qualifié de nanofinance. Prenons l’un des problèmes les plus fondamentaux que rencontrent les
paysans depuis l’invention de l’agriculture sédentaire: choisir quoi planter sur les différentes
parcelles qu’ils cultivent. En termes financiers, nous avons là un problème de portefeuille et les
paysans pauvres résolvent leur version du modèle d’évaluation des actifs financiers (Medaf) –
dont dépend leur subsistance – à chaque saison de culture.
Je pense qu’il existe à cet égard une question de recherche fondamentale que je souhaiterais
poursuivre dans le cadre du nouveau Centre finance et développement. Elle s’articule autour de la
manière dont la perception du risque influe sur les décisions financières des individus, dans le
contexte de pays en développement. Il y a trente ans, un éminent économiste du développement,
Hans Binswanger, a entamé un programme de recherche qui avait pour objectif de mesurer les
préférences des pauvres en matière de risque. Si l’on veut, par exemple, comprendre l’adoption
ou non de nouvelles technologies agricoles (à l’époque de ses recherches, la Révolution verte
battait son plein), l’explication la plus évidente tient aux préférences relatives au risque: les
individus peu enclins au risque auront tendance à conserver les technologies traditionnelles à
faible variance et faible rendement, tandis que les individus plus enclins au risque auront
tendance à choisir de nouvelles technologies, à plus fort rendement, mais également à plus forte
variance.
Le problème qui s’est posé, après plusieurs années d’expérimentation sur le terrain (les
préférences en matière de risque des individus ont été mesurées en leur demandant de choisir
entre différents paris impliquant des sommes d’argent), était que les résultats montraient une
distribution des préférences relatives au risque plus ou moins la même partout dans le monde –
qu’il s’agisse de régions adoptant allègrement les nouvelles occasions offertes par la Révolution
verte ou de celles qui s’y refusaient et stagnaient. Adieu l’explication initiale de l’adoption
différentielle des technologies agricoles et bonjour l’obsession (parfois justifiée) concernant les
contraintes de crédit et l’absence de garanties. Cette évolution a également donné lieu à des idées
fausses, notamment à la notion qu’une attribution claire des droits de propriété (comme octroyer
des droits de propriété aux occupants sans titre) serait la panacée universelle au sous-
développement.
Une branche dynamique de l’économie, à l’interface de la psychologie (et souvent associée au
lauréat du Prix Nobel d’économie Daniel Kahneman), étudie comment les individus perçoivent
les risques. Elle distingue soigneusement le risque de l’incertitude.
Le risque correspond à une situation dans laquelle les individus basent leurs décisions sur des
probabilités (souvent subjectives) qui doivent répondre à une propriété très restrictive: elles
doivent s’additionner pour donner 1, sur les différents états du monde possibles (par exemple, si
la probabilité qu’il pleuve demain est de 0,7, la probabilité qu’il ne pleuve pas doit être de 0,3
puisque 0,7 + 0,3 = 1). Ce postulat forme la base du modèle de l’utilité espérée de Neumann-
Morgenstern, utilisé depuis leur contribution pionnière en 1944 par les économistes pour
modéliser les prises de décision des êtres humains face au risque.
La notion d’incertitude, formulée autour d’idées attribuables à l’origine à l’économiste Frank
Knight de l’Université de Chicago, va au-delà des probabilités: en fait, les «pseudo-probabilités»,
qui sont les bosons de Higgs de cette approche, ne s’additionnent pas pour donner 1 sur les
différents états du monde possibles, et elles ont un nom – ce sont les capacités. La recherche