Donald W. Winnicott (1896-1971) d’après GOLSE
1. Eléments biographiques
Le large rayonnement de la personne et de l'œuvre de Winnicott dans tous les pays d'influence
psychanalytique s'explique par la richesse et l'originalité de sa compréhension du
développement de l'enfant, en interaction avec son milieu environnant. Une valeur centrale
animait sa manière d'être avec lui-même et avec autrui : le jeu; non au sens de games, jeux de
société organisés avec des règles, mais au sens de « play », c'est-à-dire tout acte qui est une «
expérience de vie », une expression libre de soi. « C'est en jouant et peut-être seulement
quand il joue, que l'enfant ou l'adulte est libre de se montrer créatif. » [6]. Cette notion de «
playing » a constitué la base de sa relation psychothérapique et un des points clés de sa théorie
du développement.
Par ailleurs Winnicott subit les influences de Freud et de ses contemporains, en particulier
celle de Mélanie Klein qui lui parut moins dogmatique que les autres et qui assura le contrôle
de ses premières analyses. Il se servit des intuitions de chacun et ébaucha au fur et à mesure
de son expérience clinique une véritable théorie du développement dont jusqu'alors seuls
quelques jalons avaient été jetés.
Cependant, étant essentiellement attachés aux faits, il n'a jamais prisé la théorie pour elle-
même ; il estimait capital de partir de son expérience et de «laisser les choses être ce qu'elles
sont». Aussi son ceuvre se présente-t-elle sous la forme d'exposés et de conférences qui
traitent plusieurs fois du
* Isabelle FUNCK-BRENrANO, psychologue clinicienne.
même thème, mais développée de façon différente selon qu'il s'adresse à des spécialistes ou
aux mass-médias [14, 12].
Winnicott est né à Plymouth en 1896 et mort à Londres en 1971. Sa femme Clare Winnicott et
M. Masud R. Khan montrent bien à quel point ce fils unique grandit, en compagnie de ses 2
sueurs, dans un climat familial serein et harmonieux régnait le plaisir de vivre, l'humour et
un goût partagé de la musique [3, 8].
Au cours de ses études médicales, il se découvrit une attirance pour l'enfance, puis pour la
psychanalyse, après être tombé par hasard sur un livre de Freud ; à la suite de quoi il entreprit
une analyse. En 1923, il obtint deux postes hospitaliers de pédiatrie à Londres il assura
pendant quarante ans une consultation pour enfants. Son travail à l'hôpital prit très vite une
orientation psychologique et son service se transforma en clinique psychiatrique dont il parlait
comme de son « snack-bar psychiatrique.. Très tôt s'affirma sa vision personnelle de la
pédiatrie qu'il considéra comme la formation naturelle du psychiatre d'enfants. Il s'attacha
particulièrement à la dyade mère-enfant dont il étudia les relations et leurs conséquences sur
le développement du nourrisson dès les premiers moments de la vie. Sa propre expérience
familiale, vécue à la fois dans une structure simple et dans une ambiance très affective et
saine, le sensibilisèrent probablement à cet aspect ; Winnicott introduisit ainsi une notion
nouvelle dans la théorie psychanalytique classique Freud s'était davantage intéressé aux
relations complexes de filiation.
Dans cette double entreprise à la fois pédiatrique et psychothérapique du couple mère-enfant,
Winnicott apporta également beaucoup par la diversité de ses modalités d'approche des
patients enfants et adultes ; citons l'observation directe (illustré par le célèbre exemple de La
spatule, [1] ; le jeu, la technique du « squiggle-game », la thérapie mère-enfant... Quelle que
soit sa façon de procéder, il était surtout soucieux de rendre significative chaque intervention,
et de faire jouer au milieu familial son propre rôle thérapeutique à travers une attention plus
soutenue aux besoins de l'enfant.
Génie inimitable, précurseur et modèle d'une nouvelle approche de la psychiatrie infantile,
D.W. Winnicott se situe au carrefour des théories contemporaines &, à l'exception de
quelques points de détail, il fait aujourd'hui l'unanimité parmi ses pairs [10].
2. L' œuvre
Fonctions de l'environnement
Winnicott définit les caractéristiques de la santé mentale par le mot clé dépendance. Il estime
que « le potentiel inné d'un enfant ne peut devenir un enfant que s'il est couplé à des soins
maternels » [1]. Ces soins ne sont pas à eux seuls le garant de la bonne santé mentale ; il y a
aussi les tendances innées vers l'intégration et la croissance qui sont variables d'un individu à
l'autre.
Les soins maternels permettent de prévenir les distorsions précoces ; le Moi de la mère
supplée le Moi de l'enfant qui n'est pas encore constitué, en lui offrant un environnement
favorable. Au tout début, des soins maternels suffisamment bons sont une nécessité absolue. Il
est essentiel qu'ils éveillent chez l'enfant le plaisir de vivre, qu'ils suscitent le plaisir des
sensations et de l'auto-érotisme, car la tendance innée au plaisir est variable d'un nourrisson à
l'autre, et sans la mère, la tendance au plaisir ne peut pas prendre le dessus sur les autres
tendances (voir p. 83). Winnicott se réfère ici au concept freudien de narcissisme primaire
(Pour introduire le narcissisme, 1914, in : La vie sexuelle ; Pulsions et destin des pulsions,
1915, in : Métapsychologie).
a) La Préoccupation Maternelle Primaire : PMP
Les soins maternels présupposent une notion capitale : l'identification de la mère au
nourrisson, c'est-à-dire la capacité très particulière d'empathie pour savoir ce dont le
nourrisson a besoin. Il s'agit de l'identification projective. Winnicott estime que cette capacité
d'empathie s'élabore petit à petit au cours de la grossesse, la mère évoluant peu à peu vers un
état spécifique qu'il a dénommé Préoccupation Maternelle Primaire (1956). Il définit cet état
en termes de «maladie normale» permettant à la mère d'atteindre progressivement un degré de
sensibilité accrue qui dure pendant les premières semaines qui suivent la naissance. Cela
suppose donc de la part d'une femme qui a un nouveau-né d'avoir le désir et la capacité de se
détacher ou de renoncer à certains de ses intérêts personnels, afin de les diriger sur l'enfant.
Au début le Moi de l'enfant est à la fois fort et faible, et la «pmp » conditionne le début de la
structuration du Moi; celle-ci doit reposer sur « un sentiment continu d'exister suffisant », non
interrompu par des réactions à des immictions extérieures.
Freud avait déjà mentionné le rôle déterminant des soins maternels dans la première
organisation du Moi selon le principe de plaisir dans Formulations concernant les deux
principes du fonctionnement mental (1911). Il avait aussi parlé de l'identification de la mère
au nourrisson dans l'article Pour introduire le narcissisme (1914).
b) La mère : fonction de miroir
Par ailleurs la re joue aussi un rôle de miroir pour l'enfant : il s'agit de la fonction de
support que le Moi de la mère assure auprès du Moi de l'enfant. Winnicott désigne cette
relation entre la mère et le bébé par le terme « relation au moi » (ego-relatedness),
littéralement relation que le Moi entretient avec lui-même. Quand le bébé au sein regarde le
visage de la
mère, il se voit en quelque sorte « en reflet » dans le visage maternel. Cela correspond au
stade de l'identification primaire. L'expérience que l'enfant est en train de vivre se répétera et
prendra de plus en plus de sens, passant progressivement d'une dimension symbolique au
sentiment de réalité. Ainsi après quelque temps, en regardant le visage de la mère, il pourra y
voir son propre visage à lui, soit son visage à elle. André Green explique bien qu'à partir de
cette expérience perceptive, l'enfant passe de la projection à la perception [8]. Cela
correspond au début du processus de séparation du non-Moi et du Moi, processus qui s'établit
selon un rythme variable, en fonction de l'environnement et en fonction de l'enfant, et qui
aboutit progressivement à l'élaboration de l'idée de la personne de la mère. On peut situer le
début de ce processus de différenciation et de perception aux alentours du troisième ou du
quatrième mois.
Comme pour la « pmp », Winnicott souligne qu'il n'est pas facile pour la mère de jouer un
rôle de miroir : dans certains cas, la mère ne reflète que son propre état d'âme ou bien la
rigidité de ses propres défenses; ou encore elle ne répond pas, de sorte que l'enfant ne reçoit
pas en retour ce qu'il est en train de donner. En conséquence la propre capacité créative de
l'enfant s'atrophie ; il n'a aucun reflet de lui-même ; le début d'un échange avec le monde
extérieur n'est pas possible.
c) Le holding
Toujours dans le cadre des fonctions de l'environnement, Winnicott aborde trois perspectives
dans lesquelles l'environnement doit intervenir pour permettre la maturation du Moi de
l'enfant
- « le holding » c'est-à-dire la façon dont l'enfant est porté ;
- «le handling » c'est-à-dire la manière dont il est traité, manipulé, soigné
- « l'object-presenting » ou le mode de présentation de l'objet. Winnicott s'est plus
particulièrement penché sur le holding dont le succès conditionne la suite. Pour lui en effet le
maintien physique de l'enfant par la mère est la base de tous les aspects plus complexes en
général. Le «holding» joue essentiellement une fonction de protection contre toutes les
expériences souvent angoissantes qui sont ressenties dès la naissance, qu'elles soient de nature
physiologiques, sensorielles, ou qu'elles concernent le vécu psychique du corps (angoisse de
morcellement, absence d'orientation, etc.). Le « holding » comprend également toute la
routine des soins quotidiens qui nécessitent une évolution et une adaptation progressive dans
la façon dont ils sont dispensés à mesure que l'enfant grandit. Le « holding » détermine les
processus de maturation : si le « holding » est assuré de manière suffisante et régulière, le
sentiment continu d'exister de l'enfant est préservé et la maturation du nourrisson est alors
possible. D'après Winnicott, cette maturation se fait selon trois schèmes principaux dont il a
étudié les différents processus
- le processus d'« intégration » qui conduit l'enfant à un état d'unité. C'est la constitution du
Moi et du self, conséquence du « holding » ; - le deuxième processus est la
<,personnalisation» ou «interrelation psychosomatique », c'est-à-dire l'installation de la
psyché dans le soma et le développement du fonctionnement mental. Ce sont les effets du «
handling » ;
- le troisième processus concerne l'édification des premières relations objectales qui aboutit à
la capacité d'utiliser l'objet. Il est déterminé par la façon dont l'environnement présente la
réalité extérieure à l'enfant.
En fait ces trois processus sont intriqués et participent tous à la constitution du Moi. Ils
permettent aussi à l'enfant d'arriver à ce que Winnicott désigne par « la capacité d'être seul ».
d) évolution de la relation mère enfant selon 3 phases
Au cours de l'évolution des processus de maturation, la relation entre la mère et l'enfant va se
modifier, ce que Winnicott décrit en distinguant trois grandes phases dans la première enfance
- La phase de «dépendance absolue » aux soins maternels; elle correspond aux cinq premiers
mois. A ce stade l'enfant est en fusion avec sa mère, et plus celle-ci comprend exactement les
besoins de son enfant, mieux cela vaut.
- La phase de «dépendance relative»; elle s'étend entre le sixième mois et la fin de la première
année; elle est déjà amorcée dès le quatrième mois, de manière variable selon les enfants.
C'est au cours de cette période que l'enfant se différencie progressivement de sa mère ; il ne
s'attend plus à une compréhension et à une satisfaction magique de ses besoins par la mère ; il
devient capable d'établir une relation objectale et de ce fait c'est à lui de donner un signal pour
appeler sa mère ; il est alors très important qu'elle comprenne la nécessipour l'enfant de
manifester un signal avant qu'elle ne satisfasse son besoin. Les carences d'adaptation
mineures sont donc positives, à condition qu'elles soient de courte durée, car c'est cette
expérience qui va conduire progressivement l'enfant à se différencier d'avec sa mère. Celle-ci
doit être capable d'un abandon progressif de son adaptation-, sinon l'enfant ne peut pas
maîtriser ce qui se passe, il reste en état de régression permanente et de fusion avec elle, ou la
rejette. Dans ce cas la différenciation d'avec le monde extérieur ne peut se faire ; en particulier
le développement mental et l'élaboration de la pensée risquent d'être fortement compromis
(voir p. 86). Au stade de la dépendance relative, l'enfant commence à « être conscient de la
dépendance ». Le besoin de la mère devient progressivement conscient, tandis que se
développe le début d'une compréhension intellectuelle qui va du simple réflexe conditionné à
la compréhension du langage, en passant par tous les intermédiaires.
- Troisième phase : au début de la deuxième année, l'enfant évolue petit à petit vers
l'indépendance. Il affronte progressivement le monde et s'identifie à la société.
Parallèlement se développe la socialisation et l'acquisition du sens social.
Processus de maturation
1. L'INTÉGRATION Du Moi
a) La première organisation du Moi
Au départ, Winnicott postule « un état de non-intégration primaire ». Le Moi s'organise
progressivement en faisant l'expérience « des menaces d'annihilations » qui n'entraînent pas
l'annihilation et dont il se remet chaque fois grâce aux soins maternels. L'intégration
commence donc dès le début de la vie, mais elle ne va pas de soi, et subit des fluctuations.
Pendant toute une période, l'enfant alterne entre des états d'intégration et de non-intégration,
comme l'état de repos. « Il y a de longues périodes de temps dans la vie d'un jeune enfant
normal pendant lesquelles il lui importe peu qu'il soit en morceaux ou qu'il soit un être entier,
ou qu'il vive dans le visage de sa re ou dans son propre corps, à condition que de temps à
autre il se rassemble et sente quelque chose. » [1] L'intégration est déterminée par deux séries
d'expériences : le « holding » et aussi toutes les expériences instinctuelles qui se réalisent à
travers la vie sensori-motrice. Le Moi de la mère par son empathie renforce le Moi précoce
non intégré qui est agressé par les exigences du Ça et les agressions du monde extérieur ;
l'enfant commence à exister et fait des expériences instinctuelles qui renforcent le Moi. Mais
si l'environnement fait défaut, le Moi reste immature et les expériences instinctuelles au
contraire favorisent le démembrement du Moi. L'enfant ressent alors une angoisse extrême
dont il se défend par le recours à la désintégration, c'est-à-dire la production active d'un état
de chaos pour lutter contre la non-intégration (cas de certains enfants psychotiques).
Au départ en fusion avec sa mère, l'enfant perçoit des « objets subjectifs ». Lorsque la mère
satisfait suffisamment les besoins du nourrison, celui-ci ressent une brève expérience
d'omnipotence, empreint de toute puissance magique. L'enfant périodiquement manifeste un
geste qui exprime une pulsion spontanée, et chaque fois que la mère répond à ce geste de
façon immédiate et parfaite, elle donne à l'enfant le sentiment qu'il crée lui-même l'objet de
satisfaction ; et c'est la répétition de ces expériences qui donne de la force à son Moi faible. II
s'agit bien d'un phénomène subjectif que Winnicott a désigné sous le nom de « sein de la mère
». Ce phénomène a pour synonyme l'identification primaire qui établit déjà « le sentiment
d'être » (sens of being) et qui est à la base du sentiment de soi, c'est-à-dire de l'identité.
b) La constitution du «self»
Au départ le Moi relève des processus primaires à partir desquels se développeront ensuite les
identifications projectives et introjectives telles que M. Klein les a décrites. Plus tard le
nourrisson devient un « sujet objectif » et se perçoit comme tel ; progressivement s'accroît le
sentiment d'être réel et la conscience d'avoir une identité. Lorsque le Moi est ainsi constitué,
c'est-à-dire lorsqu'il est une unité différencié de l'extérieur, Winnicott lui donne le nom de «
self ». Le « self » au sens anglais du terme est une représentation, un concept qui n'existe pas
en tant que tel dès le but de la vie car l'enfant est encore en état de fusion avec sa mère.
Pour M. Vincent par exemple, le « self » est l'héritier du « holding » ; c'est le Moi en tant que
personne constituée de ses parties ; il s'établit pendant toute la période de dépendance relative
l'enfant se différencie progressivement de la mère, en faisant l'expérience de l'épreuve de
réalité et des frustrations, lorsque les objets commencent à exister pour eux-mêmes, distincts
du monde intérieur de l'enfant. Le « self » est donc le Moi maturé, mature; il se constitue au-
delà des cinq premiers mois.
Progressivement l'enfant devient de plus en plus capable de supporter des ruptures dans la
continuité d'être, provoquées par l'éducation et le conditionnement. Plus tard c'est la
sublimation qui devient une façon de se soumettre à la réalité ainsi que la vie culturelle,
intermédiaire entre le rêve et la réalité ; celle-ci permet à l'individu de vivre avec un « self »
qui comporte un aspect soumis et un aspect spontané, lié à sa capacité de créer des symboles.
Par contre un individu qui n'a pas ces ressources et qui est un être complètement soumis
fonctionne au « faux-self ».
c) Le « faux-self »
Le «faux-self» provient du fait que la mère au stade primitif de non-intégration primaire n'est
pas capable de rendre effective l'omnipotence du nourrisson et qu'elle lui fait tout le temps
défaut au lieu de répondre à son geste. A la place du besoin du nourrisson, elle substitue le
sien propre ce qui implique de la part du nourrisson une attitude de soumission. Cette
soumission est le tout premier stade du « faux-self ». La fonction du « faux-self » est de
dissimuler le vrai « self », et il y a tous les degrés possibles dans ce fonctionnement
Il y a d'abord le «faux-self » dit « physiologique » ou « normal ». Le vrai « self » évolue,
protégé par un « faux-self » qui se soumet aux exigences de l'environnement, aux exigences
éducatives. Dans ce cas, le «faux-self»
exerce une fonction défensive pour protéger le vrai « self » ; et il n'est rien de plus qu'une
conduite sociale acquise et une adaptation par compromis. Ainsi protégé, le vrai « self » peut
s'exprimer librement dans les circonstances favorables.
Mais si la mère ne s'adapte pas aux pulsions spontanées du nourrisson, celui-ci élabore un
ensemble de relations artificielles et, au moyen d'introjections, il peut même arriver « à faire
semblant d'être réel » de telle sorte qu'il peut ressembler exactement à sa mère. Dans le cas
extrême, le « faux-self » est dissocié du vrai et il n'y a plus d'accès au vrai qui est privé de
moyens d'expression et de satisfaction. La dissociation peut porter sur la séparation du soma
et de la psyché et perturbe alors le sentiment d'exister. Le « self » est donc clivé. Il n'y a plus
de spontanéité et l'existence de l'enfant est remplie par des réactions aux heurts provenant de
la réalité extérieure.
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