Oreste, et environ trente ans quand
Sophocle et Euripide produisaient leurs
La Doctrine Socratique de l’Âme [B6]
premières tragédies. Il doit avoir regardé la
construction du nouveau Parthénon, du début à
la fin. Nous sommes trop enclins à voir Socrate
sur le fond plus sombre de ces jours
postérieurs, auxquels Platon et Xénophon
appartenaient, et à oublier qu'il avait plus de
quarante ans quand Platon est né. Si nous
tenons à le comprendre historiquement, nous
devons d'abord le replacer parmi les environs
de sa propre génération. En d'autres termes,
nous devons nous efforcer de réaliser sa
jeunesse et son âge adulte précoce.
Pour la plupart des gens, Socrate est surtout
connu par son procès et sa mort, et c'est
pourquoi il est souvent représenté comme un
vieil homme. Il n'est pas toujours rappelé, par
exemple, que le Socrate caricaturé par
Aristophane dans les Nuées est un homme de
quarante-six ans, ou que le Socrate qui a servi à
Potidée (432 avant JC) d'une manière qui lui a
valu la Croix de Victoria aujourd’hui avait
environ trente-sept ans. À cette occasion, il a
sauvé la vie d'Alcibiade, qui devait avoir vingt
ans au moins, ou il n'aurait pas été en service
actif à l'étranger. Même si nous supposons de
Potidée qu’il s'agissait de sa première
campagne, Alcibiade avait dix-huit ans de
moins que Socrate tout au plus, et son discours
au Symposium nous entraîne encore plus loin
en arrière, à l'époque où il avait environ quinze
ans. 4 En lisant le récit il est amené à donner du
début de son intimité avec Socrate, nous lisons
de l'enthousiasme d'un jeune garçon pour un
homme venant d'avoir trente ans. L'histoire fait
une impression différente si nous continuons
dans cette perspective. Ce qui nous préoccupe
maintenant, cependant, c’est que la ‘sagesse’ de
Socrate est supposée être de notoriété publique
dans ces premiers jours. C'était juste parce qu'il
avait quelque étrange connaissance nouvelle à
transmettre qu’Alcibiade a cherché à gagner
son affection. 5 Nous verrons la portée de cela
sous peu.
De l'Apologie, nous apprenons en outre que
Socrate conçut lui-même d’avoir une mission
pour ses concitoyens, et que sa dévotion envers
elle l'avait amené à la pauvreté. Il ne peut pas
avoir été vraiment pauvre au départ, car nous
l’avons trouvé servant devant Potidée, ce qui
signifie qu'il avait la qualification de biens
nécessaire à l'époque pour ceux qui servaient
Page 5
comme hoplites. Neuf ans plus tard (423 avant
JC), cependant, lorsqu’Aristophane et Amipsias
l’ont représenté sur la scène comique, il semble
que son indigence commençait à être un
synonyme. Ils ont tous deux fait allusion à ce
qui semble avoir été une blague courante sur
son manque d'un nouveau manteau et tout le
mal que cela lui a pris pour en obtenir un.
Amipsias a déclaré qu'il était ‘né pour énerver
les cordonniers’, mais Socrate peut avoir eu
d'autres raisons que la pauvreté pour marcher
pieds nus. Dans le même fragment, il est traité
comme un ‘homme intrépide qui, malgré sa
faim, ne s’est jamais abaissé pour être un
parasite.’ Deux ans plus tard, Eupolis a utilisé
un langage plus fort. Il appelle Socrate un
‘mendiant bavard, qui a des idées sur tout, sauf
où obtenir un repas. Bien sûr, nous ne devons
pas prendre ce langage trop au sérieux. Socrate
servait encore comme un hoplite à Delium, un
an avant les Nuées d'Aristophane et le Connos
d’Amipsias, et à Amphipolis à l'année suivante.
Quelque chose, cependant, doit être arrivé un
peu avant de l'amener à l’affiche, ou les poètes
comiques ne se seraient pas tous tournés sur lui
à la fois, et il est également clair qu'il avait subi
des pertes de quelque sorte. Très probablement
celles-ci étaient dues à la guerre, en premier
lieu, mais l'Apologie le rend encore plus pauvre
à la fin de sa vie, et il est amené à attribuer cela
à sa mission. Nous pouvons en déduire, je
pense, que la mission publique de Socrate avait
commencé avant l'année des Nuées, mais était
encore une nouveauté alors, de sorte que la
nature n'a pas été bien comprise. Il était absent
d'Athènes, comme nous le savons, l'année
précédente, et sans doute les années
précédentes également, même si nous n'avons
pas la chance d'entendre parler de la bataille
réelle dans laquelle il a participé entre Potidée
et Delium. On nous dit, cependant, que son
habitude de la méditation était une blague dans
l'armée avant Potidée, et que c'est là qu'une fois
il s’est trouvé perdu dans sa pensée pendant
vingt-quatre heures. 6 Il semble comme si
l'appel est venu à lui quand il était dans les
tranchées, et, le cas échéant, la mission n’est
devenue la seule entreprise de sa vie qu'après
Delium, quand il avait quarante-cinq ans.
Maintenant, nous avons vu qu'il était connu
pour sa ‘sagesse’ bien avant, et l’Apologie
confirme le discours d'Alcibiade sur ce point.
La Doctrine Socratique de l’Âme [B6]
Page 6
C'était avant que Socrate soit entré dans sa
mission que Chaerepho est allé à Delphes et
demanda à l'oracle s'il y en avait de plus sage
que Socrate, d'où il suit que cette ‘sagesse’,
quelle qu'elle fût, était quelque chose
d'antérieur à et tout à fait indépendant de la
mission publique décrite dans l'Apologie. Pour
résumer, la preuve que Maier admet suffit pour
prouver que Socrate était connu comme un
‘homme sage’ avant qu'il n’ait eu quarante ans,
et avant qu’il eût commencé à s’occuper de
questionner ses concitoyens. Quoi que nous
puissions penser des détails, tant l'Apologie que
le discours d'Alcibiade supposent que comme
une question de cours, ce qui est encore plus
convaincant que s'il avait été déclaré en autant
de mots.
Par ailleurs, il ne semble pas probable que la
mission de Socrate se trouvait dans aucune
sorte de relation avec la ‘sagesse’ pour laquelle
il était connu dans sa jeunesse. L’Apologie ne
nous aide pas ici. Elle nous dit beaucoup de
choses sur la mission, mais rien quant à la
nature de la ‘sagesse’ qui a incité l'enquête de
Chaerepho, tandis que Alcibiade n’est pas
suffisamment sobre dans le Symposium pour
nous donner plus qu'un soupçon, ce qui ne
serait guère intelligible malgré tout, mais nous
y reviendrons. Ce sera mieux, alors, de
commencer par le récit dans l’Apologie de cette
mission à ses concitoyens à laquelle Socrate a
consacré les dernières années de sa vie, et de
voir si nous pouvons en déduire quelque chose
de lui au sujet de la ‘sagesse’ pour laquelle il
avait été connu au début de l’âge adulte.
IV
On nous dit, alors, que dans un premier temps
Socrate a refusé d'accepter la déclaration de la
Pythie qu'il était le plus sage des hommes, et se
mit à la réfuter en produisant quelqu'un qui
était certainement plus sage. Le résultat de ses
efforts, cependant, était seulement pour montrer
que tous les gens qui étaient sages à leurs
propres yeux et à ceux des autres étaient
vraiment ignorants, et il a conclu que le sens de
l'oracle ne se trouve pas sur la surface. Le dieu
doit vraiment dire que tous les hommes
semblables étaient ignorants, mais que Socrate
était sage à cet égard, qu'il savait qu'il était
ignorant, tandis que d'autres hommes pensaient
qu'ils étaient sages. Ayant découvert le sens de
l'oracle, il a senti maintenant comme son devoir
de défendre la véracité du dieu en consacrant le
reste de sa vie à l'exposition de l'ignorance des
autres hommes.
Cela devrait, on pourrait penser, être évident
que c'est une manière humoristique de dire le
cas. Pour des raisons très suffisantes l'oracle de
Delphes était un objet de suspicion à Athènes,
et, quand Euripide l’expose sous un jour
défavorable, il ne fait que refléter les
sentiments de son auditoire. Il est incroyable
que tout Athénien ait pensé qu'il valait la peine
de faire le moindre sacrifice pour la défense
d'une institution qui s'était distinguée par ses
penchants pro-persans et pro-spartes, ou que
Socrate aurait espéré concilier ses juges en
déclarant qu’il s'était ruiné dans une telle cause.
Nous pourrions aussi bien s'attendre à un jury
de non-conformistes anglais être favorablement
impressionnés par l'argument selon lequel
l'accusé avait été réduit à la misère par son
plaidoyer en faveur de l'Infaillibilité pontificale.
Sur ce point, de récents critiques allemands ont
une idée de la vérité, bien qu’ils tirent pas mal
de mauvaises conclusions. Plusieurs d'entre eux
ont fait la découverte profonde que le discours
que Platon met dans la bouche de Socrate n'est
pas une défense du tout, et n'était pas
susceptible de concilier la cour. Ils poursuivent
pour déduire qu'il ne peut pas avoir parlé ainsi,
et certains d'entre eux ont même conclu que
toute l'histoire de l'oracle est une invention de
Platon. C'est parce qu'ils commencent avec la
conviction que Socrate a dû essayer de faire le
meilleur des cas qu’il pouvait pour lui-même.
‘Il avait seulement besoin’, dit Maier, 7 ‘de
faire appel à l'exactitude avec laquelle il avait
toujours rempli les devoirs religieux d'un
citoyen athénien. L'Apologie de Xénophon le
fait parler ainsi. Et il a certainement parlé
ainsi.’ La conclusion est typiquement
allemande, mais le Socrate que nous pensons
connaître à partir de l'Apologie, le Criton, et le
discours d'Alcibiade ne se serait jamais abaissé
à faire quoi que ce soit de la sorte. Il n'avait pas
peur de l'État, comme les professeurs allemands
le sont occasionnellement. Il a certes reconnu le
droit de traiter ses citoyens comme il pensait,
mais c'est quelque chose de très différent de
La Doctrine Socratique de l’Âme [B6]
reconnaître son titre de contrôler leur liberté de
pensée et de parole.
Le Socrate du Criton insiste, en effet, que la
peine légalement prononcée doit être exécutée,
et qu'il doit donc se soumettre à la mort aux
mains de l'État, mais nous le méprenons si nous
ne parvenons pas à voir qu'il affirme plus
fortement encore son droit de ne pas se
dégrader par une défense humiliante, ou de
rendre les choses faciles pour ses accusateurs
en s'enfuyant, ce qui est exactement ce qu'ils
voulaient qu'il fasse. Non. Chaque partie doit se
conformer à la sentence prononcée ; Socrate
doit mourir, et ses accusateurs doivent mentir
sous la condamnation de la méchanceté et
malhonnêteté. C'est ce qu'il a fait dire à
l'Apologie, 8 et il ajoute qu’ainsi c’était obligé
d’être.
Même Xénophon, qui met en avant le plaidoyer
de la conformité religieuse au nom de Socrate,
montre un peu plus de perspicacité que les
Allemands. Dans sa propre Apologie il admet
que d'autres récits du discours – celui de Platon,
bien sûr, en particulier - ont réussi à reproduire
le ton élevé (:,("80(@D\") de Socrate. Il avait
vraiment parlé comme ça, dit-il, 9 et il était
assez indifférent à l'issue du procès.
Malheureusement, cela est immédiatement
gâché par une plainte que personne n’a comptée
pour son indifférence, de sorte qu'il semblait
‘peu judicieux’, comme il le fait pour les
Allemands. Le point de vue de Xénophon, qu'il
attribue modestement à Hermogène, c'est que
Socrate voulait échapper aux maux de la
vieillesse par une mort rapide. Il ne voulait pas
devenir aveugle et malentendant. Il n'a pas été
donné ni à Xénophon ni aux Allemands de voir
que la seule chose que l'on attend d'un homme
courageux accusé relativement à une accusation
de pacotille est juste ce ton de condescendance
humoristique et persiflage que Platon a
reproduit. Comme nous allons le voir, il y a des
moments graves dans l'Apologie aussi, mais la
défense réelle est plutôt une provocation qu'un
plaidoyer en faveur de l'acquittement. C'est
justement pourquoi nous nous sentons si sûrs
que le discours est vrai pour la vie.
Nous ne devons pas douter, alors, que Socrate a
réellement donné un tel compte-rendu de sa
mission comme celui que nous lisons dans
Page 7
l'Apologie, mais nous devons garder en vue le
caractère ‘ironique’ de cette partie du discours.
La plupart des critiques anglais le prennent
beaucoup trop au sérieux. Ils semblent penser
que le message de Socrate à ses concitoyens
peut avoir été rien de plus que ce qui y est
révélé, et que sa seule entreprise dans la vie
était d'exposer l'ignorance des autres. Si cela
avait été vraiment tout, il est sûrement difficile
de croire qu'il aurait été prêt à affronter la mort
plutôt que de renoncer à sa tâche. Nul doute
que Socrate a jugé que la condamnation de
l'ignorance était la première étape sur la voie du
salut, et que c’était peu d'utilité de parler d'autre
chose à des gens qui avaient encore cette étape
à franchir, mais même Xénophon, que ces
mêmes critiques considèrent généralement
comme une autorité sur ‘le Socrate historique’,
le représente comme un professeur de doctrine
positive. Il devrait être possible de découvrir de
quoi il s'agissait même à partir de l’Apologie
elle-même.
V
Nous ne devons pas supposer, en effet, que
Socrate pensait qu'il valait la peine d'en dire
beaucoup au sujet de son véritable
enseignement au procès, mais il est probable
qu'il a en fait indiqué la nature. Il y en avait
certainement quelques-uns parmi ses cinq cents
juges qui méritaient d'être pris au sérieux.
Même s'il ne l’a pas fait, cependant, Platon était
tenu de le faire pour lui, s'il voulait produire
l'effet qu'il était évidemment déterminé à
produire. Comme une question de fait, il l'a fait
tout à fait indéniablement, et la seule raison
pour laquelle le point est généralement manqué,
c'est que nous avons du mal à nous mettre à la
place de ceux à qui une telle doctrine était
nouvelle et étrange.
Le passage qui nous laisse dans le secret est
celui où Socrate est amené à dire à ses juges
qu'il ne renoncera pas à ce qu'il appelle ‘la
philosophie’, même s’ils devaient offrir de
l'acquitter à cette condition. Ici, plus que
partout ailleurs, est l'endroit où nous
recherchons une déclaration de la vérité pour
laquelle il était prêt à mourir, et Platon le fait
donc donner la somme et la substance de sa
‘philosophie’ en des mots qui ont évidemment
été choisis avec le plus grand soin, et auxquels
Page 8
toute emphase possible est prêtée par la
solennité du contexte et par l'artifice rhétorique
de la répétition. Ce que Socrate est amené à
dire, c'est ceci :
Je ne cesserai pas de la philosophie et de vous
exhorter, et de déclarer la vérité à chacun d'entre
vous que je rencontre, disant dans les mots que je
suis habitué à utiliser : ‘Mon bon ami. . . n'as-tu pas
honte de te soucier de l'argent et comment en obtenir
autant que tu le peux, et pour l'honneur et la
réputation, et ne te souciant pas ou en ne prenant pas
la pensée pour la sagesse et la vérité et pour ton
âme, et comment la rendre aussi bonne que possible
?’
Et encore :
Je prends soin de ne rien faire d'autre que de vous
exhorter, jeunes et vieux, de ne pas vous soucier de
votre corps ou de l'argent aussitôt ou autant que de
votre âme, et comment la rendre aussi bonne que
vous le pouvez.’
Se soucier de leur âme, 10 alors, était ce que
Socrate a exhorté ses concitoyens de faire, et
nous aurons à considérer combien cela
implique. Mais d'abord, il faut noter qu'il y a
beaucoup d'échos de la phrase dans toute la
littérature socratique. Xénophon l'utilise dans
des contextes qui ne semblent pas être dérivés
des dialogues de Platon. Antisthène, paraît-il,
emploie l'expression aussi, et il ne l'aurait guère
empruntée à Platon. Isocrate s’y réfère comme
quelque chose de familier. 11 L'Académie
d'Athènes possédait un dialogue qui a été
évidemment conçu comme une sorte
d'introduction à la philosophie socratique pour
les débutants, et est projeté dans la forme
appropriée d'une conversation entre Socrate et
le jeune Alcibiade. Ce n'est pas, je crois, par
Platon, mais il est d’une date primitive. Dans ce
dialogue Socrate montre que, si quelqu’un doit
prendre soin correctement de lui-même, il doit
tout d'abord savoir ce qu'il est, il est alors
prouvé que chacun de nous est âme, et donc
que prendre soin de nous-mêmes est prendre
soin de nos âmes. Tout est mis dans la manière
simple la plus provocante, avec les illustrations
habituelles de cordonnerie et autres, et il
confirme de façon saisissante ce qui est dit dans
l'Apologie. 12 Je ne suis pas appelé à enfoncer le
clou cependant, car Maier admet, et insiste sur
le fait, que c'est la formule socratique
caractéristique. Voyons donc où cet aveu va
nous mener.
La Doctrine Socratique de l’Âme [B6]
Tout d'abord, je le crains, cela semble ne mener
nulle part en particulier. Un tel langage est
devenu vicié par la répétition, et il faut un effort
pour l'apprécier. Pour autant que les mots
aillent, Socrate a trop bien fait son travail. C'est
une opinion orthodoxe et respectable
aujourd'hui que chacun de nous a une âme, et
que son bien-être est son plus grand intérêt, et
que c’était déjà ainsi au IVe siècle avant JC,
comme nous pouvons le voir dans Isocrate.
Nous supposons sans examen qu'une vague
orthodoxie similaire sur le sujet existait à
l'époque de Socrate aussi, et qu'il n'y avait rien
de très remarquable dans sa réitération de celleci. C'est pourquoi Maier, après avoir atteint en
toute sécurité ce point, se contente de ne pas
enquêter plus loin, et prononce que Socrate
n'est pas un philosophe au sens strict, mais
seulement un maître de morale avec une
méthode bien à lui. J'espère montrer qu'il a
abandonné là où il aurait dû commencer.
Car c'est ici qu’il devient important de se
rappeler que Socrate appartenait au siècle de
Périclès. Nous n'avons pas le droit de supposer
que ses paroles signifiaient autant ou aussi peu
qu'elles pouvaient signifier dans Isocrate ou
dans un sermon moderne. Ce que nous devons
nous demander est ce qu'elles auraient signifié
au début de la guerre de Péloponnèse, et, si
nous posons cette question, nous verrons, je
crois, que, loin de paraître banal, l'exhortation
de ‘se soucier de son âme’ doit avoir été un
choc pour l'Athénien de ces jours-là, et peut
même avoir semblé très ridicule. Il est sousentendu, nous devons observer, qu'il y a
quelque chose en nous qui est capable
d'atteindre la sagesse, et que cette même chose
est capable d'atteindre la bonté et la justice. Ce
quelque chose Socrate l’a appelé ‘âme’
(RLPZ). Maintenant, personne n'avait jamais
dit cela avant, dans le sens où Socrate pensait.
Non seulement le mot (RLPZ) n’avait jamais
été utilisé de cette façon, mais l'existence de ce
que Socrate appelle par le nom n'avait jamais
été réalisée. Si cela peut être prouvé, il sera
plus facile de comprendre comment Socrate est
venu à être considéré comme le véritable
fondateur de la philosophie, et notre problème
sera résolu. Cela implique, bien sûr, une
enquête dans l'histoire du mot RLPZ, ce qui
peut sembler nous mener à des lieues de
La Doctrine Socratique de l’Âme [B6]
Socrate, mais cela ne peut pas être aidé si nous
voulons vraiment mesurer l'importance de
l'avance qu'il a faite. Il est évident que, dans ce
qui suit, j'ai été aidé par Psyché de Rohde, mais
ce travail vraiment excellent me semble
manquer le point même où il doit conduire. Il
n'a aucun chapitre sur Socrate du tout.
VI
À l'origine, le mot RLPZ signifiait ‘souffle’,
mais, par les temps historiques, il avait déjà été
spécialisé de deux manières distinctes. Il était
venu à signifier courage, en premier lieu, et
deuxièmement le souffle de vie. Le premier
sens n'a bien sûr, rien à voir avec notre enquête
actuelle, mais tellement de confusion est née de
l'échec de le distinguer du second, qu’il sera
aussi à défricher en définissant sa portée. Il
existe des preuves abondantes dans de
nombreuses langues d'une idée primitive que la
fierté et le courage s'expriment naturellement
par une respiration difficile, ou – sans vouloir
trop insister dessus - renifler. Peut-être que cela
a été observé pour la première fois chez les
chevaux. En tout cas, l'expression ‘respirer
avec difficulté’ (B<,Ã< :X(") a survécu dans le
sens de ‘être fier’, et les guerriers sont dits ‘de
respirer la colère’ et donc le mot RLPZ a été
utilisé, tout comme le latin spiritus, pour ce que
nous appelons encore ‘esprit fort. Hérodote et
les tragiques l’ont souvent dans ce sens et
Thucydide une fois. 13 De cela est dérivé
l'adjectif ,ÜRLP@l, homme 'fougueux’,
’courageux’ et ‘magnanime’, le :,("8`RLP@l,
est bien ‘l'homme de l'esprit.’ Il est clair que, si
nous voulons découvrir ce que Socrate entend
vraiment par RLPZ lorsqu’il a appelé le siège
de la sagesse et de la bonté de ce nom, nous
devons éliminer toutes les occurrences du mot
qui tombent sous ce chef.
Le deuxième sens de RLPZ est le ‘souffle de
vie’, la présence ou l'absence de ce qui est la
distinction la plus évidente entre l'animé et
l'inanimé. Il s'agit, en premier lieu, du ‘fantôme
ou esprit’ qu’un homme ‘abandonne’ à la mort,
mais il peut aussi quitter temporairement le
corps, ce qui explique le phénomène de la
pâmoison (84B@RP\"). Cela étant, il semble
naturel de supposer que c'était aussi la chose
qui peut errer en liberté lorsque le corps est
endormi et même apparaître à une autre
Page 9
personne, endormi dans son rêve. Par ailleurs,
puisque nous pouvons rêver des morts, ce qui
apparaît alors à nous doit être juste ce que
laisse le corps au moment de la mort. Ces
considérations expliquent la croyance du
monde entier dans ‘l'âme’ comme une sorte de
‘double’ de l'homme corporel réel, l'Égyptien y
ka, l'Italien genius, et le Grec RLPZ.
Or, ce ‘double’ n'est pas identifié avec quoi que
ce soit en nous qui sent et exerce sa volonté au
cours de notre vie éveillée. C’est généralement
supposé être le sang et pas le souffle. Homère a
beaucoup à dire sur les sentiments, mais il
n'attribue jamais un sentiment au RLPZ. Le
2L:`l et le <`@l, qui sentent et perçoivent, ont
leur siège dans le ventre ou le cœur, ils
appartiennent au corps et périssent avec lui.
Dans un sens, sans aucun doute, le RLPZ
continue d'exister après la mort, car il peut
apparaître aux survivants, mais dans Homère, il
est à peine un fantôme, car il ne peut leur
apparaître autrement que dans un rêve. Il s'agit
d'une ombre (F64V) ou image (,Ë*T8@<),
sans plus de substance, comme Apollodore le
dit, que le reflet du corps dans un miroir. 14 Les
âmes de défunts sont des choses sans esprit et
faibles. Tiresias est l'exception qui confirme la
règle, et dans le Nekyia c'est seulement quand
les ombres ont été autorisées à boire du sang
que la conscience leur revient pendant un
certain temps. Ce n'est pas parce que la mort a
ravi le RLPZ de quoi que ce soit qu'il n’a
jamais eu ; il n'avait rien à voir avec la vie
consciente quand il était dans le corps, et ne
peut donc avoir aucune conscience lorsqu'il est
séparé de lui. Quelques favoris du ciel
échappent à ce sort lamentable en étant envoyés
aux îles des Bienheureux, mais ceux-ci ne
meurent pas vraiment du tout. Ils sont emportés
toujours vivants et conservent leurs corps, sans
quoi ils seraient incapables de bonheur. Ce
point aussi est bien noté par Apolfodorus. 15
VII
Il est généralement convenu que ces points de
vue peuvent difficilement être primitifs, et que
les observances du culte mortuaire (J•
<@:4>`:,<"), que nous trouvons pratiqué à
Athènes et ailleurs, témoignent vraiment d'une
strate de croyance plus ancienne. Ils montrent
que, à un moment où le RLPZ ' était censé
Page 10
habiter avec le corps dans la tombe, où il devait
être pris en charge par les offrandes des
survivants en particulier par des libations
(P@"\) versées sur la tombe. Il a été assez
déduit que l'immunité du monde homérique de
fantômes avait beaucoup à voir avec la
substitution de la crémation pour l'inhumation.
Lorsque le corps est brûlé le RLPZ n'a plus un
pied dans cette vie. En tout cas, le fantôme
athénien primitif n'était pas une chose si faible
et impuissante que l'homérique. Si le meurtre
d'un homme demeurait sans vengeance, ou si
les offrandes sur sa tombe étaient négligées,
son fantôme pouvait ‘marcher’, et la fête des
Anthestéries conservait le souvenir d'un temps
où les âmes des défunts étaient censées revoir
leurs anciennes maisons une fois par an. Il n'y a
aucune trace de quoi que ce soit ici que l'on
peut appeler le culte des ancêtres. C'est quelque
chose de beaucoup plus primitif que cela. Bien
que moins impuissant, et donc plus redoutable
que ‘l’ombre homérique’, le fantôme athénien
primitif dépend des offrandes des survivants, et
ils font ces offrandes, en partie, sans doute, par
sentiments de piété naturelle, mais surtout pour
garder le fantôme calme. C'est à peine un culte.
Il est clair, en revanche, que ces croyances
étaient de simples survivances dans l'Athènes
du Ve siècle avant J.-C. Nous ne savons
presque rien sur elles si ce n’est que les
observances mortuaires deviennent d'une
importance juridique en cas d'homicide et
d'héritage, de sorte que les orateurs devaient les
prendre au sérieux, et, d'ailleurs, ils ont
continué tout à fait confortablement côte à côte
avec la croyance totalement contradictoire que
les âmes des défunts allaient toutes à un endroit
qui leur est propre. Nous savons maintenant
que l'image de Lucien de Charon et son bateau
reproduit fidèlement les images du sixième
siècle avant JC ; car elle s’accorde exactement
avec la représentation sur un morceau
récemment découvert de poterie à figures
noires. 16 Là nous voyons les petites créatures
âmes misérables avec des ailes - pleurant sur la
rive et priant pour être prises à bord, tandis que
Charon est assis à la poupe et fait tout ce qu'il a
de la place pour travailler leur passage en
ramant. Les personnes qui ont décoré un
morceau de poterie, de toute évidence le
destinaient à être utilisé dans le culte mortuaire,
La Doctrine Socratique de l’Âme [B6]
une telle scène n’avait évidemment aucune
croyance vivante dans l'existence de l'âme à
l'intérieur de la tombe. On retrouve la même
contradiction en Égypte, mais là les deux
croyances étaient prises au sérieux. Les
Égyptiens étaient un peuple méthodique, il est
sorti de la difficulté en supposant que deux
âmes, l'une d'entre elles (le ka) reste dans la
tombe tandis que l'autre (le ba) s'écarte de la
place du mort. Des dispositifs similaires ont été
adoptés ailleurs, mais les Grecs ne sentaient pas
le besoin de quoi que ce soit de la sorte. Nous
pouvons en déduire sans risque que la vieille
croyance avait perdu son emprise sur eux.
Quelle que soit la façon dont nous le prenons,
les croyances traditionnelles athéniennes de
l'âme étaient assez tristes, et nous ne pouvons
pas nous étonner de la popularité des Mystères
Éleusiniens, qui promettaient un meilleur sort
en quelque sorte aux initiés après la mort. Il ne
semble pas, cependant, que c'était clairement
conçu du tout. L'obligation de secret se référait
au rituel seul, et nous devrions entendre
quelque chose de plus précis quant à la vie
future, si les Mystères avaient été explicites à
ce sujet. Tel qu'il est, le chœur dans les
Grenouilles
d'Aristophane
nous
dit
probablement tout ce qu'il y avait à dire, et cela
seul s’élève à une vision de prés et de fête - une
sorte de pique-nique glorifié. Il y a une chose
que nous pouvons être tout à fait sûrs, à savoir
qu'aucune nouvelle vision de l'âme n’a été
révélée dans les Mystères, car dans ce cas, nous
devrions certainement trouver quelque trace
dans Eschyle. En fait, il ne nous dit rien sur
l'âme, et n’en parle presque jamais. Pour lui,
comme pour la plupart de ses contemporains, la
pensée appartient au corps, c'est le sang autour
du cœur, et qui cesse de penser à la mort. La vie
à venir n'a pas sa place dans son ordre des
choses, et c'est justement pourquoi il est
tellement préoccupé par le problème des péchés
des pères étant visités sur les enfants. Justice
doit être faite sur la terre ou pas du tout.
Dans tous les cas, les promesses existant dans
les mystères sont tout aussi incompatibles avec
les croyances implicites par le culte mortuaire
que sont Charon et son bateau, et le fait que les
Mystères d’Éleusis avaient été pris en charge
par l'État dans le cadre de la religion publique
montre une fois de plus à quel point de telles
La Doctrine Socratique de l’Âme [B6]
croyances avaient une influence sur l'Athénien
ordinaire. Je ne veux pas dire qu’il ne les
croyait pas activement, mais je suppose qu'il
pensait très peu à leur sujet. Après tout, les
Athéniens ont été amenés sur Homère et leurs
croyances quotidiennes de travail ont été tirées
de cette source. Par ailleurs, Homère
commençait
déjà
à
être
interprété
allégoriquement, et la notion qui prévalait à
l'époque de Socrate était certainement que les
âmes des morts étaient absorbées par l'air
supérieur, de même que leurs corps l’étaient par
la terre. Dans les Suppliantes Euripide nous
donne la formule ‘Terre à terre et air à air’, et
ce n'est pas sa propre hérésie. 17 C'était
tellement une question de cours qu'elle avait été
incorporée dans l'épitaphe officielle de ceux qui
sont tombés à Potidée quelques années plus tôt
(432 avant JC). 18 Il n'y a rien de remarquable à
cet égard. Il n'y avait pas de place dans la
religion publique pour toute doctrine de
l'immortalité. Les dieux seuls sont immortels,
et il serait choquant de penser que les êtres
humains peuvent l'être aussi. Les morts ne sont
que des morts, et comment les morts peuventils être immortels ? Dans l'âge héroïque, en
effet, certains êtres humains avaient atteint
l'immortalité en étant transformés en dieux et
des héros, mais on ne s’attend pas à ce que de
telles choses se passent maintenant. Les
honneurs héroïques versés à Brasidas à
Amphipolis avaient un motif politique, et
n’étaient guère pris au sérieux.
VIII
Jusqu'à présent, j'ai traité des croyances du
citoyen ordinaire et de la religion officielle
d'Athènes, mais il aurait été facile de trouver
des gens là-bas qui soutenaient des vues très
différentes sur l'âme. Il y avait les membres des
sociétés orphiques, en premier lieu, et il y avait
aussi les adeptes de la science ionienne,
lesquels étaient devenus assez nombreux depuis
qu’Anaxagore l’a premièrement introduite aux
Athéniens. Dans l'ensemble, les Orphiques se
trouveraient principalement parmi les classes
les plus humbles, et les adeptes de la science
ionienne principalement parmi l'aristocratie
éclairée. Même en l'absence de témoignage
direct nous devrions être obligés de supposer
que Socrate, qui s'intéressait à tout et testait
tout, n'a pas été adopté par les deux
Page 11
mouvements les plus remarquables qui ont eu
lieu à Athènes, dans sa propre génération, et si
nous voulons le remplacer parmi les environs
de son temps il faut certainement tenir compte
de ces éléments. Le mouvement religieux était
le premier en date, et affirme notre attention en
premier.
La caractéristique la plus frappante de la
croyance orphique est qu'elle est basée sur la
négation de ce que nous venons de voir être la
doctrine cardinale de la religion grecque, à
savoir qu'il y a un gouffre infranchissable ou
presque infranchissable, entre les dieux et les
hommes. Les Orphiques soutenaient, au
contraire, que chaque âme est un dieu déchu,
enfermé dans la geôle du corps comme une
punition pour le péché prénatal. Le but de leur
religion telle qu'elle est pratiquée était d'obtenir
la libération de l'âme de l'esclavage au moyen
de certaines observances visant à la nettoyer et
la purger du péché originel (6"2"D:@\). Ces
âmes qui étaient suffisamment purgées
retournaient une fois de plus aux dieux et
prenaient leur ancienne place parmi eux.
Ce n'est certainement pas la croyance primitive
mais la spéculation théologique, comme on la
trouve chez les Hindous et, sous une forme plus
grossière, chez les Égyptiens. Le problème était
jusqu'à récemment qu'il semblait n’y avoir
aucune place pour un âge d'une telle
spéculation dans les limites de l'histoire
grecque comme nous la connaissions, et de
nombreux chercheurs modernes ont suivi
l'exemple d'Hérodote en jugeant que cela venait
des ‘barbares’ et en particulier de l'Égypte. Par
ailleurs, l’Orphisme est étroitement lié au culte
de Dionysos, qui semble provenir de Thrace, et
nous pouvons à peine créditer les Thraces d’un
don pour la théologie mystique. Toutefois, si
nous prenons une vue plus large, nous verrons
que les doctrines de caractère analogue se
trouvent dans de nombreux endroits qui n'ont
rien à voir avec la Thrace. Zielinski a montré de
bonnes raisons de croire que la théologie
hermétique, qui est devenue importante dans
les jours postérieurs, était originaire d'Arcadie,
et en particulier dans Mantinée, la maison de la
prophétesse Diotime, qui ne doit certainement
pas être considérée comme un personnage
fictif. 19 Il y avait des éléments mystiques dans
le culte du Zeus crétois, et un livre de
Page 12
prophéties était existant dans les jours
postérieurs, composé dans le dialecte de
Chypre, qui est pratiquement identique à
l'Arcadien. 20 La répartition géographique de la
doctrine suggère fortement que nous avons
vraiment à faire avec une survie de l'âge
d’Égée, et que la période de la spéculation
théologique que nous semblons obliger de
supposer était juste l’époque de la puissance de
Cnossos. Si c'est le cas, les prêtres d'Héliopolis
dans le Delta peuvent tout aussi bien avoir
emprunté à Crète comme vice versa, s'il y avait
un emprunt du tout. Il n'est pas nécessaire de
chercher des origines lointaines.
Quoi qu'il en soit, il est certain que ces
doctrines ont prospéré excessivement dans le
sixième siècle avant JC, et que leur influence
sur la pensée supérieure de la Grèce était loin
d'être négligeable. Nous devons cependant faire
attention d’éviter toute exagération ici, car, s'il
est certain que les Orphiques attachaient une
importance à ‘l'âme’ qui va bien au-delà de tout
ce qui est reconnu dans la religion publique ou
privée des États grecs, il n'est pas d’aucune
façon si clair qu'ils sont allés bien au-delà du
spiritisme primitif dans le récit qu’ils ont donné
de sa nature. Dans la mesure où l'âme était
censé révéler sa vraie nature dans ‘l'extase’, qui
pouvait être produite artificiellement par des
drogues ou de la danse, c'est évident, mais,
même dans ses manifestations les plus élevées,
la doctrine porte encore les traces de son
origine primitive. La première déclaration dans
la littérature de l'unique origine divine de l'âme
se trouve dans un fragment de l'un des Chants
Funèbres de Pindare, 21 mais même là, elle est
appelée une ‘image de la vie’ ("Æä<@l
,Ë*T8@<) survivant après la mort, beaucoup
dans la manière homérique, et on nous dit
expressément qu'elle ‘dort quand les membres
sont actifs' (,Ü*,4 *¥ BD"FF`<JT< :,8XT<) et
montre sa nature prophétique seulement dans
les rêves. En fait, comme l'a dit Adam, c'est un
peu comme ce qui a été appelé ‘le soi
subliminal’ dans les temps modernes, et est tout
à fait dissocié de la conscience éveillée
normale. 22 Elle peut être divine et immortelle,
mais ce n’est vraiment aucun souci pour nous,
sauf dans le sommeil et au moment de la mort.
Elle ne s'identifie pas à ce que nous appelons
‘je’.
La Doctrine Socratique de l’Âme [B6]
IX
Le mot RLPZ avait également été utilisé par les
écoles scientifiques de l'Ionie dans un tout autre
sens que le sens populaire et traditionnel. Cela
semble avoir son origine dans la doctrine
d’Anaximène, que ‘l’air’ (•ZD), la principale
substance, était la vie du monde, tout comme le
souffle est la vie du corps. Cette doctrine a été
enseignée à Athènes par Diogène d'Apollonia
au début de la vie adulte de Socrate, qui est
représenté comme un adepte de cela dans les
Nuées d'Aristophane. L'accent est mis
entièrement sur le côté cosmique, cependant. Il
n'y a pas d'intérêt particulier dans l'âme
humaine individuelle, qui est juste cette partie
de l'air sans bornes qui se trouve être enfermé
dans notre corps pour le moment, et qui
représente notre vie et notre conscience. Il y a
une grande avance sur les vues primitives ici
dans la mesure où le RLPZ est identifié ici
pour la première fois avec la conscience
éveillée normale, et non pas avec la conscience
du rêve. Ce point est particulièrement souligné
dans le système d'Héraclite, qui reposait
précisément sur l'opposition entre rester éveillé
et dormir, la vie et la mort. 23 L'âme éveillée est
celle dans laquelle l'élémentaire de feu brûle vif
et sec, le sommeil et la mort sont dus à son
extinction partielle ou totale. Par ailleurs, l'âme
est dans un état de flux, tout autant que le
corps. Elle aussi est une rivière dans laquelle
vous ne pouvez pas entrer deux fois, il n'y a
rien que vous puissiez mentionner comme ‘je’
ou même ‘ceci’. Anaxagore préférait appeler la
source du mouvement qu’il était obligé de
postuler <@Øl au lieu de RLPZ, mais pour
notre but actuel il voulait dire la même chose.
La caractéristique commune à toutes ces
théories est que notre vie consciente vient à
nous ‘du dehors’ (2bd"2,<), comme Aristote le
dit, en employant un terme utilisé ailleurs dans
la description de la respiration. Son existence
est d’un caractère temporaire et accidentel,
dépendant uniquement sur le fait que, pour le
moment, une partie de la substance primaire est
enfermée dans un corps particulier. On verra
que cela correspond assez bien avec l'idée
communément acceptée à Athènes et exprimée
dans la formule ‘Terre à terre et air à air’. C'est
pourquoi personne n'a été choqué par la vision
scientifique. Les ‘sophistes’ ont été accusés de
La Doctrine Socratique de l’Âme [B6]
presque tout, mais je ne me souviens pas de
quelque endroit où ils sont accusés de ne pas
‘penser noblement de l'âme.’ Il n'y avait pas de
doctrine de l'âme dans la religion reçue, ou
aucune peine d'en parler, et il pourrait donc n’y
avoir aucune impiété dans ce que les sophistes
enseignaient. La doctrine orphique était
beaucoup plus susceptible d'offenser les
préjugés courants.
Les Pythagoriciens pourraient, peut-être, avoir
développé une doctrine plus adéquate de l'âme,
car ils partageaient les intérêts religieux des
Orphiques et les intérêts scientifiques des
Ioniens. En l'occurrence, toutefois, leurs études
musicales et médicales les ont amenés à la
considérer comme un ‘mélange’ (6D•F4l) ou
‘initiation’ (VD:@<\") des éléments qui
composent le corps, dont, par conséquent, elle
est simplement une fonction. 24 Démocrite est
allé si loin, en effet, pour distinguer les plaisirs
de l'âme comme plus ‘divins’ que ceux du
‘tabernacle’ (F6-<@l) ou corps, mais, puisqu’il
soutenait l'âme d’être corporelle, c’était
seulement une différence de degré. 25 Dans
l'ensemble, nous devons conclure que ni la
religion ni la philosophie au cinquième siècle
avant JC ne savaient quelque chose de l'Âme.
Ce qu'ils ont appelé par ce nom était quelque
chose d’extrinsèque et dissocié de la
personnalité normale, qui était tout à fait
dépendante sur le corps.
X
Dans la littérature athénienne du Ve siècle,
l'idée de l'âme est encore plus inconnue. On
aurait pu s'attendre à ce que la théorie orphique,
sinon la théorie scientifique, ait laissé une trace,
mais même cela n'est pas arrivé. Dans une
affaire de ce genre les impressions vagues et
générales sont inutiles, et les observations que
je m'apprête à faire sont basées sur ce que je
crois être une énumération complète de toutes
les occurrences du mot RLPZ dans la littérature
existante athénienne du Ve siècle, incluant
Hérodote, qui a écrit principalement pour les
Athéniens. J'ai été très surpris par le résultat de
cette enquête, qui a montré que, jusqu'à la fin
du siècle, il y a à peine une instance du mot
dans n'importe quelle autre sens qu'un sens
purement traditionnel.
Page 13
En premier lieu, comme je l'ai dit avant, il
signifie souvent ‘esprit fort’ ou courage, mais
cela ne nous concerne pas pour le moment.
Dans un certain nombre de passages, il signifie
‘fantôme’, mais les fantômes ne sont pas
souvent mentionnés. Dans un grand nombre
d'endroits, il peut être traduit par ‘vie’, et c'est
là que commencent les malentendus possibles.
Il n'a pas, en fait, été suffisamment observé que
RLPZ , dans la littérature de cette période, ne
signifie jamais la vie d'un homme, sauf quand il
est mourant ou en danger de mort, ou, en
d'autres termes, que l'usage attique est de cette
façon le même que celui d'Homère. Vous
pouvez perdre ou ‘abandonner’ votre RLPZ ou
vous pouvez le sauver, vous pouvez le risquer
ou vous battre ou parler pour sa défense ; vous
pouvez le sacrifier comme Alceste ou vous
accrocher ignoblement à lui comme Admète.
‘Aimer son RLPZ' est craindre la mort, et
N48@RLP\" est un mot commun pour la
lâcheté. Dans le même sens, vous pouvez dire
qu'une chose est chère comme ‘la vie chère’.
Quant au RLP"\ d'autres personnes, vous
pouvez les pleurer ou les venger, dans ce cas,
RLPZ signifie clairement vie perdue, et peut
tout aussi bien être rendu ‘mort’ comme ‘vie’.
La seule chose que vous ne pouvez pas faire
avec un RLPZ est de vivre par lui. Quand
Héraclès dans Euripide 26 offre à Amphitryon
de ‘faire violence à son âme’, il signifie
‘Forcez-vous à vivre’, et le sens littéral de ses
paroles est ‘Réprimez le souffle de vie par la
force’ et ne le laissez pas s'échapper. ‘Refusez
de rendre l'âme’, vient près de lui. De même,
l'expression "Récupérez votre RLPZ’ 27
signifie proprement ‘Faites un effort pour ne
pas vous évanouir’, et implique la même idée
de retenir son souffle. Vous rechercherez les
écrivains athéniens du Ve siècle en vain pour
une seule instance de RLPZ signifiant ‘vie’,
sauf en relation avec l’évanouissement ou la
mort.
Le RLPZ est également mentionné dans les
tragiques comme le siège de certains
sentiments, dans ce cas, nous le rendons
naturellement par ‘cœur’. Ce qui n'a pas été
observé, c'est que ces sentiments sont toujours
d'un genre très spécial. Nous avons vu que
Pindar pensait du RLPZ comme une sorte de
‘soi subliminal’ qui ‘dort quand les membres
Page 14
sont actifs,’ mais a des visions prophétiques
quand le corps est endormi. Dans la tragédie
attique cette fonction est généralement attribuée
au cœur et non pas à ‘l'âme’, mais il y a un
endroit au moins où RLPZ semble bien
signifier le ‘subconscient’. Dans les Troades le
nourrisson Astyanax, alors qu'il s'apprêtait à
mourir, s’est plaint de n'avoir eu aucune
expérience consciente des privilèges de la
royauté. ‘Tu les as vus et les a marqués dans
ton RLPZ mais tu ne les connais pas.’ 28 Cela
semble être le seul endroit où la connaissance
de toute sorte ne soit jamais attribuée au RLPZ,
et il est expressément nié pour être la
connaissance. C'est seulement la conscience
vague de la petite enfance qui ne laisse aucune
trace dans la mémoire. Nous constatons la
même idée dans un autre endroit où quelque
chose est dit de frapper au RLPZ comme
familier, c'est-à-dire, éveiller des souvenirs
dormants. 29 Cela explique en outre comment le
RLPZ peut être fait de ‘souffrir’ en étant
touché sur le vif, et aussi pourquoi certaines
douleurs sont dites ‘d’atteindre’ le RLPZ. Nous
parlons toujours d'un spectacle ‘émouvant’ ou
un appel qui ‘atteint’ le cœur, même si nous
avons oublié la psychologie primitive sur
laquelle les phrases sont fondées.
Si nous suivons cette idée, nous constatons que
les sentiments en référence au RLPZ sont
toujours ceux qui appartiennent à cette partie
obscure de nous qui a le plus d'affinité avec la
conscience du rêve. Telles sont les aspirations
étranges et pressentiments et chagrin ‘trop
grand pour les mots’, comme on dit. Tel est,
aussi, le sentiment d'oppression et de tristesse
qui accompagne les sentiments d'horreur et de
désespoir, et qui est parlé comme un poids dont
nous cherchons à alléger notre RLPZ. L'anxiété
et la dépression - ce que nous appelons ‘esprits
faibles’ - ont leur siège dans le RLPZ, et ont
donc toutes les terreurs et frayeurs dépourvues
de raison. L’étrange passion dominante, comme
l'amour de Phèdre, est dite une ou deux fois
d’attaquer le RLPZ. .30 Deux fois dans
Sophocle, il est le siège du sentiment agréable
(,Ü<@4"), mais cela va plutôt au-delà de sa
gamme ordinaire. 31
Il est sûr de dire que le RLPZ n'est jamais
considéré comme ayant quelque chose à voir
avec la perception ou la connaissance claire, ou
La Doctrine Socratique de l’Âme [B6]
encore avec l’émotion articulée. Il reste quelque
chose de mystérieux et étrange, tout à fait en
dehors de notre conscience normale. Le don de
prophétie et de compétences magiques y font
une ou deux fois référence, mais jamais la
pensée ou le caractère. Il est donc encore
essentiellement le ‘double’ de la croyance
primitive, et c'est justement pourquoi il peut
nous répondre ou être adressé par nous, comme
si c'était quelque chose de distinct de nous.
Cela, bien sûr, est devenu un maniérisme ou
une façon de parler, mais ce n'était pas ainsi au
premier abord. ‘L'âme’ du Veilleur dans
l’Antigone, qui tente de le dissuader de faire
son rapport à Créon, peut prétendre la parenté
avec la ‘conscience’ de Lancelot Gobbo dans
Le Marchand de Shakespeare.
Nous allons maintenant être en mesure de voir
l’orientation de certains usages spéciaux du
mot RLPZ. On en parle, par exemple, comme
le siège d'une conscience coupable. Cela est
mis en évidence clairement par un passage
remarquable dans Antiphon, 32 où il amène son
client à discuter qu’il ne serait jamais venu à
Athènes, s'il avait été conscient de sa
culpabilité. ‘Un innocent RLPZ souvent, dit-il,
‘préservera à la fois lui-même et un corps
épuisé, mais un coupable laissera même un
corps vigoureux dans le pétrin’. C'est à partir
du même point de vue que la loi de l'homicide
exige la confiscation de ‘l'âme’ coupable (º
*DVF"F" ou $@L8,bF"F" RLPZ), 33 une
phrase dans laquelle l'utilisation de RLPZ
comme le siège de la conscience est combinée
avec son sens de la vie comme une chose à
perdre. Plusieurs passages des tragiques doivent
être interprétés comme la lumière de cela.
Eschyle, en effet, fait résider la conscience dans
le cœur, comme il fallait s'y attendre, mais il est
catégorique en la référant à la conscience du
rêve. C’est ‘dans la bonne saison’ que la plaie
du remords éclate. 34 Même le Céphale placide
de la République de Platon est réveillé une fois
encore de son sommeil par crainte qu'il puisse
avoir péché contre des dieux ou des hommes
sur la conscience.
Un autre sentiment mystérieux étroitement
associé à l'élément subconscient dans notre vie
est le sentiment de parenté, ce que les Français
appellent la voix du sang. Les Grecs aussi, le
plus souvent parlaient du sang à cet égard, mais
La Doctrine Socratique de l’Âme [B6]
Clytemnestre dans Sophocle traite Electre
comme ‘née de mon RLPZ 35 et parfois des
parents proches sont mentionnés comme ayant
‘une même âme’ au lieu ‘d’un même sang’.
Enfin, il faut remarquer une utilisation curieuse
et particulièrement instructive du mot, que nous
connaissons pour avoir été dérivée de la langue
populaire. Le RLPZ est le siège de l'humeur et
l'appétit capricieux, et surtout de ces désirs
inexplicables pour certains types d'aliments et
de boissons qui émergent parfois de la partie la
plus irrationnelle et incontrôlée de notre nature.
Le Cyclope dans Euripide, qui n'a pas goûté à
la chair humaine depuis si longtemps, dit qu'il
va faire à son RLPZ un bon tour en mangeant
Ulysse jusqu’à la dernière miette. 36 Même
Eschyle ne dédaigne pas d’amener le fantôme
de Darius à conseiller aux aînés persans de
‘donner à leur âmes un peu de plaisir de jour en
jour’ 37. Ainsi les Romains disaient animo ou
genio indulgere, et parlaient d'agir animi causa.
C'est une pièce étrange de la psychologie
primitive, et il est certainement commode de
faire un ‘double’, pour lequel vous n'êtes pas
strictement responsable, la source de ces
aspirations étranges pour une belle vie à
laquelle les meilleurs d'entre nous sont soumis
de temps en temps. Le ka égyptien avait des
tendances similaires. Vu de cette façon, le
RLPZ est l'élément simplement ‘animal’ de
notre nature.
J'ai maintenant couvert pratiquement toutes les
utilisations du mot RLPZ dans la littérature
athénienne du Ve siècle. Même dans Lysias,
qui appartient au quatrième siècle, il n'y a
qu'une seule occurrence du mot dans n'importe
quel sens sauf traditionnel, mais, ce qui est
d'autant plus remarquable puisqu'il avait
appartenu à la frange au moins du cercle
socratique. Les quelques exceptions que j'ai
notées sont toutes du genre qui confirme la
règle. Quand Hérodote discute l'origine
égyptienne supposée de la croyance en
l'immortalité, il utilise naturellement RLPZ
dans le sens orphique. 38 Hippolyte dans
Euripide parle d'une ‘âme vierge’, mais il est
vraiment une figure orphique. 39 Sinon, le mot
est utilisé par Euripide d'une manière purement
traditionnelle, même dans les Bacchantes.
Eschyle l’emploie très rarement, et alors tout
simplement. Sophocle, comme on pouvait s'y
Page 15
attendre, est assez subtil, mais je ne trouve pas
plus de deux passages où il va vraiment au-delà
des limites que je viens d'indiquer, et tous deux
se produisent dans une de ses dernières pièces
de théâtre, le Philoctète. Ulysse raconte à
Néoptolème qu'il doit ‘piéger le RLPZ de
Philoctète avec des mots,’ 40 ce qui semble
impliquer que c'est le siège de la connaissance,
et Philoctète parle de ‘l'âme moyenne d'Ulysse
observant à travers les recoins,’ 41 ce qui
semble impliquer qu'il est le siège du caractère.
Ces exemples font partie de la fin du siècle et
anticipent l'utilisation du suivant. Il n'y a pas
d'autre endroit où il est même suggéré que
‘l'âme’ ait quelque chose à voir avec la
connaissance ou l'ignorance, la bonté ou la
méchanceté, et pour Socrate c'était la chose la
plus importante à ce sujet.
Maintenant, si même la poésie élevée observait
ces limites, nous pouvons être sûrs que le
langage populaire l’a fait encore plus
strictement. Quand exhorté de ‘prendre soin de
son âme,’ l’homme du commun à Athènes
pouvait supposer qu'il était conseillé d'avoir un
regard prudent pour sa sécurité personnelle, de
‘prendre soin de sa peau’, comme on dit, ou
même qu'il était recommandé d'avoir ce qu'on
appelle ‘un bon moment’. Si nous pouvons
faire confiance à Aristophane, les mots lui
suggéreraient qu'il devait ‘prêter attention à son
fantôme’. Les Oiseaux nous disent comment
Pisandre est venu vers Socrate ‘voulant voir le
RLPZ qui l'avait déserté alors qu’il vivait
encore’, où il y a un jeu sur le double sens
‘courage’ et ‘fantôme’. Socrate est reconnu
comme l'autorité sur RLPZ, qui ‘appelle les
esprits’ (RLP"(T(,Ã) des profondeurs. 42 Les
détenus de son usine de pensée (ND@<J4FJZD4@<) sont appelés en dérision ‘sages RLP"\’
dans les Nuées. 43 Il est vrai qu’une fois dans
Aristophane nous entendons parler d’‘âmes
rusées’ (*`84"4 RLP"\), ce qui nous rappelle le
Philoctète, mais le locuteur est un vendeur
d’oracles de Oreos, de sorte que c'est une autre
exception qui confirme la règle. 44 Nous
pouvons, je pense, réaliser la perplexité que
l'enseignement de Socrate produirait, si nous
pensons au sentiment inconfortable souvent
suscité par les mots anglais ‘ghost’ [fantôme] et
‘ghostly’ [fantomatique] dans leur sens ancien
de ‘esprit’ et ‘spirituel’. Il y a quelque chose de
La Doctrine Socratique de l’Âme [B6]
Page 16
pas tout à fait rassurant dans l'expression ‘mise
en garde fantomatique’.
XI
La nouveauté de cette utilisation socratique du
mot RLPZ est également indiquée par les
phrases curieusement provisoires, il est parfois
fait de lui substituer des phrases telles que ‘Peu
importe ce qui est en nous qui a la connaissance
ou l'ignorance, la bonté ou la méchanceté.’ 45
Sur le même principe, je devrais expliquer la
référence d'Alcibiade dans le Symposium au
‘cœur ou l'âme ou tout ce que nous devrions
l'appeler.’ 46 Ces touches historiques fines sont
beaucoup à la manière de Platon, et l'hésitation
d'Alcibiade est naturelle si Socrate a été le
premier à utiliser le mot comme ça. Il a nié, si
je ne me trompe, que l'âme était une sorte de
second soi mystérieux, et identifié franchement
avec notre conscience ordinaire, mais, par
ailleurs, il le tenait pour être plus que ce qu'il
semblait être, et par conséquent à exiger tous
les ‘soins’ que les adeptes d'Orphée dirent aux
hommes de donner au dieu déchu en leur sein.
Sans doute, il est ouvert à toute personne
d’affirmer que, même ainsi, Socrate n'était pas
vraiment original. Il combine seulement la
doctrine orphique de la purification de l'âme
déchue avec la vision scientifique de l'âme
comme la conscience éveillée. C'est un
dispositif préféré de ceux qui font leur affaire
de déprécier l'originalité des grands hommes.
Par contre, il peut être recommandé la
puissance de la transfusion apparemment
disparate, c’est exactement ce que l'on entend
par l'originalité. La vue religieuse et le point de
vue scientifique auraient pu continuer
indéfiniment côte à côte, comme nous les
trouvons en fait simplement juxtaposés dans
Empédocle. Il a fallu un Socrate pour voir qu'ils
étaient complémentaires, et en les unissant pour
permettre d'atteindre l’idée mieux rendue en
anglais par le vieux mot ‘spirit’ [esprit]. Dans
ce sens et dans cette mesure, il a été le
fondateur de la philosophie.
À partir de l'Apologie seule, on peut, j'en suis
sûr, déduire que pour Socrate l'immortalité de
l'âme suivait comme un corollaire nécessaire de
ce point de vue de sa nature, mais la chose
importante à noter est que ce n'était pas le point
à partir duquel il a commencé ni celui sur
lequel il a insisté principalement. Si, pendant
un moment, je peux aller au-delà de l’Apologie
et Criton pour un argument négatif, ce n'est pas
un peu remarquable que, tant dans le Phédon 47
et la République, 48 Platon représente les
proches intimes de Socrate comme surpris par
sa profession de croyance en l'immortalité. Il ne
semble pas, alors, que cela formât le thème
ordinaire de son discours. Ce qu'il a prêché
comme la seule chose nécessaire pour l'âme,
c'est qu'elle doit s'efforcer de la sagesse et de la
bonté.
Bien sûr, Maier est contraint par la preuve qu’il
admet comme valable de reconnaître que
Socrate appelait son travail dans la vie
‘philosophie’, mais il estime que cette
philosophie consistait uniquement dans
l'application de la méthode dialectique à
l'exhortation morale. C'est pourquoi il dit que
Socrate n'était pas philosophe au sens strict du
terme. S'il veut seulement dire qu'il n'avait pas
exposé un système dans un cycle de
conférences, c’est sans doute vrai, mais, même
dans les pires moments, la philosophie ne
signifiait jamais simplement cela pour les
Grecs. Il n'est pas exact non plus de dire que la
sagesse de laquelle Socrate est amené à parler
dans l’Apologie et Criton était simplement la
sagesse pratique. À ce stade, Maier fait une
grave erreur en important la distinction
aristotélicienne entre ND`<0F4l et F@N\" dans
la discussion. Nul doute que cette distinction a
sa valeur, mais à cette date ND`<0F4l et
F@N\" c’étaient des termes complètement
synonymes, et ils ont continué à être utilisés
tout pêle-mêle par Platon. C'est la sagesse et la
vérité (ND`<0F4l 6"Â •8Z2,4") que l'âme doit
viser, et c'est un anachronisme d’introduire
l'idée aristotélicienne de la ‘vérité pratique’. Si
le mot ND`<0F4l est dans l'ensemble préféré à
F@N\", c'est uniquement parce que celui-ci
avait plutôt de mauvaises associations, comme
notre ‘intelligence’. Ce n'est pas la peine,
cependant, de gaspiller des mots sur ce point,
car la doctrine socratique que la Bonté est la
sagesse s’élève à un déni qu'il n'y a aucune
distinction ultime entre la théorie et la pratique.
XII
Les conditions de notre expérience ne nous
permettent pas d'admettre beaucoup de preuves,
La Doctrine Socratique de l’Âme [B6]
et cela semblait d'abord assez peu prometteur.
Néanmoins, nous avons été en mesure de
parvenir à un résultat de première importance,
qui doit maintenant être exprimé avec
précision. Nous avons constaté que, si
l'Apologie est digne de confiance dans une
affaire de ce genre, Socrate avait l'habitude
d'exhorter ses concitoyens à ‘prendre soin de
leurs âmes’. Cela est admis par Maier. Nous
avons vu également que cette exhortation
implique une utilisation du mot RLPZ et une
vue sur la nature de l'âme tout à fait inconnue
avant l'époque de Socrate. Les Orphiques, en
effet, avaient insisté sur la nécessité de purger
l'âme, mais pour eux l'âme n'était pas la
personnalité normale ; 49 c'était un étranger d'un
autre monde qui habitait en nous pendant un
certain temps. Les cosmologistes ioniens
avaient certes identifié l'âme avec notre
conscience éveillée, mais cela aussi est venu à
nous de l'extérieur. Comme Diogène
d'Apollonia le dit, c'était un ‘petit fragment de
dieu’, 50 par lequel il entendait une partie de
‘l’air’ cosmique qui se passe pour le moment
pour animer notre corps. Socrate, autant que
nous avons pu voir, a été le premier à dire que
la conscience normale était le vrai soi, et qu'elle
méritait toute l'attention accordée au locataire
mystérieux du corps par les religieux. Les
railleries d'Aristophane expliquaient clairement
que Socrate était connu comme un homme qui
parlait étrangement de l'âme avant 423 avant
JC, et cela nous ramène à une époque où Platon
n’avait pas cinq ans, de sorte qu'il ne peut être
question de lui comme l'auteur de la vue qu'il
attribue à Socrate. Nous pouvons bien conclure,
je pense, que la ‘sagesse’ qui impressionna tant
le garçon Alcibiade et le Chaerepho impulsif,
c'était juste cela.
J'ai promis de ne pas aller au-delà de la preuve
autorisée par Maier, et je dois donc m'arrêter
sur le seuil de la philosophie socratique. Je ne
peux pas, cependant, m'abstenir de suggérer les
lignes sur lesquelles une enquête plus
approfondie procéderait. Dans un dialogue écrit
trente ans après la mort de Socrate, le Théétète,
Platon lui fait décrire sa méthode d’amener les
pensées à la naissance dans un langage dérivé
de l'appel de sa mère, et nous pouvons prouver
que cela est véritablement socratique de la
preuve d'Aristophane, qui s'était moqué de lui
Page 17
plus d'un demi-siècle auparavant. 35 La
méthode maïeutique implique à son tour la
théorie de la connaissance mythiquement
exprimée dans la doctrine de la Réminiscence.
La doctrine de l'Amour, dont Socrate dans le
Symposium prétend avoir apprise de Diotime,
n'est que le prolongement de la même ligne de
pensée, et il peut être ajouté qu'elle fournit
l'explication naturelle de sa mission. Si Socrate
estimait
vraiment
que
l'âme
était
irrésistiblement poussée à aller au-delà d’ellemême de la manière qui y est décrite, il n'y
aurait pas eu besoin d'un oracle de Delphes
pour qu'il prenne la tâche de convertir les
Athéniens. Cela, toutefois, transgresse les
limites que je m’étais imposées, et je ne veux
pas préjuger de ce que je crois être le résultat
solide que nous avons atteint. C'est en soi
suffisant pour montrer qu'il y a très peu de
conséquences si nous appelons Socrate un
philosophe au sens propre ou non, car nous
voyons maintenant comment c’est grâce à lui
que, selon les mots de Julien, ‘tous ceux qui
trouvent le salut dans la philosophie sont
sauvés, même maintenant.’ C'est le problème
que nous avons cherché à résoudre. Je voulais
émettre quelques conseils pour montrer que
Maier aurait à écrire 600 autres pages au moins
pour épuiser les implications de ses propres
aveux. Certains d'entre nous préfèrent penser
que cela a déjà été mieux fait par Platon.
NOTES
1
264 c.
H. Maier, Sokrates, sein Werk und
seine
geschichtliche Stellung (Tűbingen, 1913), p. 3.
3
p. 147.
2
4
En passant de l'histoire de sa première intimité avec
Socrate à celle de Potidée, Alcibiade dit J"ØJV J, (VD
:@4 –B"<J" BD@L(`<,4s 6"Â :,J• J"ØJ" 6J8.,
‘C'était une vieille histoire, mais à un moment ultérieur,
&c.’ (Symp., 219 C, 5).
5
Il pensait que ce serait un coup de chance BV<J
•6@ØF"4 ÐF"B,D @âJ@l ³*,4 (Symp., 217 a, 4).
6
Symp., 220 c, 3 ss. Maier dit (p.301 n.) que cela dépend
évidemment de la tradition digne de confiance.
7
P. 105.
8.
39 b, 4 ss.
9
Xen., Apol.,I, õ 6"Â *-8@< ÜJ4 Jè Ü<J4 @ÜJTl
§DD20 ßBÎ GT6DbJ@Ll. Plato était présent au
procès., mais Xénophon était ‘quelque part en Asie.'
La Doctrine Socratique de l’Âme [B6]
Page 18
10
29 d, 4 ss., et 3o a, 7 sqq.
28
Eur., Tro ., 1171. Voir BH Kennedy dans la note de
Tyrrell.
11
Pour les références, voir Maier, p. 333, n.3. L'allusion
à Isocrate (Antid., § 309) a été notée par Grote (Platon,
vol. I. P. 341).
12
29.
Soph. El ;. 902.
30.
Eur., Hipp., 504, 526.
31.
Soph., OC., 498, fr. 98.
32.
De Caede Herodis § 93.
33
Antiphon, Tet., T. a, 7. Cf. Platon, Lois, 873 A, i.
34
Voir Headlam, Agamemnon, p 186.
35
Soph., El ., 775.
36.
Eur ., Cycl. , 340
37
Aesch., Pers., 840.
38
Hérode., Ii. 123.
39.
Eur., Hipp., 1006
40.
Soph., Phil ., 55
41
sopli., Phil., 1013 ..
42
Arist. , Oiseaux, 1 555 sqq.
43
Arist., Nuées, 94.
44
Arist., Paix, 1068.
[Platon] Alc., I. 127 e, 9 ss.
14
Apollodore B,DÂ 2,ä< (Stob., Ecl., i. P- 420,
Wachsm.) ßB@J\2,J"4 J•l RLP•l J@Ãl ,Â*f8@4l
J@Ãl ¦< J@Ãl 6"JbBJD@4l N"4<@:X<@4l `:@\"l
6"Â J@Ãl *4• JT< ß*VJT< FL<4FJ":X<@4l, J@Ãl
*4• JT< ß*VJT< FL<4FJ":X<@4l J@Ãl *4• JT<
ß*VJT< FL<4FJ":X<@4l, FJ,D,D<f*0 *¥ bB`FJ"F4<
@Û*,:\"< §P,4 ,Æl •<J\80R4< 6"Â VNZ<.
15
Apollodore , ib . (Stob., ECL,. i P-422. ), J@bJ@4l
:¥< @Þ< 6"Â J• Ff:"J" B"D,\<"4.
16
Furtwiiigler , Charon, eine altattische Malerei (Archiv
für Religions-wissenschaft, viii. (1905), pp 191 sqq.).
17
Eur. Suppl, 533. B<,Ø:" :¥< BDÎl "Æ2XD",
J× Fä:" *z ¦l (-<.
18
CIA, I. 442 -
"Æ2²D :¥< RLP•l bB,*,r>"J@, Ff:"J" *¥ P2f<
19.
Archiv für Religionmissenscliaft, ix. (1906 ), p. 43. -
20
Sur Euclous le Cyprien, voir M. Schmidt dans Kuhns
Zeitschrift, ix. (1860), pp.361 sqq. L'identité des
dialectes arcadien et chypriote est la plus sûre et
fondamentale faite à l'égard de l'Äge Égée.
21
Pindare, fr. 131 Bergk.
45
. Cf, Clito, 47 e, 8, ÓJ4 B@Jz ¦FJÂ ²:,J ¦DT<s B,DÂ
Ó » J, •*46\" 6"Â º *46"4@Fb<0 ¦FJ\< .
46.
Symp. 218 A, 3, RLPZ J¬< 6"D*\"< (•D » RLP¬< »
ÜJ4 "ÛJÎ Ï<@:VF"4 6J8
47
Platon, Phaed., 70 2, 1 ss.
48
Platon, Rép., 6o8 d, 3.
22
Adam, The Doctrine of the Celestial Origin of the Soul
(Cambridge Praelections, 1906). Adam a fait remarquer
(p.32) que Myers a choisi le fragment Pindarique comme
le titre de son chapitre sur le Sommeil (Human
Personality, vol.ip121).
23.
Voir ma Greek Philosophy, Part 1, Thales to Plato,
§41.
24
Voir ib. § 75 -
25
Voir ib. § 155,
27
Eur. Herc, 626. Fb88@(@L RLP-l 8"$¥ 3 JD`:@L
J, B"ØF"4. Cf. Phoen., 850, •88• Fb88,>@<
F2X<@l ] 6"Â B<,Ø:z Ü2D@4F@<.
49
La doctrine de B"84((<F\" ou transmigration, sous sa
forme habituelle, implique cette dissociation de ‘l'âme’
du reste de la personnalité. Pour cette raison, je ne crois
pas que Socrate l'ait accepté dans ce sens.
50
A.19. Diels, : 46DÎ <: `D4 @ <J @ Ø 2, Ø @.
51
Arist., Nuées 137.

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