Seconde conférence internationale sur la Décroissance économique
pour la durabilité écologique et l’équité sociale
26-29 Mars 2010, Barcelona
Groupe de Travail 17 Décroissance du commerce.
Les flux commerciaux internationaux devraient-ils être limités dans une phase de décroissance économique,
et si oui dans quelles proportions et comment (institutions, organisations internationales, etc.)?
DOCUMENT DE TRAVAIL
Le « commerce équitable » en faveur de la décroissance économique ?
Un point de vue critique
Denis Bayon
Recherche et Décroissance
Les mouvements du « commerce équitable » tentent de promouvoir de nouvelles pratiques
commerciales telles que le consommateur final, et occidental, accepte de payer un prix plus
élevé pour les biens alimentaires, ou issus de l’artisanat, produits par de petits paysans et
artisans du Sud de la planète. L’idée est séduisante. D’une part, payer correctement des
paysans et artisans des nations « sous développées » permet de transférer directement de
l’argent à ceux qui en ont le plus besoin ; d’autre part, une généralisation de telles pratiques
aurait pour conséquence une réduction des volumes échangés : dans une économie marchande
la hausse des prix tend à limiter la consommation des produits. La promotion du commerce
semble donc en faveur d’une décroissance économique comme transition vers la soutenabilité
écologique et la justice sociale.
Ces pratiques nous semblent toutefois devoir faire l’objet d’un examen critique sur différents
points :
- dans la réalité des pratiques (1)
- qu’est-ce qu’un « prix », et donc un « juste prix » ? (2)
- la question du commerce et de l’autonomie alimentaire (3)
(1) D’un point de vue pratique, un très grand nombre d’acteurs se réclame du « commerce
équitable ». Les enseignes de la grande distribution ont développé leurs propres réseaux
d’approvisionnement et les produits équitables côtoient les produits « non équitables » dans
les grands magasins. Qui décide de la dénomination « fair trade » ? La plupart du temps des
associations qui ont imposé leurs noms et leurs capacités d’expertise en matière d’équité des
pratiques commerciales… Ce qui n’est pas sans poser des problèmes éthiques. De fait des
conflits importants ont opposé petits producteurs et certificateurs. De plus la coopération entre
organismes certificateurs et grandes enseignes de la distribution ou de la restauration rapide
permet à des acteurs majeurs de la croissance économique dévastatrice de la biosphère et des
sociétés humaines de « verdir » à peu de frais leur image.
(2) Plus fondamentalement, les pratiques du commerce équitable nous obligent à revenir
(rapidement) sur la détermination des prix mondiaux des marchandises. Un prix de marché est
fondamentalement déterminé par la productivité la plus élevée parmi les différentes
économies en concurrence. Moins le nombre d’heures de travail économiquement nécessaire
à la production d’une unité de marchandise sera important, plus les producteurs nationaux (et
l’économie nationale tout entière) pourront accaparer de la valeur monétaire au détriment des
perdants du commerce mondial. Les conditions écologiques et sociales de la production ne
comptent pas dans le processus de détermination de la valeur : les systèmes naturels et les
sociétés humaines deviennent de simples appendices à l’espace économique au
fonctionnement autonomisé.
Mais alors que veulent dire les expressions chères au commerce équitable : « payer de vrais
prix aux producteurs » ou encore « payer les biens à leur prix réel de production » ?
S’agit-il de payer les produits au prix de la productivité des pays pauvres ? Pourquoi ce prix
serait-il le « bon prix », étant donné qu’il intègre inévitablement l’ensemble des prix du
système marchand mondial (prix de l’énergie, du fret…) ?
Surtout, il n’est pas difficile de comprendre qu’une telle situation de volontarisme local ne
peut guère concerner que de tous petits volumes de production, et donc un faible nombre de
paysans. Les forces de rappel de la réalité macro-économique sont trop importantes pour qu’il
en soit autrement : la quasi-totalité de la démarche est dépendante du système de prix de
marché sur lesquels la filière n’a évidemment aucune prise. De plus, loin du « rattrapage »
économique annoncé par la théorie libérale, les écarts de productivité explosent au niveau
mondial. Des centaines de pays cherchent aujourd’hui désespérément comment rester
connectés au marché mondial en bradant littéralement leurs produits et leurs écosystèmes. La
part « équitable » sera alors de plus en difficilement finançable.
(3) Les mécanismes de « commerce équitable » intègrent donc inévitablement les institutions
de la croissance économique qu’elles ne corrigent au mieux que de façon marginale. Ils
consacrent donc la domination des contraintes économiques dans les esprits. Ils ne permettent
guère que soit rappelée la priorité de l’autonomie alimentaire et des économies locales. Ils
consacrent la logique de la division internationale du travail et des cultures de rente. Or la
tension grandissante sur la disponibilité des terres arables nécessiterait que les terres soient en
priorité affectées aux cultures vivrières et aux marchés locaux, soit une décroissance du
commerce mondial. Les échanges internationaux de biens agricoles n’auraient lieu qu’une
fois assurée l’autonomie alimentaire des populations. Ce qui conduirait à une déconnexion
relative des économies, et de la vie des sociétés avec les régulations économiques mondiales.
Ce serait dommage pour la surconsommation de café et de thés des consommateurs
occidentaux, mais sans aucun doute très favorable aux sociétés et aux écosystèmes du Sud et
de la planète toute entière.
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