
 
-I- La souffrance, en souffrance… 
 
Dans la classification kantienne des devoirs , la diminution de la souffrance est un devoir parfait . 
Elle est  prioritaire par  rapport à la  maximisation  du Bien  (en fait les  biens) et du  bonheur ; 
maximisation qui s’inscrit plutôt dans les devoirs imparfaits. Cette téléologie du bonheur fonde la 
conception économique du développement. Un développement humain soutenable ne peut être 
délibérément sacrificiel, en imposant une souffrance considérée comme le prix à payer pour le 
développement. Par exemple l’ouvrier modèle souffrira d’autant plus que son licenciement sera 
une contrainte que les décideurs lui imposent pour le bien commun. Il subit et n’a pas choisi, la 
souffrance ne pouvant être acceptée librement sauf dans des cas pathologiques. La souffrance est 
une douleur mentale et/ou physique que l’on cherche à diminuer. Elle est une manifestation plus 
importante  que  le  désagrément  qui  traduit  une  utilité  négative  limitée  et  non  une  souffrance 
propre à la vulnérabilité des personnes. Néanmoins, cette souffrance est récupérée depuis Karl 
Popper (1945), sous l’appellation d’utilité négative, mais en quoi l’utilité ou la désutilité peuvent 
être pertinentes par rapport à la souffrance ? 
Karl Popper, dans The  Open Society and Its Ennemies,  a proposé un  utilitarisme négatif, qui 
donne la priorité à la réduction de la souffrance sur l'accroissement du bonheur quand il s'agit 
d'utilité, en arguant qu'il n'y a pas de symétrie morale entre la souffrance et le bonheur, l'une 
appelant urgemment à l'aide tandis que l'autre n'exige pas avec une telle urgence qu'on améliore 
le  bonheur  d'une  personne  qui  va  bien  de  toute  façon.  Cette  asymétrie  est  importante  en 
économie : on y  développe des catalogues de constituants du bien être : revenu, conditions de 
vie,  équipements….  De  nombreux  questionnaires  qualitatifs  ont  trait  à  la  satisfaction.  On  ne 
trouvera guère  de données sur la souffrance. 
 Or  la  souffrance  ne  fait  pas  partie  des  Mathematical  Psychics  d’  Edgeworth ;  la  souffrance 
morale est hors de portée de la science économique dans la mesure où elle interdit tout recours à 
la  psychanalyse.  L’économie  traite  à  peine  de  l’envie  (Varian)    et  de  la  frustration  ( ??). La 
souffrance  pose  très  vite  le  problème  de  l’euthanasie  (  volontaire  ou  involontaire)  ,  (P. 
Singer)comme moyen de retrouver une non souffrance mais sans prise sur le bonheur. 
A la limite la souffrance est moyen de transcendance ; Dans "Salvifici Doloris" Jean Paul II parle 
d'une souffrance qui sauve l'homme en le rapprochant de la passion du Christ. Cette omission de 
la souffrance en économie résulte du dogmatisme hédoniste et du refus de l’analyse de la 
souffrance morale. 
 
-II) L'anthropologie  économique  
 
L'anthropologie  économique vient chercher naturellement une  partie de son inspiration dans la 
psychologie,  sinon  dans  la  psychanalyse.  Elle  intègre  les  concepts    « analytiques »  ou 
« cliniques »  de  l'univers freudien  (rapport  au  père, à la  mère, et de  façon plus générale 
traumatisme subjectif lié  à   l'inconscient  communautaire).   Il   est  évident que la relation  de 
développement peut être facilement    posée comme  une relation de « fils à père » ou de relation 
fusionnelle à la mère à  la façon de Geza Roheim.  Ainsi,  on  comprendra  mieux la  paresse 
naturelle, ou l'excès de productivisme, l'exploitation ou l'épargne, etc. Paraphrasant  Wittgenstein,