Hervé PASQUA, Maître Eckhart. Le procès de l’Un, Paris : Cerf, 2006, 21,5 cm, 436 p., 2-20408265-1, 45 €. NL De l’aveu même de l’auteur, il s’agit d’une appropriation spéculative de la pensée d’Eckhart, dans la ligne d’un stricte thomisme. Selon lui, les contradictions que certains auteurs soulignent dans l’œuvre du mystique rhénan, parfois expliquées par une évolution de ses idées au cours de sa carrière, trouvent leur solution dans une « hénologie apophatique » : l’Un est pur néant dont le bouillonnement – tentation d’être – se concrétise dans l’Intellect comme fondement de l’Etre. Intellect et Etre forment une dyade comparable à la 2e hypostase de Plotin. Eckhart nomme « Déité » cet Un sans Etre, et « Dieu » l’Intellect fondant l’Etre. Dieu, dont l’Etre est co-existentiel avec la création qui en émane comme 3e hypostase. Un = non-être, nudité, Déité Intellect + Etre = Trinité Le Pseudo-Denys avait christianisé l’hénologie de Plotin et surtout Proclus ; Plotin : hiérarchie des 3 hypostases, désarticulées selon Proclus. Denys : unité dans la Trinité. Eckhart revient à Proclus : Déité au-dessus de la Trinité L’âme doit se dépouiller de ses puissances (mémoire, intelligence, amour) pour s’unir à Dieu., comme Dieu doit se dépouiller de sa Trinité pour « s’abîmer » dans l’Un. Unio chez Eckhart « retour dans l’abîme », chez Denys= face à face (65) Etre Intellect : logos, contient les quiddités de tous les étants Amour Création Créatures surgissent de l’Intellect divin en recevant leur Etre dans un mouvement de jaillissement = amour Quand l’homme reçoit ce don de l’Etre dans l’humilité, l’Etre advient en tant que Dieu : la création constitue Dieu réciprocité Pour Eckhart, l’Intellect fonde l’Etre, non l’inverse (comme Thomas). Intellect humain = faculté de l’âme qui anime le corps. Intellect divin = étincelle, essence qui fonde l’être humain (dans l’âme mais non de l’âme). Unio = renoncement à la connaissance intellectuelle : connaissance de la foi union mystique fusion dans l’Un Différence : Thomas : Dieu = Etre ; salut = sanctification par l’action de l’intelligence Eckhart : Dieu = Intellect fondant l’Etre ; salut = déification opérant un retour vers l’Intellect divin. L’incarnation /kénose sont pour Eckhart non nécessaire pour remédier au péché, mais nécessité intrinsèque de la Déité qui ne peut faire autrement que s’épancher dans l’amour. Emanation de l’Etre/Intellect émanation des créatures naissance de Dieu dans l’âme. Etre de Dieu = caché car retiré dans l’Un. 2 Etre = miroir de l’Intellect : les créatures sont en tant que quid est = ce qu’elles sont dans l’intellect, se réfléchissant dans le miroir de l’Etre. Verbe = raison de connaissabilité des êtres ; l’être véritable des étants = dans l’intellect divin. Thomas : étant = quod est (essence) + quid est (être) : essence et être = 2 constituants de l’étant. Eckhart : étant : dans l’Intellect divin = quiddité (essence) = esse primum, reçoit son être : existence extérieurement = esse secondum : essence et être = 2 niveaux d’existence. L’être qu’une essence reçoit pour exister extérieurement = l’être-même de Dieu déposé au fond de l’étant. II. Dieu = être + penser, hors de Dieu pas d’être. Déité = non-être, impensable, « bouillonne d’unité ». Etant = non-être qui reçoit l’être divin en lui. Engendrement du Verbe, des idées contenues dans le Verbe extériorisation des idées en leur infusant l’être divin lors de la création en vue de leur retour vers dieu. Verbe et création co-existentiels, création « nécessaire », mais Eckhart distingue les deux : le 1er est éternel, le 2e temporel. Pour Thomas, l’être des étants leur est conféré ontologiquement, substantiellement. Pour Eckhart, il est déposé en eux ; création = émanation et non une décision de Dieu ; chute = non morale mais ontologique. Distinction des personnes de la Trinité reste immanente ; dieu = communauté d’Etre (171) {Thomas se réfère plutôt à Aristote : substance + accident, existant = essence + être / Eckhart se réfère à Plotin} Péché relève pour Eckhart plus de la finitude que de la faute ; le retour vers Dieu est conditionné par l’humilité qui conduit au détachement ; mal = privation d’Etre. Pour augustin, se reconnaître néant = reconnaître notre petitesse et impuissance par rapport à la seule grandeur divine. Pour Eckhart = se défaire de tout étant pour s’unir au nonêtre de la Déité. L’humilité renonçant à tout contraint Dieu à le rejoindre. En renonçant à l’Etre de Dieu, elle entraîne ce dernier dans un « retour kenotique » au sein de la Déité »(184). Humilité déification {a. appelle kenose le mouvement de retour, qui correspond à l’élévation}. Longue discussion point par point des différences entre Thomas et Ekchart et de l’interprétation de ces différences sous la plume de différents auteurs contemporains (Alain de Libéra, Lossky, Schürmann). Pour l’a., Eckhart est victime de son élan mystique dans la logique de son hénologie va trop loin dans l’identification de l’homme détaché à Dieu (224) Etincelle (234sss) de l’Intellect divin dans l’âme = capable de saisir Dieu )-> unio, ineffable, demande le dépassement de l’intellect pour rejoindre la Déité. Rôle de la grâce : faciliter le détachement Conversion : devenir soi en se dépouillant de tout soi pour se fondre dans un soi anonyme. Unio du fond de l’âme et de la Déité : « hénologie du grunt » (246). Cette union se réalise par le détachement, non par la grâce (qui est créée (250) Cime et abîme se rejoignent dans la Déité. « Le fond de l’âme permet à l’un de descendre dans la dissemblance 3 sans se compromettre » (257). Conversion = fusion de l’âme en +Dieu permet son retour dans la Déité. Grâce = agent non d’élévation mais de « vidange » détachement advenue de Dieu dans l’âme. Pauvreté spirituelle = détachement ontologique (273) ; détachement dépasse la vertu. L’abandon de soi = participation à la kenose intradivine (283). Selon l’a, la nécessité avec laquelle Dieu s’unit à l’âme détachée exclut toute idée de médiation (285) Humilité non vertu méritoire mais détachement ontologique (290). Ce détachement ne signifie pas désengagement du monde mais engagement sans s’y attacher (292 : Marthe). Union – vie quotidienne non en alternance mais union = qualité ou dimension de la vie quotidienne elle-même (293s). Mystique ontologique qui, tout en valorisant les œuvres comme nécessaires, leur dénie toute valeur sotériologique (297s). La grâce, en opérant le détachement, est le remède offert à l’homme pour le guérir du fait d’exister (304). Déification = substantielle, ontologique, quoique appelée adoptive = incarnation du Verbe en l’homme, comparée à la transsubstantiation (306). Déification = justification, sans intermédiaire (309). Salut = œuvre de Dieu seul. Grâce première = ébullition émanation, grâce seconde = opère le retour (314). Par le détachement, l’âme s’anéantit et le Fils lui-même prend place, non en elle, mais à sa place (316). La grâce n’est pas une œuvre de Dieu, mais = Saint-Esprit, Dieu agissant. Pas de médiation entre Dieu et âme (323) « zape » la médiation rédemptrice de JC (332). Béatitude = se connaître en Dieu = anéantissement de l’intellect en tant que faculté humaine pour s’abîmer dans l’Intellect divin (338). Incarnation = en chacun de nous = justification de tous (340ss). Création dans le cadre de l’émanation = théophanie. L’a récuse l’insistance d’Eckhart sur la justification opéré par la présence de Dieu en l’homme, sans la participation méritoire de ce dernier (355). Y a-t-il encore de la place pour un « je » humain ? (365). « Incarnation continuée » (366) exposée surtout dans sermons 101104 = mystique (contre Flasch) Pour en prendre conscience, l’homme doit se faire violence pour se détacher du monde sensible alors naissance de l’homme véritable et naissance de Dieu coïncident éternellement (369). Incarnation intemporelle dans la nature humaine plutôt que la personne historique de JC. La naissance de Dieu dans l’âme a chez Augustin un sens spirituel, Eckhart, entraîné par la vocabulaire de l’hénologie, lui attribue un sens ontologique (393). Le retour vers Dieu suppose une « dés-individuation » (394) La prète à Eckhart une possible dérive vers le docétisme (396) {alors que dans le docétisme, si le corps de JC n’est qu’apparent, celui de l’homme est bien réel – ce qui n’est pas le cas chez E. pour qui la corporalité hors de l’Etre divin est néant}. Waltraud Verlaguet