Dr Laurence LEMAITRE 2 B- FACTEURS CONTEXTUELS

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Dr Laurence LEMAITRE
2 B- FACTEURS CONTEXTUELS / question 13 : Existe t'il une histoire particulière chez les
agresseurs sexuels? Quel est le rôle de ce facteur?
Dans une analyse de cohorte réalisée auprès d'une large population d' étudiants, Koss et
Dinero relèvent plusieurs facteurs anamnestiques impliqués dans le développement d'un
comportement sexuel agressif vis à vis des femmes : abus sexuels et premières expériences
sexuelles précoces, exposition durant l'enfance à un climat de violence familiale.
Dans une étude similaire réalisée auprès de jeunes malaysiens étudiants (LIM, 1163, 428),
les auteurs retrouvent les mêmes facteurs, l'influence de la violence parentale exerçant une
action indirecte en favorisant l'apparition d'un comportement agressif non sexuel vis à vis des
femmes.
Examinons les théories qui tentent d'intégrer ces différents facteurs dans la survenue des
agressions sexuelles :
La "théorie du traumatisme" de Groth suggère que des individus victimes d' abus sexuels
dans leurs enfance peuvent tenter de dépasser ce traumatisme en perpétrant à leur tour des
agressions sexuelles sur des enfants. Selon cette théorie, l'abus sexuel précoce occupe une
place centrale dans le développement ultérieur d'un comportement d'agression sexuelle.
Plus le traumatisme initial est important, plus la victime aura tendance à chercher à le
dépasser en perpétrant le même type d'abus sexuels.
Dans une méta-analyse étudiant une population d'agresseurs sexuels pédophiles, Hanson
(HANSON, 2000, 23) rapporte un taux deux fois plus élevé d'antécédents d'abus sexuels
précoces parmi les agresseurs homosexuels par rapport au groupe d'agresseurs hétérosexuels.
Si l'on considère comme certains auteurs qu'un abus sexuel précoce de nature homosexuelle
est plus traumatisant pour le jeune garçon qui est atteint directement dans sa masculinité, ces
résultats s'accordent donc avec la théorie du traumatisme.
Hansen fournit cependant une explication alternative à la théorie du traumatisme : le taux
élevé de contacts sexuels précoces avec des hommes adultes pourrait être l'expression précoce
d'un intérêt homosexuel chez les futurs agresseurs homosexuels pédophiles.
Cependant si les agresseurs sexuels pédophiles ont plus de probabilité d' avoir été abusés
sexuellement et maltraités physiquement dans leurs enfances par rapport à la population
générale, Hanson cite plusieurs études qui ne retrouvent pas de différences significatives nettes
avec les autres agresseurs sexuels, les délinquants non sexuels ou la population psychiatrique.
Il conclut que plusieurs formes de maltraitance survenues dans l'enfance peuvent donc aboutir à
plusieurs formes de troubles du comportement ou de problèmes psychologiques, et, l'abus
sexuel précoce ne peut être considéré comme la cause majeure des agressions sexuelles
ultérieures.
La qualité du système familial dans lequel évolue l'individu serait par contre importante à
considérer dans la genèse des agressions sexuelles. Les antécédents d'abus physiques ou de
négligence parentale pourraient expliquer la faible capacité d'empathie développée par les
agresseurs sexuels pour leurs victimes. Car un enfant élevé dans un environnement où il se
sent vulnérable et ne reçoit pas d'aide de ses proches, aura plus de mal à développer des
capacités d'attention et de soins vis à vis d'autrui.
1
Plusieurs psychanalystes se sont interrogés sur la place des figures parentales dans le
développement des perversions sexuelles.
Hammer (HAMMER, 1968, 85) réalise en 1965 une étude sur 286 pervers sexuels
(exhibitionnistes, violeurs hétérosexuels, pédophiles homosexuels et hétérosexuels) auxquels il
fait passer une série de tests projectifs : les mères apparaissent comme des figures dominantes
et intrusives. Elles infèrent massivement dans les efforts de leurs fils à établir des liens avec
d'autres femmes et adoptent parfois une attitude sexuellement séductrice vis à vis de leurs fils.
La figure paternelle apparaît soit indifférente et distante, soit cruelle et dure.
Tardif (TARDIF, 597, 463) utilise "le questionnaire Clarke des relations parents-enfants" (
PCR, Paitich et Langevin, 1976 ) afin d'établir un profil perceptuel des figures parentales parmi
deux groupes de pédophiles homosexuels et hétérosexuels comparés à un groupe de
délinquants non sexuels. Selon les résultats, les pédophiles homosexuels ont une perception
plus négative de la relation mère-enfant telle que mesurée par l'agressivité et la sévérité de la
mère envers le sujet. Les pédophiles hétérosexuels occupent une position intermédiaires entre
les pédophiles homosexuels et les délinquants non sexuels, sans différence significative avec
les deux autres groupes. Les échelles se rapportant au père s'avèrent peu discriminante et les
perturbations de la relation père-enfant semblent être d'un autre registre que celle de la relation
mère-enfant. D'autres auteurs ont en effet évoqué l 'absence ou le désengagement du père
comme une problématique particulière des déviants sexuels.
Les dimensions d'absence ou de non implication d'un parent ainsi que les lacunes observées
face à la discipline et à l'éducation semblent bien cibler les problèmes rencontrés dans les
familles de délinquants sexuels qui sont aussi des caractéristiques retrouvées dans les familles
de délinquants non sexuels. Si une histoire particulière peut être individualisée parmi les
agresseurs sexuels, elle n'apparaît pas spécifique à cette population. Nous remarquons que
plusieurs études rapportent des antécédents plus nombreux d'abus sexuels dans l'enfance et de
liens d'attachement aux parents désorganisés parmi les pédophiles homosexuels qui semblent
s'individualiser comme un sous-groupe des agresseurs sexuels possédant des caractéristiques
propres.
2B- FACTEURS CONTEXTUELS / question 14 : Quel est le rôle des pathologies mentales,
de l'alcoolisme et du contexte familial et social chez les auteurs d'agressions sexuelles ?
A) Troubles psychiatriques comorbides chez les délinquants sexuels :
Depuis l'émergence de modèles multivariés insistant sur la multiplicité des causes impliquées
dans les agressions sexuelles, plusieurs études réalisées auprès de populations d'agresseurs
sexuels ( ELROY, 1999 / RAYMOND, 1999, 331 ) ont rapporté un taux très important de
troubles psychiatriques comorbides, en particulier l'existence de troubles de l'humeur, d'abus de
substances (majoritairement l'alcoolisme), de troubles anxieux, de troubles de l'impulsivité, et,
de troubles de la personnalité narcissique ou antisociale. Alors que les résultats négatifs des
programmes de soins sont souvent attribués à un manque de motivation, un défaut d'attention,
une résistance, voir un déni de la part des agresseurs sexuels, la fréquence importante de
troubles psychiatriques comorbides pourrait bien contribuer aux difficultés rencontrées par
certains délinquants sexuels au moment de s'engager dans un processus thérapeutique.
2
1 - Les troubles de la personnalité antisociale chez les délinquants sexuels : Parmi plusieurs
études réalisées auprès de communautés estudiantines hétérosexuelles ( LIM,1163, 428 /
KOSS / LALUMIERE, 1995 ), le comportement antisocial évalué par le questionnaire de
psychopathie de Hare ( PCL-R, Hare, 1992 ) apparaît comme un haut facteur de risque du
comportement agressif sexuel vis à vis des femmes.
Ce comportement antisocial semble relever plus d'une tendance antisociale générale que
d'une tendance spécifique au domaine sexuel et l'on ne trouve pas de différence significative
entre les populations de délinquants sexuels et non sexuels.
Notons que le niveau de psychopathie est également considéré par plusieurs auteurs comme
un facteur prédictif de récidive des agressions sexuelles.
Dans une étude ( FIRESTON, 303, 708 ) comparant trois groupes distincts de délinquants
sexuels : violeurs hétérosexuels, pédophiles extra-familiaux et incestueux, Fireston compare les
liens entre psychopathie et déviance sexuelle ( évaluée par des mesures phallométriques en
réponse à différents stimuli audiovisuels ).
Il trouve une corrélation significative entre déviance sexuelle et indice de psychopathie
exclusivement dans le groupe des agresseurs sexuels pédophiles extra-familiaux. Alors que
l'indice de déviance sexuelle est le principal facteur prédictif de récidive dans ce groupe, la
combinaison avec un haut niveau de psychopathie augmente encore plus le risque de récidive.
Le groupe des violeurs hétérosexuels est celui qui comporte les plus fortes tendances
psychopathiques alors que l'indice de déviance sexuelle n'apparaît pas important. Le score de
psychopathie des violeurs hétérosexuels reste cependant inférieur à celui rapporté dans
d'autres études chez les "violeurs en série" ou "violeurs sadiques" qui peuvent aller jusqu'à tuer
leurs victimes après l 'agression sexuelle.
Certaines études ( HOLT, 1999, 355 / BERGER, 175, 497 ) ont tenté d'établir empiriquement
l'association clinique et théorique évoquée fréquemment entre sadisme et psychopathie. Dans
ces études les traits de personnalité sadiques ( mesurés par l'échelle PDE et l'inventaire multiaxial de Millon ) et antisociales sont corrélés positivement et de manière significative.
Cependant, le niveau de sadisme n'apparaît pas plus important chez les délinquants sexuels
comparativement aux délinquants non sexuels. Le sadisme défini comme le plaisir éprouvé à
infliger la douleur ou dans la domination d'autrui pourrait correspondre à une sous dimension de
la personnalité antisociale.
Les auteurs supposent l'existence de deux profils de personnalité antisociale : un premier
type sadique avec une tendance plus marquée pour la cruauté et le besoin de domination, et, un
second type moins violent avec une tendance à agir uniquement pour son propre compte. Chez
le premier type une motivation sexuelle du registre sadique expliquerait l'agression sexuelle
alors que le second type serait mû par des motivations de nature plus opportuniste.
2 - Les troubles psychotiques chez les délinquants sexuels: La faible proportion de patients
psychotiques impliqués dans des agressions sexuelles a peut-être contribué au nombre limitée
d'études en rapport avec ce sujet. Plusieurs chercheurs ont récemment tenté d'identifier les
motivations qui sont à la base de l'agression sexuelle parmi cette population psychiatrique
particulière.
Chesterman et Sahota ( CHESTERMAN, 150, 494 ) ont réalisé une étude sur un échantillon
comportant 20 malades mentaux, agresseurs sexuels, incluant 12 hommes schizophrènes
diagnostiqués comme psychotiques au moment de leurs agressions. 7 de ces 12 hommes
admettent avoir expérimenté des symptômes psychotiques comme des hallucinations ou des
3
illusions perceptives au moment de l'agression mais expriment le sentiment que de tels
symptômes n'étaient pas directement liés à l'agression et fournissent plutôt des explications
alternatives à leurs comportement comme un sentiment de frustration sexuelle, la colère, une
excitation sexuelle. Par ailleurs l'ensemble des patients présentait un haut niveau d'obsession
sexuelle, de dysfonctionnement sexuel, de distorsions cognitives et de fausses connaissances
concernant le sexe aux différents questionnaires.
Les auteurs suggèrent un chevauchement dans les motivations à la base des agressions
sexuelles chez les délinquants sexuels malades mentaux et non malades mentaux.
Dans une étude ( PHILLIPS, 1999, 354 ) réalisée auprès de 15 schizophrènes, agresseurs
sexuels, Tracey et Head constatent que bien que 12 d'entre eux étaient diagnostiqués comme
psychotiques au moment de l'agression, leurs contacts avec les services de psychiatrie étaient
extrêmement erratiques et seulement 4 recevait un traitement médicamenteux.
En comparaison avec le groupe témoin constitués de 55 patients schizophrènes sans
antécédents d'agression sexuelle, le groupe d'agresseurs sexuels rapportait un intérêt sexuel
deux fois plus important associé à des difficultés plus grandes à établir des relations interpersonnelles. Smith a réalisé une étude systématique des différents types de motivations à la
base des agressions sexuelles en appliquant le questionnaire MTC : R3 ( The Massachussetts
Treatment Centre Rapist Typology Version 3 ) à un groupe de 80 schizophrènes agresseurs
sexuels. Seulement 18 schizophrènes présentaient une recrudescence psychotique aigue
caractérisée par des hallucinations ou illusions perceptives et directement liée à l'agression
sexuelle (car contenant des éléments sexuels clairement congruents à leurs agressions) au
moment de leurs passage à l'acte.
Dans l'ensemble du groupe, les différentes motivations à la base de l' agression sexuelle
selon la typologie du questionnaire MTC:R3 étaient respectivement :
-
sexuelles, non sadiques (54%) : ce type de motivation est associé plus fréquemment à un
sentiment de frustration sexuelle, d'isolement social, une faible estime de soi et une
incapacité à établir des relations intimes avec les femmes.
-
- opportunistes (29%) : l'agression sexuelle n'est pas planifiée, impulsive, liée à des
facteurs situationnels et la force utilisée ne dépasse pas l'utilisation de force nécessaire
pour obtenir une gratification sexuelles immédiate.
-
- vindicatives (11%) : la femme apparaît la cible centrale et exclusive de la colère de
l'agresseur qui présente un parcours psychopatique moins important que dans le dernier
type.
-
- agressivité (6%) qui apparaît en continuité avec des troubles du comportement
psychopatiques. importants où l'homme comme la femme sont la cible de la colère. Les
motivations sexuelles, non sadiques sont sureprésentées (67%) dans le groupe de
schizophrènes ayant présenté une symptomatologie productive au moment de
l'agression.
L'auteur suppose des interactions complexes entre les symptômes psychotiques et le profil
comportemental au moment de l'agression sexuelle dont il faudrait tenir compte pour obtenir une
classification des différents types de motivations à la base de l'agression sexuelle. En plus de
l'évaluation d'une symptomatologie productive associée à l' agression sexuelle, Smith propose
4
d'utiliser plus systématiquement des instruments tels que le questionnaire MTC : R3 chez les
agresseurs sexuels psychotiques.
3 - Abus de substances chez les agresseurs sexuels Dans une enquête rétrospective (
PEUGH, 2001 ) menée auprès d'un large échantillon de 1273 agresseurs sexuels incarcérés,
Peugh et Belenko rapportent que 1/3 des agresseurs sexuels étaient consommateurs réguliers
de drogues ou d'alcool autour de la période de l'agression, 1/5 étaient sous l' influence d'une
drogue ou de l'alcool au moment de l'agression.
Les agresseurs sexuels pédophiles étaient
globalement moins consommateurs de
substances et consommaient préférentiellement de l'alcool ( en particulier les agresseurs
incestueux ). Les consommateurs à la fois de drogue et d'alcool étaient plus souvent
célibataires, avec des antécédents d'abus sexuels dans l'enfance, un parcours de criminalité qui
les rapprochaient de la population des délinquants non sexuels; la victime de l'agression
sexuelle était le plus souvent inconnue et adulte.
L'étude suggère donc que l'abus de substance, et en particulier l'usage de drogue est un des
facteur différenciant les agresseurs sexuels pédophiles et les violeurs dont la cible est un adulte.
les auteurs discutent la nécessité d'inclure une évaluation des problèmes d' abus de substances
dans les programmes de traitement destinés aux agresseurs sexuels.
Marx, Gross et Adams ( GROSS, 1999 ) ont réalisés un essai contrôlé randomisé auprès
d'un échantillon de 141 étudiants afin d'examiner l'impact des effets pharmacologiques et
psychologiques de l'alcool sur la capacité des hommes au comportement sexuel agressif ou non
agressif à discriminer lorsqu'une femme souhaite que son partenaire interrompe des avances
sexuelles. Les différents groupes d'étudiants étaient répartis en différents groupes :
comportement sexuel agressif versus comportement sexuel non agressif, effet attendu de l'
alcool versus effet non attendu de l'alcool, administration d'alcool versus placebo. Les étudiants
étaient ensuite exposés à une cassette audiovisuelle simulant une rencontre entre un homme et
une femme.
Les participants ayant consommé de l'alcool ou pensant avoir reçu de l' alcool avaient un
délais de temps significativement plus long pour déterminer lorsque l'homme devait interrompre
ses avances sexuelles.
De plus, les participants au comportement sexuel non agressif avaient un temps de réponse
similaire à leurs homologues au comportement sexuel agressif sous l'effet attendu de l'alcool.
Ces hommes n'ayant pas " le profil sexuel agressif "interprétaient alors moins bien le message
de leur partenaire féminine.
Cette étude suggère que si l'excitation sexuelle occasionnée par la consommation d'alcool
est un facteur important, d'autres facteurs plus psychologiques pourraient agir par le biais de
l'alcool pour entraîner la désinhibition d'un comportement sexuel agressif.
B - Les influences sociales dans les agressions sexuelles : Dans une revue critique de la
littérature ( SETO, 1999 ), Seto examine les différentes associations établies entre la
pornographie et les agressions sexuelles. Il précise que la première difficulté consiste à définir la
pornographie dont la nature est subjective et relative à des valeurs communautaires
d'esthétique, de morale et d'acceptabilité dont découle parfois la distinction entre érotisme et
pornographie. Cependant, même si la définition reste soumise à un jugement subjectif, l'auteur
estime que la distinction entre la pornographie non violente, et, la pornographie violente et
5
dégradante dépeignant des interactions sexuelles sans affection ou considération pour les
acteurs en temps qu'individus, reste possible.
Il revoit ensuite les différentes perspective théoriques établissant un lien entre pornographie
et agression sexuelle :
théories du conditionnement, théories féministes, théories de
l'apprentissage sociale ...
En conclusion, il déclare que les individus déjà prédisposés à l'agression sexuelle ont
probablement le plus de probabilité de subir les effets supposés de l'exposition à la
pornographie violente comme l'augmentation du degré d'acceptabilité de la violence sexuelle.
Alors que les hommes non prédisposés à l'agression sexuelle ont peu de probabilité de subir les
effets de ce type de pornographie. Et si un effet était tout de même possible, il serait
probablement transitoire car ce type d'homme ne s'expose pas normalement de lui même à ce
type de pornographie. En dernière analyse, l'auteur présente une perspective darwinienne sur
les possibles liens entre exposition à la pornographie et agression sexuelle.
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2) Les théories biologiques :
Il s'agit pour ces théories de cerner les facteurs biologiques qui peuvent prédisposer un
individu à commettre un délit sexuel. Les principaux aspects biologiques qui ont été explorés
sont les aspects génétiques, endocriniens et neurologiques.
Précisons que jusqu'à présent, aucun paramètre biologique spécifique n'a pu être identifier
comme étant commun à tous les agresseurs ni ne permet de prédire qu'un individu le deviendra.
Ces recherches n'ont pas permis d' expliquer le comportement d'agression sexuel par une
cause biologique unique.
Dans un article examinant les problèmes rencontrés par les chercheurs lorsqu 'ils étudient les
facteurs biologiques participant à l'étiologie de l' agression sexuelle ( BERLIN, 1988, 205 ),
Berlin insiste sur la nécessité pour la recherche biologique de se focaliser sur des souspopulations de violeurs homogènes aux motivations similaires. Car si selon l'aspect légal le
violeur est défini par son seul comportement, en réalité les violeurs réalisent une population très
hétérogène entre la personnalité antisociale, les retardés mentaux, le groupe appartenant aux
déviances sexuelles aberrantes ( paraphiles ) ...
Par exemple, dans le cas des violeurs psychopathes non paraphiles, la recherche de facteurs
biologiques corrélés à l'agression sexuelle entraînera plus une focalisation de l'attention sur des
facteurs biologiques reflétant une tendance agressive générale comme un trouble de
l'impulsivité plutôt que liés spécifiquement à l'agression sexuelle.
L'auteur suggère donc dans un premier temps, d'étudier plus précisément les différences
dans le domaine sexuel qui permettraient de mieux distinguer les agresseurs sexuels, en
particulier
1) le type de partenaire considéré comme attirant sexuellement ( âge, sexe, ... )
2) le type de comportement considéré comme excitant sexuellement
3) l'intensité du désir sexuel
résister à ce désir sexuel
et
les
6
difficultés
éventuelles
rencontrées
pour
4) l'attitude concernant la nécessité d'essayer de résister ou non à un désir sexuel
a - les recherches en génétiques : portent essentiellement sur les anomalies
chromosomiques prédisposant un individu à agresser et, plus particulièrement à agresser
sexuellement. Deux syndromes génétiques ont été plus particulièrement étudiés : le syndrome
XYY (HOFFMAN, 1977, 155 ) et le syndrome XXY ( ou syndrome de Klinefelter ). Les
chercheurs n'ont pu établir de liens formels entre ces anomalies chromosomiques et la
délinquance sexuelle.
b - Les recherches qui portent sur les hormones : Plusieurs chercheurs se sont intéressés
aux hormones mâles dans l'agression sexuelle. Alors que les anti-androgènes sont utilisés dans
le traitement de la délinquance sexuelle, le rôle de la testostérone demeure imprécis et n'a pas
été démontré de façon certaine.
c) Les recherches neurologiques : postulent que le comportement sexuel normal nécessite
des composantes anatomiquement et fonctionnellement intactes.
Plusieurs études ont cherché à évaluer les anomalies neurologiques potentielles auprès de
population d'agresseurs sexuels.
Pallone et Voelbel ( PALLONA, 57, 427 ) explorent les dysfonctionnements du système
limbique fréquemment impliqué dans le comportement sexuel agressif auprès d'une population
de 54 délinquants sexuels pédophiles incarcérés en utilisant un questionnaire développé par
des chercheurs de l'université de Harward et Dartmouth : le LSCL-33 ( Limbic System Check
List - 33 ), et supposé mieux détecter des niveaux subcliniques d'altérations neurologiques que
les batteries d'examens complémentaires habituellement utilisés. 33 % des pédophiles de
l'échantillon aboutissent à un diagnostique d'altération probable du système limbique associé à
certains troubles psychiatriques comorbides, en particulier personnalité antisociale, troubles
psychotiques et manie évalués à l'échelle MMPI. Les auteurs suggèrent que les troubles
neuropathologiques et psychopathologiques interagissent ensembles et se potentialisent chacun
en favorisant l'agression sexuelle.
Parallèlement au développement des méthodes de neuro-imagerie comme le PET-scanner,
certains chercheurs tentent de caractériser plus précisément les régions cérébrales incriminées
dans le comportement d'excitation sexuelle chez l'individu "normal". Réalisant une étude auprès
de 9 hommes sains à qui sont présenté des stimuli visuels de nature sexuelle, une équipe de
chercheurs de la CERMEP et de l'INSERM ( STOLERU, 1999 ) ont localisé plusieurs zones
cérébrales dont l'activation était associée à la présentation des stimuli visuels : la région du
claustrum montrait la plus forte activation. Une activation était également présente dans la
région paralimbique, le striatum et l'hypothalamus postérieur alors qu'une baisse du débit
sanguin cérébral était observé dans plusieurs régions temporales. En se basant sur ces
résultats, les auteurs proposent un modèle des différents processus cérébraux intervenant
comme médiateurs dans les différents composants cognitifs, émotionnels, motivationnels et
autonomes impliqués dans le comportement d'excitation sexuelle mâle. Les auteurs suggèrent
que ces résultats relevés auprès de sujets sains pourraient permettre de mieux identifier les
modifications fonctionnelles caractérisant les altérations pathologiques du désir sexuel chez
l'homme.
3 - Les théories psychodynamiques et psychanalytiques :
Nicolleau ( maîtrise de psychopathologie et de psychologie clinique sur les agresseurs
sexuels en milieu carcéral ) décrit des sujets dont les failles se situent surtout à un niveau
7
narcissique du développement. Les insuffisances de la relation au premier objet, l'incapacité à
intégrer la position dépressive, les incomplétudes identitaires poussent ces sujets à l' utilisation
des moyens de défense de type psychotiques, à des compensations mégalomaniaques, à
l'utilisation de clivage, ou à l'expression directe de l' agressivité. En s'interrogeant sur les
moteurs, les motivations ou les angoisses inhérents à ces mécanismes, Nicolleau propose la
perversion comme modèle explicatif du passage à l'acte dans l'agression sexuelle. Si tous les
comportements violents sexuels rencontrés en milieu judiciaire ne relèvent pas tous de la
perversion, il est pourtant nécessaire d'opérer des comparaisons avec la perversion afin de
dégager leur spécificité psychodynamique. Ainsi certains de ces actes sont commis par des
névrosés et s'accompagnent de culpabilité, d'autres sont le fait de psychotiques, ou encore
peuvent survenir chez des psychopathes n'acceptant pas la frustration. Dans ces cas, on ne
parle pas de structure de la personnalité mais d'aménagement pervers défensifs. Les relations
précoces infantiles à la mère archaïques seraient source d'angoisse face à la relation et à la
représentation féminine. La défaillance des mécanismes de défense entraînerait alors le
passage à l'acte chez des sujets dont la résistance aux pulsions agressives et libidinales et à la
frustration est marquée par la faiblesse d'un moi fragile.
Le contexte de fixation à ce stade de relation précoce, contigu à la phase de séparationindividuation avec la mère serait caractérisé par certains facteurs d'ordre familial : tentatives de
séduction réelles ou imaginaires de la part de la mère, relations intimes marquées par
l'incohérence affective, absence de relation avec le père et dévalorisation de celui-ci dans le
discours maternel, présence de conflits familiaux graves, alcoolisme et violence familiale ...
Plusieurs auteurs d'inspiration psychanalytique ( HAMMER, 1968, 85 / TARDIF, 597, 463 ) ont
étudié plus précisément la place des figures parentales dans le développement des perversions
sexuelles.
Dans son article "vers une théorie des perversions sexuelles" ( TARDIF, , 31 ), Tardif situe
également les perversions criminelles dans le registre des problématiques préoedipiennes. Les
auteurs de perversions criminelles présenteraient d'importantes failles de la structure identitaire
qu'elle tente de retracer à travers différents axes ontogénétiques tels que : l' intrication des
pulsions sexuelles et agressives, le fait d'être au prise avec des angoisses fondamentales, la
non résolution de deuil infantiles et les avatars de la relation d'objet. L'articulation de ces
éléments conceptuels permettrait de dégager les conflits de base qui sous tendent les
symptômes pervers criminels.
Dans un article sur les "agirs sexuels pervers : emprise et déni d'altérité" ( COUTANCEAU,
1996 ), Coutanceau nous invite à une clinique du passage à l' acte chez l'agresseur sexuel,
"moment d'actualisation d'une dynamique perverse plus souvent que reflet d'une structure
perverse ". Considérant "le viol ou acte sexuel violent faisant fi du consentement d' autrui
comme une relation d'emprise déniant l'altérité d'autrui", Coutanceau propose une
psychopatologie de l'agir sexuel en fonction de la personnalité sous-jacente de l'agresseur
sexuel résumée dans le tableau ci-dessous.
Contrainte lors de l’acte
Névrotique
Reconnue
Vécu surmoique de l’acte
Culpabilité
Immaturo-pervers
Reconnaissance indirecte ;
négation banalisante
Honte
Ressentiment possible pour
la victime
Position face à la loi
Reconnu
Banalisé, minimisé
Ni anxiété, ni honte
apparente
nié
Reconnue comme
structurante
Acceptée avec difficulté
défiée
8
Pervers
déni
4) Les agresseurs sexuels pédophiles : Dans une étude rétrospective analysant 97 agressions
sexuelles d'enfants recueillies auprès des rapports de police, Canter, Hughes et Kirby (
CANTER, 1998, 222 ) identifient trois profils comportementaux caractérisant les différents types
d'interactions relationnelles entre l'agresseur pédophile et sa victime :
1) relations très intimes entre l'agresseur et sa victime, l'enfant étant alors considéré comme
une alternative à un partenaire sexuel d'âge approprié.
2) relations dominées par l'agressivité, l'enfant est la cible de la et de la cruauté de
l'agresseur sexuel. Dans ce type d'interaction, la force est souvent utilisée au delà de la
force nécessaire pour obtenir la soumission de l'enfant.
3) troisième type d'interaction opportuniste où l'agression sexuelle n'est qu'une des multiples
formes d'activités criminelles chez l'agresseur sexuel. L'utilisation de la force n'excède
pas ce qui est nécessaire pour obtenir la soumission de l'enfant et l'agresseur ne commet
son crime qu'une seule fois avec la même victime qui n'appartient pas au système familial
et gravite en dehors de son environnement proche et familier. Cette étude fournit des
résultats permettant de considérer l'agression sexuelle pédophile à la fois comme une
forme de criminalité et comme une forme de pathologie mentale (disposition stable à un
modèle de déviance sexuelle ).
Dans une étude réalisée auprès de 30 agresseurs sexuels pédophiles incarcérés, Swaffer (
SWAFFER, 31, 468 ) utilise l'interview semi-structurée de Neidigh et Krop ( 1992 ) afin d'évaluer
les différents types de distorsions cognitives rencontrées parmi cette population d'agresseurs
sexuels. Avant le programme de soins, il repère plusieurs distorsions cognitives caractérisées
par une tendance à minimiser la gravité de leurs comportement et à légitimer les rapports
sexuels entre enfants et adultes. Malgré l' efficacité du programme de soins qui s'accompagne
d'une réduction des distorsions cognitives, la plupart des agresseurs pédophiles persistent
cependant à ne pas accepter la pleine responsabilité de leur crime. Par ailleurs l'auteur échoue
ici à monter un lien entre l'agression sexuelle et l'agressivité, la colère qui ne sont pas utilisées
par les pédophiles comme justifications de leurs actes.
Dans une revue de la littérature, Ward et Keenan déclarent que les distorsions cognitives des
pédophiles découlent de théories causales implicites des agresseurs sexuels pédophiles
concernant la nature de leurs victimes et leur vision du monde en général.
A partir de l'ensemble des différentes distorsions cognitives recueilles dans la littérature
médicale, ils " reconstruisent" cinq modèles de théories implicites susceptibles d'intervenir chez
les agresseurs sexuels pédophiles :
1) Les enfants sont considérés comme des objets sexuels.
2) Du fait de leurs statuts supérieurs, certains individus ont le droit d' assouvir leur besoin
sur d'autres alors que les désirs de leurs victimes sont ignorés ou considérés comme
ayant une importance secondaire.
3) Le monde est un endroit dangereux dans lequel il est nécessaire de se battre et d'affirmer
sa domination sur les autres.
9
4) Le monde est dominé par des facteurs extérieurs incontrôlables. Dans un sens, les désirs
sexuels sont considérés comme extérieurs à l'agresseur qui n'est pas responsable de son
comportement.
5) Il existe des degrés dans le mal, et, considérant qu'il aurait pu commettre un acte
beaucoup inacceptable et douloureux pour sa victime, l' agresseur estime qu'il ne doit pas
être jugé trop sévèrement, d'autant plus que cette première croyance est associée à une
deuxième qui considère que l' activité sexuelle ne peut être que bénéfique en elle même.
En conclusion, les auteurs déclarent qu'il est possible de développer un modèle rendant
compte des distorsions cognitives des agresseurs sexuels pédophiles en se focalisant sur
les théories implicites qui sous-tendent leurs comportement délictueux, ce qui permettrait
de mieux comprendre les liens entre cognition et comportement.
Seto, Lalumière et Kuban, se sont particulièrement intéressés aux pédophiles incestueux.
Dans une perspective théorique qui considère que le sexe avec son propre enfant biologique est
paradoxal et que l'évitement des croisement consanguins fait partie des mécanismes
régulateurs importants des relations parents-enfants, ils font l'hypothèse que l'inceste peut
survenir lorsque ces mécanismes régulateurs sont submergés par d'autres facteurs comme un
intérêt de nature pédophile. Dans une étude ( SETO, 1999, 356 ) réalisée auprès d'un large
échantillon de 733 agresseurs sexuels, ils échouent cependant à démontrer leur hypothèse : les
pères biologiques sensés avoir été impliqué dans l'éducation de leurs victimes apparaissent
comme le groupe possédant le plus faible intérêt pédophile aux mesures phallométriques
comparativement aux groupe des pédophiles extra-familiaux, mixtes et aux violeurs dont la
victime est adulte. L'agression sexuelle chez les pédophiles incestueux serait de nature plutôt
opportuniste : n'ayant pas accès facilement à leurs cibles sexuelles préférentielles, ce type
d'individu reporterait alors leurs cibles plus bas dans leur gradient de leurs préférences
sexuelles. Les auteurs précisent cependant l'absence d'évaluation des soins parentaux
précoces et des premiers contacts présumés entre le père et l'enfant, constituant une limitation
à l'étude.
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