On va revenir à l`argument ontologique, ça c`est quand même

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BROUWER – COURS 10 – 13.12.05.
On va revenir à l'argument ontologique, ça c'est quand même beaucoup plus simple.
[ndrt que l'organisation des horaires : Brouwer vient de passer 5 minutes à parler du lieu
et de l'heure de la dernière séance de cours : mardi 22 de 12h à 16h]
L'argument "dit" ontologique, parce que ça n'est pas sur que ce soit un argument
ontologique. Donc j'en avais fait un premier exposé la fois dernière et nous allons
reprendre ça un peu plus lentement et de façon un peu plus approfondie. Je reprends
l'exposition ou l'exposé de l'argument, ensuite je tâcherai d'en donner vraiment le fil
conducteur le plus résumé, et puis on analysera certains éléments de l'argument en
question.
Je vous rappelle ce qui précède, tout le chapitre 1 du Proslogion, qui est cette prière,
cette allocution... ce que signifie le terme de proslogion, qui signifie allocution, du dire
même d'Anselme. Le proslogion signifie allocution, cette allocution, cette prière
adressée soit à lui-même soit à Dieu, puisqu'il y a une exhortation à se retirer et puis
une allocution à Dieu, qui comprend notamment une sorte de lamentation sur la
condition humaine, et puis une prière de demande adressée à Dieu pour que Dieu d'une
certaine façon se montre. Ou en tout cas communique avec l'homme. Et puis le dernier
petit paragraphe qui est très important, qui rappelle que l'homme est une image de Dieu,
est fait à l'image de Dieu. Vous vous rappelez que c'est utilisé notamment par Béranger
pour dire que la raison devait être utilisée puisque l'homme raisonnable est image de
dieu en tant qu'il est raisonnable.
Donc, l'homme image de Dieu, et donc qui demande à Dieu de pouvoir comprendre,
reconnaitre, intelliger dans une certaine mesure, "quelque peu", ce sont les termes
exacts, la vérité à propos de la divinité. J'ai lu tout ce passage avec vous, ce chapitre 1,
pour bien vous montrer dans quel contexte est introduit l'argument. Parce
qu'évidemment, et j'en toucherai un mot tout à l'heure, l'argument dans toute la tradition
philosophique, a été pris comme tel, c'est-à-dire l'argument lui-même, en faisant
abstraction, je dirais, et c'est le cas de le dire, en tout cas en laissant de côté ce qui
précède et ce qui suit.
Donc on a pris en général soit le chapitre deux du Proslogion, soit les chapitres deux à
quatre sans les insérer dans leur contexte. Or leur contexte je pense est très important
ici parce qu'il montre dans quel contexte et à partir de quel lieu si vous voulez, à partir
de quel point de départ Anselme recherche et expose son argument, et ce lieu de départ
c'est une demande à la divinité de se révéler à lui, d'une certaine façon. La particularité
est que cette révélation est éminemment rationnelle. Ce n'est pas une révélation
scripturaire, c'est pas une révélation miraculeuse, c'est pas une révélation... C'est le don
de ce fameux nom de l'argument du Proslogion, qui permet de développer un argument
de l'existence de Dieu.
Donc un point de départ qui est un point de départ de la foi, pour développer un
argument de l'existence divine. Alors on me dira : on tourne en rond... On va voir qu'on
ne tourne peut-être pas tout à fait en rond. Mais pour ça il faut qu'on revienne à
l'argument lui-même. Donc je le répète, mais je vais le répéter sans doute un peu plus
rapidement que la fois dernière, puisque je l'ai déjà exposé. Le découpage phrase par
phrase... Le texte est court, mais évidemment très dense. Donc la première chose c'est
effectivement de demander à Dieu de comprendre, de reconnaitre, d'intelliger ce qui est
la doctrine, la croyance des chrétiens. C'est-à-dire ce qu'est et comment est Dieu. Ce
qu'est Dieu, comment est Dieu.
Comment identifie-t-il ce contenu? C'est ça sa découverte, notamment, d'Anselme : ce
dont rien de plus grand ne peut être penser. Dieu c'est ce dont rien de plus grand ne
peut être pensé, et donc j'abbrévie en QRG, "Quelque chose dont Rien de plus Grand",
pour ne pas s'embrouiller tout à l'heure quand il faudra répéter...
On prend ensuite le point de vue de celui qui nie l'existence du QRG, et on va montrer
que même quand on le nie, en niant cette existence, on aboutit à ce que cette existence
soit nécessaire. La négation de cette existence est introduite par une citation d'un
psaume : "L'insensé a dit dans son coeur : Dieu n'est pas." Mais quand l'insensé dit
Dieu n'est pas, l'insensé dit quand même Dieu, d'une certaine façon, et s'il dit Dieu, pour
Anselme, ça veut dire qu'il entend ce que je dis. Pardon. Qu'il reconnait ce qu'il entend.
Donc ici il faut faire attention au verbe "entendre", il ne s'agit pas d'entendre de
l'entendement, mais il s'agit de l'ouïe, le sens de l'ouïe. Parce que parmi les
nombreuses traductions d'intelligere, dont je vous ai parlé, je préfère dire intelliger pour
qu'il n'y ait pas de confusion. Donc parmi les deux traductions les plus courantes, on a
"comprendre" et "entendre", mais au sens de l'entendement, dans la philosophie
française. Et donc ce n'est pas ça ici.
Ici c'est bien comprendre ou intelliger, ce qu'on entend par l'ouïe (???). Donc quand il
entend le mot "Dieu", pour Anselme, l'insensé comprend "ce dont rien de plus grand ne
peut être pensé". Il pense donc un contenu à ce mot "Dieu" et donc il a dans l'intellect,
puisqu'il l'intellige, il a dans l'intellect ce dont rien de plus grand ne peut être pensé. Là
Anselme a réintroduit le schème de l'artisan en disant... Pour montrer que c'était
différent pour une chose d'être dans la pensée, d'êre dans la pensée, d'être dans
l'intellect et différent d'être dans la réalité. Une chose peut être soit dans l'intellect, soit
dans l'intellect ET dans la réalité. Quand le peintre, ou quand un artisan va réaliser une
oeuvre, avant qu'il l'aie réalisée, il a cette oeuvre dans sa pensée, dans son intellect.
Une fois qu'il l'a réalisée, elle est dans la réalité, puisqu'elle est réalisée, mais en même
temps il l'a aussi encore dans son intellect.
Et c'est là le ressort de l'argument. Si on applique ceci au QRG, à ce dont rien de plus
grand ne peut être pensé, si l'insensé a ce dont rien de plus grand ne peut être pensé
dans son intellect, cela ne peut être seulement dans l'intellect. Cela doit nécessairement
être aussi dans la réalité. Pourquoi? Parce que pour Anselme être dans l'intellect ET
dans la réalité c'est plus grand que d'être seulement dans l'intellect. Donc si ce dont rien
de plus grand ne peut être pensé est seulement dans l'intellect, on peut trouver quelque
chose de plus grand que ce dont rien de plus grand ne peut être pensé, à savoir cela
même qui serait à la fois dans l'intellect et dans la réalité. Donc, ce dont rien de plus
grand ne peut être pensé, à partir du moment où il est pensé est nécessairement dans
la réalité en plus d'être dans la pensée ou dans l'intellect.
Ca c'est le ressort de l'argument, c'est indispensable à comprendre. N'hésitez pas à dire
s'il y a des choses qui vous échappent dans cette affaire. Bon des choses qui vous
échappent largement dans cet exposé. Evidemment je ne vous demande pas d'adhérer
à cet argument, et bien entendu on va regarder un petit peu quelques présupposés de
l'argument. Mais dans l'exposé de la chose, est-ce que ça va? Est-ce que vous avez
compris le ressort de l'argument?
Donc le tout est dans le nom, le "ce dont rien de plus grand ne peut être pensé",
évidemment, c'est là que se trouve le ressort de l'argument, et j'ai presque envie de dire
que cet argument est un ressort au sens presque concret du terme, puisqu'à partir du
moment où on se concentre sur cet argument, il nous permet de monter vers une
divinité qui est bien réelle, en tout cas c'est ce que prétend Anselme.
Donc, je reprends : si ce dont rien ne peut être plus grand peut être pensé est
seulement dans l'intellect, il est quelque chose dont on peut penser quelque chose de
plus grand à savoir quelque chose qui serait à la fois dans l'intellect et dans la réalité. Et
donc il y a là une contradiction. C'est la phrase 10. En effet, s'il est au moins dans la
seule intelligence, qu'il soit aussi dans la réalité peut être pensé, ce qui est plus grand...
Alors ça, si plus grand ne peut être pensé est dans la seule intelligence, cela même dont
plus grand ne peut être pensé est cela dont plus grand peut être pensé. Il y a donc
contradiction puisqu'on peut penser un plus grand de cela même dont plus grand ne
peut être pensé. Et certainement ceci ne peut être, et la constatation de la contradiction
est donc dans la phrase 12 : ceci ne peut être puisque c'est contradictoire. Quelque
chose dont plus grand ne peut être pensé existe donc, est dans la réalité, existe. Existe,
ici, c'est être dans la réalité et pas seulement dans l'intellect. Sans le moindre doute,
dans l'intelligence et dans la réalité.
Ca va? C'est compréhensible? Vous pourriez le réexposer? Allez-y...
[il fait répéter l'argument à un étudiant. Acte 2, scène 1.]
L'Etudiant
Donc en fait l'idée c'est qu'il y a deux réalités, il y a le niveau de l'intellect et la réalité
Brouwer
Oui enfin, il n'y a pas deux réalités, il y a l'intellect et ce qui est dans la réalité.
L'Etudiant
Etant donné qu'on est capable... quand on pose la question à celui qui nie l'existence de
Dieu... Il conçoit l'existence de Dieu, donc il l'a dans l'intellect.
Brouwer
Il ne conçoit pas l'existence de Dieu : il conçoit Dieu, pas son existence. C'est ce qu'on
doit démontrer, c'est cette existence.
L'Etudiant
Donc il conçoit Dieu, dans son intellect. Si il conçoit Dieu dans son intellect, c'est que
Dieu est ce qu'il y a de plus grand...
Brouwer
Ce dont rien de plus grand ne peut être pensé. Ce n'est pas exactement la même
chose.
L'Etudiant
Le QRG.
Brouwer
QRG, voilà. C'est capital dans ce texte.
L'Etudiant
En réalité il est obligé d'exister dans la réalité.
Brouwer
Il existe nécessairement dans la réalité, oui.
L'Etudiant
Comme il est QRG, il est obligé d'être à la fois dans la réalité et dans l'intellect, parce
que s'il était uniquement dans l'intellect, il ne serait pas QRG.
Brouwer
Voilà, il y aurait contradiction dans le nom, puisque ce dont rien de plus grand ne peut
être pensé aurait quelque chose de plus grand que lui-même, si vous voulez. Merci.
Merci pour les autres aussi.
[Rideau]
Il y aurait quelque chose de plus grand que lui-même, qui serait à la fois dans l'intellect
et dans la réalité, et donc il y aurait une contradiction avec son nom, "ce dont rien de
plus grand ne pourrait être pensé". L'argument est-il complet avec le chapitre 2? Alors
ça dépend des interprètes. Certains disent non, certains disent oui. La position de ceux
qui disent non, l'argument n'est pas complet est le suivant : c'est que pour que l'on
puisse dire, être assuré que la négation du QRG, la négation de Dieu... Plus exactement
: pour que l'argument fonctionne, il faut que la négation du QRG soit impossible. Que la
négation de Dieu soit impossible. C'est ce qui va être montré au chapitre trois. On va
venir au chapitre trois tout à l'heure, mais je voudrais encore approfondir certains points
de l'argument, ou du premier argument si on considère qu'il y en a plusieurs. Certains
considèrent qu'il y a un argument au chapitre deux, un argument au chapitre trois...
Pourquoi a-t-on appelé cet argument "argument ontologique"? C'est une dénomination
qui a cours depuis Kant, dans la Critque (idéale) de la Raison Pure. Pour Kant un
argument ontologique est un argument qui conclut à l'existence d'un être à partir de sa
définition. Dans une certaine mesure on peut conclure que l'argument d'Anselme est un
argument ontologique... Mais dans une certaine mesure seulement à mon avis. Et je
vous ai dit combien les positions pouvaient différer par rapport à cet argument, et donc
je dois toujours dire "à mon avis" sur les choses que je vous raconte.
L'argument ontologique de l'existence de Dieu s'oppose dans la terminologie kantienne
à l'argument cosmologique, fondé sur l'ordre du monde. Mais disons que la terminologie
d'argument ontologique pour l'argument d'Anselme, ça vient de Kant. Alors, autre
dénomination pour l'argument d'Anselme, c'est l'argument "a priori". C'est bien ce que
cherchait... et là il faut se référer au préambule... Anselme disait : j'ai commencé à
chercher à part moi s'il pouvait se trouver par hasard un argument unique qui n'eut
besoin que de lui seul pour se prouver. Effectivement ça c'est un argument a priori. Ce
qui serait un ou des arguments à posteriori, et bien ces arguments partiraient d'une
réalité autre du monde, ce sont aussi des arguments cosmologiques, qui par déduction,
ou en remontant, ou en régressant arriveraient, ou en progressant, arriveraient à
conclure à une nature suprême. Ces arguments cosmologiques ou a posteriori, en tout
cas à posteriori, sont des arguments du type de ceux qu'Anselme a utilisés dans le
Monologion, chapitres 1 à 6. Nous n'avons pas lu ça mais c'est le début du Monologion :
à partir du désir du Bien, du désir naturel du Bien de la part des êtres raisonnables, eh
bien on remonte vers un bien suprême. Ca ce sont des arguments a posteriori, parce
qu'on part d'une réalité et on remonte vers une réalité suprême.
Alors maintenant examinons peut-être de plus près le QRG. "Quelque chose dont rien
de plus grand ne peut être pensé". Première chose, il y a divers éléments à observer et
à analyser dans ce groupe, qui peuvent donner une certaine approximation de la façon
dont ce nom fonctionne, si on peut dire. Premièrement, ce nom fonctionne à partir de
degrés de grandeur. Le plus grand, ce dont rien de plus grand ne peut être pensé. Ici
aussi il y a une certaine notion de hiérarchie des êtres. Cette grandeur qui fonctionne...
Ces degrés de grandeur qui fonctionnent... Les degrés... C'est le plus grand. C'est un
comparatif, on compare les choses, et il y en a qui sont plus grandes que les autres.
Attention cette grandeur n'est pas une grandeur spatiale, bien sur, ce n'est pas une
grandeur corporelle, ce n'est pas une grandeur matérielle. C'est une grandeur
immatériel. Donc pas d'étendue dans l'espace, pas de matérialité, pas de corporalité.
Mais c'est plutôt une grandeur qui mesure le niveau, le degré d'être dans une hiérarchie.
C'est pourquoi Anselme dit que c'est plus grand d'être dans la réalité que seulement
dans l'intellect. Parce qu'en étant dans la réalité en plus que d'être dans l'intellect, on a
plus d'être, si vous voulez, on est plus grand.
Deuxième élément qui est très important dans ce nom, c'est la négation. Rien de plus
grand ne peut être pensé. Il y a une négation, ce qui est évidemment très bizarre dans
une définition. Est-ce qu'on peut véritablement considérer que ceci est une définition. En
tout cas ce n'est pas une définition traditionnelle comme "l'homme est un animal
raisonnable mortel", avec un genre et des différentes qualités, ce n'est pas du tout
comme ça que ça fonctionne, ceci, pas du tout. Anselme dit ailleurs de façon tout à fait
explicite qu'il ne peut pas intelliger, il ne peut pas reconnaitre, il ne peut pas comprendre
l'essence de Dieu. En d'autres termes, et ça c'est une remarque très importante parce
qu'elle est probablement le fait d'un malentendu historique, Anselme ne part pas de
l'essence pour affirmer l'existence, ce n'est pas ça qu'il fait. Il ne considère pas que ceci
décrit l'essence divine. Il ne considère que l'esprit humain peut intelliger, comprendre
l'essence divine de façon concrète.
Donc elle ne donne pas un contenu positif de la chose à comprendre. Moi j'aurais
tendance à dire que cette formule ou ce nom serait plutôt au fond une méthode pour
approcher ou pour affirmer l'existence de la chose, et puis pour en déduire le reste mais
pas une définition de son contenu. Donc c'est une définition dans un sens un peu
particulier.
Troisième élément, le pouvoir, ou la possibilité. Ici je pense qu'il va plutôt falloir parler de
possibilité. Possibilité dans deux directions : première direction, la possibilité qu'il y ait
toujours quelque chose de plus grand, dans les degrés. Donc une échelle des degrés,
une hiérarchie des degrés si vous voulez. Et puis qui s'arrête à un moment donné,
m'enfin la possibilité est celle-là. Et alors aussi... Qui s'arrête parce qu'il y a une
négation. On a une échelle de possibilités toujours plus grande, plus grande, plus
grande qui irait à l'infini s'il n'y avait pas une négation, ce "rien ne peut être pensé...".
Et puis une possibilité de le penser, justement, une possibilité de penser. Il y a un
contenu de pensée tel qu'au-dela de ce contenu on ne puisse plus penser. Donc il n'est
pas pensable qu'il y ait un contenu au-dela de ce contenu-ci. Mais on ne dit pas non
plus quel est ce contenu, on ne le définit pas, d'une certaine façon. Et on affirme que ce
contenu on ne peut pas aller au-dela. Enfin, dernier élément, c'est la pensée. Là il faut
tout de même que je fasse une petite distinction terminologique : quand on traduit
"penser" dans Anselme, c'est "cogitare", ça va vous rappeler quelque chose sans doute.
Et donc il est concurrent avec "intelligere" qui est aussi une opération de la pensée,
mais qui est différente, et alors les spéculations sur la différence entre cogitare et
intelligere ici sont assez importantes, mais je ne vais pas nous entrainer là-dedans. Ce
qui est important de voir, évidemment, c'est que c'est bien un argument a priori, et donc
que pour qu'il fonctionne, il faut que l'on parte, que le point de départ soit la pensée
humaine, tout simplement.
C'est un argument qui n'a besoin de rien d'autre que de lui-même, puisque c'est un
argument qui doit être pensé par quelqu'un, c'est-à-dire par une humain, ou au moins
par un être raisonnable, à la limite, s'il pouvait y avoir un autre être raisonnable qu'un
homme. Donc en tout cas on doit partir, dans cet argument, pour conclure à la réalité,
on part d'un contenu de pensée, c'est tout à fait clair. L'insensé, quand il dit "Dieu n'est
pas", il pense Dieu, donc il pense "ce dont rien ne plus grand ne peut être pensé", donc
il part d'un contenu de pensée. C'est pour moi sans doute la principale difficulté de
l'argument, d'ailleurs on va y revenir, c'est qu'il faut admettre avec Anselme que
l'insensé a bien ce contenu-là de pensée quand il pense Dieu. Ce qui me parait moi
problématique.
Même, je veux dire, en me remettant dans des conditions de..., en essayant en tout cas
de me mettre dans des conditions, en faisant abstraction de l'évolution historique qui a
suivi... Ca me parait difficile de l'admettre sans plus.
[Acte 2, scène 2.]
Un étudiant
Quand rien de plus grand ne peut être pensé... On est dans l'intellect. Et Anselme dit
aussi "est dans la réalité", est-ce que vous ne pourriez pas éclairer ce qu'est cette
réalité? Est-ce que c'est une réalité éthérée du type Idée de Platon, ou une réalité
beaucoup plus concrète, personnelle?
Brouwer
Là il ne précise pas de façon claire... Ce qui est certain c'est que c'est une réalité extramentale, donc en dehors de la pensée humaine. Elle est en-dehors de la pensée
humaine, dans une réalité...
L'Etudiant
Elle est pensable...
Brouwer
Ah, c'est-à-dire qu'elle est non seulement pensable, mais vous allez voir dans un instant
qu'on ne peut pas, qu'il est impossible pour Anselme de ne pas la penser, de la nier.
C'est sa négation qui devient impensable. Et donc effectivement on passe de la pensée
à la réalité, d'accord?
L'Etudiant
Quelle réalité?
Brouwer
Une réalité qui n'est pas seulement une réalité de la pensée, qui n'est pas un état, une
conception de quelque chose. C'est une réalité dans un monde extra-mentale.
Un autre étudiant pose une question, mais il est trop loin pour qu'elle soit
compréhensible. Il semble parler d'un troisième point de vue qui pourrait englober les
deux autres, Dieu pouvant être à la fois dans l'intellect, dans la réalité, et aussi dans l'un
ou l'autre.
Brouwer
C'est précisément ça qu'Anselme pense avoir résolu avec le "ce dont rien de plus grand
ne peut être pensé". On pourrait dire ça si on disait simplement et c'est d'ailleurs ce que
Descartes va faire, en disant que Dieu est parfait. Et donc là on pourrait dire ça. Mais ici
c'est la mécanique du "ce dont rien de plus grand ne peut être pensé" qui fait dire que
dès qu'on a ce contenu-là de pensée dans la pensée, on doit nécessairement en
conclure à sa réalité.
Le second étudiant poursuit sur une autre question, toujours incompréhensible dans les
détails, mais qui parle d'un décollement de la pensée qui pourrait penser à la fois cette
pensée et la réalité.
Brouwer
Alors il ne la constate pas dans la réalité, attention. Il n'a pas une perception de cette
chose dans la réalité. Il conclut simplement de son contenu de pensée à la nécessité de
la réalité de la chose. L'objection que vous donnez serait vraie si dans la réalité on
pouvait percevoir la divinité, si on pouvait la voir, l'écouter. Oui, ok, ça peut arriver,
comme on l'a vu, avec les miracles, etc. Mais ici ce n'est pas ça qui est visé, c'est bien
que l'on puisse conclure d'un contenu de pensée à une réalité. Donc on ne doit pas
avoir de point de vue distancié qui examine les deux choses sur la réalité même de la
chose, si vous voulez. C'est pour ça que c'est un argument a priori, c'est un argument
qui conclut simplement à partir d'un contenu de pensée.
Une troisième étudiante
Monsieur?
Brouwer
Oui?
L'étudiante
Est-ce que la réalité il ne faut pas la prendre dans un sens chrétien, ce ne serait pas une
réalité matérielle, mais une existence, une présence de Dieu au côté de chacun, chaque
jour, mais qui n'est pas dans la réalité matérielle...
Brouwer
C'est une réalité immatérielle ça de toute façon, ça c'est certain. C'est pas une réalité
matérielle, oui oui, attention. Puisque c'est une grandeur immatérielle, incorporelle. C'est
pas une réalité matérielle, on est bien d'accord, mais c'est une réalité quand même,
c'est le monde quand même. Alors le paradoxe effectivement, et ça, si vous lisez le
Monologion vous allez voir qu'Anselme disserte là-dessus... Si vous lisez les
Conférences de Pierre Abélard, Abélard parle de ça aussi, et les Théologies d'Abélard
aussi, la divinité chrétienne est partout et nulle part à la fois. Elle est en tout temps et en
aucun temps. Il y a ce paradoxe. Elle est à la fois ce qu'il y a de plus réel, la divinité, et
en même temps ce qu'on ne perçoit pas par les sens. Normalement. Sauf exception.
[Rideau]
Chapitre 3. Phrase 14.
Cela est en tout cas... Oh pardon, le titre du chapitre : "Qu'il est impossible de penser
qu'il ne soit pas". C'est là qu'on doit arriver sans doute pour Anselme. "Cela est en tout
cas si vraiment qu'on ne peut penser qu'il ne soit pas. Car on peut penser qu'il est
quelque chose dont on ne puisse penser qu'il ne soit pas. Ce qui est plus grand que ce
dont on pourrait penser qu'il ne soit pas." Au fond c'est le même ressort, dans le second
argument.
"Dès lors si l'on peut penser que cela dont plus grand ne peut être pensé n'est pas, cela
même dont plus grand ne peut être pensé n'est pas cela dont plus grand ne peut être
pensé, ce qui ne peut convenir." On arrive de nouveau à la même contradiction. "Ainsi
donc quelque chose dont plus grand ne peut être pensé est si vraiment qu'on ne peut
penser qu'il ne soit pas." Au fond c'est le même ressort.
Quand on a ce dont rien de plus grand ne peut être pensé dans l'intellect, on l'a
également dans... On doit conclure qu'il est également dans la réalité, qu'il est réel. Mais
on peut penser aussi à quelque chose dont il soit impossible de penser qu'il n'est pas. Il
possible de penser à quelque chose qui soit impossible de penser qu'il n'est pas. Dont
l'inexistence serait impossible. Et cette chose-là, c'est quelque chose d'encore plus
grand que quelque chose qui existe nécessairement. On a démontré que le QRG
existait nécessairement. Et maintenant on dit : mais, si on peut penser à quelque chose
dont il est impossible de penser qu'il n'est pas c'est quelque chose d'encore plus grand.
Et puisque c'est plus grand, c'est nécessairement ce dont rien de plus grand ne peut
être pensé, sinon on a de nouveau une contradiction. Ca va? Au fond, c'est le même
mécanisme de l'argument si vous voulez. Donc, conclut Anselme, on ne peut même
pas... Il est même impossible de penser que ce dont rien de plus grand ne peut être
pensé n'est pas. Parce que si on pense qu'il est possible de ne pas le pas le penser, on
peut penser à quelque chose de plus grand, à savoir quelque chose dont il est
impossible de penser qu'il n'est pas.
Ce dont il est impossible de penser qu'il n'est pas est encore plus grand que ce qui
existe nécessairement. Et comme on peut le penser, nécessairement, on doit identifier
ce dont rien de plus grand ne peut être pensé avec cet encore plus grand, sinon on a de
nouveau un plus grand que ce dont rien de plus grand ne peut être pensé.
[Acte 2, scène 3]
Un étudiant
C'est pas justement dans le fait qu'il est impossible de penser quelque chose dont
l'existence est impossible... Il est impossible de penser quelque chose...
Brouwer
Non non, c'est l'inverse. Donc, il est nécessaire que ce dont rien de plus grand ne peut
être pensé puisse ne pas être pensé. Il est impossible qu'on puisse penser son
inexistence.
L'étudiant
C'est pas... Y a pas... Cet argument avec les pièces de monnaie : je peux concevoir
d'avoir cinquante francs mais la réalité...
Brouwer
Oui oui donc bien sur, c'est un peu le mécanisme ontologique. C'est d'ailleurs, bon, j'ai
pas le temps de développer, mais c'est d'ailleurs la critique de Gaunilon, si vous voulez
la lire, qui dit : oui m'enfin, si je pense à une île que personne ne connait et qui est la
plus belle de toutes les îles, est-ce qu'elle existe nécessairement pour autant?
[Rideau]
Donc après il y a toute la réfutation d'Anselme qui répond aux arguments de Gaunilon,
mais bon je ne peux pas nécessairement aller plus loin là-dessus, parce que je voudrais
aboutir un petit peu sur Anselme. Je lis également pour terminer, la fin du chapitre trois
et le chapitre quatre. On passe directement au style allocutoire, au style d'allocution, la
phrase 18 : "Tu es cela, Seigneur notre Dieu, ainsi es-tu si vraiment" si vraiment ça n'est
pas très français mais bon "si vraiment qu'on ne puisse penser que tu ne sois pas. Et
justement." Et à bon droit. "Si quelqu'esprit en effet pouvait penser quelque chose de
meilleur que toi, ta créature s'élèverait au-dessus du Créateur, jugerait du Créateur, ce
qui est très absurde." Là il en a rajouté une couche, mais qui n'est plus vraiment un
argument de type rationnel, ontologique ou autre, mais il reprend un petit peu la qualité
de l'homme-créature par rapport à son créateur, et que effectivement la créature est
nécessairement moindre que le créateur, et donc ne peut arriver à juger du créateur.
C'est la créature de Frankenstein, ou c'est Pinocchio. C'est un peu ce genre de choses
là. C'est le genre de fables qui parlent de cette question-là. "Toi seul a donc la manière
d'être la plus vraie, et par suite, la plus grande de toutes. Car tout ce qui est autre n'est
pas si vraiment et a par conséquent moins d'être". C'est donc ce que je vous disais tout
à l'heure. Seul Dieu a l'être pleinement, si vous voulez, tous les autres sont dans une
hiérarchie de moins vers plus d'être. "Alors pourquoi l'insensé a-t-il dit dans son coeur
Dieu n'est pas, quand il est manifeste pour tout esprit raisonnable que tu as la plus
grande manière d'être de toutes. Pourquoi sinon parce qu'il est sot et insensé?"
Donc ce qu'Anselme a voulu démontrer, effectivement, c'est que Dieu est le seul à
pouvoir ne pouvoir être pensé et ne pas être. Et donc ce qu'il va montrer, mais j'y
reviendrai tout-à-l'heure, dans quelques minutes, ce qu'il a montré c'est que... ce qu'il
veut montrer, c'est la radicale différence et distance entre la créature même raisonnable
et la divinité. Et donc l'insensé est insensé. Pourquoi l'insensé est-il insensé? Eh bien
parce que il a dit ce qu'on ne peut même pas penser. Puisqu'on ne peut même pas
penser que Dieu n'est pas. Il est impossible de penser l'inexistence de ce dont rien de
plus grand ne peut être pensé. Donc il a pensé ce qu'on ne peut pas penser. Alors
comment cela se fait-il? Que quelqu'un pense ce qu'on ne peut même pas penser?
C'est ce qu'il va dire dans le chapitre 4.
"Comment l'insensé a-t-il dit dans son coeur ce qui ne peut être pensé? Comment a-t-il
dit dans son coeur ce qu'il n'a pu penser? Ou comment n'a-t-il pu penser ce qu'il a dit
dans son coeur, puisque c'est la même chose de dire dans son coeur et de penser?" Là
vous vous souvenez, Monologion 10, penser c'est dire, dire c'est penser. "Si vraiment,
bien plus parce que vraiment il a pensé, ayant dit dans son coeur, et n'ayant dit dans
son coeur car n'a pu penser ce n'est pas d'une seule manière qu'on dit dans son coeur
et qu'on pense quelque chose." Donc d'un côté il a dû le penser et d'un autre côté il n'a
pas pu le penser. "Une chose en effet est pensée d'une manière quand est pensé le mot
qui la signifie" Ce qui nous rappelle encore le Monologion 10. "d'une autre quand est
reconnue ou intelligée cela même qu'est la chose. De la première manière on peut
penser que Dieu ne soit pas, mais de la seconde nullement. Nul ne peut assurément
reconnaitre ce que Dieu est et penser qu'il ne soit pas. Bien qu'il puisse dire ces paroles
dans son coeur, sans aucune signification, ou avec quelque signification étrangère."
Alors ici on touche de nouveau au point qui pose difficulté, je pense, dans l'argument :
comment on peut dire que l'insensé conçoit ce dont rien de plus grand ne peut être
pensé, ou pense ce dont rien de plus grand ne peut être pensé. Et bien, quand Anselme
disait au chapitre 2 : il intellige ou il comprend, ou il reconnait... encore que ceci pose
difficulté, mais enfin... il reconnait ce qu'il entend. Quod audis. Donc ce qu'il entend, les
sons. Il faut considérer qu'Anselme, quand il dit ça, qu'il dit que l'insensé intellige ce qu'il
entend, il intellige le mot "Deus", dans le cas de l'insensé. Pour pouvoir dire "Dieu n'est
pas". Mais alors, et là c'est une question qui me parait irrésolue là-dedans, comment
fait-il pour avoir dans l'intellect ce dont rien de plus grand ne peut être pensé, puisqu'il
intellige seulement le mot et pas la chose?
S'il intellige la chose, il ne peut plus dire "Dieu n'est pas". Mais c'est aussi l'argument,
d'une certaine façon. C'est-à-dire que du moment où l'insensé a dans son intellect ce
dont rien de plus grand ne peut être pensé, il ne peut plus dire "Dieu n'est pas". Ca lui
devient impossible. La seule façon pour Anselme, à l'issue de son argument, de dire
"Dieu n'est pas", c'est de penser Dieu simplement le mot. Le mot "Dieu". A l'issue de
l'argument il n'y a plus d'autre possibilité. On ne peut plus que penser le mot. Sauf que
vous avez vu que dire une chose... On peut dire une chose de différentes façons,
prononcer le mot ou penser le mot, ou penser la chose. Et ici on est au niveau où on
pense le mot et pas la chose.
31. "Dieu est en effet cela dont plus grand ne peut être pensé. Et qui le reconnait bien
reconnait que de toute façon seul (??) et de telle façon qu'il ne le puisse pas même pour
la pensée ne pas être. Qui donc reconnait que Dieu est tel ne peut pas penser qu'il ne
soit pas. Je te rends Grâce, mon Seigneur, je te rends Grâce parce que j'ai d'abord cru
sur ton don, je le reconnais maintenant à ta lumière, d'une telle manière que si je ne
voulais pas croire que tu es, je ne pourrais pas ne pas le reconnaitre." Alors là ceci est
capital. Ceci est absolument capital parce que même si je ne voulais pas croire... Donc
on est partis d'un point de départ qui était un point de départ de Foi, d'accord? Et on
arrive à un point d'arrivée où on a une espèce d'argument qui est une forme peut-être
de machine de guerre, si on peut dire, ou en tout cas une machine de conviction qui
permet d'emporter la conviction même de l'incroyant. Si je ne voulais pas croire, je
serais quand même obligé de reconnaitre... Donc pour Anselme, il estime être arrivé à
un point où il a un argument apologétique, d'une certaine façon, apologétique,
l'apologie, la défense... Les apologistes chrétiens des premiers temps étaient ceux qui
défendaient la Froi chrétienne contre les païens. Même chose ici, Anselme pense avoir
un argument qui peut emporter l'adhésion même des non-croyants.
Mais cela implique, bien sur, d'admettre un certain nombre de présupposés. Et en
particulier un mode de pensée d'une hiérarchie, bien sur, puisque tout le ressort de
l'argument repose sur "le plus grand". Donc c'est plus grand d'être dans la réalité que
seulement dans l'intellect, c'est plus grand de ne pas pouvoir ne pas être pensé et ne
pas être que de pouvoir être pensé et ne pas être. Donc on est chaque fois dans des
degrés de grandeur. Il faut pouvoir admettre ça. Que les êtres sont hiérarchisés de cette
façon-là. C'est en tout cas un des présupposés importants de l'argument. Et on pourrait
constituer à peu près une bibliothèque sur les commentaires de cet argument. Je ne
vous ai donné qu'un tout petit aperçu de la chose.
Il y a là de quoi faire. Je termine très très rapidement avec une petite remarque sur
Anselme, avec une petite remarque concernant la postérité de l'argument ontologique.
L'argument d'Anselme, de l'unique argument, l'argument du Proslogion, pour ne pas dire
ontologique, ou l'argument a priori. Grande postérité d'abord au Moyen-Age; deux
penseurs vont avec des adaptations adopter l'argument (parmi d'autres, mais parmi les
plus importants) : saint Bonaventure et Duns Scot. Par contre il est rejeté par Thomas
d'Aquin, au début de la Somme Théologique. Thomas d'Aquin qui part plutôt des
preuves a posteriori. Puis c'est bien sur Descartes qui va donner à un argument de type
ontologique beaucoup de retentissement et d'éclat, dans la cinquième méditation, avec
évidemment des différences qui sont tout à fait fondamentales, puisque Descartes lui ne
va pas enraciner son argument dans une démarche de la Foi chrétienne, bien entendu,
et puis d'ailleurs le ressort de l'argument est autre chez Descartes : Descartes part lui
d'une idée claire d'un être absolument nécesssairement parfait, et lui attribue ensuite
l'existence comme une perfection. En deux mots, et honteusement simplifié, c'est de
cela qu'il s'agit. L'idée d'un être nécessairement parfait pour lui attribuer l'existence
comme une perfection, et puis on va avoir dans cette tradition notamment Leibniz aussi,
et puis cette tradition est interrompue, et même presque définitivement interrompue par
Kant, qui lui, dans la Critique de la Raison Pure, va démonter l'argument qu'il appelle
ontologique, mais qui est plutôt l'argument cartésien que l'argument d'Anselme.
Si ce sujet vous intéresse, je vous ai rajouté une référence à la bibliographie, un très
bon bouquin : ça s'appelle "L'existence de Dieu. Histoire de la preuve ontologique de
Descartes à Kant" d'Emmanuela Scribano, au Seuil.
Donc pour cloturer, on en est au chapitre 4 du Proslogion, dans la suite du Proslogion,
Anselme va déduire les attributs divins de ce qu'il a démontré, de l'existence nécessaire
de Dieu, et va montrer qu'en disant qu'il est ce dont rien de plus grand ne peut être
pensé, il est non seulement le plus haut de tous les êtres, summum omnium, mais
même qu'il est plus grand qu'on ne puisse le penser, qu'il est au-dela même du
pensable. Et c'est la raison notamment, mais c'était quelque chose qui était déjà
pressenti dans le Monologion... C'est notamment pour cette raison que Corbin dans
l'édition du Cerf des oeuvres d'Anselme traduit par "suréminent". Traduction un peu
bizarre mais qui manifeste ceci, c'est qu'en latin, summus ça signifie simplement le plus
haut, le plus grand. Or c'est plus, ici, la nature suprême c'est plus que seulement la
nature la plus haute de toutes : elle est au-dela des autres natures, il y a une
transcendance, il y a une césure entre la nature des autres êtres et la nature divine.
C'est ça que Corbin a voulu traduire dans le terme suréminent. Et qu'est-ce qui fait cette
différence fondamentale, c'est quelque chose que j'ai déjà répété à plusieurs reprises,
c'est que d'une part Dieu peut tirer de lui-même tout ce qu'il est et tout ce qu'il fait, tandis
que toute créature, et même la créature raisonnable, a nécessairement besoin de
l'extérieur, a besoin de Dieu, a besoin des autres hommes, si on parle de la créature
raisonnable qu'est l'homme, a besoin de la matière, a besoin de quelque chose
d'extérieur à lui-même pour faire et même pour penser.
Voilà, là-dessus je cloture Anselme, et je fais deux courtes minutes de pause si vous
voulez bien...
[Pause]
... Les plus connues, sans doute, de la philosophie médiévale, voire du Moyen-Age tout
entier. Parce que c'est un personnage tout à fait singulier. Quand on parle d'Héloise et
Abélard, on dit parfois: "Ah oui mais Abélard c'est aussi un philosophe". Je dirais plutôt
qu'Abélard est un philosophe et qu'il lui est aussi arrivé toutes sortes de choses que je
vais résumer très rapidement maintenant. Enfin, ça vous donne toute la complexité et la
richesse du personnage en question. Parce que c'est non seulement un philosophe,
mais c'est aussi un écrivain, et c'est aussi un personnage qui a une importance dans
l'histoire religieuse, sociale, politique et des mentalités médiévales. Donc c'est un
personnage d'une ampleur très importante. Donc rapidement des repères
chronologiques, passons les en revue rapidement.
Né au Palais près de Nantes. Ce n'est pas un palais, c'est une petite localité qui
s'appelle Le Palais, près de Nantes, en 1079. Il suit les enseignements... Ah oui, une
chose, avant : dans les textes que vous avez, que je vous ai distribués sur Anselme, y a
un texte qu'on a pas vu : y a un texte tiré de la Lettre sur l'Incarnation du Verbe, que
j'espérais voir, et qu'on n'aura pas le temps de voir. Ca peut être un texte que vous
pouvez lire et peut-être expliquer à l'examen si le coeur vous en dit. C'est une
suggestion. Ce n'est pas obligatoire, mais ça peut être une suggestion aussi. Là vous
trouverez dans l'édition... Je crois que c'est dans le volume 3 de l'édition des oeuvres
d'Anselme, il y a une introduction qui vous donne un peu le contexte de la chose.
Pourquoi je dis ça? C'est parce qu'Abélard est un élève de Roscelin de Compiègnes et
Roscelin était en conflit... Enfin il y a eu controverse entre Roscelin et Anselme à propos
de la Trinité et de l'Incarnation. En deux mots, d'après Anselme, parce que c'est pas si
clair, Roscelin disait : soit la Trinité ce sont trois dieux, soit les trois personnes se sont
incarnées, le Père et l'Esprit se sont incarnés avec le Fils. Donc le Fils est Dieu tout
entier, ou alors c'est qu'il y a trois dieux. Si vous voulez il pose le problème de
l'incarnation d'une seule personne alors qu'on est dans le cas d'un Dieu unique en trois
personnes. En gros c'était ça la question et là-dessus il s'est bien empoigné notamment
avec Anselme, et vous lirez un petit peu ce qu'Anselme en pense si vous le désirez
dans la lettre sur l'Incarnation du Verbe.
Vers 1100, le voilà qui suit à Paris, il est à Paris, l'enseignement de Guillaume de
Champeaux. Paris, donc école urbaine, on n'est plus dans le milieu monastique avec
Abélard, plus uniquement dans le milieu monastique. On y sera encore par moments,
mais c'est quand même plutôt le milieu, en tout cas pour son enseignement, le milieu
des écoles urbaines, des écoles cathédrales. Et le voilà qui peut de temps après
enseigne à Paris sur la Montagne-Sainte-Geneviève. Si vous connaissez tout petit peu
Paris, la Montagne-Sainte-Geneviève vous savez où ça se trouve, c'est du côté
actuellement de la Sorbonne, du Panthéon... Dans le Ve arrondissement. Donc le coin
des Ecoles. Donc la tradition s'est d'une certaine façon perpétuée depuis ce début du
XIIe siècle d'un lieu d'étude et d'enseignement à Paris dans les mêmes endroits, ce qui
est un exemple de permanence assez frappant.
Il enseigne dans la région aussi, Melun, Corbeil, il a un certain nombre de difficultés et
de soucis, notamment politiques, et en tout cas c'est à ce moment-là un enseignant tout
à fait indépendant, il n'a pas d'investiture au niveau ecclésiastique, un peu comme
Anselme était écolâtre ou Lanfranc était écolâtre dans l'Abbaye du Bec. A cette époquelà... Ou d'autres sont maitres dans des écoles cathédrales... Ben à cette époque-là
c'était pas le cas, son enseignement était "sauvage", indépendant de toute institution.
Vers 1113 il est à Laon, pour suivre les enseignements d'Anselme de Laon, qui est un
autre Anselme, y avait beaucoup d'Anselme à l'époque. Ecole d'exégèse. L'exégèse des
textes scriptuaires. 1114 il devient maitre à l'école... Cette fois-ci il est reconnu par
l'institution ecclésiastique... Maitre à l'école cathédrale de Paris. A partir de 1114. 11171118 Voilà Abélard... Alors là c'est l'épisode célèbre avec Héloise, donc Abélard est
engagé par Fulbert pour parfaire l'instruction de sa nièce Héloise. Pas tout à fait certain
que ce soit sa nièce, déjà... On a de bonnes raisons de penser qu'Héloise était plutôt la
fille de Fulbert que sa nièce, mais bon. Héloise et Abélard, bien sur, comme c'est bien
connu, s'éprennent l'un de l'autre, ils ont un mariage secret... Enfin y a toute une
péripétie qui fait que ce n'est pas Fulbert lui-même mais la famille d'Héloise qui fait
caster Abélard. C'était une des méthodes de vengeance, j'allais dire habituelle, ce qui
serait un peu beaucoup dire, mais quand même qui avait cours dans ces époques-là.
Abélard a fait non seulement castrer mais en plus aveugler ceux qui l'avaient fait
castrer. Donc il en a remis une couche supplémentaire si j'ose dire. Héloise prend le
voile dans un Prieuré à Argenteuil, et Abélard se fait moine à Saint-Denis. Saint-Denis
c'est la grande abbaye que vous connaissez peut-être. Actuellement la Seine-SaintDenis est plus connue pour ses émeutes que pour ses abbayes, mais l'abbaye de SaintDenis est LA grande abbaye royale française, c'est là qu'ont été enterrés tous les rois de
France, etc. Et c'est l'époque précisément où elle acquiert ce statut, c'est le XIIe siècle,
avec Suger etc. Il se fait moine à Saint-Denis et il reprend son enseignement. 1120 il a
lui-même une polémique avec Roscelin sur d'autres sujets qui sont plus des sujets de
logique, de méréologie, ce genre de choses. 1121 Première version de la Theologia.
Donc Abélard est le premier auteur médiéval latin à utiliser le terme "Theologia", pour un
traité concernant les choses divines et la science divine.
Et cette Theologia est condamnée dans un premier Concile à Soissons. Il entre en
conflit avec l'abbaye de Saint-Denis. 1122 il fond un ermitage, l'Ermitage du Paraclet
(Paraclet c'est un terme grec qui signifie le Saint Esprit), en Champagne. 1125-1132 il
est envoyé en Bretagne à l'abbaye Saint-Gildas. Il est en conflit... Enfin il est en conflit
tout le temps, Abélard... Il est en conflit avec ces moines qui essaient de le trucider à
plusieurs reprises. Il s'en échappe par miracle. Entretemps 1129 Heloise est devenue
abbesse de son prieuré ou de son monastère, et s'installe au Paraclet. Il y a toute une
série de péripéties politiques là-derrière que je vous passe. Vers 1133 Abélard est de
retour à Paris où il enseigne sur la Montagne-Sainte-Geneviève de nouveau et alors là,
à ce moment-là il est à peu près au faite de sa gloire, et il y a toute une série d'élèves
qui viennent de l'Europe entière pour l'écouter. Jean de Salisbury, Arnaud de Brescia,
toute une série de grands intellectuels qui viennent écouter Abélard. 1140, accusation
d'hérésie, la Theologia vous allez voir a plusieurs versions, et le principal accusateur
d'Abélard c'est Bernard de Clairvaux précisément. Et Bernard de Clairvaux va obtenir du
Pape Innocent II qu'il avait d'abord protégé la condamnation d'Abélard. Donc sa
"Théologie" est brûlée et il est condamné au silence perpétuel, et donc il ne peut plus
publier, c'est ça que ça veut dire. Et c'est Pierre le Vénérable, de l'abbaye de Cluny, qui
est aussi quand même un personnage assez considérable, qui va le recueillir dans un
prieuré de l'abbaye de Cluny, et il meurt deux ans plus tard dans un prieuré clunisien.
Une vie très très bien remplie, il a écrit beaucoup, mais il a vécu beaucoup aussi.
Principalement l'oeuvre d'Abélard... Je ne vous ai pas donné comme pour Anselme un
classement chronologique, parce que la chronologie des oeuvres d'Abélard est
beaucoup moins sûre que celle d'Anselme, et donc je vous donne plutôt un classement
thématique. Trois catégories : des oeuvres de logique et de philosophie, des oeuvres de
théologie, et d'autres choses.
Oeuvres de logique et de philosophie : les Collationes et les Dialogus, c'est ça qu'on va
lire tout de suite. Dont je vous fait l'introduction tout de suite. Une Dialectique, Dialectica,
donc un traité de logique. Un parmi plusieurs traités de logique. Un traité des
intellections, donc très intéressant pour voir un petit peu ce qui était considéré comme
"intellectus", comme intellections à l'époque chez Abélard. Et puis des introductions, des
écrits de logique, d'autres ecrits de logique. Introductiones, connu sous le titre
Introductiones Parvulorum, c'est-à-dire "Introduction pour les jeunes", pour les
débutants, les grands commençants. Ce sont des gloses sur les traités d'Aristote, ceux
qui sont connus à cette époque-là. Je vous rappelle que les nouvelles traductions
d'Aristote venant du monde arabe ne sont pas encore arrivées à l'époque d'Abélard. Ca
vient juste un petit peu après, à partir du milieu du XIIe siècle, mais donc des gloses sur
le Traité des Catégories, sur le Traité de l'interprétation, sur l'Isagoge de Porphyre, sur
les Traités de Boèce, etc.
Donc même chose pour la Logica Ingredientibus, la logique pour les débutants, et la
Logica Nostrorum Petitioni, "A la demande des nôtres", donc il n'y a pas qu'Anselme qui
écrit à la demande des autres, Abélard aussi fait mine de faire comme si c'était à la
demande de tout un chacun qu'il écrit. Et enfin le Scito te ipsum, "Connais-toi toimême", ou encore appelé Ethique. C'est le deuxième oeuvre qui se trouve dans le petit
bouquin qui contient également les Dialogues d'Abélard en traduction française.
Deuxième catégorie, oeuvre de théologie ou d'exégèse. La Theologia, trois versions
successives : Theologia Christiana, "Théologie chrétienne", Theologia Summi Boni,
"Théologie du Souverain Bien", et Theologia Scholarium, "Théologie de nos élèves".
Quand je mets des petits guillemets, ça veut dire qu'en fait ce sont les premiers mots du
texte. Donc en fait le "Summi Boni", ce sont les deux premiers mots de l'oeuvre en
question. "Scholarium" c'est le premier mot, "Ingredientibus", "Nostrorum petitioni". Mais
ça donne une petite indication et ça permet d'identifier... Ca veut dire qu'Abélard n'a pas
donné de titre particulier à ses oeuvres.
Nous verrons la fois prochaine donc dans les deux premières heures, le prologue du Sic
et Non, "Oui et non", drôle de titre, qui rassemble précisément, mais nous ne verrons
pas ça, nous verrons le prologue, le Sic et Non rassemble des opinions qui paraissent
opposées ou des phrases ou des sentences qui paraissent opposées, de la part
d'auteurs qui font autorité. Et donc Abélard développe une espèce de méthode pour
interpréter ces contradictions apparentes entre les auteurs, notamment scripturaires, ou
les Pères de l'Eglise, etc.
Apologia Contra Bernardum. Ben oui, Abélard d'un caractère à se laisser faire par
Bernard de Clairvaux, donc il a polémiqué, fort, avec Bernard. Il y a des commentaires
sur l'Epitre de Paul, et l'explication sur divers écrits, sur le Notre Père, sur le Symbole
des Apôtres... Le Symbole des Apôtres c'est la Profession de Foi. "Je crois en Dieu..."
etc, etc, c'est ça le Symbole des Apôtres. L'Oeuvre des Six Jours, donc c'est le début de
la Genèse, la création du monde en six jours, ce qu'on appelle aussi l'Hexameron. Donc
ceci sont les principales oeuvres d'Abélard, il y en a encore d'autres.
Alors parmi les autres oeuvres, y en a aussi de très célèbres évidemment :"Histoire de
mes malheurs", qui est en fait une lettre qu'on trouve dans la correspondance
d'Abélard... Je ne sais pas si vous avez... Et je crois qu'on n'a pas précisément le texte
de ça, la traduction française, mais je pense qu'elle doit se trouver en librairie, donc
"Correspondance d'Heloise et d'Abélard". Hymnarius Paraclitensis, donc un recueil
d'hymne, de la poésie, pour l'abbaye du Paraclet, donc où s'est retirée Heloise. Des
lettres, des sermons, etc. Donc le reste de la correspondance d'Abélard. Il y a encore
pas mal de chose, mais ceci est déjà quand même très important.
Ce que je vous propose de lire maintenant, c'est un court extrait, et je vous invite
éventuellement à regarder ce texte de plus prêt. Il y a surement au-dela de cet extrait
pas mal de choses qui peuvent vous inspirer pour des commentaires de texte, du
"Dialogue entre un Philosophe, un Juif et un Chrétien" ou "d'un Philosophe avec un Juif
et avec un Chrétien", encore appelé "Conférence" ou "Collationes". Comment se
présente cet écrit?
Et bien c'est un écrit assez étonnant, qui semble être inachevé. Qui est certainement
postérieur à 1120, parce qu'il y est fait mention de la Theologia. Theologia dont la
première version date de 1120. Mais une date incertaine entre 1120 et 1142. Certains
se sont dit que c'était une oeuvre de la fin de sa vie parce qu'elle était inachevée, mais
l'argument n'est pas absolu. Alors c'est donc... Il existe au Moyen-Age une tradition de
dialogue entre Juifs et Chrétiens, dialogue au sens du genre littéraire, des écrits qui sont
des conversations ou plus souvent une discussion un peu vive entre... Une "altercatio"
comme disent les latins : ce n'est pas nécessairement une altercation, mais enfin, des
avis alternés, entre Juifs et Chrétiens, mais généralement ces dialogues sont justement
à deux personnages... Dialogue ne signifie pas qu'on ait nécessairement deux
personnages, ça peut être plusieurs personnages... Donc deux personnages, et ce sont
des dialogues chrétiens qui visent à réfuter la religion juive et à montrer que la religion
juive est dépassée, évidemment, par la religion chrétienne. Ici on a un dialogue à quatre
personnages : un Philosophe, un Juif, un Chrétien, et Abélard.
Et le dialogue commence de la façon suivante : Abélard dort. Et en songe, il voit
apparaitre trois personnes : un Philosophe, un Juif, et un Chrétien. Et voilà que le
Philosophe s'adresse à lui en disant : j'ai commencé une recherche sur les religions
pour savoir laquelle est celle qui pourrait emporter mon adhésion, s'il en est une, et je
ne suis pas très satisfait de mes recherches, puisqu'actuellement je n'ai toujours pas
trouvé la religion qui me satisferait, et j'ai des discussions avec ce Juif qui est là, et j'ai
des discussions avec ce Chrétien qui est là, et on n'arrive pas au bout de la discussion,
on a besoin d'un arbitre. Et il demande à Abélard d'être l'arbitre de leur discussion. Dans
le rêve toujours. Et bien entendu Abélard accepte, malgré des protestations de
modestie, mais alors, évidemment, c'est le philosophe qui fait l'éloge d'Abélard, bien sur,
dans le dialogue, en disant que c'est lui le plus qualifié pour être l'arbitre du différend en
question.
Bon alors ça donne quand même un genre littéraire qui est pratiqué relativement
souvent dans les écrits philosophiques... On ne va pas revenir sur les Dialogues de
Platon, évidemment, mais il y en a quand même pas mal d'autres, chez Cicéron, chez
Augustin, et puis après à la Renaissance ça c'est généralisé. Il y a ce dialogue-ci, il y en
a d'autres, au Moyen-Age aussi. Il faut faire bien attention dans le genre du dialogue, et
du dialogue philosophique en particulier... Le dialogue est toujours, je crois qu'il faut dire
ça, une oeuvre littéraire, dans le sens précis, une oeuvre littéraire qui fait intervenir
plusieurs interlocuteurs, au moins deux, à propos d'un sujet traité ou d'une question
posée.
Donc de ce genre littéraire là sont exclus par exemple les dialogues insérés dans une
oeuvre de fiction, on ne parlera pas de genre littéraire à ce niveau-là, ni non plus les
dialogues des oeuvres dramatiques comme les tragédies et les comédies. Ce qui est
important c'est de bien toujours garder en tête, quand on lit un dialogue, que ce qu'on lit
ne peut jamais être, ou n'est jamais la transcription exacte d'une conversation qui s'est
réellement tenue. Il y a toujours une mise en forme. Même minimale, mais il y en a
toujours. Alors, a fortiori ici, évidemment, où Abélard précisément met en scène un
songe pour introduire la discussion.
La deuxième chose qu'il faut bien garder à l'esprit, c'est que le personnage qui est
l'interprète des opinions de l'auteur n'est pas toujours facile à déterminer. On va le voir
notamment ici. Quand on lit un dialogue, je crois qu'il faut lire le dialogue comme si
l'ensemble des personnages concouraient à construire au fond la pensée de l'auteur. Et,
à moins que ce soit explicite ou que ce ne soit vraiment manifeste, il n'est en général
pas possible de dire : voilà, c'est ce personnage-là qui dit tout ce que l'auteur pense, et
les autres... Dans les Dialogues platoniciens c'est compliqué par la question de Socrate,
évidemment, mais dans tous les dialogues c'est un peu la même chose : c'est ce
personnage-là qui donne l'opinion de l'auteur, et les autres donnent des opinions
adverses, opposées, différentes, etc. Non, je crois que dans la plupart des cas.... Il peut
y avoir des cas comme cela, mais alors ils sont explicites. Dans la plupart des cas c'est
l'ensemble des personnages qui construisent quelque chose qui est l'opinion, la pensée
de l'auteur.
Alors, par quoi se caractérise le Philosophe par rapport au Juif et au Chrétien? Ben le
Philosophe il se présente comme celui qui suit la loi naturelle. Tandis que, c'est la
différence fondamentale, le Juif et le Chrétien ont chacun leur Ecriture, leur texte sacré.
Donc le Philosophe essaie de trouver par quel moyen, quelle religion plus exactement
pourrait correspondre à un examen rationnel de la chose, à un examen rationnel qui
correspondrait à la loi naturelle, et qui lui ferait dire : ben oui, c'est cette religion-là qui
correspond à la loi naturelle. Ca c'est le point de vue du philosophe, il part de la loi
naturelle. Bien entendu, le Juif et le Chrétien partent de leur texte sacré. Alors
s'ensuivent deux... Il y a d'abord une position du problème par le Philosophe, et puis
s'ensuivent deux grands dialogues, deux conférences, "collationes", l'une entre le
Philosophe et le Juif, et l'autre entre le Philosophe et le Chrétien, qui lui semble
inachevé.
Nous sommes... Le texte que je vous ai donc... Le premier texte ici, Pierre Abélard
p.110, on va commencer avec la réplique du Philosophe, et donc extrait du début de
cette conférence entre le Philosophe et le Chrétien. Je vais même remonter un tout petit
peu dans la fin de la réplique du Chrétien qui précède le Philosophe, p. 110.
[Pour se persuader sans peine... suite de la lecture... il suffira de confronter avec soin
ces prescriptions aux plus anciennes]
Donc ils sont occupés à confronter des lois. La première chose c'est que le Philosophe
a confronté la loi naturelle à la loi juive. Et vous savez je suppose combien la loi juive est
présente, est bien déterminée dans la religion juive... Et puis d'autre part ils sont
occupés à examiner ce qu'il en est d'une loi qu'on pourrait qualifier de chrétienne. Et
donc voir si la loi chrétienne, qui vient après, chronologiquement, la loi juive, a
suffisamment de valeur pour pouvoir supplanter la loi précédente. Et encore juste
quelques mots plus haut, en définitive, la véritable... le but ultime de la chose, c'est d'en
arriver à l'éthique. C'est pour ça d'ailleurs que dans le volume ici traduit par Gandillac, il
y a le Dialogue et le Connais-toi toi-même, l'Ethique, parce que ce Dialogue du
Philosophe, du Juif et du Chrétien a notamment trait à l'éthique, et surtout dans le
dialogue entre le Philosophe et le Chrétien. Le Chrétien répond (ici les titres sont du
traducteur):
[A présent nous avançons beaucoup ce me semble... suite de la lecture... que vous
appelez vertu]
Donc là, c'est bien clair, et le Chrétien lui-même le distingue clairement : d'une part on a
les philosophes, qui parlent de l'éthique comme de la fin, c'est-à-dire du but, de la
finalité de toutes les autres disciplines, et d'autre part, les chrétiens, qui identifient cette
fin, qui identifient l'éthique avec la divinité elle-même. Alors y a un jeu, c'est pas...
Quand les chrétiens disent "divinité", ce n'est pas exactement Dieu, c'est la qualité de ce
qui est divin, si on peut dire. C'est ce qui en Dieu fait qu'il est Dieu. Comme l'humanité
est ce qui en l'homme fait qu'il est l'homme. Donc, et le Philosophe va en convenir, la fin
ultime pour le philosophe c'est l'éthique. La fin ultime pour les chrétiens c'est l'éthique
identifiée à la divinité. Donc c'est plutôt la divinité identifiée à l'éthique. Et la démarche
est différente, puisque du point de vue du Philosophe il s'agit de réfléchir et d'examiner
les moyens pour accéder à la Vertu et au Bien suprême, c'est-à-dire à l'éthique, tandis
que les chrétiens, d'une certaine façon possèdent déjà la croyance en une divinité,
identifiée au Bien suprême. Au fond on pourrait presque dire que les philosophes
partent a posteriori et les chrétiens a priori. Puisque les uns partent de la pratique et des
moyens pour pratiquer la vertu, et d'autre part les chrétiens partent de la finalité ellemême qui est la divinité identifiée à l'éthique. C'est ce qu'exprime le Chrétien mais
qu'approuve le philosophe.
[J'approuve ton dire qui est clair... suite de la lecture... dès l'origine ce qu'il y faut
proprement découvrir]
C'est assez intéressant parce que le philosophe marque bien que la philosophie est une
recherche tandis que la religion... La religion a déjà trouvé, d'une certaine façon. La
religion a un point de départ qui est déjà le point d'arrivée. C'est-à-dire la divinité.
[Si le document lui-même (Brouwer: le document, c'est l'enseignement)... suite de la
lecture... pour qu'en soit réalisée pleinement l'intention]
Donc l'intention ici, terme clé de la philosophie, dès la philosophie médiévale, attention,
double signification chez Abélard : signification précisément éthique, morale, chez
Abélard on est... si vous lisez l'Ethique, c'est clair... dans une morale de l'intention, et
non pas de l'acte, amis en même temps l'intention c'est aussi le contenu de l'éthique, si
vous voulez, le contenu du concept de l'éthique. Le Chrétien :
[Tout le contenu de cette discipline... suite de la lecture... nous pourrons l'atteindre.]
Et je suis sûr que vous serez curieux d'apprendre comment on atteint le bien suprême...
C'est ce qu'on indiquera la fois prochaine.
[Fin de l'enregistrement]
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