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Dr Laurence LEMAITRE
2 B- FACTEURS CONTEXTUELS / question 13 : Existe t'il une histoire particulière chez les
agresseurs sexuels? Quel est le rôle de ce facteur?
Dans une analyse de cohorte réalisée auprès d'une large population d' étudiants, Koss et
Dinero relèvent plusieurs facteurs anamnestiques impliqués dans le développement d'un
comportement sexuel agressif vis à vis des femmes : abus sexuels et premières expériences
sexuelles précoces, exposition durant l'enfance à un climat de violence familiale.
Dans une étude similaire réalisée auprès de jeunes malaysiens étudiants (LIM, 1163, 428),
les auteurs retrouvent les mêmes facteurs, l'influence de la violence parentale exerçant une
action indirecte en favorisant l'apparition d'un comportement agressif non sexuel vis à vis des
femmes.
Examinons les théories qui tentent d'intégrer ces différents facteurs dans la survenue des
agressions sexuelles :
La "théorie du traumatisme" de Groth suggère que des individus victimes d' abus sexuels
dans leurs enfance peuvent tenter de dépasser ce traumatisme en perpétrant à leur tour des
agressions sexuelles sur des enfants. Selon cette théorie, l'abus sexuel précoce occupe une
place centrale dans le développement ultérieur d'un comportement d'agression sexuelle.
Plus le traumatisme initial est important, plus la victime aura tendance à chercher à le
dépasser en perpétrant le même type d'abus sexuels.
Dans une méta-analyse étudiant une population d'agresseurs sexuels pédophiles, Hanson
(HANSON, 2000, 23) rapporte un taux deux fois plus élevé d'antécédents d'abus sexuels
précoces parmi les agresseurs homosexuels par rapport au groupe d'agresseurs hétérosexuels.
Si l'on considère comme certains auteurs qu'un abus sexuel précoce de nature homosexuelle
est plus traumatisant pour le jeune garçon qui est atteint directement dans sa masculinité, ces
résultats s'accordent donc avec la théorie du traumatisme.
Hansen fournit cependant une explication alternative à la théorie du traumatisme : le taux
élevé de contacts sexuels précoces avec des hommes adultes pourrait être l'expression précoce
d'un intérêt homosexuel chez les futurs agresseurs homosexuels pédophiles.
Cependant si les agresseurs sexuels pédophiles ont plus de probabilité d' avoir été abusés
sexuellement et maltraités physiquement dans leurs enfances par rapport à la population
générale, Hanson cite plusieurs études qui ne retrouvent pas de différences significatives nettes
avec les autres agresseurs sexuels, les délinquants non sexuels ou la population psychiatrique.
Il conclut que plusieurs formes de maltraitance survenues dans l'enfance peuvent donc aboutir à
plusieurs formes de troubles du comportement ou de problèmes psychologiques, et, l'abus
sexuel précoce ne peut être considéré comme la cause majeure des agressions sexuelles
ultérieures.
La qualité du système familial dans lequel évolue l'individu serait par contre importante à
considérer dans la genèse des agressions sexuelles. Les antécédents d'abus physiques ou de
négligence parentale pourraient expliquer la faible capacité d'empathie développée par les
agresseurs sexuels pour leurs victimes. Car un enfant élevé dans un environnement il se
sent vulnérable et ne reçoit pas d'aide de ses proches, aura plus de mal à développer des
capacités d'attention et de soins vis à vis d'autrui.
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Plusieurs psychanalystes se sont interrogés sur la place des figures parentales dans le
développement des perversions sexuelles.
Hammer (HAMMER, 1968, 85) réalise en 1965 une étude sur 286 pervers sexuels
(exhibitionnistes, violeurs hétérosexuels, pédophiles homosexuels et hétérosexuels) auxquels il
fait passer une série de tests projectifs : les mères apparaissent comme des figures dominantes
et intrusives. Elles infèrent massivement dans les efforts de leurs fils à établir des liens avec
d'autres femmes et adoptent parfois une attitude sexuellement séductrice vis à vis de leurs fils.
La figure paternelle apparaît soit indifférente et distante, soit cruelle et dure.
Tardif (TARDIF, 597, 463) utilise "le questionnaire Clarke des relations parents-enfants" (
PCR, Paitich et Langevin, 1976 ) afin d'établir un profil perceptuel des figures parentales parmi
deux groupes de pédophiles homosexuels et hétérosexuels comparés à un groupe de
délinquants non sexuels. Selon les résultats, les pédophiles homosexuels ont une perception
plus négative de la relation mère-enfant telle que mesurée par l'agressivité et la sévérité de la
mère envers le sujet. Les pédophiles hétérosexuels occupent une position intermédiaires entre
les pédophiles homosexuels et les délinquants non sexuels, sans différence significative avec
les deux autres groupes. Les échelles se rapportant au père s'avèrent peu discriminante et les
perturbations de la relation père-enfant semblent être d'un autre registre que celle de la relation
mère-enfant. D'autres auteurs ont en effet évoqué l 'absence ou le désengagement du père
comme une problématique particulière des déviants sexuels.
Les dimensions d'absence ou de non implication d'un parent ainsi que les lacunes observées
face à la discipline et à l'éducation semblent bien cibler les problèmes rencontrés dans les
familles de délinquants sexuels qui sont aussi des caractéristiques retrouvées dans les familles
de délinquants non sexuels. Si une histoire particulière peut être individualisée parmi les
agresseurs sexuels, elle n'apparaît pas spécifique à cette population. Nous remarquons que
plusieurs études rapportent des antécédents plus nombreux d'abus sexuels dans l'enfance et de
liens d'attachement aux parents désorganisés parmi les pédophiles homosexuels qui semblent
s'individualiser comme un sous-groupe des agresseurs sexuels possédant des caractéristiques
propres.
2B- FACTEURS CONTEXTUELS / question 14 : Quel est le rôle des pathologies mentales,
de l'alcoolisme et du contexte familial et social chez les auteurs d'agressions sexuelles ?
A) Troubles psychiatriques comorbides chez les délinquants sexuels :
Depuis l'émergence de modèles multivariés insistant sur la multiplicité des causes impliquées
dans les agressions sexuelles, plusieurs études réalisées auprès de populations d'agresseurs
sexuels ( ELROY, 1999 / RAYMOND, 1999, 331 ) ont rapporté un taux très important de
troubles psychiatriques comorbides, en particulier l'existence de troubles de l'humeur, d'abus de
substances (majoritairement l'alcoolisme), de troubles anxieux, de troubles de l'impulsivité, et,
de troubles de la personnalité narcissique ou antisociale. Alors que les résultats négatifs des
programmes de soins sont souvent attribués à un manque de motivation, un défaut d'attention,
une résistance, voir un déni de la part des agresseurs sexuels, la fréquence importante de
troubles psychiatriques comorbides pourrait bien contribuer aux difficultés rencontrées par
certains délinquants sexuels au moment de s'engager dans un processus thérapeutique.
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1 - Les troubles de la personnalité antisociale chez les délinquants sexuels : Parmi plusieurs
études réalisées auprès de communautés estudiantines hétérosexuelles ( LIM,1163, 428 /
KOSS / LALUMIERE, 1995 ), le comportement antisocial évalué par le questionnaire de
psychopathie de Hare ( PCL-R, Hare, 1992 ) apparaît comme un haut facteur de risque du
comportement agressif sexuel vis à vis des femmes.
Ce comportement antisocial semble relever plus d'une tendance antisociale générale que
d'une tendance spécifique au domaine sexuel et l'on ne trouve pas de différence significative
entre les populations de délinquants sexuels et non sexuels.
Notons que le niveau de psychopathie est également considéré par plusieurs auteurs comme
un facteur prédictif de récidive des agressions sexuelles.
Dans une étude ( FIRESTON, 303, 708 ) comparant trois groupes distincts de délinquants
sexuels : violeurs térosexuels, pédophiles extra-familiaux et incestueux, Fireston compare les
liens entre psychopathie et déviance sexuelle ( évaluée par des mesures phallométriques en
réponse à différents stimuli audiovisuels ).
Il trouve une corrélation significative entre déviance sexuelle et indice de psychopathie
exclusivement dans le groupe des agresseurs sexuels pédophiles extra-familiaux. Alors que
l'indice de déviance sexuelle est le principal facteur prédictif de récidive dans ce groupe, la
combinaison avec un haut niveau de psychopathie augmente encore plus le risque de récidive.
Le groupe des violeurs hétérosexuels est celui qui comporte les plus fortes tendances
psychopathiques alors que l'indice de déviance sexuelle n'apparaît pas important. Le score de
psychopathie des violeurs hétérosexuels reste cependant inférieur à celui rapporté dans
d'autres études chez les "violeurs en série" ou "violeurs sadiques" qui peuvent aller jusqu'à tuer
leurs victimes après l 'agression sexuelle.
Certaines études ( HOLT, 1999, 355 / BERGER, 175, 497 ) ont tend'établir empiriquement
l'association clinique et théorique évoquée fréquemment entre sadisme et psychopathie. Dans
ces études les traits de personnalité sadiques ( mesurés par l'échelle PDE et l'inventaire multi-
axial de Millon ) et antisociales sont corrélés positivement et de manière significative.
Cependant, le niveau de sadisme n'apparaît pas plus important chez les délinquants sexuels
comparativement aux délinquants non sexuels. Le sadisme défini comme le plaisir éprouvé à
infliger la douleur ou dans la domination d'autrui pourrait correspondre à une sous dimension de
la personnalité antisociale.
Les auteurs supposent l'existence de deux profils de personnalité antisociale : un premier
type sadique avec une tendance plus marquée pour la cruauet le besoin de domination, et, un
second type moins violent avec une tendance à agir uniquement pour son propre compte. Chez
le premier type une motivation sexuelle du registre sadique expliquerait l'agression sexuelle
alors que le second type serait mû par des motivations de nature plus opportuniste.
2 - Les troubles psychotiques chez les délinquants sexuels: La faible proportion de patients
psychotiques impliqués dans des agressions sexuelles a peut-être contribué au nombre limitée
d'études en rapport avec ce sujet. Plusieurs chercheurs ont récemment tenté d'identifier les
motivations qui sont à la base de l'agression sexuelle parmi cette population psychiatrique
particulière.
Chesterman et Sahota ( CHESTERMAN, 150, 494 ) ont réalisé une étude sur un échantillon
comportant 20 malades mentaux, agresseurs sexuels, incluant 12 hommes schizophrènes
diagnostiqués comme psychotiques au moment de leurs agressions. 7 de ces 12 hommes
admettent avoir expérimenté des symptômes psychotiques comme des hallucinations ou des
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illusions perceptives au moment de l'agression mais expriment le sentiment que de tels
symptômes n'étaient pas directement liés à l'agression et fournissent plutôt des explications
alternatives à leurs comportement comme un sentiment de frustration sexuelle, la colère, une
excitation sexuelle. Par ailleurs l'ensemble des patients présentait un haut niveau d'obsession
sexuelle, de dysfonctionnement sexuel, de distorsions cognitives et de fausses connaissances
concernant le sexe aux différents questionnaires.
Les auteurs suggèrent un chevauchement dans les motivations à la base des agressions
sexuelles chez les délinquants sexuels malades mentaux et non malades mentaux.
Dans une étude ( PHILLIPS, 1999, 354 ) réalisée auprès de 15 schizophrènes, agresseurs
sexuels, Tracey et Head constatent que bien que 12 d'entre eux étaient diagnostiqués comme
psychotiques au moment de l'agression, leurs contacts avec les services de psychiatrie étaient
extrêmement erratiques et seulement 4 recevait un traitement médicamenteux.
En comparaison avec le groupe témoin constitués de 55 patients schizophrènes sans
antécédents d'agression sexuelle, le groupe d'agresseurs sexuels rapportait un intérêt sexuel
deux fois plus important associé à des difficultés plus grandes à établir des relations inter-
personnelles. Smith a réalisé une étude systématique des différents types de motivations à la
base des agressions sexuelles en appliquant le questionnaire MTC : R3 ( The Massachussetts
Treatment Centre Rapist Typology Version 3 ) à un groupe de 80 schizophrènes agresseurs
sexuels. Seulement 18 schizophrènes présentaient une recrudescence psychotique aigue
caractérisée par des hallucinations ou illusions perceptives et directement liée à l'agression
sexuelle (car contenant des éléments sexuels clairement congruents à leurs agressions) au
moment de leurs passage à l'acte.
Dans l'ensemble du groupe, les différentes motivations à la base de l' agression sexuelle
selon la typologie du questionnaire MTC:R3 étaient respectivement :
- sexuelles, non sadiques (54%) : ce type de motivation est associé plus fréquemment à un
sentiment de frustration sexuelle, d'isolement social, une faible estime de soi et une
incapacité à établir des relations intimes avec les femmes.
- - opportunistes (29%) : l'agression sexuelle n'est pas planifiée, impulsive, liée à des
facteurs situationnels et la force utilisée ne dépasse pas l'utilisation de force nécessaire
pour obtenir une gratification sexuelles immédiate.
- - vindicatives (11%) : la femme apparaît la cible centrale et exclusive de la colère de
l'agresseur qui présente un parcours psychopatique moins important que dans le dernier
type.
- - agressivité (6%) qui apparaît en continuité avec des troubles du comportement
psychopatiques. importants l'homme comme la femme sont la cible de la colère. Les
motivations sexuelles, non sadiques sont sureprésentées (67%) dans le groupe de
schizophrènes ayant présenté une symptomatologie productive au moment de
l'agression.
-
L'auteur suppose des interactions complexes entre les symptômes psychotiques et le profil
comportemental au moment de l'agression sexuelle dont il faudrait tenir compte pour obtenir une
classification des différents types de motivations à la base de l'agression sexuelle. En plus de
l'évaluation d'une symptomatologie productive associée à l' agression sexuelle, Smith propose
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d'utiliser plus systématiquement des instruments tels que le questionnaire MTC : R3 chez les
agresseurs sexuels psychotiques.
3 - Abus de substances chez les agresseurs sexuels Dans une enquête rétrospective (
PEUGH, 2001 ) menée auprès d'un large échantillon de 1273 agresseurs sexuels incarcérés,
Peugh et Belenko rapportent que 1/3 des agresseurs sexuels étaient consommateurs réguliers
de drogues ou d'alcool autour de la période de l'agression, 1/5 étaient sous l' influence d'une
drogue ou de l'alcool au moment de l'agression.
Les agresseurs sexuels pédophiles étaient globalement moins consommateurs de
substances et consommaient préférentiellement de l'alcool ( en particulier les agresseurs
incestueux ). Les consommateurs à la fois de drogue et d'alcool étaient plus souvent
célibataires, avec des antécédents d'abus sexuels dans l'enfance, un parcours de criminalité qui
les rapprochaient de la population des délinquants non sexuels; la victime de l'agression
sexuelle était le plus souvent inconnue et adulte.
L'étude suggère donc que l'abus de substance, et en particulier l'usage de drogue est un des
facteur différenciant les agresseurs sexuels pédophiles et les violeurs dont la cible est un adulte.
les auteurs discutent la nécessité d'inclure une évaluation des problèmes d' abus de substances
dans les programmes de traitement destinés aux agresseurs sexuels.
Marx, Gross et Adams ( GROSS, 1999 ) ont réalisés un essai contrôlé randomisé auprès
d'un échantillon de 141 étudiants afin d'examiner l'impact des effets pharmacologiques et
psychologiques de l'alcool sur la capacité des hommes au comportement sexuel agressif ou non
agressif à discriminer lorsqu'une femme souhaite que son partenaire interrompe des avances
sexuelles. Les différents groupes d'étudiants étaient répartis en différents groupes :
comportement sexuel agressif versus comportement sexuel non agressif, effet attendu de l'
alcool versus effet non attendu de l'alcool, administration d'alcool versus placebo. Les étudiants
étaient ensuite exposés à une cassette audiovisuelle simulant une rencontre entre un homme et
une femme.
Les participants ayant consommé de l'alcool ou pensant avoir reçu de l' alcool avaient un
délais de temps significativement plus long pour déterminer lorsque l'homme devait interrompre
ses avances sexuelles.
De plus, les participants au comportement sexuel non agressif avaient un temps de réponse
similaire à leurs homologues au comportement sexuel agressif sous l'effet attendu de l'alcool.
Ces hommes n'ayant pas " le profil sexuel agressif "interprétaient alors moins bien le message
de leur partenaire féminine.
Cette étude suggère que si l'excitation sexuelle occasionnée par la consommation d'alcool
est un facteur important, d'autres facteurs plus psychologiques pourraient agir par le biais de
l'alcool pour entraîner la désinhibition d'un comportement sexuel agressif.
B - Les influences sociales dans les agressions sexuelles : Dans une revue critique de la
littérature ( SETO, 1999 ), Seto examine les différentes associations établies entre la
pornographie et les agressions sexuelles. Il précise que la première difficulté consiste à définir la
pornographie dont la nature est subjective et relative à des valeurs communautaires
d'esthétique, de morale et d'acceptabilité dont découle parfois la distinction entre érotisme et
pornographie. Cependant, même si la définition reste soumise à un jugement subjectif, l'auteur
estime que la distinction entre la pornographie non violente, et, la pornographie violente et
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