fondamentalement déterminé par la productivité la plus élevée parmi les différentes
économies en concurrence. Moins le nombre d’heures de travail économiquement nécessaire
à la production d’une unité de marchandise sera important, plus les producteurs nationaux (et
l’économie nationale tout entière) pourront accaparer de la valeur monétaire au détriment des
perdants du commerce mondial. Les conditions écologiques et sociales de la production ne
comptent pas dans le processus de détermination de la valeur : les systèmes naturels et les
sociétés humaines deviennent de simples appendices à l’espace économique au
fonctionnement autonomisé.
Mais alors que veulent dire les expressions chères au commerce équitable : « payer de vrais
prix aux producteurs » ou encore « payer les biens à leur prix réel de production » ?
S’agit-il de payer les produits au prix de la productivité des pays pauvres ? Pourquoi ce prix
serait-il le « bon prix », étant donné qu’il intègre inévitablement l’ensemble des prix du
système marchand mondial (prix de l’énergie, du fret…) ?
Surtout, il n’est pas difficile de comprendre qu’une telle situation de volontarisme local ne
peut guère concerner que de tous petits volumes de production, et donc un faible nombre de
paysans. Les forces de rappel de la réalité macro-économique sont trop importantes pour qu’il
en soit autrement : la quasi-totalité de la démarche est dépendante du système de prix de
marché sur lesquels la filière n’a évidemment aucune prise. De plus, loin du « rattrapage »
économique annoncé par la théorie libérale, les écarts de productivité explosent au niveau
mondial. Des centaines de pays cherchent aujourd’hui désespérément comment rester
connectés au marché mondial en bradant littéralement leurs produits et leurs écosystèmes. La
part « équitable » sera alors de plus en difficilement finançable.
(3) Les mécanismes de « commerce équitable » intègrent donc inévitablement les institutions
de la croissance économique qu’elles ne corrigent au mieux que de façon marginale. Ils
consacrent donc la domination des contraintes économiques dans les esprits. Ils ne permettent
guère que soit rappelée la priorité de l’autonomie alimentaire et des économies locales. Ils
consacrent la logique de la division internationale du travail et des cultures de rente. Or la
tension grandissante sur la disponibilité des terres arables nécessiterait que les terres soient en
priorité affectées aux cultures vivrières et aux marchés locaux, soit une décroissance du
commerce mondial. Les échanges internationaux de biens agricoles n’auraient lieu qu’une
fois assurée l’autonomie alimentaire des populations. Ce qui conduirait à une déconnexion
relative des économies, et de la vie des sociétés avec les régulations économiques mondiales.
Ce serait dommage pour la surconsommation de café et de thés des consommateurs
occidentaux, mais sans aucun doute très favorable aux sociétés et aux écosystèmes du Sud et
de la planète toute entière.