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L’Evolutionnisme de Pierre Janet : Indications Pour Une Évaluation Et Une Reformulation
I. Saillot, PhD
Institut Pierre Janet
Paris, France
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I. Saillot, PhD.
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Résumé
Les idées évolutionnistes de Pierre Janet relèvent d’un modèle historique avec de nombreuses facettes jouant des rôles
spécifiques dans le fondement de sa psychologie. Une recherche détaillée de tels composants élémentaires conceptuels
sera tentée ici, à partir de citations de ses travaux qui aideront à trouver une définition fidèle à ses idées, prouvant que
Pierre Janet a adopté les notions répandues autour de 1900. Ce diagnostic de l'évolutionnisme de Pierre Janet sera
comparé à quelques critiques qui ont été faites aux théories proches des siennes, enracinées dans cette biologie du dix-
neuvième siècle également. Depuis que Pierre Janet a donné la développé son système évolutif, la biologie évolutive a
subi les changements paradigmatiques majeurs : la question concernant la manière dont les composants du fondement
de la psychologie de Pierre Janet ont souffert des avancées de la recherche en biologie sera abordée.
L'évolutionnisme de Pierre Janet se trouve davantage dans sa psychologie que dans sa psychiatrie.
L'évolutionnisme de Pierre Janet a été bien attesté par des historiens (Ellenberger, 1970; Prévost, 1973a/73b;
Braunstein, J.-F. et Pewzner, E, 1999), qui conviennent généralement qu'il est devenu évolutionniste autour des années
20. La situation semble en fait plus complexe, parce que la chronologie n'est pas le seul paramètre, mais également
ses types de productions. Le travail de Pierre Janet peut être divisé en quatre parties: articles de recherche (1885 -
1946), cours au Collège de France (1901 - 1934), livres (1889 - 1932) et d'autres textes qui n'entrent pas dans les trois
premières parties, tels que des discours occasionnels ou des critiques de livre. Quant aux trois premières parties, ces
travaux montrent différentes utilisations des concepts évolutifs, liées à leur proportion de psychologie et de
psychiatrie. J'appellerai "psychiatrie" de Pierre Janet la partie de son travail traitant du diagnostic et du traitement des
névroses, alors que la "psychologie" de Pierre Janet sera la partie de son travail traitant de l'interprétation
psychologique de sa psychiatrie, et de tous ses travaux centrés sur des conduites, idées, croyance, sentiments et
volonté, en tant que questions principales théoriques.
La psychiatrie de Pierre Janet n'a jamais été fortement enracinée dans l'évolutionnisme, c’est sa psychologie qui a
employé un fondement évolutif. Depuis ses premiers articles sur l'hystérie à ses derniers, le diagnostic de Pierre Janet
et les méthodes de traitement dépendaient à peine des concepts évolutifs. Jusqu'en 1926, tous ses livres ont fait une
place importante aux préoccupations psychiatriques: par conséquent, jusqu'en 1926, aucun d'entre eux n’était
profondément dépendant de la biologie évolutive, alors qu'environ 70% de ses articles de recherche traitaient de
questions médicales, et n’abordaient donc pas plus l'évolution.
En 1926, avec " De l'angoisse à l'extase. Études sur les croyances et les sentiments ", (Janet, 1926-28), les livres de
Pierre Janet sont devenus moins psychiatriques, et se sont davantage concentrés sur la psychologie. Ces travaux ont
été enracinés dans la biologie évolutive depuis le commencement. Ses cours au Collège de France, étant
psychologiques par définition de sa Chaire, ont commencé très tôt à être manifestement évolutifs. Dès l’année 1909, il
écrivait déjà " Les tendances sont des systèmes de faits physiologiques et psychologiques associés entre eux au cours
de l'évolution… " (Janet, 1909a). Après 1926, 50% des articles de recherches de Pierre Janet étant psychologiques,
ont dépendu également des questions évolutives.
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Nous supposons que la psychiatrie de Pierre Janet n'a pas beaucoup impliqué la biologie parce qu'elle a été fondée sur
sa psychologie. Il y a certainement des études épistémologiques avancées au sujet de la nature de la relation de
« fondement » entre deux théories, et il serait le plus approprié d'examiner ceci plus en détail. Mais ici, choisissons
une définition très simple, déclarant que quand un champ se fonde sur un autre, ils sont liés par une loi de la causalité,
le deuxième "expliquant" le premier. Selon ceci, dans des travaux de Pierre Janet, les lois de la psychologie
expliquent les faits psychiatriques, en d'autres termes, la psychiatrie est de la psychologie appliquée. Les deux champs
peuvent néanmoins être considérés comme autonomes: la rupture du lien de causalité entre eux rend la psychologie
théorique, et la psychiatrie descriptive. Déclarer que la psychologie de Pierre Janet est fondée sur la biologie évolutive
mène au même modèle. Avec sa causalité à l'intérieur de biologie, la psychologie de Pierre Janet est de la biologie
appliquée. Sans ce lien de causalité, la psychologie de Pierre Janet est descriptive, et autonome.
Pierre Janet a souvent déclaré que ses travaux étaient descriptifs, donnant comme argument que les "sciences"
psychologiques n'étaient pas assez avancées pour produire des explications, mais seulement des descriptions. Ces
affirmations expliquent sa contribution majeure à la psychologie clinique (c.-à-d. descriptions des différents cas), et
amènent Claude Prévost à comparer la psychologie de Pierre Janet à la phénoménologie de Husserl. Cependant, il
semble que Pierre Janet n'a pas toujours eu des intentions descriptives pures. En fait, il a interprété ses cas cliniques.
Ceci explique que sa psychiatrie se fonde sur sa psychologie. Mais il y a plus, il a même interprété ses propres
résultats psychologiques (interprétations elles-mêmes de ses cas psychiatriques), et là se trouve le fondement de sa
psychologie dans la biologie évolutive.
Puisque de façon épistémologique ce rapport au fondement peut être cassé en principe, la psychologie de Pierre Janet
peut être déclarée autonome, et l’est sûrement. Néanmoins, la portée de cet article n'est pas de montrer comment la
psychologie de Pierre Janet est autonome (ceci exigerait une étude entière), mais au contraire de montrer les limites de
son autonomie. Ces limites peuvent être étudiées simplement, comme travail préliminaire, en dépistant quelques
concepts clairement situés à cette limite: évolution, développement, adaptation, progrès, stades et quelques autres que
les citations de Pierre Janet fourniront. On montrera ici que ces concepts n'appartiennent pas aux résultats principaux
de la psychologie de Pierre Janet, sauvant par conséquent l’autonomie et la validité de sa psychologie, mais qu’ils sont
néanmoins ceux au sujet desquels la recherche moderne janétienne doit être particulièrement attentive.
La biologie évolutiinniste de Pierre Janet
Puisque Pierre Janet a donné beaucoup d'importance au fondement évolutif de sa psychologie, et qu'il est la plupart du
temps rappelé et cité, paradoxalement, comme aliéniste évolutionniste, il est certainement une question importante de
comprendre ce qu'il a voulu dire par ce concept « d'évolution ».
Malheureusement, il ne donne pas une définition précise de ce qu'il pensait concernant cela. Même lorsqu'il aborde la
question directement, par exemple dans un chapitre consacré à "L'Evolution" dans L'Évolution de la mémoire et de la
notion du temps " (Janet, 1928b), aussi bien que dans un article relatif (Janet, 1928a), il semble qu’il considère pour
acquis que le public comprendra la signification du mot, et aura simplement besoin de son point de vue et d’exemples.
Néanmoins, il a écrit largement au sujet de l'évolution, et quelques citations de son travail permettront de construire un
modèle rendant compte de ses idées sur ce qu'est l'évolution, de la façon dont elle fonctionne, et ce que sont ses
conséquences, résumées ici en 6 points.
1 - L'évolution est à double face. D'une part elle est une transformation progressive de l'individu pendant sa vie
quotidienne, d'autre part, c'est la transformation de sa "race", qui a lieu sur de plus longues périodes.
" Chaque homme évolue continuellement de deux manières : en premier lieu il doit accomplir à chaque instant
de sa vie et plus fortement à certaines périodes un développement individuel qui, de la naissance à la mort,
transforme incessamment son activité, en second lieu il participe sans cesse à l'évolution de la race qui se
transforme plus rapidement qu'on ne croit au milieu des incessantes modifications du milieu social ". (Janet,
1909b).
" (l'évolution est) ce fait qu'un être vivant se transforme continuellement pour s'adapter à des circonstances
nouvelles […] ". (Janet, 1909b).
" Une certaine partie de toutes les fonctions humaines, la partie la plus élevée, est-elle toujours en voie de
transformation ". (Janet, 1909b).
2 - Les conduites évoluent et se développent pour s’adapter toujours mieux aux circonstances: elles sont utiles. Par
conséquent, l'évolution va vers la perfection.
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" Les théories périphériques [des sentiments] ne tiennent pas compte du point de vue biologique, elles ne
cherchent pas la raison d'être de cet état d'émotion qui s'est développé d'une manière générale chez tous les
êtres vivants et qui n'a subsisté au cours de l'évolution que parce qu'il avait une utilité, une fonction à remplir
". (Janet, 1926-28).
" Les divers sentiments que nous considérions comme des régulations de l'action avaient toujours une utilité…
". (Janet, 1926-28).
" L'évolutionnisme, c'est tout simplement l'usage de la notion de progrès et d'invention ". (Janet, 1928b).
3 - L'évolution obéit à la loi de Haeckel: elle est récapitulé par le développement (organique) embryonnaire.
" Les phénomènes de la volonté, ou du moins une partie d'entre eux, la perception de la réalité changeante, la
formation des croyances ne sont comparables qu'à des phénomènes de développement organique ". (Janet,
1909).
" C'est pourquoi la psychologie des conduites doit se présenter en grande partie comme une psychologie
génétique, suivant l'expression de J. M. Baldwin ". (Janet, 1926-28).
4 Les anciennes fonctions ont déjà été des organes réservés. Mais les progrès et les inventions des individus créent
actuellement de futurs organes, par la transmission directe des adaptations quotidiennes à la descendance.
" Il y a aussi dans toute fonction des parties supérieures consistant dans l'adaptation de cette fonction à des
circonstances plus récentes, beaucoup moins habituelles, qui sont représentées par des organes beaucoup
moins différentiés ". (Janet, 1909).
" L'anatomie, en effet, étudie surtout et nécessairement les organes anciens, bien délimités, identiques chez
tous les hommes, en un mot, les organes des fonctions parvenues à l'état stable ; elle ne peut pas connaître les
organes futurs, ceux qui n'existent encore qu'en germe, en formation ". (Janet, 1909).
5 L’évolution, et son analogie embryologique, traverse une série de stades ou de niveaux de perfection. On peut
observer aujourd'hui des niveaux inférieurs de cette progression chez les enfants, les primitifs, les singes, et les
névrosés.
" … chez les individus de divers niveaux, les animaux, les enfants, les primitifs et surtout chez les malades…
". (Janet, 1926-28).
" les enfants et les malades ", " l'enfant et (de) l'idiot ". (Janet, 1889).
" les primitifs ou les malades en dépression n'ont aucunement ces notions ". (Janet, 1926-28).
" A côté et peut-être déjà un peu au-dessus du singe nous voyons le petit enfant que l'on commence à étudier
aujourd'hui beaucoup ". (Janet, 1935).
" Les malades dont je m'occupe le plus souvent ne peuvent guère, en ce moment, nous être utiles, car, malg
leurs troubles, ils restent, en général, beaucoup trop supérieurs aux chimpanzés " (Janet, 1935).
" chez les primitifs et chez les enfants ", " chez le primitif et chez l'enfant " (Janet, 1935).
6 - Les niveaux inférieurs subsistants aujourd'hui peuvent être expliqués par des arrêts ou des régressions du
développement (ou de l'évolution).
" le caractère essentiel de l'émotion est une régression brutale vers les conduites inférieures ". (Janet, 1926-
28).
" N'est-il pas naturel qu'à une certaine époque les êtres en voie de perfectionnement, mais incapables d'utiliser
encore d'une manière constante les procédés perfectionnés soient revenus instinctivement à ces actes primitifs
? " (Janet, 1926-28).
" …la régression des actes qui se manifeste dans l'émotion… " (Janet, 1926-28).
" Tous ces malades semblent arrêtés dans l'évolution de la vie […] ". (Janet, 1923).
" …les malades qui nous présentent par les arrêts de développement et les régressions toutes les formes et tous
les degrés de ces évolutions psychologiques". (Janet, 1926-28).
Pierre Janet tire ses idées évolutionnistes du contexte historique de la recherche à son temps
Bien que Pierre Janet ne définisse pas le concept d'évolution, il l'emploie abondamment. La raison en est que de son
temps, non seulement la plupart des savants et leurs auditoires la comprenaient tous, mais en outre dans le même sens.
L’évolutionnisme était en effet la méthode d'analyse la plus répandue, populaire et fertile dans beaucoup de différents
champs de recherche, bien loin de ses distantes origines biologiques (Gould, 1974, 1977, 2000; Burian, 2000; Gayon
Et Burian, 2004). Comme la plupart de ses maîtres et collègues, Pierre Janet a adopté cette idée répandue, qui a
rencontré très peu d'oppositions à ce moment-là.
Bien que Pierre Janet fût né en 1859, l'année même où Darwin a édité son "Origine des Espèces" (Darwin, 1859), le
modèle évolutif qu'il a adopté est un modèle lamarckien. Lamarck a établi deux lois principales d'évolution. La
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première est que l’utilisation ou la non-utilisation d’un organe fait qu’il se développe ou dépérit, parce qu'un
changement de l'environnement cause un changement du comportement également. La deuxième loi est que tous ces
changements sont héréditaires. Le résultat de ces lois est le changement continu et progressif des organismes, car ils
deviennent davantage adaptés à leurs environnements (Gould, 1977/79).
Les lois lamarckiennes de l'évolution expliquent le point 1 des vues évolutionnistes de Pierre Janet, selon lesquelles
l'évolution est une transformation progressive de l'individu pendant sa vie quotidienne qui commande la
transformation de sa "race" (espèce) sur des périodes plus longues. Elles rendent également compte, bien que moins
directement, du point 4, selon lequel les inventions des individus créent actuellement de futurs organes.
Maintenant, nous avons déclaré que Pierre Janet n’a fait qu’a adopter les vues évolutionnistes les plus communes dans
son temps. Mais Darwin avait édité en 1859, c.-à-d. 51 ans avant que Pierre Janet ait commencé à fonder sa
psychologie sur l'évolutionnisme. Comment se fait-il que les opinions les plus célèbres de la biologie évolutive vers
1910 étaient encore lamarckiennes et pas darwiniennes ? Il est sûr que des études historiques complexes seraient
nécessaires pour expliquer ceci en détail, et nous ne pouvons pas tenter une telle entreprise ici. Mais pour comprendre
le point de vue de Pierre Janet, il peut être suffisant de rappeler les éléments suivants.
Herbert Spencer, évolutionniste le plus influent de son temps
Herbert Spencer (1820-1903) était un ingénieur ferroviaire de l’époque victorienne qui a développé des idées basées
sur « l'évolution » en tant que principe universel et a élaboré l’un des systèmes les plus influents de son temps, jouant
un rôle important dans le développement des sciences économiques, de la politique, de la biologie, et de la philosophie
pendant plus d'un siècle (Spencer, 1855/62/64/74). Sa façon de pensée a été dérivée de Lamarck, de Darwin et de von
Baer. L'évolution de Spencer était un principe de progrès nécessaire, du plus simple vers le plus complexe. Mayr
écrit que les "idées de Spencer n'ont rien apporté de positif à la pensée de Darwin; au contraire, elles sont devenues
une source de confusion ultérieure considérable "(Mayr, 1982). Bien qu'il n'ait jamais travaillé dans la recherche lui-
même, et qu’il ait vulgarisé ses idées par des livres directement destinés au public, les idées de Spencer influencèrent
la plupart des chercheurs de son temps, comme Haeckel, Ribot et Jackson, trois inspirateurs de Pierre Janet, et jusqu'à
ce jour, par exemple, Karl Popper (Popper, 1972). Son système a plus ressemblait aux vues populaires et intuitives de
l'évolution qui persistaient depuis Lamarck, impliquant de croire en un développement progressif par étapes vers une
plus grande perfection et complexité, ce qui avait été rejeté par Darwin.
C'est Spencer qui a trouvé l'expression célèbre "survie du plus convenable". C'est Spencer qui a popularisé le terme
« l'évolution » elle-même: vers 1850, le terme "évolution", traditionnellement utilisée en embryologie, commençait à
être utilisé pour des aspects épigénétiques du développement. Gould note que Carpenter (Principes de Physiologie,
1851) était le premier à employer le terme "d'évolution pour décrire l'embryologie et l’enregistrement fossile (dans une
interprétation de progrès et de création)"(Gould, 1977). À partir du moment où Spencer a qualifié la théorie de
Darwin de théorie de « l'évolution », « les biologistes se sont appropriés son terme et l’ont appliqué à tout le
changement organique ». C'est également Spencer qui a inventé le concept contraire de l'évolution, la "dissolution",
pour le processus inverse, qui allait rencontrer une faveur énorme parmi les médecins et les psychologues (Ribot et
Jackson, quant aux inspirateurs de Pierre Janet).
En ce qui nous concerne, les impacts les plus forts de Spencer ont été: d'abord, de lier l'évolution au progrès, ce qui
n’était le cas ni dans Darwin, ni dans la théorie de Lamarck, inventant ce que Gould appelle "l'évolution progressive"
(qui n’a finalement été invalidée que par la synthèse néo-darwinienne dans les années 1940). Spencer a ajouté un
élément fondamental à son évolution progressive, une échelle linéaire du progrès, qui est également une échelle de
perfection. Une échelle linéaire est une flèche: une ligne (une dimension) plus une direction. Sur une échelle
linéaire, la seule comparaison possible entre deux éléments est qu'il soit "inférieur" ou "supérieur" à l'autre, aucune
différence de nature n’est possible : ce dispositif convient exactement aux hiérarchies de Pierre Janet. En second lieu,
de soutenir une idée de l’évolution lamarckienne, particulièrement la modification des organes et des fonctions dans
des buts d'adaptation, et la transmission de ces caractères acquis (dont Darwin n'a pas douté, mais qu’il a considéré
comme négligeable).
Les théories de Spencer rendent compte du point 2 des idées évolutionnistes de Pierre Janet, selon lesquelles les
conduites évoluent et se développent pour s'adapter aux circonstances, ce qui explique que l'évolution va vers la
perfection. Etant donné qu’il est douteux que Pierre Janet ait jamais lu Darwin et Lamarck directement, mais a fait
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leur connaissance par Spencer, les théories de Spencer rendent compte partiellement des points 1 et 4 précédemment
cités.
La théorie de la récapitulation: un consensus spencérien universel du temps de Pierre Janet
Vers 1900, la théorie évolutionniste spencérienne soutenait une théorie bien plus puissante encore, la théorie de
récapitulation. Stephen Jay Gould, un de ses meilleurs spécialistes, lui a consacré un traité ("Ontogenèse et
phylogenèse ", 1977). En l’absence de mention contraire, ses citations suivantes sont de ce livre. En introduction, il
énonce: « La Récapitulation se range parmi les idées les plus influentes de la science de la fin du dix-neuvième siècle.
Elle a dominé le travail de plusieurs professions [... ]. Toutes ces disciplines avaient comme obsession l'idée de
reconstruire des lignées évolutives, et toutes ont considéré la récapitulation comme la clef pour cette recherche ".
Lisons-le davantage, sur la présentation de ses principes fondamentaux: la "théorie de récapitulation est surtout
connue pour avoir été développée (à partir des idées de l'embryologiste Von Baer) par le zoologiste Ernst Haeckel,
dont la version proposait que les embryons récapitulent les « étapes » d’animaux adultes « inférieurs » de la classe
concernée, souvent résumée par " l'ontogenèse récapitule la phylogenèse ": l'arbre de la vie pourrait être lu
directement à partir du développement embryologique des formes plus élevées. Un individu, dans sa propre
croissance, traverse une série de stades représentant les formes ancestrales d'adultes dans leur ordre correct - un
individu, en bref, grimpe à son propre arbre de famille ".
Cela vaut la peine de noter ici que seule une vue évolutive lamarckienne pouvait soutenir la récapitulation
haeckelienne: en effet, les caractères acquis par des adultes doivent nécessairement être transmis à leur descendance
afin de s'exprimer pendant le développement embryonnaire. La conception spencérienne de l'évolution a fourni ce
contexte favorable. Comme Gould l’explique: "Bien que les tissus du corps (soma) sont le plus facilement modifiés
pendant l'adolescence, les cellules reproductrices sont les plus affectées par la répétition constante d'un acte pendant
l'âge adulte".
La théorie de la récapitulation rend compte du point 3 des vues évolutionnistes de Pierre Janet, selon lesquelles
l'évolution obéit à la loi de Haeckel.
La théorie de récapitulation en dehors de son domaine biologique, y compris la psychologie de Pierre Janet
Quelle était la méthodologie de recherche accompagnant de telles idées? Gould explique: "l'argument classique pour
la récapitulation implique un triple parallélisme de la paléontologie, de l'anatomie comparée, et de l'ontogenèse".
La méthodologie de recherche de la théorie de récapitulation rend compte du point 5 des vues évolutionnistes de Pierre
Janet, selon lesquelles on peut observer des niveaux inférieurs de perfection chez les enfants, les « primitifs », les
singes, et les névrosés, comme exemples de stades inférieurs de l’évolution.
Gould précise encore la situation en expliquant que "l'argument classique" du triple parallélisme a rapidement été
complété par l'addition d’un quatrième: "Les morphologistes ont finalement ajouté une quatrième source de preuve
(...) l'explication phylétique des anomalies en tant qu'arrêts de développement". Et de plus, "puisque le fœtus humain
traverse des étapes représentant les animaux inférieurs, beaucoup d'anomalies pourraient être expliquées en tant
qu'arrêts de développement. La théorie des arrêts de développement a été à la fois un succès et une influence (...); elle
a ajouté beaucoup de prestige au concept de récapitulation ".
En conclusion, et de la façon la plus intéressante pour l'analyse du travail de Pierre Janet, une précision finale: "Ce
quatrième critère -- l'individu anormal en tant que juvénile arrêté -- constitue une partie importante de l'utilisation faite
par d'autres disciplines de la loi biogénétique".
Nous devrions ajouter que dans ce quatrième critère résident certaines des interprétations de psychologie et de
psychiatrie de Pierre Janet. Par exemple il a interprété quelques symptômes de pathologie mentale, d'hystérie et de
psychasténie, en tant qu'arrêts de développement.
Dans la suite de cet article, l'utilisation de l'expression "triple parallélisme" se référera à sa version augmentée, c.-à-d.
incluant aussi son quatrième critère, les arrêts de développement.
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