1. 1851-1870 : Avant la Commune 2. 1871 : La Commune 3. 1871

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1. 1851-1870 : Avant la Commune
2. 1871 : La Commune
3. 1871-1885 : Après la Commune. La république et ses tentatives d’intégration de la classe
ouvrière
4. 1872-1889 : La classe ouvrière et la construction de ses organisations indépendantes
Introduction
Toutes les décennies qui suivirent la Commune furent profondément marquées par l’événement
considérable que fut la prise de Paris par les ouvriers révolutionnaires. Mais plus encore, une
grande partie des idées et des organisations ouvrières qui sont les nôtres ainsi que les institutions
républicaines telles que nous les connaissons encore aujourd’hui furent une conséquence de la
Commune et de l’incroyable énergie que le mouvement ouvrier continua à développer à sa suite.
Il n’y eut pas non plus d’événement qui ne fut autant sali, déformé et qu’on tenta de faire
disparaître autant de l’histoire de France que de son poids sur l’évolution du pays.
C’est ce qu’on voudrait essayer de rappeler et refaire vivre aujourd’hui.
1851-1870 Avant la Commune
De la crise de 1860 à celles de 1866-67 et 1869-70
Le 2 décembre 1851, le neveu de Napoléon Ier, alors président de la république, organise un coup
d’état et prend le pouvoir comme empereur sous le titre de Napoléon III. L’empire sera donc le
régime du gouvernement français pendant 20 ans de 1851 à 1871.
Dans les premières années ce régime bénéficie du soutien de la bourgeoisie et de l’Eglise et
réprime fermement le mouvement ouvrier que le massacre de juin 1848 avait déjà fortement
saigné.
Mais en 1860, au détour d’une ouverture commerciale des frontières françaises à la concurrence
anglaise, la bourgeoisie française dont les revenus sont menacés se détourne de l’empire en
même temps que Napoléon III se brouille avec le pape.
Dès lors dans cette période où les entreprises industrielles modernes se sont fortement
développées - Paris est la grande ville à la concentration ouvrière la plus forte d’Europe, 400 000
ouvriers et artisans y habitent alors - l’empereur va tenter d’obtenir le soutien de l’aristocratie
ouvrière en faisant quelques concessions au mouvement ouvrier. Il autorise le droit d’association
aux ouvriers – et à partir de là, le droit de grève - qui leur était interdit depuis 1791. Il invite les
associations ouvrières à être représentées à l’exposition universelle de 1862 en Angleterre.
Les ouvriers se saisiront de ces occasions. A la suite des contacts pris avec le mouvement ouvrier
anglais, ils fonderont en 1864, la 1ère Internationale (AIT), première organisation ouvrière
internationale dont le but est « l’Emancipation des travailleurs par les travailleurs eux-mêmes » et
qui va œuvrer à casser les frontières corporatives ou nationales qui divisaient les ouvriers jusque là
tout en soutenant l’explosion de grèves qui vont naître à partir de 1866.
Une violente crise frappe en effet cette année-là la France et amène de nombreux licenciements,
fermetures d’entreprises ou baisses des salaires. De là une véritable épidémie de grèves qui
s’empare du pays. Ce sont, dans un premier temps, des grèves économiques contre les
licenciements ou pour des hausses de salaires puis des grèves de plus en plus politiques, pour
l’abolition du salariat ou la proclamation de la République. Ainsi par exemple 40 000 ouvriers de
Mulhouse se sont mis en grève, victorieuse, en juillet 1870 pour une baisse des horaires et une
hausse des salaires. A cette époque où on travaille encore souvent 13 à 14 heures par jour, ils
obtiennent la journée de 10 heures, payée 11.
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Les luttes ouvrières des années 1860 et 1870
Il y a grève et grève. Toutes n’ont pas le même sens, ne représentent pas le même danger pour
l’ordre établi, n’ont pas la même capacité d’élever la conscience, la cohésion et la force des
ouvriers. Dans les années 1860, avant la Commune, et plus on s’approchait de la guerre, plus les
grèves, par delà leurs revendications immédiates posaient le problème du régime politique, la
chute de l’Empire et la création de la république. Pour empêcher la guerre qui venait, il fallait
renverser l’Empire par la révolution. Il fallait finir la révolution de 1789. Du côté ouvrier, on voyait la
république sociale, mais pas vraiment encore le socialisme.
Après la Commune et l’établissement de la république, les deux classes modernes , bourgeoisie et
prolétariat se font face, débarrassées de toutes les scories du féodalisme, (à part encore l’église) et
l’enjeu devient alors pouvoir bourgeois ou ouvrier, capitalisme ou socialisme.
Sens politique des grèves des années 1860 : guerre ou révolution, République ou Empire
Avec la crise économique mondiale de 1866-1867, la lutte de classes s’approfondit. En octobre
1867, au milieu des fastes de l’Exposition universelle, le Crédit Mobilier suspendit ses paiements,
créant la panique à la Bourse de Paris, ruinant des milliers de petits et moyens actionnaires. Par
ailleurs des milliers de petites et moyennes entreprises firent faillite, les plus importantes
licencièrent et baissèrent les salaires. D’innombrables corps de métier, des mineurs aux tisserands,
des teinturiers aux employés de commerce, entrèrent en grève dans différentes régions
industrielles. On parle d’ « une vague de grèves sans précédent ». Ces grèves n’allaient pas
cesser jusqu’à la déclaration de guerre en juillet 1870.
« Des grèves, toujours des grèves, et encore des grèves... une épidémie de grèves, de troubles
sévit sur la France et paralyse la production » constate avec dépit le proudhonien Fribourg. En mai,
juin, juillet 1870 malgré la répression bonapartiste, dont on a vu qu’elle est dirigée à ce moment par
le cabinet Ollivier et ses ministres libéraux, la vague de grève ne fit que s’accentuer. Mais le
mouvement de grèves a changé de nature entre celles de 1866, 1867, 1868 et celles de 1869-1870
et s’est encore politisé.
C’est qu’entre temps ont eu lieu les élections de 1869. Gambetta s’est fait connaître en novembre
1868 comme défenseur dans le procès contre Délescluze suite à la manifestation du 2 novembre
1868, devant la tombe du député Baudin tué le 3 décembre 1851 sur les barricades du faubourg
Saint-Antoine. Les lois libérales de l’Empire étaient promulguées. Une floraison de journaux
républicains virent le jour. Du 1er janvier au 5 avril 1869, on estime à 46 le nombre de nouveaux
journaux républicains parus. Mais en même temps, les socialistes organisent une vague de
meetings : de juillet 1868 à mars 1869 eurent lieu de 300 à 400 réunions publiques, où furent
prononcés de 2 à 3 000 discours. Certaines de ces réunions rassemblent 2 à 3 000 participants de
milieu populaire. Le ton y est de plus en plus socialiste. G. de Molinari, rédacteur du grand journal
libéral Orléaniste Le Journal des Débats, propriété de Léon Say, futur ministre des finances de la
République, constatait dans les colonnes de son journal avec irritation et inquiétude que « le
socialisme avait reparu, plus bruyant et plus confiant que jamais dans sa vitalité et sa force. »
« Députés conservateurs et députés de l’opposition, bourgeois royalistes, libéraux et républicains,
tous s’accordèrent à dépeindre les réunions publiques comme d’affreux repaires, dans lesquels les
honnêtes gens qui s’y aventuraient couraient chaque soir le risque d’être égorgés, et à représenter
ceux qui y prenaient la parole comme des bandits prêchant le massacre et le vol. »
Au cours de la session parlementaire du 1er février 1869, les députés libéraux, Garnier-Pagès,
Pelletan soutenus par les députés républicains exigèrent du gouvernement bonapartiste une
répression plus vigoureuse contre les orateurs de ces meetings et une application plus stricte à leur
égard de la loi de juin 1868 sur les réunions électorales. Le gouvernement leur promit de
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s’exécuter. Les poursuites et les arrestations contre les orateurs de ces réunions populaires se
firent de plus en plus nombreuses. Selon le témoignage de B. Malon, au début 1869 déjà 60 de ces
orateurs avaient été condamnés à des peines de prison allant de 15 jours à 8 mois. Le
gouvernement bonapartiste tira de plus une brochure à plus de 100 000 exemplaires pour répondre
à cette campagne de meetings où il accusait les orateurs socialistes de préconiser le régicide, le
pillage et autres forfaits. Les élections de 1869 ont donné un nouvel essor au mouvement ouvrier.
Les grèves se multiplient.
Les dirigeants républicains et députés de gauche ne participent pas à ces manifestations et grèves
de 1869-1870. On connaît d’ailleurs la réponse de Jules Favre à la délégation d’ouvriers venus lui
demander s’ils pouvaient espérer être guidés dans leur lutte par l’opposition parlementaire : « C’est
vous, messieurs les ouvriers, qui seuls avez fait l’Empire, à vous de le renverser seuls » (référence
à la passivité ouvrière lors du coup d'Etat de Napoléon en 1851).
Les ouvriers qui avaient manifesté aux obsèques politiques de Victor Noir en janvier 1870 étaient
licenciés en masse. A ce moment, les 10 000 ouvriers du Creusot entament une grève politique
que 3 000 soldats brisèrent sous la conduite d’un général, malgré les nombreuses fraternisations
entre ouvriers et soldats. De nombreux ouvriers furent condamnés à des peines de trois mois à
deux ans de prison. Le 7 février, nouvelle manifestation politique ouvrière, contre l’arrestation de
Rochefort pour l’article qu’il avait consacré à l’assassinat de Victor Noir par un membre de la
famille Bonaparte. Sous la conduite de Millière et Flourens, des barricades sont érigées,
l’entreprise de fabrique d’armes Lefaucheux est dévalisée. Nombre d’ouvriers de Belleville font
grève le 8 février et construisent d’autres barricades. 94 ouvriers sont arrêtés et condamnés pour
participation à l’émeute. Les dirigeants socialistes du journal La Marseillaise sont arrêtés :
Flourens, Grousset, Fonvielle, etc. Une délégation ouvrière se rendit auprès des députés de
gauche le 8 février pour qu’ils démissionnent en signe de protestation. Ils sont éconduits. Une
seconde grève éclata au Creusot le 21 mars qui durera jusqu’au 15 avril. L’armée est à nouveau
envoyée sur les lieux. Des condamnations jusqu’à deux ans de prison sont prononcées pour grève
politique, des soldats qui ont sympathisé avec les grévistes sont à nouveau punis. Les grèves se
multiplient souvent avec l’expression d’un solidarité ouvrière du pays tout entier sinon parfois d’une
solidarité internationale. En mai 1870, Napoléon organise son plébiscite où il dit clairement :
« Donnez-moi une nouvelle preuve de votre attachement. En apportant au scrutin un vote affirmatif,
vous conjurerez les menaces de la révolution, vous assoirez sur une base solide l’ordre et la
liberté et vous rendrez plus facile, dans l’avenir, la transmission de la couronne à mon fils. »
On ne peut être plus clair : « si vous voulez conjurer les menaces de révolution »... et Napoléon ne
fait pas allusion aux républicains qui eux s’empressent dans cette campagne de se désolidariser
des socialistes car ils craignaient en s’associant à eux de donner un caractère révolutionnaire à la
campagne d’opposition contre le plébiscite.
Ce fut la première occasion pour l’Internationale de mener une grande campagne politique en
expliquant le sens du plébiscite et en affirmant son programme, notamment que les mines, les
canaux, les chemins de fer, les banques, moyens d’exploitation entre les mains de « la féodalité du
capital » deviennent des services publics au service des citoyens. On comprend bien pourquoi les
républicains et libéraux, rois des chemins de fer et des mines, ne tenaient pas à se mêler à la
campagne des socialistes. Les républicains comme Favre, Simon, Picard, comprennent en ces
années, qu’il n’était pas possible de conquérir la République sans l’appui des masses profondes du
peuple, ils avaient peur de l’action populaire et préféraient pour cette raison se contenter d’une
monarchie constitutionnelle qu’ils se proposaient d’instaurer par la voie parlementaire. Toute leur
politique ultérieure, du 4 septembre 1870 au massacre de la Commune est déjà là. Pourtant c’est
aussi dans ces années que d’autres républicains, des jeunes, rompirent avec le combat républicain
pour rejoindre le combat socialiste. Ce fut le cas de Ch. Longuet et P. Lafargue pour les plus
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connus. En 1866, ce dernier écrivait :
« Le temps nous a dessillé les yeux. Aujourd’hui nous comprenons qu’ils [les républicains] sont les
souteneurs de l’Empire, sa soupape de sûreté... Alors nous avons brusquement rompu avec eux.
Leurs salons ouverts pour nous à deux battants ont été désertés. On se caserna au Quartier Latin
[Lafargue est alors étudiant] et on ne fréquenta que des ouvriers. »
Marx, Engels soulignent le mouvement en marche en France mais l’immaturité ou l’absence de
cadres socialistes.
La vague de grèves met à l’ordre du jour : guerre ou révolution, république ou empire, bref une
révolution politique bourgeoise faite par des ouvriers.
Sens politique des grèves des années 1860
Avec la crise économique mondiale de 1866-1867, avant la Commune, nous avons vu que la lutte
de classes s’approfondit.
Des milliers de petites et moyennes entreprises firent faillite, les plus importantes licencièrent et
baissèrent les salaires. D’innombrables corps de métier, des mineurs aux tisserands, des
teinturiers aux employés de commerce, entrèrent en grève dans différentes régions industrielles.
On parle d’ « une vague de grèves sans précédent ». Ces grèves n’allaient pas cesser jusqu’à la
déclaration de guerre en juillet 1870.
Mais au fil du temps et avec l’amplification du mouvement, la nature des grèves a changé. Elles se
politisent.
Car dans le même temps, une floraison de journaux républicains avait vu le jour et les socialistes
avaient organisé de juillet 1868 à mars 1869 de 300 à 400 réunions publiques, avec parfois jusqu’à
2 à 3 000 participants.
Les poursuites et les arrestations contre les orateurs de ces réunions populaires se firent de plus
en plus nombreuses. Les élections de 1869 donnent un nouvel essor au mouvement ouvrier. Puis
en janvier 1870 ont lieu des manifestations massives de protestation contre l’assassinat par
Napoléon III (vérifier) d’un journaliste républicain, Victor Noir.
Les ouvriers qui avaient manifesté à ces obsèques politiques sont licenciés en masse. A ce
moment, les 10 000 ouvriers du Creusot entament une grève politique que 3 000 soldats brisèrent
malgré les nombreuses fraternisations entre ouvriers et soldats. Le 7 février, nouvelle manifestation
politique ouvrière, contre l’arrestation d’un dirigeant républicain d’extrême gauche. Des barricades
sont érigées, une entreprise de fabrique d’armes est dévalisée. Les arrestations d’ouvriers et de
socialistes se multiplient. Une seconde grève éclata au Creusot le 21 mars 1870 qui durera
jusqu’au 15 avril. L’armée est à nouveau envoyée sur les lieux. Des condamnations jusqu’à deux
ans de prison sont prononcées pour grève politique, des soldats qui ont sympathisé avec les
grévistes sont à nouveau punis. Les grèves se multiplient dans un climat de solidarité du pays tout
entier sinon parfois même d’une solidarité internationale.
Face à cette politisation des mouvements de grève, en mai 1870, Napoléon organise un plébiscite
pour détourner les menaces de révolution puis entre dans la guerre avec la Prusse.
Sur ce fond de grèves, ce fut la première occasion pour l’Internationale, l’AIT, de mener une grande
campagne politique en expliquant le sens du plébiscite et en affirmant son programme, notamment
que les mines, les canaux, les chemins de fer, les banques, moyens d’exploitation entre les mains
de « la féodalité du capital » deviennent des services publics au service des citoyens. C’est dans
ces années qu’une génération de jeunes républicains rompirent avec le combat républicain pour
rejoindre le combat ouvrier et socialiste.
Marx, Engels avaient souligné ce mouvement en France mais aussi l’immaturité ou l’absence des
cadres socialistes. Les républicains et l’idée républicaine dominent encore.
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C’est ainsi que la Commune fut dans la continuation de cette vague de grève, une révolution
ouvrière mais sans véritable direction ouvrière, une révolution ouvrière dont le résultat immédiat fut
l’établissement de la République bourgeoise.
Dans le même temps que la grande bourgeoisie réprime violemment les grèves – il y a de très
nombreux morts et des milliers d’arrestations et de condamnations à la prison, - elle abandonne
Napoléon dont la politique commerciale ne lui convient pas mais qui semble aussi incapable
d’enrayer la montée des luttes ouvrières. La bourgeoisie napoléonienne rejoint et finance alors le
camp républicain. C’est ainsi que les Peugeot devinrent républicains par intérêt à ce moment
comme la plupart des grands patrons mulhousiens, les Scheurer-Kestner par exemple.
Sous la pression conjuguée républicaine bourgeoise et ouvrière, la fin de l’Empire devient plus
libérale, admet des républicains au sein du gouvernement et accorde la liberté de la presse. C’est
alors une explosion de journaux républicains ou socialistes et de manifestations politiques. Début
1870 lors de l’enterrement d’un journaliste républicain, Victor Noir, assassiné par un membre de la
famille de Napoléon, 500 000 manifestants réclament la démission de l’empereur et la république.
La guerre de 1870, la chute de l’Empire et la république
Napoléon et la bourgeoisie républicaine, devant la révolution qui gronde choisissent l’aventure
militaire pour détourner les mécontentements et entrent en guerre contre la Prusse début Août
1870. Une énorme manifestation populaire dit son hostilité à la guerre. Et immédiatement l’Etatmajor français, corrompu et incapable, plus prompt à réprimer les ouvriers en lutte qu’à risquer sa
vie sur le front, accumule défaites sur défaites. Le gouvernement cache la vérité mais les rumeurs
filtrent et la population réclame des informations véridiques. Des manifestations frisant
l’insurrection ont lieu. La Bourse est envahie aux cris de « A bas la Bourse. A bas les voleurs ».
Des collusions ont lieu entre la police et les manifestants un peu partout dans Paris. Le peuple
réclame des armes. On sent que la révolution est dans l’air. A Marseille, les Internationalistes de
l’AIT et les républicains s’emparent de l’hôtel de Ville et proclament la Commune Révolutionnaire.
Des troupes se mutinent. Il y a des explosions sociales à Lyon, Bordeaux, Toulouse, Limoges
Les républicains inquiets de la révolution sociale qui gronde, changent alors leur fusil d’épaule et
cherchent l’alliance avec les monarchistes et les bonapartistes contre la rue. On ramène 40 000
soldats du front à Paris pour surveiller la ville rebelle. Mais le 2 septembre 1870, l’armée française,
empereur en tête, capitule. Le 4 septembre les ouvriers Lyonnais proclament la Commune. Ils
licencient immédiatement la police et l’administration de l’Empire. Ils rayent les subventions aux
institutions religieuses, ils instaurent un impôt sur le capital et la propriété immobilière et annulent
toutes les poursuites pour délits politiques ou grèves. Le 4 septembre également, 500 000
parisiens se massent devant le Parlement, l’envahissent et les militants révolutionnaires socialistes
blanquistes proclament la déchéance de l’Empire et la république sociale. Les républicains de leur
côté avec Jules Ferry, Gambetta proclament aussi leur république. Pendant quelques moments, il
va y avoir deux gouvernements républicains, l’un socialiste et l’autre bourgeois. Finalement, usant
de belles paroles, de leur notoriété et profitant de l’absence des leaders socialistes et de la
dispersion des militants ouvriers par la guerre, les républicains bourgeois vont réussir à tromper la
foule ouvrière et l’emporter.
Les républicains au pouvoir ils mettent tout de suite en place d’anciens monarchistes et
bonapartistes aux ministères et postes clefs et commencent la répression contre le mouvement
ouvrier. En même temps il ne cherche pas vraiment à s’opposer à l’avancée des troupes
prussiennes et cherche à renvoyer chez eux les soldats que la contagion révolutionnaire a touché.
Leur seule inquiétude c’est la révolution ouvrière.
Le 18 septembre les troupes prussiennes sont sous les murs de Paris. Le gouvernement
républicain veut capituler mais les ouvriers parisiens craignant que la capitulation devant
l’empereur prussien n’entraîne la chute de la république veulent continuer la lutte. Partout en
France des hommes se lèvent tout à la fois contre la Prusse mais aussi pour la république sociale.
Et partout en France, les dirigeants militaires et politiques tentent de saboter ce mouvement. Les
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villes du midi s’insurgent et mettent en place des municipalités ou socialistes et républicains
collaborent. A Paris, les blanquistes organisent l’élection de nouveaux commissaires de police, des
manifestations ont lieu tout le mois d’octobre 1870 pour se terminer par une tentative d’insurrection
le 31 octobre contre le gouvernement républicain puis une deuxième le 22 janvier 1871 qui toutes
deux échouent et sont réprimées dans le sang.
La république est alors aux mains des plus droitiers soutenue par les monarchistes de tout bord.
La population parisienne voit dès lors dans ce gouvernement républicain le complice de Bismarck,
le premier ministre prussien, et un gouvernement traître à la véritable république, c’est-à-dire
sociale, rouge.
L’insurrection de la Commune parisienne qui aura lieu 18 mars 1871 ne sera pas ainsi, comme la
présentent le plus souvent les historiens, un soulèvement compulsif de la misère et de la faim liée
aux privations du siège de Paris par les Prussiens, mais l’aboutissement depuis des années de
nombreuses luttes autour de la volonté de réaliser la république sociale.
Mais reprenons notre histoire.
Vers la Commune.
Le 22 janvier le gouvernement français capitule. Mais le gouvernement prussien n’ose pas faire
occuper Paris par ses troupes de peur que le prolétariat parisien contamine les soldats allemands
avec ses idées socialistes. Ainsi le vainqueur des armées françaises s‘incline devant le mouvement
ouvrier français. Par ailleurs le gouvernement français décide de céder les canons de la garnison
parisienne aux prussiens mais le peuple de Paris, révolté, décide de les récupérer. 40 000
parisiens se massent aux portes de Paris. Devant la révolution qui menace – les parisiens sont
armés de 450 000 fusils et des canons récupérés - l’armée prussienne prend peur et recule pour
s’installer au dehors de Paris. Les monuments et les rues de Paris se couvrent de drapeaux
rouges. Les Gardes nationaux parisiens – 250 000 hommes – décident par méfiance à l’égard des
chefs militaires d’élire leurs chefs, le Comité central de la fédération de la garde nationale, en fait
une espèce de soviet des députés ouvriers armés et de la petite bourgeoisie. Ils votent un
programme, «prévenir toute tentative de renversement de la république », « la révocation à tout
moment de leurs chefs s’ils font défaut à leur mission » et la réorganisation de l’armée. Le Comité
Central de la Garde Nationale bénéficie d’un prestige considérable auprès des parisiens et se pose
de fait en rival du gouvernement républicain qui lui a perdu la confiance des parisiens.
Aussi le gouvernement présidé par Thiers voulu reprendre les canons et le 18 mars il envoie la
troupe. Mais le peuple de Paris se soulève, paralyse les troupes qui jettent leurs fusils ou mettent la
crosse en l’air et exécute les deux généraux qui commandaient.
Devant le soulèvement parisien et le refus d’obéir des troupes, Thiers et le gouvernement prennent
peur et fuient pour s’installer à Versailles accompagnés d’une partie de la haute administration et
de troupes en déroute qui ayant perdu toute estime et toute confiance pur le pouvoir et pour le
commandement refusaient de saluer leurs officiers.
Le pouvoir tombe de fait dans les mains du Comité Central de la Garde Nationale qui, déjà élu est
représentatif du peuple parisien en révolution, de ses forces mais aussi de ses faiblesses. Et le
peuple de Paris à qui le pouvoir vient de tomber dans les mains, tout surpris de ce succès
inattendu est indécis après ce premier succès.
Sa première décision, au lieu de poursuivre le gouvernement en déroute et le faire prisonnier, au
lieu d’envoyer des émissaires dans toute la France pour rallier la France à Paris, est au contraire
de se dégager de ses responsabilités et d’organiser des élections » légales » à la Commune. Ce
que souhaitaient, il faut le dire, la grande masse des ouvriers parisiens habitués à réclamer la
Commune, symbole de la vraie liberté, dans l’illusion également qu’une vraie élection légale
écarterait tout danger de guerre civile.
Le gouvernement de Thiers à Versailles pourtant ne reconnaîtra aucune valeur à l’autorité issue de
ces élections et profitera bien au contraire de ces premières hésitations du Comité Central de la
Garde Nationale et du temps qu’il lui laissera pour se réorganiser, reprendre en main les troupes
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indisciplinées et préparer la guerre civile.
2. 1871 La Commune
Le 27 mars est élue la Commune. Cette fois c’est une révolution consciente. Les noms des
révolutionnaires connus sont sortis en masse de ce scrutin. Des socialistes mais en minorité,
membres de l’internationale et blanquistes mais surtout des Jacobins, c’est-à-dire des éléments
révolutionnaires qui rêvaient d’une révolution politique mais pas sociale, d’un régime démocratique
parfait, totalement illusoire. Les éléments élus modérés donnent leur démission, ce qui reste de
l’administration bourgeoise se fait porter malade.
Il n’était pas trop tard, le 28 mars pour porter un coup mortel au gouvernement de Thiers mais la
Commune va être paralysée par deux autorités qui se partagent le pouvoir, la Commune qui vient
d’être élue mais aussi le Comité central de la Garde Nationale qui refuse de s’effacer devant le
pouvoir qu’il vient de mettre en place. Ainsi le pouvoir révolutionnaire va s’user dans des querelles
intestines stériles.
Pendant ce temps, le gouvernement Thiers – avec l’aide de Bismarck - a réorganisé ses troupes et
porté ses premières attaques contre Paris et liquidé les Communes révolutionnaires de province. Il
faudra attendre le 28 avril puis le 9 mai pour que le pouvoir révolutionnaire tente de coordonner ses
efforts dans une direction commune, le Comité de Salut Public qui hélas, n’arriva pas à s’imposer
aux deux autres et ne fit qu’ajouter un troisième pouvoir à la pagaille générale.
Du point de vue militaire la Commune restait passive mais devant le pouvoir de la banque elle fit
preuve d’encore plus de timidité. Alors qu’ils avaient l’or de la banque de France à disposition, les
autorités révolutionnaires n’osèrent pas le saisir, sinon un petit million pour payer la solde de la
garde nationale alors que Thiers lui, ne se gênait pas pour puiser à pleines mains dans les finances
du pays pour réarmer ses troupes.
Les militants communards s’épuisèrent en fait à faire fonctionner cette énorme ville qu’était Paris,
avec sa Poste, ses écoles, son assistance publique, son approvisionnement, sa justice ou sa
police. Le principe était que tous les élus et les fonctionnaires de la Commune étaient révocables à
tout moment et ne devaient pas toucher comme salaire plus que le salaire moyen d’un ouvrier.
Fin de la Commune et répression
Le 21 mai, les troupes de Thiers rentraient dans Paris qui malgré une résistance héroïque finit par
tomber le 28 mai 1871. Le premier état ouvrier avait vécu. La répression fut féroce à la hauteur des
peurs que la bourgeoisie avait eues.
20 000 parisiens furent massacrés, 13 000 autres furent condamnés à des peines diverses allant
de la prison à la déportation contre 877 Versaillais exécutés. On exécuta au hasard et sans
jugement des hommes parce qu’ils avaient les cheveux gris ce qui signifiait qu’ils avaient connu la
révolution de 1848, des boulangers parc qu’ils avaient fait du pain pour les communards, des
femmes parce qu’elles étaient femmes, des étrangers parce que la Commune avait accepté en son
sein des militants étrangers. Des soudards avinés, crevaient les yeux des victimes, dévidaient les
intestins avec des baïonnettes, on écrase les visages avec des talons, pour rire, on pousse des
curieux, des spectateurs qui se sont approchés trop près dans les foules de fusillés…Il n’y avait ni
justice ni jugement seulement une hideuse vengeance de classe.
Les leçons de la Commune
Conséquences politiques :
Premier état ouvrier. Révolution sociale. Fin de l’anarchisme réformiste et début du marxisme
On ne prend pas l’Etat tel qu’il est pour le faire fonctionner autrement. On le détruit pour en
construire un autre.
Fin de la première internationale
Nécessité d’un parti
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3. La république et ses tentatives d’intégration de la classe ouvrière
Evolution économique
L’industrie et la banque nouvelles : urbanisation, prolétariat et couches moyennes
Dans les années qui précèdent mais surtout qui suivent la Commune, on assiste à un profond et
très rapide bouleversement industriel du pays. On passe en quelque sorte d’un pays d’ancien
Régime où l’artisanat domine à l’entrée dans l’époque industrielle moderne avec ses grandes
entreprises au prolétariat nombreux et concentré.
Jusque-là, l’économie était plutôt celle des artisans et des paysans ; En 1866 en France on compte
dans l’industrie 1 660 000 patrons pour 3 millions de salariés. En 1911, le nombre de patrons avait
baissé à 900 000 pour 3 millions 500 000 salariés. En Europe l’explosion et la concentration
industrielle et urbaine a surtout lieu en Allemagne. C’est ce qui accompagnera et qui présidera au
développement de la social-démocratie marxiste. En France, il y eut également un formidable
développement industriel mais à un niveau toutefois moindre. Par contre la France, connaîtra le
développement de nouvelles formes de banques, ce qui jouera un rôle important dans la vie du
pays et dans la situation du mouvement ouvrier.
Donner quelques Chiffres industriels, banques de dépôts, dette publique, compagnies des eaux,
scandales, Allemagne…
Les nouvelles banques et leur rôle social et politique
Le marché financier français était traditionnellement dominé par la « Haute banque », c’est-à-dire
par quelques banques privées puissantes, en premier lieu la banque Rothschild, puis par ce qu’on
nomme la Banque Protestante, des maisons comme Bischofsheim, Hottinguer, d’Eichtal,
Pérrégaux, Malet. Le domaine d’activité de la Haute Banque englobait la gestion des patrimoines,
le placement d’emprunts d’État, les affaires boursières et l’attribution de crédits commerciaux.
Mais pour satisfaire au besoin de crédits de l’industrialisation galopante, il fallait créer de plus
grandes banques. Elles virent bientôt le jour sous la forme de sociétés anonymes. Les trois
grandes banques françaises actuelles furent fondées à cette époque. C’étaient des banques de
dépôt pour la masse des petits épargnants, permettant de drainer notamment l’épargne des
retraités et des petits capitalistes qui jusqu’alors restaient encore dans les bas de laine. En 1853
naquit ainsi le Comptoir national d’escompte, connu comme l’une des plus grandes banques de
l’Ouest, sous le nom de « Banque nationale de Paris » après sa fusion avec une banque plus
récente. En 1863, c’est le Crédit Lyonnais qui fit ses débuts. En 1864, enfin, fut créé la troisième
grande banque française de dépôt, la Société Générale. Après que la création de ces grandes
banques de dépôt eut fait affluer à Paris les petits et moyens capitaux disponibles en France, ils
furent mis à disposition de l’industrie sous forme de crédits à court terme.
L’industrie qui se développait de plus en plus vite, ne put bientôt plus se contenter de crédits à
court terme et elle avait besoin de telles masses de capitaux, par exemple pour la construction des
lignes de chemins de fer, qu’elle ne pouvait plus se contenter de capitaux individuels ou familiaux.
Il fallait des concentrations de capitaux considérables. Les frères Pereire, anciens collaborateurs
des Rothschild, se placèrent en contradiction avec ce qui se faisait alors et créèrent en 1852 une
banque d’investissement, le Crédit Mobilier. Ils firent quelque chose qui ne s’était jamais fait, ils
émirent alors cent vingt cinq mille actions à bas prix en garantissant des dividendes élevés (44%
en 1855). Leur cours fut multiplié par quatre très rapidement. La Bourse drainait ainsi l’argent que
les banques de dépôt n’avaient pas encore réussi à drainer vers les grands capitalistes. Mais les
frères Pereire virent trop grand, trop vite et en 1867, l’entreprise qui était alors gigantesque
s’effondra. Ceci dit, sans beaucoup d’argent, sans grande fortune, les frères Pereire venaient de
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donner un caractère systématique et organisé à une nouvelle forme de spéculation : celle qui se
fait avec l’argent des autres, celui des petits épargnants. La banque s’était jusque-là enrichie avec
l’argent des princes puis avec l’argent de l’État. Les frères Pereire spéculent avec l’argent de la
population. Ne courant personnellement aucun risque, ils s’étaient jetés à corps perdu dans les
spéculations les plus risquées. C’est de cette époque que date la fièvre de spéculation qui tient
depuis le monde financier dans une fièvre perpétuelle.
Les idées, les combinaisons, les méthodes qu’ils appliquèrent pour se procurer de l’argent ont
révolutionné le monde des affaires et de la Bourse. Ils ont centralisé dans leurs mains comme cela
n’avait jamais pu être fait jusqu’à présent, l’épargne des bourgeois mais aussi des masses
populaires, pour canaliser ces flots monétaires vers la Bourse, le commerce et l’industrie. Ils ont fait
de la Bourse la pompe aspirante et refoulante de la fortune nationale. Il est à noter que cette idée
de l’association des petits capitaux venait des socialistes utopiques saints simoniens. Les frères
Pereire étaient saint-simoniens.
Une autre banque fondée aussi en 1852, Le Crédit Foncier, fit passer le système des hypothèques
qui étaient jusque là entre les mains des innombrables notaires sous son contrôle unique mais
cette banque était spécialisée sur le marché foncier et immobilier. Après la chute du Crédit
Mobilier, un autre institut de crédit industriel fut fondé en 1872 avec la fondation de la banque de
Paris et des Pays-Bas, Paribas, spécialisé dans l’attribution de crédits industriels à long terme.
Mais le drainage de l’argent des petits épargnants des couches moyennes allait initier des
modifications politiques de fond. Les frères Pereire avaient en effet accompli quelque chose
d’extraordinaire. Ils avaient réussi à persuader les petits bourgeois et les paysans de se séparer de
leur argent et de le leur confier. En même temps qu’à l’époque ces couches moyennes
grandissaient en nombre, il était du plus haut intérêt pour la banque et le gouvernement d’associer
ces catégories à l’espoir pour elles de devenir un jour, elles aussi, capitalistes. Cela ne pouvait se
faire sans laisser à ces hommes une place dans la représentation politique du pays. Il eut été
contradictoire de les laisser rêver à leur participation à l’enrichissement personnel par
l’enrichissement du pays au niveau économique tout en les soumettant à l’arbitraire d’une
monarchie au niveau politique et cela eut pu créer des explosions sociales. Il fallait en quelque
sorte élargir le cens électoral, le droit de vote, puisque l’économie du pays avait besoin de leur
argent. Il fallait prendre le risque de la république. Économiquement la banque détachait ces
couches moyennes qui pouvaient épargner un peu des plus pauvres et des plus ouvrières.
Politiquement il fallait les détacher des ouvriers et du socialisme. Ce fut toute l’orientation de la
république des patrons qui allait naître après la répression de la Commune. Ce fut notamment tout
le programme de Gambetta, un des hommes politiques républicains parmi les plus connus du
moment, annoncé dans son fameux discours aux « nouvelles couches sociales » de 1876.
Car tout le problème de l’époque est : le mouvement ouvrier radical entraînera-t-il les couches
moyennes ? Ou bien les couches moyennes sauront-elles au contraire entraîner les ouvriers ? La
question est ouverte, d’autant que les artisans, les commerçants, les petits métiers de Paris font
toujours un continuum avec les couches plus ouvrières. Le socialisme est autant celui des artisans
que des ouvriers.
Le développement des banques de dépôt s’accompagne également de la mise au point d’une
attitude moralisante fondée sur l’épargne, la modération, la tempérance, permettant de distinguer
les couches moyennes des couches « basses ». Ainsi on écrit une foule d’articles ou de romans où
les personnages ont comme ambition de devenir patron. L’épargne placée en banque ou à la
Bourse permet de faire croire que tout un chacun peut accéder à un petit coin tranquille, une petite
maison, une famille, un jardin. Cela s’adresse surtout à ces nouveaux petits bourgeois à qui on
apprend ainsi à « se distinguer » des ouvriers. A ces nouvelles couches sociales le gouvernement
de la banque ne va pas cesser d’offrir dans ses discours un code de conduite à l’égard des
ouvriers encore si proches d’elles. Tout ce qu’il faut penser sur la famille, la tempérance, l’épargne,
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le logement, l’hygiène, le socialisme, est exposé dans un langage simple où chacun d’eux peut se
retrouver et regarder avec satisfaction et une certaine hauteur ce sauvage alcoolique, dépensier et
fainéant qu’est l’ouvrier.
Après la Commune, peur de l’ouvrier révolutionnaire
Période dominée par la répression de la Commune bien après 1871
Avec la société qui s’industrialise à grande vitesse, le nombre d’ouvriers qui avaient fait si peur en
1871 croit d’années en années. Le spectre d’une nouvelle Commune ouvrière obscurcit l’horizon
bourgeois. Toutes les années qui suivent la Commune jusqu’à 1877 sont dominées politiquement
par la peur qu’a fait la classe ouvrière à tous les possédants et la haine en retour de ces derniers
pour les ouvriers.
La répression de la Commune est tout d’abord féroce.
Le gouvernement proclama l’état d’exception, et l’état de siège dura cinq ans ; Paris sera placé
sous la tutelle d’un gouverneur militaire. Nul ne pouvait entrer ou sortir de la ville sans un laissezpasser. Des patrouilles à cheval parcouraient constamment les rues. La police militaire fit des
perquisitions dans presque toutes les maisons de la capitale. On encouragea la dénonciation des
Communards. Il y en eut plus de 300 000. Des vagues d’arrestations ne cessèrent de sévir.
Pendant plus d’une année, 26 tribunaux militaires siégèrent pour juger plus de 40 000 accusés. Les
détenus, menottés et traînés par les rues, au vu de tous, devaient ensuite parcourir entre Paris et
Versailles un véritable calvaire, où beaucoup trouvèrent la mort. Le général marquis de Gallifet se
distingua particulièrement à cette occasion. Il fit sortir du rang tous les hommes à cheveux gris et
les fit exécuter aussitôt, parce qu’ils avaient déjà participé, selon lui, vu leur âge, à la révolution de
juin 1848 et qu’ils étaient donc doublement coupables. Les prisonniers furent entassés dans des
conditions épouvantables, dans des caves, des écuries, des coques de bateaux. Trois mille d’entre
eux n’ont pas survécu à cette captivité. « Qu’est-ce qu’un républicain ? » demandait Le Figaro pour
répondre : « un animal sauvage ». Le même journal parlait de « vermine démocratique et
internationale qu’il faut écraser. » Le Moniteur Universel qualifia les Communards de « monstres
les plus abjects de l’histoire de l’humanité. » Quand la Commune disparut, le Journal des Débats
écrivit « Jour de gloire. Notre armée a vengé ses défaites par une victoire superbe. » Pendant l’été
1871, quand on traversait le quartier ouvrier de Belleville, on franchissait des rues entières
désertes où n’habitaient plus que des vieilles femmes, les hommes étant morts, en prison ou ayant
fuit. Les libertés de la presse furent restreintes. On surveilla l’université, on créa l’Institut
Catholique, une université cléricale parallèle pour faire concurrence à la Sorbonne. Les églises
paroissiales jaillirent du sol de tous côtés. On engagea des milliers de religieux dans
l’enseignement public. Dans tous les services dominicaux à l’Eglise, on présentait la défaite
militaire et la Commune comme une punition envoyée par Dieu. On organisa dans le même esprit
de nombreuses cérémonies expiatoires, des pèlerinages en plein quartiers ouvriers. Et on décida
en 1872 la construction de la Basilique du Sacré Cœur en plein Montmartre, en plein quartier
communard.
Jusqu’en 1880 – date de l’amnistie des Communards - des milliers d’ouvriers parisiens qui
n’avaient pas été tués, emprisonnés, exilés ou qui ne s’étaient pas enfuis connurent les plus
lourdes condamnations pour un oui ou pour un non. Les ouvriers ont eu leurs amis, leurs voisins,
leurs collègues de travail, un ou plusieurs membres de leur famille, tués, emprisonnés, déportés,
battus, licenciés ! La partie la plus consciente de cette population ouvrière et des faubourgs,
comme Louise Michel, a été déportée en Nouvelle Calédonie où elle croupit. Les intellectuels
Communards sont en fuite et ne peuvent pas s’exprimer. Les dirigeants ouvriers qui survivent sont
en exil ou se cachent et sont silencieux par nécessité. A Paris, des rues sont désertées, des
quartiers entiers sont abandonnés, des maisons ont été brûlées, détruites. Et même après leur
retour du bagne ou de l’exil on condamnait encore en 1883 Louise Michel à 6 ans de prison ferme
pour sa participation à une marche de chômeurs, ou Emile Pouget, futur dirigeant de la CGT à six
ans également de prison pour avoir tenté de protéger Louise Michel ce jour-là des coups de la
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police. Mais à la fin des années 1870 on condamnait encore des boulangers à des années de
bagne parce qu’on les accusait toujours d’avoir nourri les Communards.
La répression s’accompagna d’une immense campagne de calomnies haineuses. Les grands
écrivains ou scientifiques qu’on présente aujourd’hui à l’école comme les meilleurs expliquaient la
Commune socialiste par un délire d’ouvriers alcoolisés, par l’hystérie de femmes communardes en
proie à leurs instincts animaux ou tout simplement parce que les ouvriers sont une espèce
humaine inférieure, plus proche du singe que de l’homo-sapiens. Des écrivains racontaient que les
Communards mangeaient leurs prisonniers tous vivants où même se mangeaient entre eux dans
des espèces d’orgies cannibales.
Les écrivains après la Commune
J’ai pris quelques exemples de ce que disaient des ouvriers ou de la Commune les écrivains de
l’époque.
Alphonse Daudet (celui de Tartarin de Tarascon) présente la Commune comme un prolongement
de l’Empire, des noceurs et des profiteurs de l’orgie impériale. Il n’est pas le seul, car le thème de
l’orgie traverse tous les romans, tous les articles de presse, récits, souvenirs, tous les pamphlets
sur la Commune. Dans La Débâcle, de Zola, l’explosion parisienne n’est plus que l’expression
paroxystique du désordre moral engendré par l’Empire. C’était « la partie folle, exaspérée, gâtée
par l’Empire, détraquée de rêves et de jouissances. » Extraordinaire retournement qui transforme
les ouvriers révoltés en millionnaires noceurs et débauchés. Voici une description de l’hôtel de
Ville sous la Commune :
« Du haut en bas, à toute heure, c’était ignoble. Toutes les salles antiques, où jadis tant de paroles
graves avaient été prononcées par des bouches augustes [...] étaient occupées par la canaille
vautrée dans sa crasse exultante, dans l’orgueil de son immondice; ces pourceaux enragés, livrés
à eux-mêmes, célébraient la gloire du prolétaire en buvant aux goulots des bouteilles. Dans la cour
d’honneur campaient les Lascars, la compagnie de l’Etoile, ramassis de bandits, de souteneurs
d’étrangers accourus à la curée; sur les escaliers, dans les caves, sous les combles, la fête
plébéienne détonnait ses chants immondes, ses hoquets d’ivresse. [...] C’était l’horreur grotesque;
des femmes servantes sans place, ouvrières sans ouvrage, filles soumises [...] s’asseyaient aux
cantines, bâfraient, s’empiffraient au compte de la patrie; puis comme il faisait chaud, elles
ouvraient leurs corsages, troussaient leurs jupons sales et donnaient du plaisir aux braves fédérés
[...] Dans tous les coins s’amoncelaient des ordures humaines; les estomacs révoltés, les ventres
en déroute laissaient le long des murs des traînées asphyxiantes. L’hôtel de Ville était devenu un
cabaret, un lupanar, une latrine. Toutes les dépravations, toutes les turpitudes s’y donnaient
rendez-vous. [...] Le mot d’ordre était Jouir. »(Montégut. le Mur)
C’est pourquoi dans les années 1873-1874, les conservateurs mènent une campagne féroce de
fermeture des cabarets, accusant une fois de plus ouvriers socialistes et républicains pêle-mêle
d’être des alcooliques. Ce qui porte un coup d’autant plus dur aux républicains, car les cabarets
sont souvent tenus par des militants républicains et que ce sont les seuls lieux de réunion.
Et ce morceau de bravoure de Montégut est loin d’être exceptionnel
George Sand :
« Ces hommes [les Communards] on été mus par la haine, l’ambition déçue, le patriotisme mal
entendu, le fanatisme sans idéal, la niaiserie du sentiment ou la méchanceté naturelle. »
Leconte de Lisle :
« Nous avons été la proie [...] d’un soulèvement total de tous les déclassés, de tous les fruits secs,
de tous les singes d’Erostrate qui pullulent dans les bas-fonds des sociétés modernes, de tous les
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paresseux pillards, des rôdeuses de barrière, de la lie des prisons et des bagnes. »
Alexandre Dumas fils :
« Nous ne dirons rien de leurs femelles par respect pour les femmes à qui elles ressemblent quand elles sont mortes. »
G. Flaubert, férocement hostile :
« Je trouve qu’on aurait dû condamner aux galères toute la Commune et forcer ces sanglants
imbéciles à déblayer les ruines de Paris, la chaîne au cou, en simples forçats. Mais cela aurait
blessé l’humanité. On est tendre pour les chiens enragés, et point pour ceux qu’ils ont mordus. »
Et il propose d’entasser les Communards dans des péniches sur la Seine et de les couler !
Mais ces écrivains sont loin d’être l’exception, puisque plus de trente grands écrivains, parmi
lesquels Ernest Feydeau, La Comtesse de Ségur , Anatole France , T. Gautier ou E. de Goncourt
, dont les déclarations vont dans le même sens. Citons enfin E. Zola :
« Le bain de sang qu’il [le peuple de Paris après la semaine sanglante] vient de prendre était peutêtre d’une horrible nécessité pour calmer certaines de ses fièvres. Vous le verrez maintenant
grandir en sagesse et en splendeur. »
Voilà pour le Communard. Mais le portrait de l’ouvrier ne vaut pas mieux.
L’« ouvrier » dans les romans est toujours parisien. « L’ouvrier de Paris », dans sa partie
bonhomme, est un hâbleur, éternel frondeur qui se révolte par amour du spectacle. « Toute sa
politique bavarde et violente se nourrissait de la sorte de hâbleries, de contes à dormir debout, de
ce besoin goguenard de tapage et de drôleries qui pousse un boutiquier parisien à ouvrir ses
volets, un jour de barricades, pour voir les morts. »
« Aussi vrai que je m’appelle Bélisaire et que j’ai mon rabot dans la main en ce moment, si le père
Thiers s’imagine que la bonne leçon qu’il vient de nous donner aura servi à quelque chose, c’est
qu’il ne connaît pas le peuple de Paris. Voyez-vous, Monsieur, ils auront beau nous fusiller en
grand, nous déporter, nous exporter, mettre Cayenne au bout de Satory, bourrer les pontons
comme des barils à sardines, le Parisien aime l’émeute et rien ne pourra lui enlever ce goût-là ! On
a ça dans le sang. Qu’est-ce que vous voulez ? Ce n’est pas tant la politique qui nous amuse, c’est
le train qu’elle fait : les ateliers fermés, les rassemblements, la flâne... »
L’ouvrier est paresseux : c’est une obsession. Il se révolte pour paresser, affirme Alphonse Daudet
qui écrit par ailleurs « la politique et sa sœur, la sainte flâne ».
On lit dans Rabagas de Victorien Sardou les revendications des ouvriers en grève:
« … la journée de travail sera réduite de dix heures à huit, dont trois consacrées au repos. Total :
cinq heures qui seront payées comme dix. [...] Et attendu que le dimanche, qui a passé jusqu’ici
pour un jour de repos, n’est en réalité qu’un jour de fatigue, puisqu’il est consacré au plaisir [...]; le
lundi, consacré à se reposer du dimanche, sera néanmoins payé comme jour de travail [...]; la
question du jeudi est réservée. »
Francisque Sarcey confirme l’impression des écrivains selon laquelle les ouvriers sont des
rigoleurs, des imprévoyants, des fainéants, des animaux presque, en racontant l’anecdote suivante
qu’il a vécue :
« J’ai eu des peintres chez moi, et j’étais stupéfait de voir comment ils se moquaient de leur
besogne. Ils apportaient leur pot à colle, donnaient quelques coups de pinceaux en chantant, s’en
allaient déjeuner et ne revenaient plus. [...] Avec tout cela, rigoleurs et imprévoyants, tout entiers,
comme les sauvages et les singes, à la sensation présente. Le bruit d’un écu sonnant dans leurs
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poches excitait chez eux toutes sortes d’envies qu’ils n’étaient pas maîtres de contenir. »
Dans Thérèse Raquin (de Zola), Laurent, l’amant de Thérèse, est employé aux chemins de fer :
« Au fond c’était un paresseux ayant des appétits sanguins, des désirs très arrêtés de jouissances
faciles et durables. Ce grand corps puissant ne demandait qu’à ne rien faire, qu’à se vautrer dans
une oisiveté et un assouvissement de toutes les heures. Il aurait voulu bien manger, bien dormir,
contenter largement ses passions, sans remuer de place, sans courir la mauvaise chance d’une
fatigue quelconque. [...] Il rêvait d’une vie de volupté à bon marché, une belle vie pleine de
femmes, de repos sur les divans, de mangeailles et de soûleries. »
Dans Arthur, tiré des Contes du Lundi, Daudet nous décrit le personnage principal, Arthur, qui
venait de passer deux ans en prison pour vol. C’est, il va de soi, un ouvrier. Revenu ivre du bistrot,
il bat sa femme. Puis une fois dégrisé :
« Il prenait pour parler une voix blanche, doucereuse, déclamait des bouts d’idées ramassées un
peu partout, sur les droits de l’ouvrier, la tyrannie du capital. [...] Tout cela n’empêchait pas que, le
samedi suivant, Arthur mangeait sa paye, battait sa femme, et qu’il y avait là, dans ce bouge, un
tas d’autres petits Arthur, n’attendant que d’avoir l’âge de leur père pour manger leur paye, battre
leurs femmes. [...] Et c’est cette race-là qui voudrait gouverner le monde. »
Les mauvaises conditions de vie peuvent être là, il n’empêche, si les ouvriers sont ivrognes,
lâches, s’ils volent et battent leur femme, boivent leur paye ou ont des idées socialistes, c’est inné.
Ils naissent comme ça. Dans le conte Monologue à bord, Daudet prête à un Communard déporté
les propos suivants :
« Les matelots, pourtant quelle dure existence ça mène. [...] Ah ! c’est une vie autrement rude que
celle de l’ouvrier parisien et autrement mal payée. Cependant ces gens-là ne se plaignent pas; ne
se révoltent pas. Ils vous ont des airs tranquilles, des yeux bien clairs décidés, et tant de respect
pour leurs chefs ! »
Et la femme de Jacques Damour, (Zola) qui est hostile à la Commune, pense que pour rester dans
le droit chemin, il suffit de se « conduire très bien » c’est-à-dire travailler et de rester à sa place.
Lantier qui tient le rôle du révolutionnaire dans l’Assommoir est un fainéant qui vit aux crochets de
Coupeau, l’ouvrier honnête. Le marquis Tedesco dans Jean Servien est un véritable parasite mais
il devient colonel de la Commune.
La politique sociale est une justification de la paresse.
La science sociale après la Commune
Mais les écrivains ne sont pas les seuls à avoir été effrayés et à avoir dévers leur haine sur la
Commune. Les scientifiques aussi. Pasteur fut l’un d’entre eux mais pas le seul.
La bourgeoise fit naître de ses peurs, une science du social, la sociologie pour tenter de
comprendre et de prévenir toute nouvelle révolution ouvrière. Son premier sujet d’inquiétude et
donc d’étude fut la foule, sous entendu la foule ouvrière, la manifestation, la grève, la révolution.
Pour se faire une idée de comment la sociologie concevait la foule à cette époque, il suffit de
relever les principaux titres des parutions du moment. La Foule criminelle (Scipio Sighele), Les
crimes de la foule (Gabriel Tarde) et Les foules et les sectes criminelles. La psychologie des foules
et La psychologie du socialisme. (Le Bon).
Tarde, un de ces premiers sociologue, trouve ses inspirations dans la description de la Terreur
Jacobine et il écrit : « Commune ! Hurle la foule... Et ce n’est plus que flambeaux, tocsin, multitude
soûle de sang, haillons et drapeaux... Commune ! Exécrable chose ! Idée infernale éclose d’étroits
cerveaux révoltés. »
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Il continue:
« Une foule est un phénomène étrange: c’est un ramassis d’éléments hétérogènes, inconnus les
uns aux autres; pourtant, dès qu’une étincelle de passion, jaillie de l’un d’eux, électrise ce pêlemêle, il s’y produit une sorte d’organisation subite, de génération spontanée. Cette incohérence
devient cohésion, ce bruit devient voix, et ce millier d’hommes pressés ne forme bientôt plus
qu’une seule et unique bête, un fauve innommé et monstrueux, qui marche à son but avec une
finalité irrésistible [...] Tel, qui était accouru précisément pour s’opposer au meurtre d’un innocent,
est des premiers saisi par la contagion homicide et, qui plus est, n’a pas idée de s’en étonner. »
Autre spécialiste de la foule, Gustave Le Bon (1841-1931) qui est un anti-communard convaincu,
profondément marqué dans ses années de jeunesse par cette expérience et qui jouit d’une autorité
certaine.
Pour lui, la foule est plus proche de l’animalité, comme ces formes d’humanité inférieures que sont
pour lui, le Sauvage, l’Enfant, la Femme ou l’Ouvrier. Pour lui « la foule est un troupeau qui ne
saurait se passer de maître ». Les foules sont un danger pour la marche de la civilisation. Il
appartient donc de les connaître et pour cela de les décrire, ce qu’il s’emploiera à faire dans
différents ouvrages. Les foules ouvrières « par leur puissance uniquement destructive, agissant
comme des microbes qui assurent la dissolution des corps débilités ou des cadavres [...] la force
aveugle du nombre devient la seule philosophie de l’histoire. » Pour Le Bon les foules sont bien
sûr ouvrières, « elles fondent des syndicats devant lesquels tous les pouvoirs capitulent, des
bourses du travail qui, en dépit des lois économiques, tendent à régir les conditions du labeur et du
salaire ».
« Aujourd’hui les revendications des foules deviennent de plus en plus nettes, et tendent à détruire
de fond en comble la société actuelle, pour la ramener à ce communisme primitif qui fut l’état
normal de tous les groupes humains avant l’aurore de la civilisation. Limitation des heures de
travail, expropriation des mines, des chemins de fer, des usines et du sol; partage égal des
produits, élimination des classes supérieures au profit des classes populaires, etc. Telles sont ces
revendications. »
Dans ces années on se passionne pour l’hystérie et l’hypnose. Le Bon en tire la conclusion que
l’homme en foule ressemble à un être hypnotisé pendant que d’autres prétendent découvrir que les
femmes de la Commune étaient des hystériques.
« La vie du cerveau étant paralysée chez le sujet hypnotisé, celui-ci devient l’esclave de toutes ses
activités inconscientes, que l’hypnotiseur dirige à son gré. La personnalité consciente est évanouie,
la volonté et le discernement abolis. Sentiments et pensées sont alors orientés dans le sens
déterminé par l’hypnotiseur. Tel est à peu près l’état d’un individu faisant partie d’une foule. »
L’hypnotiseur est bien sûr pour lui le socialiste. Les foules sont le jouet de meneurs qui pour
s’imposer « ont intérêt à verser dans les plus invraisemblables exagérations. » Les meneurs les
plus écoutés sont les plus médiocres et les plus incohérents. » « Les grands meneurs de tous les
âges, ceux de la Révolution principalement, ont été fort bornés et exercèrent cependant une
grande action. Les discours du plus célèbre d’entre eux, Robespierre, stupéfient souvent par leur
incohérence. » Le Bon analyse aussi la psychologie des socialistes. Il y en a principalement deux
sortes :
« Ce sont des âmes mystiques et simples, absolument incapables de raisonner, et dominées par
un sentiment religieux qui a envahi tout le champ de leur entendement. »
L’autre variété :
« Ils appartiennent à la grande famille des dégénérés. Maintenus par leurs tares héréditaires, leurs
défectuosités physiques ou mentales dans des situations inférieures dont ils ne peuvent sortir, ils
sont les ennemis naturels d’une société à laquelle leur incapacité incurable, les hérédités morbides
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dont ils sont victimes les empêchent de s’adapter. »
D’autres scientifiques, des médecins notamment ou des anthropologues, essayaient de prouver
que les enfants de Communards ne pouvaient qu’être des dégénérés ou des alcooliques.
Journalistes, écrivains et scientifiques comparaient les ouvriers à ces peuples des colonies que les
armées françaises commençaient à conquérir et dont on commencer à montrer dés 1877 des
spécimens dans des zoos humains car on les considérait comme des races inférieures.
Il y a ait déjà eu un débat dans les milieux intellectuels des années 1830 après les barricades de la
révolution de cette année-là pour se demander si les ouvriers étaient une espèce d’hommes
inférieure.
C’est dans cette ambiance de peur et de haine que se déroulèrent les années 1870 et c’est par
cette ambiance qu’il faut comprendre toute la forme que prit le mouvement ouvrier par la suite.
Poussée républicaine : crainte d’une nouvelle révolution ouvrière
Poussée électorale républicaine après la Commune
Malgré la répression, toutes les années 1870 sont marquées par une poussée électorale à gauche.
Le 8 février 1871, les élections législatives avaient pourtant donné une majorité monarchiste. Les
électeurs ont voté pour la paix qu’ils assimilent aux monarchistes mais la France est en fait
majoritairement républicaine. Les élections municipales des 30 avril et 7 mai 1871 après la
Commune confirment ce fait. Et dans les nombreuses législatives partielles qui vont marquer les
premières années de 1870, cette poussée républicaine s’affirmera de plus en plus nettement.
Mais en 1871, les monarchistes n’ont pas encore abandonné l’idée d’une restauration royaliste,
bien au contraire. La défaite de la Commune paraît leur ouvrir les portes d’un retour à la royauté.
Pourtant ils n’y arriveront pas.
Cependant pour maintenir son autorité, Thiers et la grande bourgeoisie ne pouvaient guère
recommencer sans cesse une « semaine sanglante ». Il fallait trouver une autre solution. Devant
cette poussée à gauche et dans le cadre de l’industrialisation rapide du pays, les notables et les
bourgeois du pays sont devant l’alternative : ou réprimer la classe ouvrière montante dans un bain
de sang du type Commune tous les dix ans ou alors tenter de domestiquer le monde ouvrier en
l’intégrant aux institutions de la République. C’est devant ce choix que les possédants vont hésiter
durant toutes les années 1870.
Les grands patrons se résolurent contre les grands propriétaires terriens, monarchistes, aux
formes plus maniables du parlementarisme et d’une représentation populaire indirecte. Les
principaux leviers économiques, judiciaires, militaires, policiers resteraient aux mains des mêmes,
mais pourquoi ne pas apaiser les angoisses populaires par les formes d’une république
parlementaire ? C’était d’abord l’avis de Gambetta, cela devint celui des financiers et de Thiers et
c’est cela qui se réalisa malgré les résistances des monarchistes.
D’autres, contre ceux-là, monarchistes, grands propriétaires terriens ou propriétaires de mines,
préféraient la manière forte, la répression, le retour à la monarchie, C’étaient de Broglie et Mac
Mahon. En attendant leur principal et immédiat souci, aux uns comme aux autres, est de barrer la
route aux républicains radicaux qui commencent à marquer des points car c’est sur eux que, par
défaut de candidats socialistes, se reportent les espoirs populaires.
Dans les élections de juillet 1871, les hommes de Thiers, le massacreur de la Commune, se taillent
le principal succès à Paris, et ils décident le 19 juillet de former le groupe parlementaire républicain
Centre Gauche composé de grands bourgeois libéraux venant du royalisme Orléaniste. Ils sont
conservateurs, mais ils sont favorables à l’expérience républicaine. Le monarchiste Thiers explique
ainsi son choix de la République. : « Nous avons éliminé le socialisme, mais nous n’avons pas le
droit de pousser le peuple à bout. Laissons-lui son jouet, la république ! » La majorité de la grande
bourgeoisie industrielle et ses élites accompagnent le chef de l’exécutif, Adolphe Thiers, dans cette
démarche.
En août 1871, le premier titre de président de la République est octroyé à Thiers lui-même. Un
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gouvernement Centre gauche est constitué dont l’objectif est de rallier les bourgeois hésitants à la
cause républicaine.
Le 13 novembre 1872, Thiers fort du Centre Gauche et du soutien parlementaire des groupes
républicains rompt véritablement avec la politique de la monarchie constitutionnelle et déclare :
« La République existe, elle est le gouvernement légal; vouloir autre chose serait une révolution. »
Nous sommes en République, conclut la presse. Et la république aussitôt pour ne pas faire naître
des espoirs chez les ouvriers vota la loi de 1872 contre l’A.I.T, la Première Internationale ouvrière,
qui fit un délit « du fait de participer à une société dont l’existence même est un délit puisqu’elle a
pour but d’associer des malfaiteurs étrangers aux efforts des malfaiteurs français, puisque ses
membres n’ont pas de patrie. » Voilà comment la république considérait les ouvriers socialistes,
des malfaiteurs étrangers.
Mais une grande grève des mineurs du Nord éclate en 1872. Thiers et ses amis la réprimèrent
dans le sang. Pourtant face à la poussée populaire , la politique de Thiers fait peur aux plus
conservateurs Gustave Deseilligny, administrateur du Crédit Lyonnais, et dont le frère Alfred,
neveu de Schneider, lui-même directeur du Creusot et administrateur des mines de Decazeville,
est au Centre Gauche, écrit :
« Il semble démontré par les faits que la république conservatrice, telle que la comprenait Monsieur
Thiers, et qui était acceptée par les gens d’affaires comme une transaction momentanément
nécessaire [...] n’est pas comprise par le pays, et que nous sommes entraînés, beaucoup plus
rapidement que nous le voudrions, vers la démocratie, c’est-à-dire l’inconnu [...] La nomination de
Barodet (ancien maire communard de Lyon élu dans une législative partielle) est l’unique
préoccupation du monde des affaires [...] Il faut à la France un pouvoir énergique n’hésitant pas
devant les répressions. »
Le 24 mai 1873, par la bouche de Casimir-Perier, le grand capital estime que la politique de Thiers
« ne donne pas la sécurité au travail, au commerce, à l’industrie ». Il est alors démissionné.
Une république monarchiste
Dès le lendemain de la démission de Thiers, le duc de Broglie est appelé à la vice-présidence du
conseil et fonde un nouveau gouvernement où les transfuges du Centre Gauche apeurés par la
menace ouvrière (on étend la loi de 1872 prévue pour l’AIT à toutes les organisations ouvrières
quelles que soient leurs buts : un ouvrier qui tente de s’organiser est un « étranger ») trouvent une
grande place. Le maréchal de Mac Mahon devient président de la République et se prononce
ouvertement pour une restauration monarchique. C’est la période qu’on va appeler l’Ordre Moral.
Période républicaine et ultra réactionnaire qui se terminera par une tentative de coup d’Etat
monarchiste le 16 mai 1877.
En attendant les tentatives de Restauration s’évanouissent rapidement, les deux groupes royalistes
ne parvenant pas à s’entendre. Mais surtout, en sens inverse, il apparaît aux grands bourgeois
qu’une tentative de Restauration pourrait bien soulever les couches populaires majoritairement
républicaines. C’est ce qu’écrit le Journal des Débats du 23 octobre 1873 : « La république
conservatrice est la plus sûre garantie de l’ordre comme de la liberté, et la restauration
monarchique dont il est question ne serait pour la France qu’une cause de nouvelles révolutions. »
Mac Mahon se résigne à essayer de concilier les grands partis de la bourgeoisie autour d’une
constitution, tactique qui lui permet croit-il, d’attendre une situation plus favorable à la Restauration.
Dans ce compromis la droite royaliste va accepter la forme républicaine et la gauche républicaine
un contenu monarchiste. C’est ainsi que les lois constitutionnelles de janvier 1875 vont donner
naissance à une monarchie constitutionnelle sans monarque, à une république monarchiste. « Les
lois de 1875 établissent un régime représentatif sans souveraineté du peuple, un régime
parlementaire conforme à l’idée orléaniste. »
On va avoir un système constitué d‘une chambre basse des députés et une chambre haute des
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sénateurs qui la surveille car moins sensible aux évolutions de l’opinion puisque elle n’est élue en
partie par des grands électeurs et en partie inamovible, avec aussi un président de la république
élu pour 7 ans, une espèce de roi élu, une armée permanente et des juges nommés.
L’allure des lois républicaines de 1875 est celle d’une charte comparable à celle qui avait été mis
en place en 1830 sous le roi Louis-Philippe.
L’acceptation des lois constitutionnelles par les partis républicains donne naissance à une
radicalisation d’une aile gauche, certains criant à la trahison des idéaux républicains. En effet le
programme républicain réprouvait jusque là et le Sénat et le Président de la République, l’armée
permanente et préconisait l’élection des juges.
Des candidats républicains concurrents se sont présentés contre la majorité. Ils réclament entre
autres la suppression du sénat et de la présidence, l’élection des juges, le rachat des grandes
compagnies, l’établissement d’un impôt progressif sur le capital et sur le revenu, la séparation de
l’Église et de l’État, la suppression de l’armée permanente, l’amnistie des Communards
Pendant ce temps, la poussée républicaine continue. En décembre 1875, les candidats du Centre
Gauche et des républicains qui ont fait liste commune pour les postes de sénateurs inamovibles,
remportent un véritable succès ce qui leur donne la majorité au Sénat. Ce vote est à nouveau
confirmé aux élections législatives de février et mars 1876, les républicains sont presque
majoritaires au Sénat et entièrement à l’Assemblée...
En même temps réapparaissent quelques candidatures ouvrières exprimant avec vigueur des
tendances socialisantes. Une délégation ouvrière française se rend à l’exposition universelle de
Philadelphie. L’idée d’un congrès socialiste fait son chemin. Il se réunira à Paris en octobre 1876.
Certes les travaux du congrès n’ont évoqué rien d’autre que les problèmes de la protection du
travail, mais 5 ans après la Semaine Sanglante alors que Thiers avait fêté l’écrasement définitif du
socialisme, c’était le premier symptôme d’une renaissance de la conscience ouvrière.
Entre réaction monarchiste et révolution sociale, la question religieuse comme moyen de
détourner la poussée populaire
Plus les élections passent, plus les républicains s’emparent peu à peu de tous les pouvoirs.
Les monarchistes se crispent, on va vers une crise dont l’enjeu semble être à nouveau la révolution
sociale ou la restauration royaliste.
Mais la question religieuse va transformer la situation politique et sauver les républicains. D’un
côté, il y a l’intransigeance des Ultramontains papistes, de l’autre celle des Intransigeants athées.
Ces années d’Ordre Moral avec l’érection de la basilique de Montmartre, les pèlerinages quasi
officiels, les manifestations catholiques de plus en plus ostensibles et de plus en plus politiques
(avec des signes et des hymnes monarchistes), ont provoqué la colère des républicains. Les
affrontements dans la rue entre papistes royalistes et athées républicains sont de plus en plus
fréquents.
Durant l’été 1876, le gouvernement s’efforce d’apaiser les tensions. Il espère mettre en place une
politique de tolérance et de conciliation entre la République et l’Église qui est toujours monarchiste
puisque selon elle le roi est le véritable représentant de dieu sur terre. Le ministre républicain de
l’intérieur, vient par exemple distribuer le pain bénit dans sa paroisse. Il refuse la laïcisation
absolue de l’enseignement, souhaitée par les Intransigeants. Mais poussé par l’évolution électorale
il est entraîné malgré lui vers la politique anticléricale de la gauche des républicains.
Décembre 1876 voit une empoignade entre l’Assemblée et le Sénat sur la diminution ou le maintien
des traitements d’un certain nombre d’ecclésiastiques. Ce que l’Assemblée décide, à savoir la
diminution du budget des cultes, le sénat le rétablit.
A partir de janvier 1877, excédés par l’abandon de leurs idéaux de la part de la majorité
républicaine, inquiets des concessions de leurs dirigeants et des menaces de leurs adversaires,
soutenus par un courant populaire en pleine croissance mais concurrencés sur leur gauche par
l’émergence des socialistes, les intransigeants vont multiplier les attaques sur le plan religieux, cela
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constituant tout à la fois un bélier contre l’Ordre Moral et un dérivatif aux revendications ouvrières.
Des débats houleux ont lieu à la Chambre des députés. Des pétitions catholiques en faveur du
pouvoir temporel du pape circulent début 1877, exaspérant les républicains qui exigent du
gouvernement qu’il réprime les menées ultramontaines. Ce qu’il refuse de faire.
Gambetta dénonce alors début mai 1877 le cléricalisme dans un discours dont l’histoire a retenu la
formule : « Le cléricalisme, voilà l’ennemi. »
Le maréchal de Mac Mahon de son côté tente de reprendre les choses en main et démissionne le
gouvernement. C’est un coup de force. Un coup d’Etat monarchiste.
Le duc de Broglie et ses amis monarchistes prennent alors le pouvoir. Les républicains crient au
coup d’État, au renversement de la République, à la restauration d’un pouvoir légitimiste. La
chambre est dissoute.
Des rumeurs de mouvements de troupes circulent. Victor Hugo témoigne dans ses souvenirs que
l’on se réunissait en secret dans les caves, on se préparait à la résistance. Un plan de résistance
armée est mis au point avec des généraux républicains. On achète des armes. Des manifestations
sont prévues,…
Mais les dirigeants républicains ont eux aussi trop peur de l’agitation qui renaît dans les quartiers
populaires car l’émotion à l’annonce de la chute de la république est forte. Ils appellent finalement
au calme et détournent la révolution possible vers des élections dans lesquelles ils veulent y
apparaître comme les meilleurs représentants de l’ordre.
De leur côté les monarchistes par peur du mécontentement qui gronde dans les quartiers ouvriers
et de l’explosion qui s’annonce, renoncent au bout de quelques heures au pouvoir que vient de leur
donner leur coup d’Etat et acceptent de jouer le jeu aussi des élections. Ce sera leur dernière
tentative de restauration monarchiste
La campagne électorale qui suit sera féroce. Le pouvoir récuse de nombreux fonctionnaires
républicains et abuse de son autorité partout où il le peut par des entraves à la presse ou des
pressions administratives de toutes sortes. La fraude des monarchistes est massive. Le, ministre
de l’intérieur, fait, comme en 1873 et 1874, fermer les débits de boissons suspectés d’être des lieux
où les républicains se réunissent. Les rumeurs permanentes de coup d’État militaire circulent.
Mais les républicains l’emportent. La République a définitivement vaincu et après quelques
péripéties aura tous les postes de décision en ses mains en 1879.
La résistance légale de 1877 est présentée par les républicains comme une véritable épopée. La
légende dorée de la République retient dès lors, et pour plusieurs générations, la date du 16 mai
comme la date symbolique de la fondation du régime avant qu’elle ne soit remplacée plus tard par
le 14 juillet. La république était née réellement le 4 septembre 1870 mais c’était la date d’une
défaite militaire et d’une répression ouvrière. C’était plus réellement représentatif de ce qu’est la
République mais ça faisait tâche à commémorer.
La république : classe sociale et l’Etat
La république des patrons
La république a donc vaincu mais ce sont les grands patrons, déjà au pouvoir sous Napoléon III,
qui l’auront mis sur les rails.
Ces hommes aux familles et aux destins entremêlés dirigent la banque, l’industrie, le commerce, la
presse, l’armée, la haute administration, les Académies tout au long du siècle sans discontinuité. Ils
sont bonapartistes, royalistes puis républicains suivant les circonstances, de gauche ou de droite
indifféremment, ils s’opposent ou participent, se font la guerre ou s’allient, mais toujours, ce sont
eux que l’on trouve à tous les postes dirigeants de la société.
Ce sont ces grandes familles de la finance, du commerce et de l’industrie, regroupées dans ce
qu’on appela le Centre Gauche à partir de 1871 et jusqu’au début des années 1880, autour de
Thiers qui contribuèrent de façon décisive à la constitution de la République. Entre 1870 et 1879,
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ces hommes, détiennent directement plus de la moitié des portefeuilles ministériels et dirigent
même pendant plus de 5 ans les gouvernements de la république. Leur hégémonie sur les
ministères clefs, à savoir les Finances, l’Intérieur et les Affaires Etrangères est quasi constante. Un
peu comme si aujourd’hui, Bouygues était président de la République, Rothschild président de
l’Assemblée, Liliane de Bétancourt présidente du sénat, Peugeot, premier ministre, Dassault
ministre de la défense, etc…bref, la république des patrons. C’est la seule fois dans l’histoire que
les grands patrons exerceront directement le pouvoir. Ces puissances économiques jouent toujours
un rôle fondamental dans nos sociétés, y compris politique, mais il est indirect. Après cette période,
ils se cacheront derrière des grands commis à leurs services et se contenteront de diriger le monde
en sous-main depuis leurs conseils d’administration.
Dans ces années d’hésitation et d’oscillation entre république et monarchie, où personne ne savait
ce qu’il adviendrait du lendemain et où les principales formes politiques et sociales du passé
s’évanouissaient tandis que les nouvelles ne s’étaient pas encore affirmées, le pouvoir économique
s’affichera directement au pouvoir et la morale paternaliste des grands bourgeois, fait figure de
politique sociale. Cette morale affichée dans cette décennie imprégnera jusqu’à aujourd’hui les
institutions sociales qui se développeront ensuite. Ce sont ces hommes qui mettront sur les rails la
politique de « républicanisation » et de laïcisation de l’État puisqu’ils tiendront également pendant
cinq ans et demi le ministère de la Justice et des Cultes. Jusqu’au début des années 1880 ils
pourront s’appuyer sur une force parlementaire de premier plan, puisque le groupe Centre Gauche
comptera de 1871 à 1876, pendant la première législature de la république, cent soixante-quatorze
députés, sans compter les groupes qui lui sont lié
L’Histoire qu’on enseigne dans les écoles retient comme fondateurs de la République des Jules
Ferry, Jules Grévy, Jules Favre, ou Léon Gambetta qui n’ont eu de cesse de dénoncer l’affairisme,
la corruption du second Empire et n’ont cessé de promettre qu’ils en finiraient avec le règne de
l’argent mais pas le règne de ces grands patrons.
Il faut dire que ces fondateurs emblématiques de la Troisième République vont d’emblée associer
le destin de la république à celui de la grande bourgeoisie. En fait, les liens entre bourgeois
libéraux et dirigeants républicains datent déjà des années 1860, sous l’Empire, et leurs
conceptions se sont tellement rapprochées au fil des ans que la totalité des 150 députés
républicains élus dans la première Assemblée nationale du 8 février 1871 n’auront pas d’état d’âme
pour unir leurs votes à ceux de la majorité conservatrice pour porter le monarchiste Adolphe Thiers,
le porte-parole de cette grande bourgeoise libérale ,à la tête du pouvoir exécutif de la République
française, le 17 février 1871 à Bordeaux.
Le cas le plus fameux et le plus symbolique de ces grandes familles bourgeoises libérales qui
feront la république est celui de la famille Casimir-Périer. La famille Périer commença avec l’un des
siens, Claude Périer, par de fructueuses opérations immobilières après la révolution de 1789, ce
qui lui vaut un siège au corps législatif, puis, dès 1796, de par ses liens avec le Directoire, il met la
main sur les mines d’Anzin – dont on verra l’importance dans l’encadrement et la répression du
mouvement ouvrier - puis brumairien par son aide au coup d’État de Napoléon Ier, il devient
Régent de la Banque de France dès sa création en février 1800. Un de ses fils bénéficie en 1806
de l’aide financière de l’État napoléonien dans sa politique protectionniste et en lutte contre
l’Angleterre, pour la construction d’une manufacture de coton à Montargis. Ses deux fils rentrent à
la Chambre des députés sous la Restauration. Casimir Périer finance les brochures royalistes et
légitimistes de Chateaubriand en 1827. Sous Louis-Philippe, la tribu des Périer voit deux, trois,
parfois quatre de ses membres siéger dans la même assemblée. Casimir devient président du
Conseil pendant deux ans. Il profite de cette situation pour se faire attribuer à côté d’Anzin la
concession des mines de Denain.
En octobre 1871, manifestant bien sur quelle couche sociale il comptait s’appuyer, Thiers confie le
ministère de l’Intérieur à son ami Auguste Casimir-Périer, principal actionnaire du journal Le
Courrier de France, fils du célèbre ministre de Louis-Philippe auquel il est par ailleurs lié par des
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intérêts industriels, puisque Thiers est actionnaire et même administrateur des mines d’Anzin
depuis son mariage en 1847 avec la richissime Elise Dosne. Jusque-là, Orléaniste, il poussait
Thiers à préparer l’avènement au trône du Comte de Paris, il adhère quelque mois plus tard au
Centre Gauche, affichant alors sa nouvelle foi républicaine et le 16 juin 1874 au nom du groupe
Centre Gauche, il déposait sur le bureau de l’Assemblée une proposition d’urgence en faveur d’un
vote de proclamation de la République. Mais Laurent Casimir-Périer est également le beau-frère du
duc d’Audiffret-Pasquier qui, tout autant administrateur des mines d’Anzin que Laurent-Casimir, est
lui, membre à l’Assemblée du Centre-Droit, courant « Orléaniste » rival du Centre-Gauche, séparé
de ce dernier, non par les liens de famille ou d’affaire mais par l’opportunité de la République ou de
la Monarchie Constitutionnelle. Pour la petite histoire, ils habitent deux hôtels voisins sur les
Champs-Élysées. Ils ont tous deux épousé une fille d’un riche armateur, Fontenilliat.
Mais poursuivons avec les Périer. En 1875, lors de l’élection de la liste inamovible des sénateurs,
Laurent Casimir-Périer est élu avec la liste de gauche. Plus de la moitié de la liste républicaine est
composée de membres dont les attaches au monde Orléaniste, Légitimiste ou Bonapartiste sont
connues. À la chambre des députés en 1876, Jean Casimir-Périer, fils d’Auguste, est élu comme
son père sur une liste de Centre-Gauche. Lors de la tentative de coup-d’état du 16 mai 1877 par
Mac-Mahon et De Broglie, les deux Casimir-Périer signent le manifeste dit des « 363 » aux côtés
du socialiste Louis Blanc, de Gambetta. C’est une espèce de déclaration de guerre aux
monarchistes. Jean-Casimir prend le siège de député de son père puis devient vice-président de la
Chambre en 1885 et en 1893. Après avoir dirigé le gouvernement de décembre 1893 à mai 1894, il
accédera à la magistrature suprême, à la présidence de la République le 27 juin 1894.
Le gendre de Jean-Joseph Périer, l’oncle d’Auguste et régent lui-même de la Banque de France
jusqu’en 1868 président de la banque Périer-Frères, des Assurances La Nationale-Vie, est le
Comte de Montebello, lui-même parent d’un autre ministre de Centre-Gauche, Léon Say. Deux des
cousines germaines d’Auguste Casimir-Périer sont mariées à deux sénateurs inamovibles du
Centre-Droit sous la Troisième République, Louis Vitet et François de Chabaud-Latour. Les
Chabaud-Latour ne sont pas non plus des sujets négligeables dans l’histoire économique et
politique du XIXe siècle. La fille d’Auguste, Henriette, se mariera en 1866 à Louis de Ségur,
membre du Centre Droit qui se ralliera à la République en 1874. Jean Casimir-Périer est également
au conseil d’administration de l’école de Sciences Po.
Nous pourrions continuer ainsi longtemps mais arrêtons-nous là, car l’imprégnation du siècle par la
famille Périer est suffisamment significative.
On compte 52 ministres et secrétaires d’État des mêmes familles du centre Gauche, qui furent
entre 1800 et 1882 absolument de tous les régimes, de Napoléon Ier à la Troisième République. Ils
siègent dans les conseils d’administration des affaires industrielles et financières les plus
importantes. À côté de leurs postes officiels, les représentants les plus éminents de ces familles
ont occupé un très grand nombre de fauteuils académiques, à l’Académie française, à celle des
Sciences Morales, parfois même à l’Académie des Sciences.
Mais ce n'est pas qu'un phénomène français. Il y a la même chose par exemple en Allemagne. Le
pouvoir politique direct de la banque et notamment de banquiers juifs, vit apparaître dans ces
années 1870 toute une série de pamphlets contre la domination de l'argent et des juifs.
La banque Bleichröder fut fondée en 1803. Après des débuts modestes, elle prit de l’importance à
partir de 1828, date à partir de laquelle elle se transforma peu à peu en interlocuteur et finalement
en représentant principal à Berlin des Rothschild de Francfort. Elle s’enrichit par exemple du
remboursement de l’emprunt émis par la ville de Berlin pour payer les frais d’occupation de la ville
par les troupes de Napoléon Ier, remboursement qui courut jusqu’en 1863. Depuis 1855, Gerson
Bleichröder était le directeur de l’entreprise. Comme la banque Rothschild, cette banque travaillait
sur le marché des emprunts d’État et sur celui des actions de chemin de fer. En 1859, Gerson
Bleichröder réussit à rassembler un emprunt de trente millions de thalers levé par l’État prussien.
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Ainsi débuta l’ascension de l’homme le plus riche de Berlin. Sur la recommandation des Rothschild
de Francfort, Bismarck lui confia la gestion de son patrimoine. Lorsque c’était nécessaire, Bismarck
correspondait hors du circuit diplomatique avec Napoléon III par l’intermédiaire de Bleichröder et
James de Rothschild. Sa clientèle s’élargit aux milieux de la cour et du gouvernement. Dès lors, le
premier occupa à Berlin une position qui correspondait à celle des Rothschild à Vienne, Londres ou
Paris. Quand éclata le conflit, il souscrivit jusqu’à trois millions de thalers à l’emprunt de guerre.
Des deux côtés, la guerre de 1870 était financée par la banque Rothschild. Quel que soit le
vainqueur, la banque gagnait.
Pour la France, les coûts de la guerre impériale et le paiement de la contribution eurent des
conséquences assez lourdes. La république payait les coûts de la guerre de l’Empire et les intérêts
que les banquiers français et allemands, liés par une solide amitié, exigeaient. En France, on
s’abrita alors discrètement, pour pouvoir lancer cet emprunt sans que l’on crie au scandale,
derrière la figure d’un Thiers, qui lui s’était prononcé contre la guerre et apparaissait comme tel aux
yeux du grand public.
Pour l’Allemagne, les conséquences à long terme des 5 milliards furent plus décisives. Les activités
spéculatives se multiplièrent. En Prusse, de 1790 à 1870, en 80 ans, on avait fondé au total deux
cent soixante-dix-neuf sociétés anonymes par action. De 1871 à 1872, en seulement deux ans, ce
sont sept cent soixante-deux nouvelles sociétés de ce type qui virent le jour. C’est le début de
l’époque des agioteurs qui mena au grand krach de 1873, qui entraîna des centaines de faillites
avec leurs cortèges de licenciements et de drames.
De nombreux pamphlets politiques qui se propageaient rapidement et largement en France et en
Allemagne attaquèrent violemment la Bourse, la finance et ses représentants. Le pamphlet le plus
connu en France était celui d’Alfred Sirven, La Forêt de Bondy. La forêt de Bondy avait la
réputation proverbiale de servir d’abri aux brigands et aux assassins. De nombreux voyageurs,
notamment des commerçants, y furent attaqués. C’est ainsi qu’aux yeux de l’auteur, les boursiers
étaient les bandits de grand chemin des temps modernes. Sur la couverture de cette brochure, on
lit la devise : « Les affaires, c’est l’argent des autres. » Ce dicton vient du duc de Morny, demi-frère
de Napoléon III, personnage important de l’Empire et affairiste notoire. Dans sa brochure, Sirven
constate qu’il n’a servi à rien de renverser la monarchie, l’Empire et de proclamer la république car
il existe toujours des rois non couronnés qu’aucune révolution n’a encore détrônés : « ces
canailles, les boursiers impudents. » Par leur richesse, ces « Attila de la Bourse » dominent
l’opinion publique comme ils le veulent et pillent leurs victimes par des articles de journaux, des
prospectus publicitaires, des rapports falsifiés, des calculs chimériques et des promesses creuses.
L’épargne des honnêtes gens passait entre leurs mains.
En Allemagne, l’exemple le plus célèbre de ce genre de littérature fort répandue à l’époque est une
série d’articles parue en 1874 dans l’hebdomadaire Gartenlaube. Elle a été écrite par le journaliste
berlinois Otto Glagau et se réfère aux faillites et aux chutes des cours qui s’étaient déjà produites
en 1871-1872, avant le grand Krach de 1873. Pour Glagau, l’origine des escroqueries boursières
se trouvait à Paris. Et lui aussi mêlait antisémitisme et nationalisme comme dans la forêt de Bondy
(Il y avait donc déjà l'équivalent des sentiments qui font les Le Pen. Rothschild était au pouvoir ne
l'oublions pas). Voilà donc quel était l’air du temps dans ce début des années 1870.
Naissance de l’Etat républicain
Sous la poussée ouvrière dans ces années 1871 à 1879, les bourgeois républicains mettaient
définitivement fin à la monarchie et à la domination cléricale, assuraient la liberté de la presse,
d’association et de réunion et instituaient l’obligation scolaire tels qu’on les connaît à peu de chose
près maintenant.
Jusqu’à la troisième République, l’Etat se résume essentiellement aux forces de répression, police,
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justice, armée. Il n’y a pas de service public. L’école est réduite au minimum et réservée à une
élite. Le système de santé n’existe quasiment pas. Il n’y a pas de protection sociale, maladie,
chômage, retraites, pas d’assurances, pas de logements à bon marché, pas de lois protégeant ou
organisant quelque peu le travail, pas de SMIC, pas de limitations des heures de travail. Rien de
tout cela. Il y a seulement un système de charité laissé à la libre initiative des riches ou des
industriels. Ainsi les industriels de Mulhouse qui ont la réputation d’être à la pointe du progrès
social construisent petites maisons et jardins pour leurs ouvriers et leur assurent - sur des
cotisations ouvrières soustraites à leur maigre salaire - des mutuelles de solidarité en cas de
maladie, accident chômage ou retraite. En fait c’est un moyen de tenir un peu plus les ouvriers.
S’ils perdent leur travail, ils perdent aussi leur logement et s’ils sont licenciés, ils perdent toutes les
cotisations qu’ils ont versé aux caisses patronales pour le chômage, la retraite, les accidents ou la
maladie. Ainsi il suffit aux patrons de licencier leurs ouvriers avant l’âge de la retraite pour disposer
des fonds des sociétés de secours mutuels. Quand aux jardins, ils permettent de compenser la
faiblesse des salaires.
La Troisième République va développer considérablement l’Etat, son emprise sur la société et
donc multiplier les fonctionnaires.
La première institution politique crée par cette république du Centre Gauche et que nous
connaissons toujours aujourd’hui est la présidence de la république. C’était une concession aux
monarchistes qui espéraient que le président, pour peu que son pouvoir soit un peu prolongé, se
transformerait à nouveau en roi. Deuxième institution, le Sénat. Face à une assemblée législative
élue par le peuple et donc un peu trop sensible à ses humeurs il fallait une autre chambre non élue,
(à cette époque) composée de notables choisis à vie (comme la chambre des Lords en GB), pour
contrôler et modérer la chambre des députés. Troisième institution, une armée de conscription
permanente pour mettre sous la tutelle des officiers monarchistes la jeunesse ouvrière et
l’embrigader dans un nouvel idéal qui soit commun à toutes les classes sociales et que les
républicains inventèrent à ce moment : la patrie. En fait ; bien évidemment la grande bourgeoisie
n’éprouve aucun sens patriotique. Ce n’était qu’un moyen de soumettre les classes populaires au
sacrifice de leur vie pour les intérêts financiers. Quatrième institution : le suffrage universel, mais
uniquement masculin. Cinquième institution : l’école primaire qu’il fallait développer avec le fameux
Jules Ferry (massacreur par ailleurs des peuples coloniaux) afin que la nouvelle industrie dispose
d’ouvriers capables de lire et écrire, capables de lire des consignes et de faire marcher les
machines modernes. Dés l’école on apprend à chanter la Marseillaise et la gymnastique dès l’école
primaire est conçue comme un apprentissage et un embrigadement militaire. On y apprend par
exemple à défiler avec des fusils en bois ou à jeter la grenade (avant de jeter le poids). On
présente l’école primaire comme un grand progrès social mais on oublie de dire que ce n’est qu’un
juste et tout petit retour au fait que la classe ouvrière paie en permanence et depuis longtemps par
son travail les études universitaires des fils de bourgeois.
Pour encadrer le tout, des universités qu’on développe à partir de 1877 et des universitaires
conçus pour remplacer les petits notables féodaux par une nouvelle élite et chargés de former les
enseignants du primaire. L’université et donc chargée de revoir tous les manuels scolaires et de
réinventer une nouvelle histoire de France où tout convergerait pour mener à la république et à
l’esprit national conciliant patrons et ouvriers. On invente des nouveaux mythes républicains
nationaux et de nouveaux héros communs à toute la nation, Vercingétorix, Jeanne d’Arc, Pasteur
et quelques autres.
Les progrès de la science au service de l’industrie sont présentés comme les seules possibilités de
progrès pour tous indépendamment de savoir qui est propriétaire du capital et à qui profite
essentiellement les innovations techniques. Ces manuels ont eu cours jusque dans les années
1970. On crée en 1876 une école politique spéciale, qui existe toujours, pour former une élite
bourgeoise à même de combattre l’influence des idées socialistes. C’est Sciences Po. Puis plus
tard l’ENA.
Une fois cet encadrement mis en place le pouvoir tentera avec ces armes d’intégrer et de
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domestiquer la classe ouvrière au début des années 1880.
La petite bourgeoisie et la « vraie république »
Pour domestiquer le géant naissant et combatif qu’était la classe ouvrière dans sa jeunesse, les
seules institutions bourgeoises ne peuvent pas suffire, la bourgeoisie a besoin de troupes en
masses. Pour cela elle va essayer de s’appuyer sur la petite bourgeoisie. Pourtant la situation n’est
pas si simple car cette petite bourgeoisie vient en grande partie de faire la Commune et les artisans
et petits commerçants forment bien souvent à cette époque les troupes du socialisme anarchiste
coopératif et mutuelliste.
Dès le milieu des années 1870, les dirigeants républicains purs –notamment Gambetta prétendront défendre ce qu’ils appellent les nouvelles classes moyennes tout à la fois contre la
grande industrie ou le grand commerce (c’est à cette époque que naissent les grands magasins)
qui menacent de faire disparaître le petit artisanat et le petit commerce et contre le socialisme
ouvrier dont ils prétendent qu’il menace la petite propriété en voulant tout socialiser.
Du point de vue politique, la grande bourgeoise commence par se faire plus discrète et laisse la
place à des représentants de la petite bourgeoisie, avocats, médecins, enseignants. Elle licencie
tout ce qui pouvait rester de fonctionnaires monarchistes. Elle développe la république
parlementaire où chacun peut avoir le sentiment de contrôler l’orientation de la société par son
suffrage. Du point de vue économique elle développe les sociétés par action où chaque petit
bourgeois détenteur d’actions peut croire qu’il a les mêmes intérêts que les grandes sociétés, du
point de vue financier elle augmente la dette publique par laquelle chacun peut croire avoir une
petite part de propriété sur l’Etat. Elle développe des banques de dépôt où chaque épargnant à
un intérêt à la réussite de la banque. Par tout cela la société républicaine bourgeoise va s’attacher
la petite bourgeoisie.
En conséquence dans ces années-là, le républicanisme qui occupe tout l’espace politique est très
varié et très divers. Il y a un éventail républicain qui va de la grande bourgeoisie d’affaires à
l’extrême gauche républicaine et sociale qui n’hésite pas pour cette dernière à se mettre à la tête
du mouvement ouvrier avec un vague programme socialisant. Mais la grande bourgeoisie bénéficie
surtout malgré de la formidable poussée ouvrière des années 1870, après le massacre de la
Commune, de l’absence de véritables militants et organisations socialistes.
Construction d’une idéologie bourgeoise républicaine de l’ouvrier
Pour entraîner le monde ouvrier il ne suffit pas de quelques syndicalistes ou députés. Il faut un
levier humain bien plus puissant.
La République veut gagner les nouvelles couches moyennes durant les années 1878 – 1885 pour
qu’elles relaient et diffusent l’idéologie bourgeoise vers les couches plus pauvres par le biais de
leurs hommes politiques, députés, maires, journalistes, scientifiques, instituteurs, notaires,
médecins, avocats, curés, bistrotiers, commerçants et artisans, universitaires et écrivains
Pour entraîner ces couches moyennes, en même temps qu’ils inventent la nation, les républicains,
depuis le chef du gouvernement jusqu’au dernier des journalistes en passant par les dirigeants
mineurs, construisent à leur destination une nouvelle image de l’ouvrier en prenant le mineur,
comme modèle. Dans ces années où naît le journal à distribution de masse ses pages vont être
envahies de reportages, de statistiques, d’analyses, d’études et de romans sur ce thème. Pendant
dix ans environ, des journalistes, des écrivains ou des sociologues répondant à des
parlementaires, des juristes, des instituteurs, des universitaires ou des ministres vont ouvrir les
grands chantiers de la construction d’un nouvel imaginaire social. Ils vont mener une expérience
grandeur nature d’élaboration d’une nouvelle manière de voir la réalité ouvrière. L’opinion publique
qui se crée avec l’apparition du suffrage universel, du parlementarisme, des journaux de masse,
l’éducation pour tous et la naissance de couches moyennes urbaines assez cultivées va être le
terrain d’expérimentation et de propagation de cette manière de voir l’ouvrier pour mieux le
domestiquer.
23
L’image du mineur qu’ils construiront sera faite d’un côté de la description de la misère de sa
condition et de l’autre d’un cri de pitié à son égard. L’image associera l’héroïsme au travail du
mineur au respect et à l’estime que la société doit à ses héros. « Le mineur mêle selon lui une
sorte de virilité dans le travail à un dévouement mêlé d’orgueil. Les mineurs sont trempés à une
école de courage, de patience, de résignation ».
Dans cette lutte, pour convaincre et attirer à eux les mineurs, les républicains déploient une
stratégie qui consiste non pas développer l’organisation des mineurs et à la défense de leurs
intérêts par eux-mêmes mais à soutenir les mineurs en apitoyant l’opinion publique sur le sort que
leur font les grandes Compagnies minières qui sont pour l’essentiel dirigées par des bonapartistes
ou des royalistes.
La mauvaise mine dirigée par un bonapartiste pousse les mineurs à la révolte par les mauvaises
conditions de travail qu’il impose.
Chaque accident du travail était pour les journalistes républicains l’occasion d’attirer l’opinion et de
l’apitoyer sur la vraie misère du mineur. G. Stell, un de ces journalistes républicains, va exceller à
cela dans ses articles. Il va tout dire, tout décrire sur les conditions de travail des mineurs et son
récit misérabiliste vaudra acte d’accusation. Lisons-en quelques lignes.
« Accablé de chaleur, mouillé par l’eau, complètement nu, il halète, il souffre ». « Il n’existe pas de
labeur plus dur, plus écrasant plus répugnant… » Puis « l’homme remonte péniblement. Il suit le
méandre des galeries par des chemins accidentés, toujours dans la nuit, les pieds dans l’eau. Il
monte, redescend, oblique à droite à gauche guidé par le feu terne des lampes et les coups de
sifflet du porion, longe les couloirs étroits, empestés, encombrés, se gare des wagonnets lancés à
toute vitesse sur les rails. En cheminant, il s’applaudit d’avoir cette fois encore échappé au coup de
grisou, à l’éboulis, l’incendie, à l’inondation, au feu des coups de mine. Il arrive au jour éreinté, noir,
les vêtements mouillés par la sueur, les yeux brûlants, l’estomac irrité, la tête pesante. Il a souvent
2, 3 ou 4 kilomètres de marche avant de tomber inerte sur un siège dans sa misérable demeure.
Heureux s’il a une veste de rechange et s’il trouve une famille qui le reçoive avec le sourire. Il a
peiné pendant 12 heures. Il va dormir pendant 8 heures et retomber le lendemain dans cet enfer
que Dante n’a pas osé rêver. »
A ceux parmi les plus conservateurs qui pouvaient craindre que les accusations de G.Stell et ses
amis encouragent la révolte, les républicains répondent que la grève ou la révolte ne sont en
définitive que l’envers d’une vertu et d’une sagesse populaire authentique qu’il s’agit de retrouver
en mettant fin au pouvoir abusif des Compagnies minières. D’une part la grève n’est que le produit
du bonapartisme et de son mélange d’oppression et de démagogie ouvrière. D'autre part, la
brutalité, la sauvagerie de la réponse ouvrière ne sont que l’expression d’une virilité niée, de la
noble vertu d’un héroïsme guerrier bafoué et d’un amour profond du travail mais blessé qu’il s’agit
de canaliser par des mesures appropriées. La grève n’est qu’une rébellion malheureuse que les
républicains s’autorisent à comprendre et à domestiquer par une figuration et une célébration
appropriée : en renvoyant aux mineurs par un miroir littéraire une image de leur colère qui ferait
rentrer leur corporation dans la nouvelle geste mythologique de la république naissante.
La « vraie république » des romanciers sociaux
Le tournant des années 1880, la politique d’intégration des ouvriers à la République, est rendu
possible par la présence d’un courant républicain militant radical qui faisait vivre le mythe de la
République qui doit s’épanouir en république sociale, mythe qui fonctionne à plein dans la
population minière en ce début des années 1880.
L’existence de ce courant républicain radical se limita aux années 1875-1885. Son programme était
celui d’une « République vraie »à la frontière entre république modérée et socialisme. Ce groupe,
dans un premier temps informel, apparut publiquement en août 1876 sous le nom parlementaire
d’Extrême-gauche. Il avait regroupé tout d’abord d’anciens quarante-huitards comme Louis Blanc,
Quinet ou Ledru-Rollin, mais il reçut toutefois le renfort à partir de 1875 de jeunes députés qui
refusèrent les lois constitutionnelles qui fondèrent la république cette année-là qu’ils considéraient
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comme une monarchie Orléaniste déguisée.
Sur la gauche de ceux qu’on qualifiera désormais « d’Opportunistes » se dégageait donc ce
courant plus radical, qu’on nommait aussi les « Intransigeants » et dont Clemenceau était une des
figures les plus connues. Ils avaient la nostalgie d’un temps où, dans l’opposition, les frontières
entre le républicanisme et le socialisme n’étaient pas aussi marquées qu’elles le furent après les
années 1890. Et dans cette période où le socialisme peinait encore à renaître du désastre de la
Commune et où les Opportunistes étaient rejoints en nombre par les anciens royalistes, que
beaucoup de républicains « vrais » maintenaient le drapeau de la « république sociale » faite plus
de grandes déclarations que de réalisations concrètes.
Le milieu des mineurs resta longtemps sous l’influence de ces républicains radicaux. C’étaient
souvent d’anciens Communards qui ne rejoignaient pas le socialisme, mais qui jouaient de leur
notoriété passée pour chercher une entente avec le mouvement ouvrier et le socialisme renaissant.
Ils se disaient socialistes souvent, reconnaissaient parfois la lutte de classes, faisant passer la
barrière entre bourgeois et prolétaires au milieu du parti républicain entre opportunistes et radicaux,
mais dans les faits étaient tout aussi modérés que leurs rivaux républicains. Ils ne remettaient pas
en cause la propriété privée et avançaient essentiellement comme programme social l’idée des
coopératives populaires.
Les écrivains jouèrent un rôle tout particulier dans cette mouvance.
Gambetta avait appelé en mai1874 toutes les élites de la société française, aristocrates, hommes
de lettres et artistes, à rallier la République. Sur sa gauche surgit une foule de poètes ouvriers et
de romanciers sociaux, aujourd’hui oubliés, qui élèvent alors la voix. Face aux Académies
littéraires où dominent les Orléanistes fraîchement convertis à la République, les cafés républicains
et leur bohème opposent la « république démocratique et sociale « de 1848 y compris dans les
lettres et les arts. Et dans le no man’s land politique et juridique des années 1870, dans cette
période où l’industrialisation croissante de la société s’accompagnait d’une absence de militants
ouvriers, les voix littéraires de ces radicaux teintées de sentimentalisme social prenaient le
caractère d’un drapeau sinon d’un programme. Ils maniaient plus les belles phrases que les projets
concrets, mais ils occupèrent tout un espace politique. Et ce sont eux, ces journalistes, écrivains et
poètes républicains radicaux, qui maniant la plume et le verbe aux frontières du socialisme
alimentèrent l’opinion de la nouvelle image de l’ouvrier et de la République sociale. Il y eut une
dizaine d’années entre 1875 et 1885 environ où romanciers sociaux et poètes ouvriers socialisants
pour qui le socialisme est un vague sentiment de solidarité à base de résignation firent de leur
littérature un programme social pour la République (Michael Moore ou Ken Loach) qui est encore
aujourd’hui celui de ce qu’on appelle la gauche (voire l'extrême gauche).
LES ANNEES 1878-1885 : L’ELABORATION D’UNE POLITIQUE SOCIALE PAR LA
REPUBLIQUE
A partir de 1876, on va assister aux premiers congrès ouvriers nationaux et à une réapparition des
organisations socialistes. Dès lors entre la grande bourgeoisie s’appuyant sur la petite bourgeoisie
républicaine et le mouvement ouvrier socialiste renaissant, il y a une course de vitesse pour donner
des organisations, un programme et des dirigeants aux combats de la classe ouvrière.
En 1880, l’amnistie des Communards est proclamée, les poursuites s’arrêtent et les exilés peuvent
rentrer. Ce n’est pas un geste généreux mais intéressé pour essayer de s’attacher un certain
nombre de personnalités Communardes bénéficiant d’une certaine notoriété, mais dont les
bourgeois savaient par expérience – parce qu’ils les avaient vu à l’œuvre à la chute de l’Empire
comme Rochefort par exemple - que leur radicalisme n’allait pas jusqu’à s’attaquer aux racines du
capitalisme, la propriété des grands moyens de production.
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La grève d’Anzin de 1878, les mineurs et le syndicalisme républicain
En 1878 une nouvelle grève vient d’éclater à Anzin. Un ministre écrit : « La grève en question
m’inquiète. Les ouvriers s’expriment difficilement, font valoir avec peine leurs réclamations ; la loi
de 1864 [qui abolit l’interdiction d’association pour les ouvriers] est une chausse-trappe sous le pas
des ouvriers. Elle a produit les douloureux événements de Aubin [grève qui éclate juste après celle
de La Ricamarie et qui s’était aussi terminée par une fusillade de la troupe et des morts parmi les
mineurs]. Il ne faut pas qu’ils se renouvellent sous la République. »
Le message est clair. C’est l’Empire et sa démagogie sociale qui sont cause des grèves violentes.
Les grèves de La Ricamarie et d’Aubin à la fin des années 1860 sous l’Empire ont sonné le glas du
régime de Napoléon III. Il ne faudrait pas qu’une nouvelle grève des mineurs sonne à son tour le
glas de la République. La grève d’Anzin n’était en effet pas isolée mais surgissait au contraire au
milieu d’une nouvelle vague de grèves comme en avaient connu les dernières années de l’Empire
avant sa chute. Cette reprise générale du mouvement social dont les mineurs fournissent les plus
gros bataillons va durer jusqu’en 1882 avec un sommet vers 1880.
Dès 1878, la république vient de gagner contre les monarchistes mais toute la classe politique
s’inquiète. Membres du gouvernement, députés, préfets, responsables de la police et de l’armée,
patrons et économistes, journalistes et éditorialistes d’une république encore bien fragile et qui se
cherche encore, scrutent anxieusement la situation. Le préfet de police de la région d’Anzin
écrit : « les grèves pourraient devenir menaçantes, la classe ouvrière pourrait prendre goût à la
grève et il faut perdre ce goût parce qu’il est dangereux ». Les républicains qui sont en train
d’accéder à tous les pouvoirs, s’emploient à éviter la propagation du mouvement et à son
unification. Ils lancent de nombreux appels au calme et à la prudence. Ils dénoncent les
manipulations étrangères dont ils accusent les grévistes.
Lors de la grève de 1878 à Anzin, la situation des mineurs, livrés à eux-mêmes, nombreux mais
sans aide, avait atteint les limites du supportable. Les grévistes se sentant traqués vivent en
bandes dans les bois; ils y campent, bivouaquent, font la cuisine. Ils restent là pendant que les
femmes et les enfants vont mendier dans les rues de Valenciennes.
« Des enfants presque nus, sans bas, sans chaussures, écrit le correspondant de La Marseillaise,
quelques-uns sans chemise, le corps couvert tant bien que mal d’une blouse déchirée, d’une moitié
de pantalon faite de pièces et de morceaux; s’en vont de porte en porte ou accostent timidement
les passants pour obtenir de quoi acheter du pain. Quelques-uns sont encore si jeunes, si petits,
qu’ils sont obligés de se faire la courte échelle pour atteindre un bouton de sonnette. Nulle part je
n’ai vu la misère sous des couleurs plus sombres, réellement affligeantes. »
La propagande républicaine ne restera pas sans effet. Cette grève-là ne s’étendra pas.
Mais c’est à l’occasion de l’inquiétude soulevée par cette vague de grèves que les grands
bourgeois libéraux qui dirigent le camp républicain, comme Waldeck-Rousseau, font définitivement
leur prise de conscience sociale et choisissent sans plus aucun remords la république comme
moyen de maîtriser le monde du travail.
En effet le débat social entre les mineurs et les Compagnies minières s’est durci tout au long des
années 1870. Bien des grèves, et pas seulement des mineurs, ont pour objet la remise en cause
du système paternaliste de protection sociale qui perdurait au travers de l’Empire depuis l’Ancien
Régime. Les ouvriers ne s’en satisfont plus et l’explosion industrielle amorcée sous le Second
Empire donne autant de réalité à la question posée par le monde du travail et de poids au
mécontentement ouvrier. Le système paternaliste de protection sociale et de domestication
ouvrière paraît complètement désuet et dépassé. De plus les patrons monarchistes, comme on l’a
vu, essaient de mettre la main sur les mutuelles créées par les ouvriers. Jusque là l’œuvre
républicaine a été essentiellement politique, institutionnelle.
La république n’avait pas de programme social.
Mais dans cette situation, l’Etat républicain s’inquiète aussi bien de l’intransigeance des dirigeants
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des Compagnies minières – pas toujours dénué d’arrières pensées politiques car ils sont en
majorité légitimistes ou bonapartistes – que du surgissement des grèves sur fond de fantasme des
nantis à l’égard de l’Internationale. La réapparition, après la Commune, des premiers congrès
ouvriers dès 1876-1877 et le triomphe en leur sein en 1879 des thèses collectivistes fait resurgir le
spectre du communisme.
Que faire ? On ne peut recourir à la répression violente du type Commune tous les dix ans. Il faut
trouver une autre réponse à la question ouvrière révolutionnaire. Les républicains sont au pied du
mur et mis au défit d’inventer de nouveaux garde-fous que les vieilles institutions patronales ne
suffisent plus à maintenir. Tout le personnel politique républicain qui arrive au pouvoir à la fin de la
décennie de 1870 est directement confronté à l’urgence d’une nouvelle révolution ouvrière qui
menace. La République va inventer l’Etat comme régulateur du débat social. Elle va faire entrer les
rapports sociaux dans l’ordre de l’institutionnel et du négociable ce qui était laissé jusqu’alors à
l’action spontanée, émotionnelle des relations individuelles entre patrons et ouvriers. Ce rapport est
désormais appelé à entrer dans l’ordre des règles nouvelles que va construire la législation
ouvrière. La propriété privée sans être remise en cause, va être plus encadrée, l’Etat représentant
les intérêts généraux de la bourgeoisie va s’autoriser peu à peu à intervenir dans les affaires de
chaque patron, à réglementer l’organisation du travail pour mieux défendre l’ensemble du système
capitaliste.
Le pari de Waldeck-Rousseau - qui va jouer un rôle prépondérant dans la mise en œuvre de cette
nouvelle politique sociale – est de favoriser « l’association ouvrière comme régulateur, agent
d’équilibre des forces sociales ». Il déclare en 1884 : »Les syndicats ne font pas seulement les
grèves, ils les régularisent, les disciplinent » . L’objectif est de dissoudre la question ouvrière en de
multiples questions sociales suivant la formule de Gambetta : »il n’y a pas La question sociale, il
n’y a que Des question sociales ».
Pour pacifier les relations sociales, il faut aux républicains d’une part soustraire le monopole
idéologique de la question sociale à l’Eglise et aux socialistes et d’autre part empêcher le face à
face direct patrons-ouvriers par l’intervention de l’Etat et de ses lois comme intermédiaire et
médiateur. Il faut donc créer une nouvelle législation, sa culture sociale républicaine et en trouver le
personnel.
Pour cela, il s’agit de se donner comme interlocuteurs les dirigeants ouvriers, voire les former, et en
cela les soustraire à l’influence des monarchistes et des socialistes.
Waldeck-Rousseau, comme les principaux capitaines d’industrie orléanistes, sont donc favorables
à la création de syndicats ouvriers mais dans leur esprit, la liberté syndicale doit servir de rampe de
lancement à des associations qui doivent tout à la fois contrôler les ouvriers et leur redonner de
l’intérêt pour la dure besogne quotidienne. Les mineurs qui sont réputés pour avoir l’amour du
métier, vont servir de terrain d’expérimentation pour la nouvelle politique sociale de la République
naissante. Lentement et tout particulièrement autour du bassin minier de Lens va se constituer au
fil des expériences et des grèves une façon empirique de gérer la révolte, de la lier à l’Etat
républicain par la stratégie syndicale et autour de l’idée de la paix sociale. Des mentalités, des
réflexes, des arguments, des façons de faire, des résistances, bref toute une pratique
accompagnée d’un imaginaire social se forment alors peu à peu.
Dans cette histoire du mouvement ouvrier républicain, on croisera les noms de Rondet, leader
d’une grande grève des mineurs de 1869 et licencié à ce propos , ancien communard exilé puis
gracié, Basly, président du syndicat des mineurs du Pas-de-Calais, futur député (1885) et maire de
Lens, Lamendin, créateur d’une chambre syndicale des mineurs à Liévin, propriétaire du
cabaret : »A l’ennemi des tyrans », futur député et futur maire de Liévin, ou encore des hommes
comme Cordier, Beugnet et F.Evrard.
Le premier congrès des mineurs de la Loire d’Octobre 1882 servira de point de départ. Tous les
articles de Stell dont nous avons parlé plus haut sont un compte rendu de ce congrès. La publicité
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qui participe à la large diffusion de l’ouvrage de G. Stell n’est pas tant dû aux qualités littéraires de
l’ouvrage qu’au fait que ce congrès est sujet à une double attention de la part du public. D’une part,
il s’agit du premier congrès notable de la corporation des mineurs qui ébranle à ce moment la
France, ces mineurs autour desquels se focalisent toutes les tensions et tous les fantasmes du
pays. D’autre part et surtout ce congrès est la première expérience « in vivo » où les républicains
essaient leur nouvelle politique sociale. Ils le peuvent car le leader des mineurs de la Loire est un
de leurs amis, Rondet. C’est avec lui et par lui que les républicains commenceront leur nouvelle
pratique sociale. Rondet a en effet préparé le congrès avec Waldeck-Rousseau, premier ministre,
et s’est mis d’accord avec lui pour une stratégie commune. C’est la collaboration Stell, Rondet,
Waldeck-Rousseau qui donnera son contenu au mythe et sa force de propagation. En effet, le
congrès des mineurs comme la figure de Rondet sont à la « Une » des journaux républicains et ce
qui est dit à ce congrès est relayé par de nombreux journalistes, écrivains et hommes politiques qui
renvoient pour la première fois dans l’opinion la nouvelle image du mineur qu’ils vont depuis lors,
généraliser, populariser et systématiser avec une ténacité remarquable.
Ces dirigeants mineurs, arrimés à la République, mêlent une phraséologie socialiste, à une époque
où les idées socialistes ne sont guère encore différenciées, à leurs convictions républicaines et
légalistes. Il ne s’agit pas pour eux de mobiliser les mineurs dans une action autonome mais de
permettre aux députés républicains de légiférer en s’appuyant sur la mobilisation ouvrière. Leur
activité se résumera à courir après les grèves, persuader les mineurs d’y renoncer soit disant en
raison de la conjoncture économique ou politique, faire le tri entre les bonnes ou les mauvaises
revendications… Bref, assurer l’éducation républicaine des mineurs.
Ainsi on pouvait noter déjà à cette époque que « ce n’est jamais le syndicat qui est à l’origine
d’une grève, mais c’est toujours lui qui est à l’origine de la reprise. » Le syndicalisme mineur est
politique mais ses prolongements ne sont ni l’anarchisme ou le socialisme, mais seulement le
républicanisme radical. Voici ce que dit Basly, le responsable syndical qui fut longtemps
également « le » député mineur, ou minier disaient ses détracteurs, et qui trouva sa voix plus tard
dans le radical-socialisme : » Le syndicat n’est pas une arme de combat contre les Compagnies et
le capital. […] Vous avez maintenant un député mineur qui saura du haut de la tribune française
réclamer les modifications nécessaires aux lois votées en faveur des ouvriers et en demander
l’application. Que les Compagnies le sachent bien, nous ne voulons pas la grève, car nous en
connaissons les misères et du reste avec l’organisation syndicale plus de grève possible. Il y aura
le travail qui discutera avec le capital d’égal à égal pour la prospérité du pays et la grandeur de la
République. »
Pour les dirigeants républicains, résoudre la question avec les mineurs, c’est résoudre le problème
ouvrier et patronal dans son entier car les mines forment les principales concentrations ouvrières
du moment, sont au centre de l’agitation et les mineurs concentrent ainsi sur leur corporation
l’essentiel de la question sociale.
Premières lois ouvrières et le test de la grève d’Anzin de 1884
En même temps que les républicains constituent des syndicats bourgeois de mineurs, au début
des années 1880, vont commencer les grands débats parlementaires sur l’introduction des lois
sociales.
En 1880 les débats parlementaires sur les accidents du travail commencent.
En 1881 l’institution légale du Délégué ouvrier est pour la première fois mise en place avec la
création du Délégué mineur, qui peut intervenir sur les problèmes de sécurité à la mine. Toutefois
le Délégué mineur, élu par les salariés, sortira dès lors des effectifs de la mine pour être rattaché
au ministère de l’Intérieur. Caractère qu’il a encore gardé aujourd’hui.
En 1882, les premières grandes « lois ouvrières » sont votées : limitation de la durée du travail
dans les mines, création de conseils de prud’hommes miniers, loi sur l’hygiène et la sécurité du
travail dans les mines et les manufactures. En 1883, premiers débats sur les caisses de secours et
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de prévoyance en faveur des ouvriers mineurs. Enfin en 1884, débat sur la légalisation des
syndicats qui aboutira en 1885 sous le nom de loi Waldeck-Rousseau.
On attend de la loi qu’elle pacifie et moralise définitivement la classe ouvrière. On attend des
premières organisations syndicales qu’elles se fassent le canal de la « légalisation de la classe
ouvrière ». Mais en même temps les secteurs les plus conservateurs de la société s’inquiètent de
savoir si toutes ces lois ouvrières ne seraient pas les premières étapes d’un socialisme rampant. Et
du côté des militants ouvriers socialistes on combat l’enregistrement syndical obligatoire qui oblige
les militants et les adhérents à se signaler à la police, soumet le mouvement ouvrier renaissant à
un contrôle policier et confine le mouvement syndical dans un cadre corporatif et apolitique car la
loi de 1884 autorisant l’organisation syndicale interdit en effet tout regroupement syndical en
dehors d’un cadre strictement corporatif ainsi que toute organisation au niveau national.
La grève de 1884 à Anzin fera objet de test national. Au moment où la légalisation des syndicats
est à l’ordre du jour parlementaire, cette grève permettra de tester l’efficacité de la politique
républicaine.
Elle testera des réelles intentions des républicains et de l’efficacité de leur stratégie. C’est pourquoi
P.Lafargue, Jules Guesde, Jules Vallès ou Zola feront le déplacement à Anzin.
Dans cette grève, ce sont les députés républicains radicaux Girard et Giard du Valenciennois qui
vont couper l’herbe sous le pied aux socialistes et aux bonapartistes. Ils président en juillet 1883 au
premier congrès syndical d’ouvriers mineurs du Nord. Les interpellations des députés républicains
à la Chambre aboutissent en 1884, en plein conflit d’Anzin, à la constitution d’une enquête
parlementaire présidée par Clémenceau, ce qui lui vaudra pendant un certain temps dans les
milieux de mineurs une réputation de défenseur des pauvres. En même temps Alfred Giard dépose
un projet de nationalisation des mines à l’instar de Rondet lui-même qui avait fait de cette
revendication une protection des mineurs par l’Etat républicain et la collectivité contre l’égoïsme
des Compagnies bonapartistes. La Commission d’enquête parlementaire se prononce à l’issue de
son travail, pour le retrait d’exploitation et la déchéance des Compagnies bonapartistes qui sont
nationalisées. Clémenceau résume l’esprit de ces travaux : » inculquer à la masse populaire le
sentiment que le gouvernement de la République entre dans ses intérêts et veut absolument leur
faire justice et pour cela fait appel à la collaboration de tous, ouvriers et patrons. »
Ainsi les républicains célébreront les premiers syndicats de mineurs dirigés par leurs amis Rondet
ou Basly comme l’avant garde de la classe ouvrière, mais d’une avant garde pleine d’une sagesse
à toute épreuve. Le syndicat qu’on célèbre, hostile à la grève, devient une institution chargée de
réguler les tensions sociales.
Toute l’énergie des leaders républicains des mineurs pendant les conflits de 1883 et 1884 va être
mise, non sans succès, à donner aux mineurs des raisons de ne pas entrer en grève ou d’arrêter
les grèves. Leur technique est double. Ils argumentent tout d’abord de la manière la plus
traditionnelle en faveur de la paix sociale. Mais si cela n’est pas suivi d’effet ils vont jusqu’à
menacer la société de l’utilisation de la pire et de la plus violente des grèves générales Ainsi le
pacifique Rondet n’hésitera pas dans ses discours à recommander de jeter les directeurs dans les
fosses ou de leur écraser la tête avec des pierres. (Zola décrit les femmes de mineurs arrachant
les parties de l’épicier où l’anarchiste qui fait sauter la mine) Mais la peur créée par ce
déchaînement possible de violence issu des plus profondes strates de la bestialité humaine effraie
d’autant moins les directeurs que Rondet négocie fréquemment en sous main avec eux, leur
signalant par exemple les éléments parmi les mineurs qui lui paraissent vraiment dangereux pour
l’ordre social ou leur donnant les lieux et heures des réunions secrètes ou encore les jours de
déclenchement de certaines grèves. Par contre l’évocation de ce déchaînement de violence,
relayé par les cris d’effrois qui fleurissent dans la presse bien pensante, les arrestations
préventives de militants soupçonnés des pensées les plus noires, effraie d’abord beaucoup de
mineurs qui ne souhaitent pas en arriver à de telles extrémités. Tout en donnant la notoriété et
l’autorité du radicalisme aux leaders mineurs, cette exagération en parole de perspectives
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apocalyptiques leur permet d’agir en pratique de manière très réformiste et prudente. Grandes
gueules et vendus.
Mais la bourgeoisie s’inquiète toutefois de la tactique sociale des républicains ; les campagnes de
dénonciation des républicains ne sont elles que paroles en l’air ? Leur politique est-elle un
marchepied vers le socialisme ou veulent-ils réellement lutter contre le collectivisme ? A ces
interrogations Waldeck-Rousseau va rapidement répondre en donnant le signal du revirement et
les républicains ne vont cesser de prêcher conciliation et modération. Ils lâchent les mineurs qu’ils
courtisaient jusqu’alors et illustrent le dernier volet de leur politique sociale : le combat contre le
collectivisme. Les républicains expliquent que la tentation dévastatrice de l’autonomie ouvrière du
mouvement ne peut déboucher que sur la sauvagerie des mineurs et tout particulièrement de leurs
femmes et d’autre part sur la démagogie et le terrorisme fou des anarchistes. Le préfet va accuser
les femmes de mineurs d’Anzin d’exciter leurs maris à faire sauter les puits ce qui va servir de
prétexte à Waldeck-Rousseau pour faire occuper le bassin par la troupe. Il accuse alors « le
gouvernement occulte que les mineurs se sont donnés. Cela me rappelle les pouvoirs inconnus,
qui, du fond des cabarets, y renversaient les quartiers de Paris avant le 18 mars 1871, voulant
greffer une agitation politique sur la grève ». Vieille calomnie, la grève politique ne peut surgir que
des brumes de l’alcool contre la sagesse de la grève apolitique et corporatiste.
A Anzin en 1884, c’est l’attitude du directeur, Guary, qui provoque les émeutes du 4 avril. Le 1er,
les délégués mineurs ont avec lui une ultime entrevue, respectueusement sollicitée : « Nous avons
été délégués par notre commune de venir vous faire nos propositions qui sont tout simplement :
travailler comme par le passé et réintégrer nos collègues congédiés sans motifs plausibles. » (Le
motif de la grève est le licenciement de mineurs soupçonnés d’être socialistes.) Refus de Guary qui
réplique sur le second point « que la Compagnie n’avait pas voulu expulser tous les ouvriers qui
cherchent à lui nuire, car il y en a bien six cents de cette sorte sur le chantier. » Le bruit court
alors de nouveaux renvois massifs, et le 4, une foule de 3000 mineurs se porte vers une fosse pour
empêcher les mineurs descendus de remonter et détruire les machines ; la lutte dure tout l’aprèsmidi et il faudra l’arrivée de renforts de gendarmerie, puis d’un détachement de dragons, général
en tête, pour dégager le puits. Le bassin connaît alors trois jours de troubles graves. Pour chaque
grève c’est l’attitude d’un patronat de combat qui provoque la réponse ouvrière violente. « Pas de
violences » telle est par contre la consigne des syndicats de mineurs républicains dans le NordPas-de-Calais comme dans la Loire. Basly, dirigeant de la grève, prêche incessamment le calme et
sous son influence les mineurs rentrent en salle pour s’informer et discuter.
L’usure, la fatigue, la propagande républicaine, la modération, les tromperies et la trahison des
leaders, l’action de la troupe et l’absence de véritables dirigeants ouvriers socialistes auront raison
de la grève d’Anzin de 1884. Les républicains ont gagné leur pari et garantissent ainsi la stabilité
de la République.
A partir de 1880, la violence sauvage des grèves s’estompe du fait du développement d’un
syndicalisme de participation, notamment dans les grèves de mineurs
Inversement et en conséquence, à cause de la répression qu’ils ont menée, les républicains
perdent en influence dans le mouvement ouvrier et socialiste dont l’essor va s’accélérer au milieu
de ces années 1880. Le type d’organisation syndicale des mineurs avancé par les républicains,
corporatiste et avec son délégué mineur aux pouvoirs importants mais soumis à l’autorité du
ministère de l’Intérieur, ne s’étendra pas aux autres catégories d’ouvriers. C’est au contraire le
modèle socialiste ou anarchiste de l’organisation syndicale qui s’imposera peu à peu.
4 :1872-1889 : La classe ouvrière s’organise
Nous avons vu précédemment comment, après la Commune de Paris, le nouvel Etat républicain a
tenté de domestiquer la classe ouvrière. Maintenant nous verrons comment le mouvement ouvrier
se développa et s’organisa pour donner jour à ses formes actuelles.
30
Les grèves des années 1870 après la Commune et leurs sens politique : un véritable
programme politico-social ouvrier, révolution sociale
De 1873 à 1890, il y eut une nouvelle explosion de grèves, une poussée irrésistible. Si l’on prend la
statistique établie de 1871 à 1913, il y a une augmentation des journées de grèves de 2858% ! 500
000 journées de travail perdues dans les années 1870 pour une population ouvrière de trois
millions d’individus. Avec une poussée aussi irrésistible du succès des grèves, 64% de succès
entre 1871 et 1890.
Des grèves de mineurs avaient éclaté en 1872 dans le Pas-de-Calais et le Nord, grèves qui vont se
renouveler dans les années qui suivent avec presque toujours les mêmes revendications. On note
des dirigeants de luttes très jeunes, l’âge moyen des principaux leaders tourne autour de 25 ans
mais on en compte quelques-uns de 14, 15 ou 16 ans. On travaillait tôt à cette époque.
On arrête des grévistes, et rapidement le mouvement prend des allures d’émeute.
Mais que veulent les grévistes ?
Ils remettent en cause principalement les dispositifs patronaux de protection sociale de l’Ancien
Régime qui les mettent en tutelle. Ils refusent que les patrons mettent la main sur les finances des
caisses de secours que les ouvriers ont mis en place, ils réclament le contrôle sur toutes les
caisses de secours prévues en cas de maladie, d’accident, de chômage. Car les ouvriers ont
multiplié pendant toutes les décennies passées les coopératives de consommation pour réduire les
prix et les mutuelles pour se protéger de la maladie, du chômage ou de la vieillesse. Derrière le
refus de l’aumône, de la charité patronale, se profile la volonté d’un ordre social ouvrier, une remise
en cause de tout l’ordre social établi.
La Commune avait été battue, mais son enseignement n’avait pas été perdu.
Une fois débarrassée des scories du féodalisme la république devient le terrain dégagé de
l’affrontement direct entre les deux classes qui font l’économie moderne, ouvriers et bourgeois,
socialisme ou capitalisme. Nous entrons dés lors dans une période qui voit apparaître toutes les
formes modernes des luttes de classes, grèves de masse, grève générale et révolution ainsi que
des organisations qui la mène, partis et syndicats.
Jusque là, le socialisme et la révolution étaient l’objet de petits groupes qui pensaient en termes de
coups de mains, de barricades, d’insurrections armées, d’organisations secrètes. A partir de là, le
mouvement ouvrier va penser en termes de luttes de masses et d’organisations qui lui sont
adaptées. Bien sûr entre l’évolution historique, sociale et la conscience que s’en font les hommes, il
y a toujours un décalage et il faudra au moins ces deux décennies 1870 et 1880 pour que les
leçons de la Commune soient digérées par les organisations ouvrières.
On comprend mieux l’urgence pour les bourgeois, devant l’évolution sociale, le développement de
masse de la classe ouvrière et cela après l’insurrection de la Commune, à ce que l’Etat intervienne
dans les affaires des patrons individuels – qui ne comprenaient pas nécessairement l’évolution en
cours - pour mieux protéger le patronat dans son ensemble, bref à faire des lois ouvrières pour
paralyser le droit d’organisation des ouvriers en le réglementant.
Ce qui fait que le mouvement ouvrier le plus sain dans cette période fut très méfiant à l’égard de la
volonté de la bourgeoisie de réglementer le droit d’organisation. Bien que le mouvement ouvrier ait
bénéficié du droit d’association ainsi que de la liberté d’expression et d’opinion mis peu à peu en
place par la République et qu’il s’en soit félicité, les lois ouvrières des années 1880 et notamment
le droit de créer des syndicats de 1884 furent aussi souvent combattus par le mouvement ouvrier
qui y voyait à juste titre un contrôle policier sur ce qu’ils étaient en train de créer de manière
autonome. Car la liberté d’expression valait aussi pour les bourgeois comme système de contrôle
du mouvement ouvrier.
On comprend mieux ainsi les réticences des Guesdistes à la grève (manipulée par les
démagogues républicains qui se termine par un échec sanglant) et à la grève générale fanfaronnée
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par les grandes gueules républicaines comme moyen de faire peur aux ouvriers, car elle a le sens
de révolution sanglante à l’époque. Ainsi que leurs réticences ou hostilité à l’organisation de
services publics façon possibilistes, ou de la protection sociale financée par les ouvriers. De même,
des socialistes (Guesde en 1873 ) sont hostiles au suffrage universel comme moyen d’embrigader
les couches moyennes et de maintenir les bourgeois au pouvoir.
On comprend mieux aussi la naissance du courant possibiliste qui fait le grand écart entre la
république et le socialisme et tente, au niveau local de faire en petit ce que fait l’état en grand, par
la communalisation de services publics au service des travailleurs (eau, gaz ; logement…).
Nous allons voir tout cela...
Réapparition des organisations ouvrières : 1/ Le mouvement ouvrier
Dès après la Commune, on assiste à la reconstitution de syndicats mais ils sont plus craintifs et
plus méfiants à l’égard du socialisme qu’ils ne l’étaient dans les années qui ont précédé la
Commune. Par ailleurs, depuis 1868, les syndicats doivent accepter un policier en leur sein et dans
leurs réunions.
En 1872 comme réponse à la création de la fédération des syndicats patronaux est créé une
association nationale ouvrière, le Cercle de l’union syndicale, sous l’influence du républicain
Barberet. Son programme est très modeste : enseignement professionnel et progrès moral et
matériel des travailleurs. Toute discussion politique ou religieuse est interdite. Cette première
organisation syndicale critique la grève. Ils ne veulent que des améliorations par l’association
pacifique des ouvriers, des mutuelles, des coopératives mais pas par la lutte. Malgré ce
programme plus que modéré, le syndicat est dissous 5 mois après sa fondation.
1873. Envoi de délégués à l’exposition universelle de Vienne.
En 1873-1874 une loi est promulguée contre l’AIT. De nombreuses arrestations sont faites et de
nombreux militants sont condamnés à des années de prison. L’AIT disparaît.
En 1875 on compte toutefois 135 chambres syndicales mais qui ont une existence précaire,
éphémère et aux activités limitées. La stabilité des organisations ouvrières ne commencera qu’à
partir de 1892 et sera vraiment assurée en 1902.
Les organisations ouvrières se reconstituent peu à peu à partir du moment où on peut commencer
à parler à voix haute sans être suspecté d’avoir fusiller les otages Versaillais lors de la Commune.
Les organisations syndicales recommencent alors à revendiquer des droits et la suppression des
lois auxquelles elles sont soumises Les syndicats se multiplient mais condamnent le plus souvent
les grèves. Ils voient toujours l’émancipation des travailleurs par la simple association, la création
de mutuelles ou de coopératives de types proudhoniennes.
En 1876 à l’initiative des syndicats de fleuristes une délégation va à l’exposition universelle de
Philadelphie. Puis on assiste à nouveau à la création d’un congrès national des chambres
syndicales à Paris. Le congrès est toujours à majorité mutuelliste et coopérative et anti
communarde (dénoncent Varlin et quelques autres et l’AIT), contre toute bouleversement de l’ordre
social, pour la collaboration patrons/ouvriers (après la Commune !). Ils sont pour la création de
commissions d’arbitrage mixtes pour les litiges entre ouvriers et patrons, se prononcent contre les
faiseurs de système (socialistes), et pour des organisations corporatistes exclusivement ouvrières.
Les mutuellistes passent beaucoup de temps aux pieds des patrons qu’ils remercient toujours
avec emphase des dons que ces derniers veulent bien faire aux mutuelles (Merci patron). Il y a à
ce congrès une participation des ouvriers positivistes (scientistes) qui forment l’organisation des
bonapartistes et des républicains (barberet). Les délégués demandent toutefois l’expulsion de ce
dernier pour qui « la chambre syndicale signifie la fin de la grève» et réclame le ralliement des
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ouvriers au parti républicain.
En 1876 toujours à l’initiative des syndicats des ouvriers fleuristes on assiste à nouveau à la
création d’un congrès national des chambres syndicales à Paris. Le congrès est toujours à majorité
mutuelliste et coopérative, anti communarde, contre toute bouleversement de l’ordre social, pour la
collaboration patrons/ouvriers à travers la création de commissions d’arbitrage mixtes pour les
litiges entre ouvriers et patrons, un peu les ancêtres du Comité d’Entreprise. Ils se prononcent
contre les socialistes et pour des organisations strictement corporatistes et exclusivement
ouvrières. Ces syndicalistes mutuellistes, qui sont en fait des militants politiques, républicains,
bonapartistes ou proudhoniens passent beaucoup de temps aux pieds des patrons qu’ils
remercient des dons que ces derniers veulent bien faire aux mutuelles.
Nombre de militants socialistes critiquent le réformisme et même le côté réactionnaire de ce
congrès. Ils y voient un signe d’inféodation des syndicats à la République.
Ceci dit au programme du congrès on peut noter un certain progrès. Ils revendiquent :
Egalité de traitement hommes femmes
8 heures de travail pour les femmes
Interdiction du travail de nuit dans la métallurgie pour les femmes
Retraites ouvrières payées sur le budget militaire et sous contrôle des chambres syndicales
Education nationale professionnelle gratuite préféré à l’apprentissage
Représentation ouvrière au Parlement
Nombre de communards, d’anarchistes et de blanquistes critiquent le réformisme et même le côté
réactionnaire de ce congrès. Ils y voient le premier signe d’inféodation des syndicats à la
République. Et quelques délégués collectivistes (marxistes et anarchistes) s’expriment contre les
secours mutuels, les coopératives, l’aumône car ils confortent le salariat et l’exploitation.
Guesde, qui fonda un peu plus tard le premier parti ouvrier socialiste qui critique également ce qui
est dit, constate que le plus important c’est le fait que ce congrès ait eu lieu consacrant la
réapparition nationale de la classe ouvrière après la Commune. C’est un progrès, un effort vers une
organisation autonome des ouvriers. Et Guesde, marxiste, souligne qu’on ne peut pas imaginer le
socialisme sans l’organisation des ouvriers et sans la coopération des socialistes avec les
organisations ouvrières et que les deux mouvements doivent s’alimenter l’un l’autre.
En réponse à Guesde, Jules Favre le dirigeant républicain, y voit le plus grave événement des
temps modernes.
En effet, suite aux grèves et à leur contenu particulier, on assiste peu à peu au développement
d’un mouvement syndical qui abandonne les anciennes formes mutuellistes pour reconnaître la
lutte de classe.
Mais pour aller jusqu'au bout de cette évolution, il faudra une nouvelle génération qui se sera
débarrassée des illusions républicaines.
La nouvelle condition ouvrière et une nouvelle génération de militants ouvriers
Pour faire de nouveaux partis, il fallu des hommes nouveaux. Des années 1870-1880 en même
temps que naissait la grande industrie, naquit une nouvelle génération de militants ouvriers et
socialistes avec une nouvelle mentalité.
Les premières révoltes de mineurs des années 1870 montrèrent que les mineurs n’étaient pas ces
héros débordants d’amour pour leur travail luttant durement contre une nature hostile (ce que
reprendra plus tard l’idéologie stalinienne avec Stakhanov) que vantait la propagande républicaine.
Ils voyaient bien que l’image du mineur héros du travail les arrimait au sort national des marins ou
des soldats, et qu’il pouvait permettre au patronat de ramener les problèmes d’organisation du
travail au fond de la mine à la discipline qu’on cherche à obtenir et à justifier par les exigences de
33
la nature et non par celle de l’égoïsme patronal.
De nombreuses luttes de mineurs à la fin des années 1870 et au début des années 1880 se
développèrent comme autant de foyers de résistance à cette intégration républicaine. A MontceauLes-Mines, à Decazeville, dans les mines du Gard, les mineurs rejettent les tentatives de
conciliation des républicains. Et hors ou contre les ouvertures syndicales républicaines, ils se
réunissent souvent dans les bois, comme dans Germinal, mais pour organiser des syndicats
clandestins. Une nouvelle génération de mineurs et de militants se forme dans le renouveau des
luttes en particulier dans les années 1878-1882. Ainsi en avril 1884, un groupe de mineurs prend
l’initiative d’une scission au sein de la Fédération nationale des Mineurs et fonde L’Union
Fédérative des Mineurs Révolutionnaires. Ils ne se font plus d’illusions sur la République. Le texte
d’appel de cette union explique : « Depuis 13 ans que nous sommes en république, que nous ont
apporté les élections ? Rien. […]N’a-t-on pas discuté de la question sociale à la Chambre, qu’en
est-il résulté ? Il en est résulté que le député étant repu, le peuple a faim, vous voyez qu’il est bête
et inutile de s’adresser à eux. »
Alors contre ces ouvriers qui refusent la domestication républicaine et qui inquiètent, la bourgeoisie
déclenche la répression et une furieuse campagne de presse contre ce qu’ils appellent les
« bandes noires » mais cette répression fera peu à peu perdre tout crédit à la démagogie
républicaine.
Dans l’imaginaire de la presse de ces années 1880, cette mystérieuse bande s’attaquerait pendant
la nuit à tout ce qui incarne ou symbolise l’oppression des mineurs : dans les fantasmes
journalistiques, les chapelles, les écoles, croix et murs de cimetières sautent à la dynamite. Les
dynamiteurs de 1884 enverraient selon eux des messages signées de noms terrifiants : l’Affamé, le
Dynamité, la Suppression des bourgeois, le Revolver à la main. Et bien évidemment comme à
l’époque où la logique policière assimilait Communards et ouvriers contestataires à alcooliques, la
police républicaine signale que ces bandes noires se réunissent dans des cabarets et des mineurs
sont condamnés à la prison dans des procès bâclés tout à la fois pour alcoolisme et terrorisme ou
même encore terroriste alcoolique étranger car pour la bourgeoisie les socialistes internationalistes
étaient par définition des étrangers et des alcooliques.
Avec ces nouvelles luttes, d’autres revendications ouvrières nouvelles surgissent.
Depuis 1789 jusqu’aux années 1870, le régime qui régissait la vie des ouvriers était celui du Livret.
Le Livret était un document qui accompagnait obligatoirement l’ouvrier, comme une carte d’identité,
sur lequel étaient notés ses différents lieux de travail et l’appréciation des patrons pour lesquels il
avait travaillé. Ainsi s’il était mal vu ou s’il avait fait grève, c’était noté et bien évidemment,
accompagné de ce document il ne trouvait plus de travail, c’était un arrêt de mort, de mort lente par
la faim. De plus l’ouvrier pour passer d’une ville à une autre ou même d’un patron à un autre dans
une même ville, devait avoir un visa de la police qu’il n’était même pas sur d’obtenir. C’était le
même régime que celui des prostituées qui étaient elles aussi fichées et celui des galériens qui
sous l’ancien régime étaient marqués au fer rouge.
Les organisations ouvrières réclament la suppression du Livret.
Le Livret fut aboli de droit en 1883 mais fut maintenu dans la pratique puisque pendant un certain
temps les patrons n’embauchèrent que ceux qui présentaient encore ce passeport du travail. Les
organisations ouvrières demandèrent la prison pour tout patron qui aura exigé d’un ouvrier une
pièce émanant d’un patron antérieur.
Dans ces années, il n’y avait pas de jour de repos dans la semaine, parfois seulement un demidimanche. On faisait le plus couramment entre 70 et 80 heures par semaine en 1882. Les
organisations ouvrières réclamèrent donc un jour de repos par semaine.
Il n’y avait non plus pas d’horaire légal et on travaillait souvent plus de 10 H par jour jusqu’à 13 ou
14 heures. La journée de 8 H fut votée par le congrès de 1866 de l’AIT.
Le travail était autorisé à partir de 8 ans avant 1875 puis 10 ans après cette date. Les
organisations ouvrières demandaient donc qu’il n’y ait pas de travail en dessous de 14 ans et un
travail allégé jusqu’à 18.
Il n’y avait pas de salaire minimum. Les organisations ouvrières demandaient qu’un salaire
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minimum soit déterminé chaque année par une commission de statistique ouvrière.
Programme minimum et maximum.
Ce type de revendications qui s'associe à une modification des structures économiques par
l'apparition de la grande industrie dans le dernier quart du XXème siècle au détriment du petit
artisan, modifia les conceptions des militants socialistes et les amena à avoir un double
programme, économique et socialiste mais liant ces deux aspects.
Dans une ambiance encore marquée par la révolution de la Commune, ces revendications
purement économiques, salariales, conditions de travail, etc... passaient en effet pour un certain
nombre de socialistes comme le risque d'une adaptation au capitalisme, une acceptation du régime
d’exploitation moyennant quelques aménagements. Mais la nouvelle classe ouvrière voulait des
augmentations de salaires. Pour les socialistes ancienne mode, cela pouvait signifier une
adaptation égoïste à l’exploitation salariale. D'autant plus qu'on a vu le jeu des républicains sociaux
pour tenter d'institutionnaliser ces revendications pour intégrer le mouvement ouvrier à la
république bourgeoise. Le mouvement ouvrier dans cette période fut très méfiant à l’égard de la
volonté de la bourgeoisie d’intégrer le mouvement ouvrier. D’où une méfiance à l’égard des
revendications économiques partielles que pouvait satisfaire le patronat. D'où aussi une méfiance à
l'égard de toutes les institutions proposées par la bourgeoisie, le suffrage universel, le droit
syndical, le droit de grève et même l'expression du mouvement social par la grève et la grève
générale.
Enfin par la République, le mouvement ouvrier a bénéficié du droit d’association, de la liberté
d’expression et d’opinion mais la bourgeoisie en attendait des contreparties. Ainsi elle
autorisait l’organisation syndicale en 1884 mais à condition de donner les noms des responsables
et adhérents à la police. Aussi les lois ouvrières des années 1880 et notamment la loi sur les
syndicats furent souvent combattues par le mouvement ouvrier. De même, des socialistes (Guesde
en 1873) furent hostiles au suffrage universel car ils y voyaient un moyen d’embrigader les
couches moyennes et de maintenir à travers elles le pouvoir de la bourgeoisie.
Les uns voulaient des augmentations de salaires, les autres voulaient l’abolition du salariat.
Comment faire la fusion des deux ? C'est à ce moment que la question se posa.
Par contre pour les socialistes nouveaux qu’étaient les marxistes et les anarchistes, la lutte, le
combat lui-même pour la satisfaction de ces revendications économiques devint le moyen par
lequel les ouvriers pouvaient accéder à une conscience de classe puis à une conscience socialiste
révolutionnaire. Dans ce cadre, l’utilisation de la grève économique comme de la tribune
parlementaire fut conçu par les marxistes comme un moyen de mieux faire connaître leurs idées.
Mais il ne s’agissait alors plus de faire croire comme le souhaitaient les républicains qu’à travers
l’action des parlementaires on pouvait améliorer directement le sort des travailleurs. Il fallait s'en
distinguer.
C'est pourquoi les militants socialistes liaient dans leurs programmes les revendications
immédiates et économiques des ouvriers à leur programme de transformation révolutionnaire de la
société. Ils établirent en quelque sorte un programme minimum et un programme maximum tous
les deux liés par la logique de la lutte.
Bien sûr entre la position des socialistes révolutionnaires ouvriers et celle des républicains
bourgeois se développa une position intermédiaire à partir de 1882. Celle de ceux des socialistes
qu’on appela les Possibilistes parce qu’ils essayaient d’obtenir pour l’immédiat ce qui était
« possible ». Ils cherchaient l’amélioration immédiate du sort des travailleurs plus que l’élévation de
la cohésion et de la conscience des travailleurs pour renverser le capitalisme. Ainsi ce sont eux qui
expliquèrent qu’il suffisait de nationaliser ou de municipaliser les activités économiques des
patrons, les confier à l’Etat, les transformer en services publics pour réaliser progressivement le
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socialisme. Et ce sont ces idées qui devinrent plus tard, au milieu des années 1890, celles des
réformistes et qui le sont d’ailleurs toujours aujourd’hui.
Ce mouvement socialiste Possibiliste s’attacha également à séparer les deux activités
économiques et politiques, réduisant le programme économique à l’activité syndicale et également
à ce qui est possible d’obtenir dans l’immédiat. Et ils abandonnaient la transformation politique
socialiste de la société à un futur lointain, et à l'action électorale.
Ce point de liaison entre les luttes ouvrières et le programme socialiste, entre le programme
minimum et le programme maximum allait être le point le plus important de discussion et de friction
de toutes ces années et l’est toujours (programme de transition). En bref, la question était comment
faire pour que les larges masses ouvrières, qui étaient nouvelles, souvent des paysans fraîchement
sortis de la campagne, sans grande conscience de classe ni conscience socialiste accèdent à une
conscience socialiste et passent de leurs soucis économiques immédiats à la conscience que pour
satisfaire ces revendications, il fallait changer le monde ?
Et c’est là que le débat dans le mouvement socialiste ouvrier se porta sur le moyen d’action
principal qui se développait à ce moment, la grève puis la grève générale et du coup on discuta sur
l’autonomie ou non du mouvement syndical par rapport au mouvement politique.
Le mouvement socialiste
Le mouvement socialiste durement réprimé avec la Commune réapparut d’abord dans la foulée du
mouvement ouvrier syndicaliste mutuelliste auquel il se greffait et dont il fut un appendice. Mais à
partir de 1877 les militants socialistes prirent le relais des militants ouvriers proudhoniens,
républicains et bonapartistes et animèrent le mouvement ouvrier mais d’une toute autre manière.
En octobre 1877 les socialistes marxistes, Guesde et Lafargue essaient de constituer un congrès
ouvrier international. Mais il est interdit. Ce qui conduisit en prison Jules Guesde. Mais son procès,
en même temps que paraissait le premier journal socialiste hebdomadaire L’Egalité, le 18
novembre 1877, fut la tribune qui lui manquait et lui permit de faire connaître les idées du
« socialisme scientifique marxiste» dans de plus larges couches. Le discours de Guesde est
largement diffusé. L’ambiance change dans le pays après le procès de 1877 et la courageuse
défense de Guesde. La brèche était ouverte. Les esprits sont à cette époque emportés par un
bouillonnement d’espoirs et d’idées qui poussent à l’unité socialiste contre la médiocrité des temps.
1878 est encore une année d’hésitation. Les socialistes vont au congrès mutuelliste de Lyon. Ils
s’y expriment mais ils y ont encore peu d’influence. Le congrès se prononce pour la lutte contre les
bureaux de placement (chômage) privés ce qui aura une grande postérité en donnant
ultérieurement naissance aux Bourses du travail, première organisation durable des ouvriers qui
nous est parvenue aujourd’hui sous la forme des unions locales ou départementales. Il réclame
des prud’hommes pour tous les métiers. Des Inspecteurs du travail. Des règles d’Hygiène et
Sécurité et un Salaire minimum.
Mais comme aux congrès précédents, ce congrès se prononce contre les grèves et la révolution.
Guesde est déçu. Brousse, un dirigeant socialiste possibiliste, y voit par contre un deuxième pas
vers un véritable parti socialiste ouvrier.
1879 Sortie de prison de Guesde (il a 35 ans).
Blanqui est élu député à Bordeaux. Un communard est également élu à la municipalité à Paris.
Au Congrès ouvrier de Marseille on assiste à un brusque tournant à gauche. Les socialistes
collectivistes (marxistes et anarchistes) sont devenus majoritaires et l’emportent et votent un
programme communiste.
Pour eux y a incompatibilité entre ouvriers et patrons, travail et capital et le congrès reconnaît la
Lutte de classes.
Les syndicats se veulent d’abord un foyer d’éducation révolutionnaire.
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L’émancipation des travailleurs ne peut être que l’œuvre des travailleurs eux-mêmes.
Double programme politique et économique.
Contre la propriété privée des moyens de production (les positivistes ouvriers sont pour)
Appropriation collective des moyens de production
Se fichent du protectionnisme ou du libre échangisme
Abolition du salariat
Nationalisation des mines, des chemins de fer, remis aux travailleurs
Nécessité d’un parti de classe. Création d’un Parti des travailleurs socialistes de France.
Candidatures ouvrières
Les coopératives ne sont pas des moyens d’émancipation du prolétariat
La Commune comme avènement de la classe ouvrière au pouvoir politique
Conquête du pouvoir politique (Marxistes, blanquistes)
Le parlement comme tribune d’agitation révolutionnaire
Ambiance internationaliste. Notre patrie ce sont les travailleurs du monde entier. Salutation de la
SD allemande au congrès
Dénonciation de Louis Blanc, jusqu’alors encore un des chefs du socialisme (issu de 1848),
comme un fusilleur de 1871.
Ce congrès et le parti qui en sort s’est fait en dehors des anciens Communards. Il s’agit d’une
nouvelle génération militante.
En 1880 l’Assemblée vote l’amnistie des Communards dans l’espoir d’utiliser la notoriété de
certains d’entre eux contre le nouveau mouvement ouvrier naissant.
Et de fait les communards, amers du développement sans eux d’un nouveau parti ouvrier, créent
leur organisation l’Alliance Socialiste Républicaine alliant républicains d’extrême gauche et
socialistes. Elle se paye de mots creux et flambants et réclame ainsi le triomphe de la justice
sociale par la liberté. Ce qui porte bien mais ne signifie rien.
Congrès du Havre. Domination guesdiste. Programme du POF fait avec Marx.
Malatesta l'anarchiste quitte le POF.
Scission des mutuellistes et coopératistes, des républicains, des anarchistes.
Regroupement à l’écart des blanquistes autour de Blanqui qui crée le journal « Ni Dieu ni maître ».
Socialistes indépendants, Vallès, Lissagaray, Malon…
1881. 500 chambres syndicales. Le parti présente des candidats aux élections. Premier maire
socialiste à Commentry. Premier député socialiste à Marseille. Mais échec électoral général : d’où
scissions. Congrès de Reims. Naissance du possibilisme et succès électoral de cette
tendance.(Fractionner le but idéal en plusieurs étapes accessibles)
1882. Congrès de St Etienne. Les possibilistes dénoncent le rôle occulte de Marx hors de tout
contrôle. Parti ouvrier socialiste de France. Scission minoritaire des guesdistes. Création du POF
1883. Théorie des services publics de Brousse le possibliste.
Dans la commune, eau, éclairage, transports, enseignement, habillement, bazars, boucheries,
boulangeries , pharmacies municipales bonne qualité et pas cher.. Monopole du gaz, eau,
transport en service public. Industries municipales et bons salaires. Il faut que la commune
devienne maîtresse de ses services publics.
Nationalisations. Possibilité de l’arrivée au pouvoir dans la légalité.
1884-1886 Luttes contre la loi de 1884. Les possibilistes aux côtés de syndicalistes contre la loi.
1886-1887 Grèves, Decazeville, etc. Défenestration de Watrin… (Justifiée par Guesde). Interdiction
aux fonctionnaires de se syndiquer. Attentats anarchistes.
Dernier congrès mutuelliste subventionné par le gouvernement. Discrédité.
Les Guesdistes créent la première union nationale des syndicats, La Fédération Nationale des
Syndicats et des Organisations Corporatistes.
1889 Deuxième Internationale à Paris.
En conclusion, le mouvement socialiste, en deux décennies après la Commune, s’est fait
largement connaître, a établi les bases de son programme (toujours en grande partie le nôtre) et a
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gagné de larges masses à lui.
La grève et la grève générale
Venons-en maintenant au problème de la grève.
La grève depuis la fin des années 1860 était un phénomène nouveau accompagnant le
développement de la grande industrie.
Pour bien comprendre pourquoi la grève fut d'abord condamnée par les militants il faut d’abord se
rappeler qu’à l’époque la répression était féroce et qu’il n’y avait pas d’indemnités chômage. Pour
un ouvrier, la participation à une grève cela voulait souvent dire le licenciement et peu à peu, à
cause du Livret, la mort de faim ou de misère. Aussi les militants hésitaient à pousser les ouvriers
à se lancer dans la grève. Et puis ils avaient le sentiment que ce que le patron pouvait céder d’une
main dans la grève, il le reprendrait rapidement après de l’autre main tout en détruisant les
organisations ouvrières.
Par ailleurs, les démagogues et provocateurs républicains n’hésitaient pas, eux, à pousser les
ouvriers aux extrémités les plus violentes par la grève en cherchant à obtenir la répression policière
la plus sanglante.
D’autre part les militants ouvriers et socialistes des générations précédentes étaient en majorité
des artisans pour qui la lutte de classe de masse n’a guère de sens et qui ne voient que dans
l’association ou l’entraide la solution à leurs problèmes.
Enfin et surtout, les militants socialistes craignaient que les revendications ouvrières économiques
ne soient que le signe d’un certain égoïsme et l’acceptation générale de l’exploitation en échange
d’améliorations partielles, bref qu’ils tombent dans les pièges de l’intégration républicaine. Il faut se
rendre compte que pour un artisan qui fabrique des objets utiles, un ouvrier d'industrie qui fabrique
n'importe quoi sans se soucier de ce qu'il fait, des armes au même titre que des objets ménagers,
et qui ne se soucie donc que de son salaire, se dégrade mentalement. Ce qui d'une certaine
manière est vrai. C'est d'ailleurs ce que dénonce à la même époque Marx dans le capitalisme, la
fabrication d'objets non pas pour leur utilité mais juste pour les échanger et en tirer profit, qu'il
appelle marchandises et dont il nomme la fabrication le travail "abstrait". Par opposition au travail
utile.
Les premiers militants socialistes hésitants donc sur les grèves ouvrières économiques (demander
une augmentation de salaire dans une fabrique d'armes choque) furent par contre les premiers à
dénoncer et lutter contre la répression que subissaient les ouvriers en grève. Et c’est autour de
cette lutte contre la répression des grèves que bien souvent ils acquirent la confiance des ouvriers
et développèrent leurs organisations.
Mais peu à peu l’arme de la grève, par leur nombre et ce qu'elle développe comme conscience
politique chez ceux qui utilisent cette arme, s’impose à tous.
Par ailleurs au cours des années 1880, en même temps que les militants syndicalistes et
socialistes luttaient contre la loi de 1884 autorisant les syndicats, mais sous contrôle policier, un
débat commença à diviser les militants ouvriers socialistes, celui de la grève générale.
Jusque là, les militants socialistes marxistes, parmi les plus nombreux à ce moment, voyaient
l’arrivée au pouvoir des ouvriers par la révolution. Mais ils ne faisaient aucun lien entre les grèves
économiques et cette révolution.
Des militants anarchistes choisirent par contre de privilégier la grève générale mais souvent
comme un substitut de révolution.
Les marxistes y étaient hostiles car ils pensaient à juste titre qu’il ne suffisait pas de se croiser les
bras pour que le pouvoir des bourgeois tombe comme un fruit mur. Il fallait s’attendre à la violence
armée de la bourgeoisie avant la prise du pouvoir (la Commune servait d'expérience) et même
encore après et donc prévoir de se battre en conséquence sur le terrain politique y compris sur le
terrain électoral dont ils pensent pouvoir faire une tribune, puis même plus tard, que cela signifie la
nécessité de construire un état ouvrier (leçon aussi de la Commune) et continuer à se battre dans
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ce cadre.
Pendant un certain temps, cette idée de grève générale ne fut qu’un débat théorique entre
marxistes et anarchistes mais la généralisation de certaines grèves, en France, aux USA ou en
Allemagne et le fait que le mouvement ouvrier ait choisit avec le premier mai de faire une grève
générale à froid (en 1889) montra que la grève générale n’était pas synonyme de révolution mais
pouvait par contre être une étape qui peut y mener.
L’autonomie de l’organisation syndicale et son lien à la politique
Bien entendu avec l’adoption peu à peu des armes de la grève et de la grève générale et avec le
débat sur les rapports du programme minimum et maximum se posa le problème de l’autonomie de
l’organisation syndicale.
Le souci des marxistes était de lier les revendications économiques et la révolution socialiste, par
conséquent ils n’imaginaient pas qu’on puisse séparer organisations syndicales et politiques. Au
début ils conçurent d’ailleurs l’adhésion des organisations syndicales en tant que telles, avec tous
leurs adhérents, aux partis politiques. Puis avec le développement du mouvement syndical,
l’arrivée de nombreux ouvriers sans grande conscience politique, les syndicats prirent, de fait, une
certaine autonomie ce que reconnurent les partis, sans subordination des syndicats au parti (mais
pour Guesde si, comme le firent plus tard les staliniens du PCF). Le parti de marxiste de Guesde a
bien pris l’initiative de tenter de créer une fédération nationale des syndicats en 1887, mais avec
cette conception de subordonner l’un à l’autre et elle n’eut aucun succès.
Ce n’est donc pas étonnant, aussi paradoxal que cela puisse paraître, que ce furent les plus
réformistes des socialistes, les Possibilistes, qui, les premiers cherchèrent à donner de
l’importance aux syndicats de type lutte de masse et de classe et à leur autonomie.
En effet, ils n’essayaient plus de lier programme minimum et programme maximum, car ils avaient
au fond abandonné le combat pour une société socialiste. Ils s’intéressèrent sans crainte aux
revendications immédiates et aux formes d’organisation les plus efficaces pour les obtenir. Dans la
grève, ils ne voyaient pas la lutte et la conscience qu’elle apporte, mais la revendication elle même
et sa satisfaction. Point c’est tout. D’une addition d’augmentations de salaires ils imaginaient par
exemple qu’on pourrait augmenter sérieusement le pouvoir d’achat ouvrier sans avoir conscience
que les patrons reprenaient d’un côté ce qu’ils donnaient de l’autre et qu’il n’y aurait réellement
d’émancipation du monde ouvrier sans que les ouvriers prennent le pouvoir et abolissent la
propriété privée des moyens de production.
Mais ce sont ces militants qui furent les premiers défenseurs de l’autonomie syndicale et les
initiateurs en 1887 de ce qui fit le succès du mouvement syndical – et dont on parlera une des
prochaines fois - les Bourses du travail.
Bien sûr, ils forçaient complètement dans le sens inverse des marxistes en refusant tout lien entre
l’action syndicale et l’action politique, ce que reprendront un peu plus tard certains anarchistes
(anciens du POF déçus par l'électoralisme des jaurésistes) qui fonderont la CGT en 1895 en
faisant de l’action syndicale une action qui se suffit à elle même et qui poussée au bout mène
naturellement par la grève générale à l’entrée dans une société socialiste. Qui conçoivent le
syndicat comme organisation révolutionnaire, liant comme auparavant en quelque sorte parti et
syndicat en un tout indifférencié. C’est cette conception et cette influence anarchiste qui
prévalurent dans la CGT jusqu’en 1914. Et qui firent de la CGT, jusqu'encore aujourd'hui un
syndicat très particulier puisqu'il avait dans ses statuts, jusqu'il y a encore peu, l'abolition du
capitalisme.
Notre conception actuelle des rapports entre revendications économiques partielles et révolution
socialiste, entre syndicalisme et politique qui voit dans le combat syndicaliste autonome l’école du
socialisme ne naîtra, elle, que plus tard, autour de Rosa Luxembourg et l'expérience de 1905 puis
après la révolution de 1917 en Russie et la naissance de ce qu'on a appelé l'internationale
syndicale rouge.
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Avant de conclure, je dirai encore deux mots de ce qui fut à la base du développement du
mouvement ouvrier : l’internationalisme que les militants de l’époque défendirent courageusement
contre toutes les pressions diverses.
La première internationale, l’AIT, s’était construite pour contrer la concurrence que les patrons
faisaient jouer entre ouvriers avancés ou attardés de différents pays. Ainsi les patrons anglais
allaient chercher des ouvriers allemands parce que, plus arriérés, elle pouvait les payer moins
cher. Les informations que l’Internationale faisait passer d’un pays à l’autre suffirent souvent à faire
naître une solidarité internationale. En France, ou le développement industriel poussait à une
émigration massive, le patronat joua de toutes les concurrences et certaines organisations
ouvrières poussèrent des ouvriers français à lutter contre les ouvriers italiens, allemands ou
polonais ou encore contre les paysans qui essayaient de s’embaucher en ville ou tout simplement
contre les femmes qui étaient payées moins cher. Mais l’honneur du mouvement socialiste
marxiste à cette époque est d’avoir toujours défendu les intérêts de tous les ouvriers et pas
seulement de telle ou telle nationalité. Ainsi ils réclamèrent les 8 Heures pour tous les ouvriers
d’Europe, et pas 14 h en Pologne et 8 en France. Comme aujourd’hui le mouvement ouvrier devrait
demander un SMIC européen basé sur celui du pays le plus dévellopé.
Pour finir, l’héritage de la Commune et du mouvement ouvrier et socialiste qui suivit est encore
considérable et vivant aujourd’hui dans notre volonté que les organisations ouvrières gardent leur
indépendance face aux essais d’intégration de l’Etat bourgeois, dans l’idée que la conscience et les
organisations ouvrières naissent des grèves ou luttes et pas l’inverse, dans l’articulation souple
entre programme minimum et programme maximum entre syndicat et parti politique, dans une
grande partie de notre programme qui est né à ce moment et enfin dans l’internationalisme ouvrier
qui nous fait choisir à chaque fois de renforcer la conscience de classe par la défense des intérêts
de tous les ouvriers.
Pour une suite de l'histoire et de la discussion...
1889-1902 Politique et syndicalisme
La social-démocratie allemande de 1875 à 1896 et la deuxième internationale
L’interdiction socialiste en Allemagne : 1879-1890 ; Le congrès de Halle 1890.
Les bourses du travail 1887 et la fédération des bourses du travail 1892 en France
Le Boulangisme 1888-1889. Ses effets sur le mouvement ouvrier.
Scission chez les possibilistes. Attraction du syndicalisme révolutionnaire. L’allemanisme entre le
syndicalisme révolutionnaire et le possibilisme.
Comité révolutionnaire des blanquistes. Vaillant. Double action politique et syndicale mais séparée
contrairement aux guesdistes.
Le guesdisme de 1895 n’est plus celui de 1884
Scandale de Panama et la révolution 1891-1893
La grève générale et les grèves
L’opportunisme parlementaire socialiste. Le Jaurésisme
L'affaire Millerand
Programme minimum et programme maximum à nouveau
Luttes économiques et politiques
Anarcho-syndicalisme et marxisme. Congrès des années 1890.
La CGT de 1895 à 1902. En 1895, les guesdistes ne sont pas présents, mais possibilistes,
alemanistes, blanquistes, anarchistes oui. Griffuelhes, blanquiste.
L’affaire Dreyfus ?
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1902-1914 Apogée et chute
L’impérialisme.
L’essor du mouvement ouvrier et de la CGT syndicaliste révolutionnaire 1902-1910.
1905 Russie. Rosa Luxembourg : grève de masse, parti et syndicat.
1906 Grève générale en France répression républicaine.
1905 et 1906 en France Congrès d’unification socialiste et charte d’Amiens.
Congrès anti-guerre 1912.
La faillite de la deuxième internationale et du syndicalisme révolutionnaire à la déclaration de la
guerre.
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