Le désir
Introduction
- Le mot désir a une origine proprement... sidérante : en effet, désir vient du verbe latin
desiderare, lui-même formé à partir de sidus, sideris, qui désigne l'astre étoile ou
planète, ou la constellation (d'étoiles).
- Au sens littéral, de-siderare signifie "cesser de contempler (l'étoile, l'astre)" : faut-il y
voir l'idée que le désir ne se contente pas de "contempler", mais cherche à
"consommer" son objet ? Toujours est-il que la langue latine considère que le
desiderium, avant de signifier le désir, renvoie d'abord au constat d'un manque, d'une
absence ou d'une perte. Les auteurs latins emploient ainsi communément
desiderare dans le sens de regretter, déplorer la perte
- L'idée primitive est donc négative : celui qui désire est en quelque sorte "en manque" ;
quelque chose ou quelqu'un lui fait défaut. Le sens positif, "souhaiter", "chercher à
obtenir" est plus tardif, et c'est celui que nous retenons en français même si
l’expression populaire désirer la lune trahit ironiquement son origine astronomique.
- Mais la conscience humaine est aussi transcendance et mouvement vers une chose
qu’elle pose à distance et qu’elle colore d’agréable et de désagréable. Ce mouvement
ouvre le temps qui n’est pas encore, l’avenir d’un contact, une absence provisoire, un
au-delà du simple donné vers lequel l’imagination ouvre un possible. Rien de ce qui
n’est pas encore ne s‘avère impossible et la conscience tendra dans ce mouvement vers
ce qui n’est pas le donné, la plénitude de l’être. Ce mouvement de la conscience est le
désir. L’autre pan de l’humain, son attitude transcendantale.
- Donc le désir serait ce mouvement de transcendance de la conscience qui vise
toujours, un autre, un au delà un ailleurs, une projection néantisante.
- De ce fait, le désir se meut dans le règne de l’absence et créée le manque qui à son
tour génère le désir dans un cercle incessant de mouvement vers l’avant. C’est le
propre de la conscience que cette transcendance.
- C’est dans cette mesure qu’on peut se demander si le désir vise toujours l’impossible ?
s’il est la marque de l’impuissance humaine à atteindre la plénitude, la manifestation
d’un manque contre laquelle il faut lutter pour atteindre le bonheur ? ou si au contraire
on doit le considérer comme moteur et en ce sens se demander finalement s’il n’est
pas l’essence de l’homme ?
A- Qu’est-ce que le désir ?
1 -le désir et le besoin :
a- Ce qui les oppose :
Le désir :
- conscience, existence, transcendance
- L’autrement, l’imaginaire, l’ailleurs
- Cherche la présence de l’absence
- Satisfaction impossible
- L’objet du désir est fuyant et dévalué si donné
- Le milieu naturel est dévalué comme donné et donc transformé, travaillé
- Autrui est un rival ou un modèle : une projection
- Résultat du désir : la création, la production : faire être ce qui n’est pas
- Projet : abolir l’être pour faire être le néant
Au contraire le besoin :
- manifestation du corps, manque (ex : la faim ou la soif)
- Le besoin vise l’objet réel, le milieu, le donné
- Le besoin cherche la présence de l’objet et sa satisfaction est possible
- L’objet du besoin est naturel, accessible, donné
- Dans l’ordre du besoin il y a une acceptation de la nécessité
- Après le besoin, il y a une satisfaction et une disparition de l’objet.
b- Ce qui les rapproche :
Peut être que le désir n’est que le jeu de la conscience pour la satisfaction des besoins. Le
désir pourrait alors être compris comme la prise de conscience des besoins et la liberté de
moduler leur satisfaction. Pourtant si le désir n’était que cette vaste satisfaction du besoin,
les hommes n’éprouveraient alors aucun désir d’objets dont ils n’ont pas besoin, or c’est
semble t’il le propre du désir
Peut être que le désir peut se définir comme le besoin de désirer. Mouvement vers lequel
l’homme tend toujours vers les objets de ses besoins qui s’éloignent ou se dévaluent du
même coup à chaque fois qu’il s’en approche. Mais avoir besoin de désirer n’a alors plus
rien à voir avec désirer ce dont on a besoin.
Il y a un inextricable lien du désir et du besoin, le désir tend vers ce qu’il croit être un
besoin et renaît sans cesse insatisfait, preuve de son échec à se satisfaire. La conscience
est malheureuse car elle ne peut satisfaire son besoin de plénitude d’où la souffrance
provoquée par le désir.
Le besoin peut être satisfait et il disparaît alors de la conscience car il n’est qu’une relation de
l’être à son milieu mais le désir apparaît lorsque l’objet du besoin vient à manquer alors le
besoin se meut en désir et le sujet insatisfait s’élève au-delà du donné, du concret, de la
nécessité, il se détourne du même pour aller vers l’autre. Il va modifier le milieu, le
transformer pour le faire adhérer à ce qu’il désire produit de l’imaginaire.
2- Le désir comme manque
a- le manque, conscience d’une pauvreté
Le désir peut être perçu comme la conscience d’une pauvreté, d’une absence et de la
conscience de la privation d’une plénitude. C’est la misère de l’existence humaine qu’il
manifeste à chacun. Il peut être perçu comme le signe de l’impuissance humaine, de son
caractère manquant. L’homme désire ce qui lui manque et qu’il ne pourra jamais atteindre.
L’expérience du désir inscrit donc l’humanité dans sa condition singulière et lui révèle à elle-
même ce que les philosophes ont appelé sa finitude. Par ce terme on désigne d’abord la
conscience qu’à l’humanité de sa propre imperfection, de son caractère inachevé. Mais la
finitude est tout autant une aspiration à combler ce sentiment de vide, parfois par la foi en un
au-delà et en un être suprême, comme dans le cas des religions.
Cette souffrance peut être conçue comme la marque de l’impuissance humaine, de sa misère
et de sa finitude dans une perception judéo chrétienne. Signe de son incapacité à être plein,
comme dieu. Quelle solution adopter face à ce constat désespéré. Pascal c’est le
divertissement qui peut détourner l’homme de ce désespoir et le distraire du malheur inhérent
à l’essence de sa conscience. (Textes p 205 et 206- Bordas : chemins de la pensée). Ici,
l’homme est comparé à Dieu et sa finitude trouve une explication dans la nature divine. Mais
est ce la seule explication possible ? Si on ne fait pas intervenir l’hypothèse théologique
comment définir ce désir comme absence de l’objet et présence continuelle du manque ?
b- Le manque comme essence du désir :
L’homme est cet être manquant par excellence qui tente toujours de rattraper ce qui lui fait
défaut dans un mouvement désespéré et malheureux. L’homme n a pas plus que ce qu’il a
mais la conscience pousse le vouloir à désirer ce qu’elle n’a pas. Alors l’homme, être désirant
est comme un mendiant dont les mains seraient sans cesse trouées comme, le tantale sans
cesse affamé et assoiffé, condamné éternellement à l’insatisfaction.
Texte de Schopenhauer, Delagrave (p 80). L’essence du désir est la manifestation d’un
manque et la volonté d’y remédier, donc l’attente et la recherche incessante d’une satisfaction.
Le désir renaît ans cesse c’est son essence et on verra que l’objet du désir ne vient toujours le
satisfaire que provisoirement et partiellement. La renaissance incessante provoque une
souffrance.
Ce manque d’être de l’homme, origine du désir trouve son fondement dans un récit raconté
par Platon dans le banquet, le mythe d’Aristophane. Cette parabole explique le désir de
l’homme pour autrui, sa recherche d’une moitié, d’un autre qui vendrait combler le vide. Ici
on voit encore l’humain comme manquant et cherchant sans relâche à combler ce manque
originel, essentiel. ( a reprendre parie II- désir pour autrui). Il est fini, coupé de la plénitude et
doit combler ce manque d’où l’incessant mouvement du désir. Tendre vers, chercher à
posséder, à combler.
Transition :
On l’a vu l’homme est désir parce que le manque le pousse à chercher hors de lui pour
combler son manque essentiel. Cette quête semble impossible à rassasier et le manque
provoque une souffrance. Désirer ce qu’on n’a pas c’est accepter de souffrir sans cesse du
manque car le désir est subi, presque inconscient moteur de nos actes. Quelles solutions
envisager ? Faut-il lutter contre ses désirs ? Car le désir suprême n’est-il pas le bonheur, donc
la plénitude ? Comment allier désir, comme insatisfaction et manque et plénitude du bonheur
et de la vertu sage ?
B - Désir et Philosophie :
La philosophie entretient un rapport ambigu avec le désir puisqu’elle tire son nom du désir qui
l’anime. Philo, amour et sophia : sagesse. Socrate ne cesse de rappeler qu’il sait qu’il ne sait
rien même si dans le banquet il aime à se présenter comme un spécialiste d’Eros. Comme tous
les philosophes après lui qui ont cherché à se prononcer sur la nature du désir, sur son objet et
sur la façon de le traiter. Si la philosophie est animée par le désir de connaître, d’atteindre le
vrai, la sagesse quant à elle peut être définie comme un art de se conduire à l’égard de ses
désirs. L’homme semble devoir s’orienter, se positionner par rapport à ses désirs et tenter de
les trier, d’y réfléchir et d’appliquer du logos pour maîtriser ce pathos. L’homme en effet est
le seul responsable de sa conscience désirante. N’étant pas un être d’instinct, il a la
responsabilité de répondre de ses actes et de ses désirs.
Alors pour être sage faut-il maîtriser ses désirs ? Tout en reconnaissant dans le désir le
moteur du mouvement qui l’anime, la philosophie n’a cessé de dénoncer certains de ses effets.
Transition : La volonté comme faculté de discernement et de prise de position active
canalise la fougue et l’autorité du désir. Il faut penser ses désirs. Les ob-jectiver. Cette
mise à distance ne permet-elle pas de les reconnaître et de les apprivoiser davantage ?Si la
volonté affranchit la conscience et lui permet d’user de la raison, faut-il distinguer de bons
et de mauvais désirs et n’en retenir que certains comme valables ? Finalement doit-on
satisfaire tous ses désirs ?
1- Peut-on désirer ce qui est ?
User de logos c’est peut être reconnaître que le désir comme manque d’un objet impossible à
obtenir est une souffrance et qu’il s’agit non pas de changer le monde extérieur sur lequel
nous n’avons de prise mais plutôt de changer, calmer nos désirs dans une attitude d’humilité.
Se conformer à la nature, revenir en quelque sorte à l’adéquation avec ses besoins. Il s’agit
d’accepter que les choses extérieures ne dépendent pas de notre désir et que les désirer est
vain et source de souffrance. Être philosophe c’est ne pas promettre de changer les choses
extérieures car « sur toutes ces choses-là, elles ne s’engagent à rien » souligne Epictète.
Texte, Bordas p 134 : Epictète, il faut se conformer à la nature des choses.
« Aucune chose considérable ne se produit en un instant, pas plus que le raisin et les figues.
« Si tu me disais maintenant je veux une figue, je te répondrais : « il faut du temps ; laisse
l’arbre fleurir, puis les fruits y venir et mûrir. Et, lorsque le fruit du figuier n’arrive pas à sa
perfection d’un seul coup et en un instant, tu voudrais cueillir si facilement et si vite les fruits
de la sagesse humaine ! Je te dirai, ne l’espère pas ».
Raisonner ses désirs c’est se donner la liberté de la quiétude. Accepter les choses telles
qu’elles se donnent à vivre, c’est arrêter de vouloir les changer désespérément. Comprendre
que les évènements se roulent tels que cela doit nécessairement être et que leurs origines et
causes sont indépendants de notre volonté et de notre pouvoir.
2- Le bonheur c’est l’ataraxie :
Doit-on satisfaire tous se désirs ? Epicure, dans la tradition stoïcienne répondra non.
Paradoxalement atteindre le bonheur, être épicurien ce n’est pas laisser libre cours à la
démesure des désirs et des plaisirs. Le désir est un trouble si son objet est impossible à
satisfaire, alors il devient source de souffrances. Mais pour Epicure être heureux n’est-ce pas
seulement et humblement se satisfaire d’un univers épuré et de désirs accessibles et
rassasiables ; ne pas demander l’impossible, se réjouir du simple dans la quiétude de l’ataraxie
ou absence de troubles. L’amitié, la philosophie autour d’une table raisonnablement garnie et
le bonheur est accessible. Le reste est vain est indépendant de nous ou dangereux pour notre
équilibre psychique et corporel ; La métaphore de la maladie signe qu’Épicure était un
homme de santé fragile et que la quiétude résidait dans le fait de ne pas souffrir. Ne pas
souffrir les maux du corps et pas non plus de ceux de l’âme, tel est le secret d’une vie
heureuse.
(Texte : Bordas : Epicure : La hiérarchie des désirs et nature du plaisir vrai.)
Finalement être raisonnable, condition vraisemblable du bonheur, est-ce renoncer à ses
désirs ? User de sa volonté se réduirait alors à renoncer librement à ses désirs pour ne plus en
souffrir. Etre sage ce serait se museler soi-même et se satisfaire du donné,’être en adéquation
avec son milieu comme n’importe quel être vivant.
Transition :
Pourtant comme le souligne Schopenhauer c’est bien la volonté qui lorsqu’elle est le bras
droit du désir nous fait tendre vers ses objets. C’est elle qui nous pousse à vouloir ce qui n’est
pas, ce qui pourrait être. Elle ouvre le gne du possible et tend à le réaliser, à le rendre réel.
Les grecs, par une ascèse et un mode de vie parfois monacal pouvaient s’astreindre à ce mode
de vie. Dans nos sociétés la consommation est reine et les désirs sont rois, tout est
possible du moment que le désir paye et il semble difficile d’imaginer que le plus grand
nombre puisse se soustraire à la sagesse stoïcienne. Comme le dit Descartes l’ataraxie n’est
pas si facilement accessible, elle est le chemin laborieux du philosophe qui sort de la caverne.
« Mais j’avoue qu’il est besoin d’un long exercice, et d’une méditation souvent réitérée, pour
s’accoutumer à regarder par ce biais toutes les choses ; et je crois que c’est principalement en
ceci que consistait le secret de ces philosophes » Descartes, discours de la méthode.
Bien qu’elles soient l’apanage de quelques philosophes, ermites ou moines spirituels et sages
de toutes cultures, cette maîtrise des désirs semble difficile voire impossible à réaliser pour la
plupart des hommes. C’est que les désirs se manifestent malgré nous. Ils sont le produit de
nos pulsions, de notre inconscient. Mais en même temps, la conscience semble ainsi faite
qu’elle ne peut se satisfaire du donné et de l’immédiat et qu’elle se meut à la recherche de ce
pas encore, de cet ailleurs, de cette absence, qu’elle conceptualise la quête du désir. La
conscience est-elle par essence désir ? En ce sens peut-on dire que le désir est l’essence de
l’homme ?
B- L’objet du désir
1 l’essence du désir
Il s’agit de s’interroger sur l’essence du désir. Il se manifeste comme prétention à rendre
présent l’absence, ce qui n’est pas mais ce qui est en même temps possible. Mais lorsqu’il
rend parfois cet absent présent, son objet n’en est plus un et le désir d’absence renaît à son
tour pour un autre objet. Le désir semble être un pouvoir d’altérité. Une insatisfaction
structurelle le définit et elle lui impose une inadaptation, une inadéquation avec ce qui est là.
L’absence semble infiniment préférable à la présence pour le désir. Ce n’est pas l’objet qui
importe, c’est le désir lui-même. L’objet est une projection de quelque chose qui n’est pas
et qu’on ne possède pas. Le désir semble attisé par l’absence et refroidi par la présence de son
objet. Que désire le désir ? Obtenir son objet mais dés lors qu’il est atteint, il n’est plus un
objet pour lui et le désir se transporte ailleurs, vers un autre objet, il renaît sans cesse se
projetant vers un autre objet absent ? Mais si le désir désire l’absent et ne se satisfait que
provisoirement du présent c’est que son essence est ailleurs, dans cette recherche continuelle.
Le désir désire désirer plutôt que se satisfaire, la bataille pour réaliser un désir est bien plus
excitante que la victoire. L’objet du désir est inquiétant, évanescent, imaginaire. Il se déplace
d’objets en objets. Il n’est aucun objet en particulier. Le désir a pour objet lui-même. Aimer
désirer comme don juan qui se grise de cet art de la séduction. Séduire c’est enrouler autour
de soi faire croire à la présence et redoubler d’absence. Le désir joue à sirer et il se définit
par cette insatisfaction chronique. Le désir ne souhaite pas se satisfaire. Comme perséphlore
et Déméter déesses chtoniennes, attisaient le désir. Ce texte extrait de Don Juan montre
comment don juan est avide de désirer et indifférent à la possession de son objet. L’objet visé,
en l’occurrence ici un sujet, est complètement nié. C’est la lutte pour rendre présent, donné
l’objet du désir qui était absent, qui importe.
(Texte : Découverte, p71 Delagrave).
2- Eros et le désir amoureux
Le mythe du banquet ou mythe d’Aristophane
Eros n’est pas un dieu comme les autres. Platon utilise dans le Banquet un autre mythe,
raconté par la prêtresse Diotime (Banquet , 2O3ac) : Eros (= le désir amoureux) a été conçu le
jour de la naissance d'Aphrodite, après le festin que les dieux, parmi lesquels Poros ("la
ressource", "la richesse"), donnèrent en cet honneur. Penia ("la pauvreté", "l'indigence"), une
mendiante qui passait par là, eut l'idée de mettre à profit l'occasion qui se présentait en se
couchant auprès de Poros, qui s'était endormi tout enivré de nectar. C'est ainsi que naquit
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