LES LIMITES GENERALES LIEES
A LA PORTEE DES CODES DE CONDUITE
ET DES LABELS DU COMMERCE EQUITABLE
Thierry.brugvin@free.fr
Au-delà des différentes conséquences liées à la mise en oeuvre des codes de conduite, ces derniers sont limités
dans leur action par divers facteurs. Une des principales limites des codes de conduite réside dans le fait qu’ils
concernent seulement le secteur de l’exportation, une large partie des travailleurs, donc, leur échappe. Jusqu’à ce que
les consommateurs des pays à bas salaires décident de promouvoir les codes de conduite, les travailleurs travaillant
pour le marché intérieur, dans leur pays, ne pourront en bénéficier directement. Cependant, les travailleurs du
secteur, dit informel, ne pourront jamais en bénéficier, puisqu’ils sont en quelque sorte invisibles, pour les dispositifs
officiels. Or, en Inde par exemple, on estime à 65% le nombre de femmes travaillant dans le domaine informel, à
Bombay, en 1999. Les codes et labels oublient aussi de prendre en compte les conditions de travail des autres sous
traitants situés entre le producteur et le consommateur, sur l’ensemble de la chaîne de production, comme les marins
qui transportent les produits labellisés ou encore les caissières dans la grande distribution. Néanmoins, les codes de
conduite permettent aussi le développement d’une prise de conscience en ce qui concerne le marché intérieur et sont
susceptibles de favoriser les changements, dans les pratiques des employeurs ou bien celles des syndicats.
De plus, les entreprises qui adoptent des codes de conduite pour leurs filiales ou leur sous traitants dans les pays
en développement, veillent généralement à ce que leur code ou leur label ne concerne pas les salariés des pays
industrialisés. Quand, cette clause n’y figure pas, les normes fondamentales du travail ne sont pas toujours respectées
dans ces entreprises au Nord, telles « Wal-Mart » (HRW, 2007) ou « Mac Donald », concernant la libersyndicale
notamment (Jacquiau, 2006).
Dans les pays les plus industrialisés et notamment en France, bien que l’on dispose d’un salaire minimum,
certains employeurs abusent des travailleurs clandestins, notamment parce qu’ils sont sans papiers et qu’ils vivent
dans la crainte d’être expulsés. Dominique Torres, dénonce cette forme de travail qui selon elle, « se confond
purement et simplement avec une forme de servage ». C’est d’ailleurs une des limites de l’action des mouvements
sociaux transnationaux tels le Collectif ESE qui se préoccupe moins du sort de ces personnes qui vivent à leur porte
que de ces mêmes individus lorsqu’ils travaillent à l’autre bout du monde. Or ceux-ci paraissent géographiquement et
politiquement plus accessibles. De plus, la dureté des conditions de travail s’avère d’autant plus grande qu’ils sont
souvent contraints à se cacher, ce qui les laisse à la merci de l’arbitraire de leurs «employeurs». Ils vivent au coeur
d’un monde débordant de richesse, avec un statut et des revenus qui s’apparentent presque à ceux des pays à bas
salaires. Cette situation peut s’avérer encore plus dure à vivre que de subir des conditions de travail difficiles en
vivant dans un pays économiquement pauvre. Bien qu’on ne puisse pas être de tous les combats, un minimum de
soutien à leurs actions et leur situation manifesterait une plus grande cohérence du projet du collectif ESE.
En ce qui concerne la production de normes par les mouvements sociaux transnationaux, certains Etats peuvent
considérer que la sanction des acteurs économiques par les mouvements sociaux transnationaux empiète sur leur
souveraineté dans le domaine de la justice. Un Etat ne peut être considéré comme souverain que si certains éléments
sont réunis dans l’analyse classique telle qu’elle est développée par Max Weber. Il s’agit notamment du pouvoir de
contrainte, s’exerçant sur une population rassemblée sur un territoire. Une fois les règles, les lois fixées, l’Etat entend
pouvoir exercer sa contrainte sur les individus. Or les organisations citoyennes exercent un forme de contrainte
même relativement faible en retirant une certification ou un label. Elles peuvent sanctionner économiquement les
personnes morales (les ETN) et donc indirectement les personnes physiques (les salariés) qui en sont membres, à la
place de l’Etat. Celui-ci perd donc une partie de sa souveraineté puisqu’il n’est plus le seul à rendre la justice en
matière de normes sociales. Cela est d’autant plus vrai que les acteurs qui se substituent à lui sont des acteurs de
nationalités étrangères.
Selon certaines théories du développement durable, l’amélioration des conditions de travail renforce les chances
de préservation de l’environnement (plus un pays est riche plus il est en mesure de protéger son environnement) et
donc de s’orienter vers un développement durable (Commission mondiale sur l’environnement et le développement,
1988). Cependant, du fait de leur mode de fonctionnement, les labels sociaux s’avèrent limités par les principes du
développement durable qui supposent notamment le développement de la subsidiarité économique. C’est à dire que
ne doivent être importé que ce qui ne peut être produit sur place, afin de limiter la pollution liée aux transports et
l’autonomie alimentaire. Le label écologique Burgeon par exemple interdit les transports par avion. Il semble donc
plus restrictif et incompatible avec le commerce éthique et équitable. En effet, plus la production se rapproche du
consommateur, moins cela engendre de pollution, c’est le processus inverse du commerce équitable. De plus, dans
les années 70, les pays non alignés revendiquaient un développement autocentré, notamment par la voix de
l’économiste Samir Amin (1972). Ces principes et ceux du développement durable entrent donc en conflit avec ceux
du commerce éthique et équitable fondés notamment sur le développement de la solidarité mondiale et de partage des
richesses.
Les codes de conduite exercent une certaine forme d’ingérence en matière de régulation par l’incitation. Comme
l’ensemble des actions de développement, une action peut aboutir à l’effet inverse, lorsqu’elle entraîne une perte de
l’identité culturelle, une perte de l’autonomie économique et politique, une diminution de l’agriculture vivrière. . .
(Galtung, 1975). Ce type de dérive n’est pas s’en rappeler les dérives des missionnaires d’autrefois, ou de certaines
ONG actuellement. Mais l’ingérence des codes de conduite s’avère-t-elle constructive ou destructive? Pour y
répondre il faut comme précédemment considérer les intérêts des différents acteurs (pouvoirs publics, employeurs et
travailleurs). Il faut ensuite observer sur le long terme si les codes de conduite permettent effectivement d’améliorer
les conditions de travail ou non. Si celles-ci s’améliorent, alors l’ingérence aura été constructive et dans le cas
contraire, elle aura été destructive ou, au mieux, inutile.
Face à la fin programmée à court terme du pétrole, puis des minerais et des biens non renouvelables, se
développe le mouvement de la décroissance, dont Serge Latouche (2006) est un des penseurs. Pour les partisans de la
décroissance les plus ouverts, l’économie doit donc décroître au Nord, afin de pouvoir continuer à croître encore un
peu au Sud, dans certains secteurs, sans dépasser la limite de leur « empreinte écologique » par habitant. Ce type
d’économie de décroissance implique de cesser le productivisme effréné de la société de consommation, de
développer l’économie de proximité en la relocalisant, de diminuer la pollution liée aux transports, de consommer
des fruits de saison, d’éviter la concurrence avec les petits producteurs locaux au Nord… Certains membres de ce
mouvement considèrent donc qu’il faudrait supprimer le commerce éthique et équitable, car il nuit à un
développement véritablement « écologique et durable ». D’autres moins radicaux envisagent plutôt une
« décroissance sélective », tel Nicolas Hulot, ou une « relocalisation sélective » de l’économie, tel Thomas Coutrot
d’Attac.
Dans le cas d’une décroissance et d’une relocalisation sélective, certains secteurs pourraient continuer à croître,
comme la production alimentaire, tant que les besoins essentiels au Sud ne seront pas satisfaits, tandis que d’autres
comme les transports, devraient décroître dès à présent, au Nord comme au Sud. Les échanges internationaux ne
seraient pas non plus stoppés complètement, mais limités aux secteurs indispensables.
Ainsi, la solidarité internationale ne serait pas interrompue, mais mieux pensée, afin de permettre un
développement favorisant l’autonomie et la préservation des biens non renouvelables. Certaines ONG de commerce
équitable cherchant à intégrer les principes de la décroissance, veillent ainsi à ce que les produits du Sud, qu’elles
vendent dans les pays industrialisés, ne concernent pas plus de 50% de la production de la coopérative, pour lui
conserver une certaine indépendance. De plus, elles cherchent à ce que ces produits importés du Sud, se limitent par
exemple à l’artisanat local (objets d’arts, vêtements…), afin de ne pas diminuer leurs cultures vivrières, ou de ne pas
concurrencer les petits producteurs au Nord qui vendent du miel près de chez eux par exemple. Elles n’importent que
des aliments, comme le chocolat, ou le café, ne pouvant être cultivés dans les pays industrialisés. Cependant, même
ce type d’aliment peut limiter l’agriculture vivrière.
On le voit chacun des choix d’actions de solidarité internationale, suppose une réflexion profonde qui doit
prendre en compte chacun des éléments du « système monde » dans une perspective systémique.
Reprenons à présent, de manière synthétique, les différents éléments concernant le manque d’indépendance des
rificateurs. Une vérification fiable suppose donc des moyens humains, financiers et une méthodologie rigoureuse.
Les méthodes (référentiels) nécessaires à la vérification et à la certification renforcent la dimension scientifique de la
vérification et sa transparence (traçabilité, précisions et standardisation des indicateurs. . . ).
Cependant, une vérification rigoureuse suppose aussi une indépendance minimum. Or, une des conditions repose
sur l’indépendance économique, ce qui suppose l’absence de financement direct (lien entre le service et la
rémunération). Lorsque les dispositifs sont de nature privée, ils sont soumis à la loi de la concurrence exercée par le
marché et, par conséquent, nuisent à l’efficacité de la vérification, au profit du gain et de la concurrence économique.
Ce qui vient valider notre hypothèse nérale selon laquelle les mouvements sociaux transnationaux cherchent, à
court terme, à renforcer la gulation des normes sociales, sa légitimité et sa mocratisation. Mais la voie qu’ils
empruntent risque d’aboutir à une privatisation. Or, celle-ci est préjudiciable à la régulation par la vérification.
Par conséquent, même si les pouvoirs publics subissent certaines dérives bureaucratiques, notamment du fait de
leur étendue et de leur masse, ils sont les seuls, à terme, disposant des critères nécessaires à une indépendance
économique véritable. Cependant, si un organisme privé ne possèdera jamais les critères suffisants, dans la pratique
certains organismes publics de vérification ne s’avèrent pas suffisamment indépendants non plus. Dans certains pays,
ceux-ci se révèlent nettement limités par le manque de moyens financiers et des élus inféodés aux classes
économiques dirigeantes, ou même la corruption. . . On observe que la perte de l’indépendance économique des
régulateurs privés dépend des trois situations suivantes :
1) Si un nombre important de décisions de régulation est nécessaire, cela implique un temps important pour un
nombre conséquent d’individus qui devront être alors rémunérés. Les associations ne peuvent, sur de vastes échelles,
travailler bénévolement. Pour rester indépendant, leur financement devra donc être nécessairement public. Sauf si
elles parvenaient à se financer avec des cotisations provenant des seuls consommateurs, mais elles en sont encore
loin actuellement.
2) Par contre, si peu de décisions de régulation doivent être prises, même avec des capacités économiques faibles
elles peuvent néanmoins de conserver leur indépendance (c’est le cas de la régulation incitative par les ONG et les
syndicats). Sur des échelles restreintes (au plan géographique, temporel, et matériel), l’indépendance économique
peut éventuellement être conservée.
3) Mais sur des échelles vastes, seuls les régulateurs publics sont en mesure de préserver l’indépendance
économique. Mais cela entraîne, souvent, une faible participation citoyenne et une diminution de la subsidiarité dans
la régulation.
C’est pourquoi, les situations pour lesquelles les instruments éthiques nécessitant une vérification peuvent être
légitimement mis en oeuvre, s’avèrent les secteurs où la régulation du social est impossible, dans le moment présent.
Il s’agit d’une part, de la dimension informelle du social : les relations humaines, la morale. Il s’agit d’autre part,
des champs encore non réglementés par des pouvoirs publics dans les secteurs où l’on considère que la régulation
privée ne sera pas fiable.
Dans ces cas, l’éthique ne devrait être qu’une anticipation de l’action de vérification par les pouvoirs publics, qui
devraient ensuite rapidement réguler ce nouveau territoire.
Néanmoins, si les ONG et les syndicats disposent d’une capacité de vérification restreinte des entreprises privées,
ils existent malgré tout et agissent même sur les pouvoirs publics exerçant une régulation opératoire. C’est semble-t-
il, un droit légitime des citoyens et des usagers, que d’exercer un contrôle sur l’activité des vérificateurs publics
(l’inspection du travail). En effet, les pouvoirs publics et les services publics sont une «création du peuple», pour
servir le peuple et l’intérêt général.
C’est pourquoi, pour renforcer la qualité d’un service, plutôt que de réclamer la privatisation des services publics,
en France par exemple, certaines associations créent des «comités d’usagers». Ainsi, elles contrôlent mieux l’action
des pouvoirs publics, à travers une régulation participative.
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