Les luttes ouvrières des années 1860 et 1870
Il y a grève et grève. Toutes n’ont pas le même sens, ne représentent pas le même danger pour
l’ordre établi, n’ont pas la même capacité d’élever la conscience, la cohésion et la force des
ouvriers. Dans les années 1860, avant la Commune, et plus on s’approchait de la guerre, plus les
grèves, par delà leurs revendications immédiates posaient le problème du régime politique, la
chute de l’Empire et la création de la république. Pour empêcher la guerre qui venait, il fallait
renverser l’Empire par la révolution. Il fallait finir la révolution de 1789. Du côté ouvrier, on voyait la
république sociale, mais pas vraiment encore le socialisme.
Après la Commune et l’établissement de la république, les deux classes modernes , bourgeoisie et
prolétariat se font face, débarrassées de toutes les scories du féodalisme, (à part encore l’église) et
l’enjeu devient alors pouvoir bourgeois ou ouvrier, capitalisme ou socialisme.
Sens politique des grèves des années 1860 : guerre ou révolution, République ou Empire
Avec la crise économique mondiale de 1866-1867, la lutte de classes s’approfondit. En octobre
1867, au milieu des fastes de l’Exposition universelle, le Crédit Mobilier suspendit ses paiements,
créant la panique à la Bourse de Paris, ruinant des milliers de petits et moyens actionnaires. Par
ailleurs des milliers de petites et moyennes entreprises firent faillite, les plus importantes
licencièrent et baissèrent les salaires. D’innombrables corps de métier, des mineurs aux tisserands,
des teinturiers aux employés de commerce, entrèrent en grève dans différentes régions
industrielles. On parle d’ « une vague de grèves sans précédent ». Ces grèves n’allaient pas
cesser jusqu’à la déclaration de guerre en juillet 1870.
« Des grèves, toujours des grèves, et encore des grèves... une épidémie de grèves, de troubles
sévit sur la France et paralyse la production » constate avec dépit le proudhonien Fribourg. En mai,
juin, juillet 1870 malgré la répression bonapartiste, dont on a vu qu’elle est dirigée à ce moment par
le cabinet Ollivier et ses ministres libéraux, la vague de grève ne fit que s’accentuer. Mais le
mouvement de grèves a changé de nature entre celles de 1866, 1867, 1868 et celles de 1869-1870
et s’est encore politisé.
C’est qu’entre temps ont eu lieu les élections de 1869. Gambetta s’est fait connaître en novembre
1868 comme défenseur dans le procès contre Délescluze suite à la manifestation du 2 novembre
1868, devant la tombe du député Baudin tué le 3 décembre 1851 sur les barricades du faubourg
Saint-Antoine. Les lois libérales de l’Empire étaient promulguées. Une floraison de journaux
républicains virent le jour. Du 1er janvier au 5 avril 1869, on estime à 46 le nombre de nouveaux
journaux républicains parus. Mais en même temps, les socialistes organisent une vague de
meetings : de juillet 1868 à mars 1869 eurent lieu de 300 à 400 réunions publiques, où furent
prononcés de 2 à 3 000 discours. Certaines de ces réunions rassemblent 2 à 3 000 participants de
milieu populaire. Le ton y est de plus en plus socialiste. G. de Molinari, rédacteur du grand journal
libéral Orléaniste Le Journal des Débats, propriété de Léon Say, futur ministre des finances de la
République, constatait dans les colonnes de son journal avec irritation et inquiétude que « le
socialisme avait reparu, plus bruyant et plus confiant que jamais dans sa vitalité et sa force. »
« Députés conservateurs et députés de l’opposition, bourgeois royalistes, libéraux et républicains,
tous s’accordèrent à dépeindre les réunions publiques comme d’affreux repaires, dans lesquels les
honnêtes gens qui s’y aventuraient couraient chaque soir le risque d’être égorgés, et à représenter
ceux qui y prenaient la parole comme des bandits prêchant le massacre et le vol. »
Au cours de la session parlementaire du 1er février 1869, les députés libéraux, Garnier-Pagès,
Pelletan soutenus par les députés républicains exigèrent du gouvernement bonapartiste une
répression plus vigoureuse contre les orateurs de ces meetings et une application plus stricte à leur
égard de la loi de juin 1868 sur les réunions électorales. Le gouvernement leur promit de