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leurs marges et réaliser au moins une partie de leurs gains, car la flambée de la bourse leur
parait malsaine. Ils sont écoutés par certains épargnants, qui voient alors le Dow Jones entrer
dans la phase la plus spectaculaire de son ascension, sans qu’ils en profitent. Ceci
décrédibilise les cassandres jusqu’aux journées fatales d’octobre.
La Federal Reserve lance à son tour l’alerte en relevant son taux de 3,5 à 4,5% afin de
ralentir la spéculation boursière fondée sur le crédit. Pour finir, en février 1929, elle publie un
communiqué dans lequel elle déclare ne plus vouloir consentir d’emprunts aux banques qui se
serviraient de ces fonds pour, à leur tour, financer les achats en bourse de leurs clients
. Le
risque est donc clairement perçu et le débat entre optimistes et pessimistes existe. Cependant,
l’opinion positive l’emporte de manière écrasante : effet de la dynamique grégaire inhérente à
toute bulle spéculative
, aggravée par les abus multiples qui entraînent nombre d’épargnants
dans un jeu qu’ils ne comprennent pas. Toutefois, la puissance du phénomène à la fin des
années 1920 se nourrit d’une décennie exceptionnelle, qui donne aux observateurs
contemporains le sentiment qu’un monde nouveau est en train de naître, et dans lequel les
repères et règles connus perdent leur pertinence.
Depuis la fin de la Première Guerre mondiale, l’économie américaine a connu une
période de croissance exceptionnelle. Mesuré en dollars de 2005, le PIB passe de moins de
700 milliards en 1920 à plus de 950 milliards en 1929. De 1921 à 1929, la production
industrielle augmente de 26%. Mais au-delà de cette exceptionnelle prospérité, ce sont tous
les aspects de la vie qui ont été bouleversés depuis le début du siècle. La population a doublé
depuis 1890, pour un tiers sous l’effet d’une immigration qui amène vers les côtes
américaines des populations aux d’origines beaucoup plus diverse que par le passé : près de 6
millions de catholiques italiens, hongrois ou polonais ; un demi-million de Grecs orthodoxes ;
plus de deux millions de Juifs russes, ukrainiens et lithuaniens ; des Slovaques, des
Biélorusses, des Roumains, des Croates, des Serbes, des Bulgares, etc. Les villes américaines
deviennent des lieux de métissage multiculturels et polyglottes. A New York, un citoyen sur
six seulement est protestant.
Cette mesure aurait pu être efficace, comme en témoigne le brusque retournement du marché qui fait suite à
cette annonce. Toutefois, elle est anéantie par l’initiative d’un groupe de banques de Wall Street, qui crée un
pool destiné à prêter l’argent que la Federal Reserve refuse désormais. Pourtant, le crédit est bien un moteur
de la bulle financière : entre le début des années 1920 et 1928, les encours de crédits consentis par les
courtiers sont multipliés par 6, le plus gros de la hausse étant concentré à partir de 1927.
Sur les dynamiques, entres autres mimétiques, des marchés financiers, voir Galbraith, Brève histoire de
l’euphorie financière, in Economie hétérodoxe 2007 p. 545-618, et également, dans une perspective plus
théorique, Orléan, L’Empire de la valeur, 2011, chapitres VI et VII, p. 231-312.