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DEPT DE MEDECINE GENERALE / UNIVERSITE PARIS DIDEROT
TRACE D’APPRENTISSAGE
Le présent modèle doit être utilisé pour UNE TRACE D’APPRENTISSAGE AU FORMAT WORD. Les données du
formulaire ci-dessous doivent être remplies, puis la trace sera collée à la suite du formulaire
Nom et prénom de l’étudiant auteur de la présente trace : Leleu Claire
Nom et prénom du tuteur : Marc Frarier
Numéro du semestre du DES au cours duquel cette trace a été produite : 1
Date de réalisation de la trace: 09/03/2011
Le maître de stage du stage concerné par cette trace a-t-il évalué cette trace ? :
Oui
COMPETENCES VISEES PAR CETTE TRACE (effacer les compétences sans rapport avec ce document)

Compétence 2 : Communiquer de façon efficiente avec le patient et/ou son entourage

Compétence 5 : Travailler en équipe au sein du système de santé

Compétence 6 : Assurer la continuité des soins pour tous les sujets
Si votre tuteur estime que cette trace mérite d’être publiée sur le site en tant que trace remarquable, acceptez
vous qu’elle le soit ( Ne laissez que la réponse adaptée) :

Oui
Insérez à partir de la page suivante le texte de la trace d’apprentissage
Attention, avant le transfert de la trace, son titre dans votre ordinateur doit être formaté comme suit :
date(AAJJMM)_sujet, par exemple 100512_polytoxicomane_prise_en_charge_reseau . Aucune apostrophe,
aucun guillemet dans le titre!
ATTENTION SI VOTRE TRACE EST UN RECIT, IL DOIT ETRE TOTALEMENT ANONYMISE: RIEN NE DOIT Y
PERMETTRE D’IDENTIFIER UN PATIENT, NI VOTRE MAITRE DE STAGE, NI AUCUN PROFESSIONNEL
RECIT
Lors d’une de mes toutes premières visites, un beau matin de novembre, je vois Mme H.V, 47 ans, qui est entrée
pendant la nuit suite à une tentative de suicide par intoxication éthylique et médicamenteuse (Lexomil et
Noctran). Cette intoxication date de la veille à 17h. Mme H est très somnolente, avec un score de Glasgow à 7
(Y2 V2 M3). Le reste de l’examen clinique est normal. J’apprends (merci au système informatique !), que Mme H
a fait plusieurs tentatives de suicide, suite à des violences conjugales. Elle fume un paquet de cigarettes par
jour, consomme de l’alcool occasionnellement et n’a pas d’antécédents en dehors d’une cholécystectomie.
Le lendemain, le 3 novembre au matin, la patiente est (enfin !) réveillée. Je la trouve toujours somnolente. Cela
mis à part, son examen somatique est strictement normal. Sur le plan psychiatrique, elle présente des idées
suicidaires dont je ne sais pas évaluer la gravité. Ma co-interne, le Dr S, une FFI présente depuis plusieurs mois
dans le service, me rassure… La psychiatre va passer, elle verra.
Effectivement, le Dr G, psychiatre, voit la patiente vers 11h, puis vient m’expliquer son point de vue. La patiente
lui a dit qu’elle regrettait son geste. Mais elle la trouve trop somnolente pour que son examen soit contributif.
Par ailleurs la patiente connait mieux le Dr V-T, un autre psychiatre, qui passera dans 2 jours. Il serait
souhaitable d’attendre son avis pour juger de la gravité des idées suicidaires et de l’état thymique de la patiente
pour ensuite envisager la sortie… A cet instant, nous ne savons pas pourquoi la patiente a nié avoir des idées
suicidaires en présence du Dr G. Est-ce une ambivalence? (Et d’ailleurs, cette ambivalence aggraverait-elle le
risque suicidaire?) Est-ce un mensonge pour sortir au plus vite de l’hôpital? Ou encore une réelle amélioration
psychologique (à laquelle je ne croyais pas, mais le Dr G me dit que c’est parfois possible dans des délais
surprenants)?
Je ne lis pas le mot de la psychiatre, me contentant de la transmission orale. Ma contre-visite ne relève rien
d’anormal.
Le 4 novembre, lors de ma visite du matin, je suis surprise de retrouver une patiente fermée, peu communicante
sur ses affects. Elle refuse toujours d’expliquer son geste auto-lytique et je dois me contenter des données du
dossier. Je m’inquiète de cette évolution mais je me trouve assez impuissante… Le plus sage (le plus simple
aussi) semble d’attendre l’avis du Dr V-T le lendemain…
Je comprends (enfin) la problématique lors de la contre-visite vers 17h… Mme H voulait sortir au plus vite, pour,
dit-elle, s’occuper de ses animaux, un chien et deux chats. Elle l’a d’ailleurs dit à la psychiatre… (qui n’a pas
retransmis l’information oralement et dont personne n’a lu le mot…) Je ne sais pas pourquoi la patiente n’a
verbalisé qu'une seule fois son désir de sortie (les effets résiduels de l’intoxication? Une supposition de bonne
transmission des informations dans l’équipe? Un ressenti intuitif de l’opposition et/ou de l’incompréhension de
ce désir?)… En tout cas, jusqu’à cet instant, dans le service, tous ignoraient le désir de sortie de la patiente et ses
motivations. Je suis très embêtée. Au départ, je me suis contentée d’expliquer que l’avis d’un psychiatre est
indispensable, qu’à cette heure, le Dr G est partie étant donné qu’elle n’est attachée ni au service ni à l’hôpital,
qu’un psychiatre la verra demain et qu'une décision serait alors prise. Devant l’insistance de la patiente et son
argumentation, à bout de raisonnement, je lâche que je vais voir ce que je peux faire… probablement autant par
compassion que parce que je voulais quitter la pièce.
Je passe au poste de soin infirmier, pour « recharger les batteries », transmettre qu’il existe un risque de fugue…
et connaître la conduite à tenir habituelle dans le service. Une infirmière m’explique:
-
suite à une tentative de suicide, comme pour n’importe quel problème psychologique sérieux, ne pas
laisser la patiente signer une décharge. Elle n’a pas les capacités pour refuser ou accepter les soins.
-
Avertir dès le lendemain matin le psychiatre de la volonté de partir de la patiente pour décider ou non
d’une hospitalisation sous contrainte
-
L’équipe infirmière et aide-soignante surveillera du mieux possible la patiente.
-
La patiente devrait, si possible, être hospitalisée dans une chambre en fin de couloir pour faciliter cette
surveillance. On m’informe qu’à présent il n’est plus possible d’enfermer une patiente dans une
chambre même seule… (A mon grand soulagement, mais pourquoi est-il nécessaire de le préciser ?!)
Une aide-soignante interrompt la discussion. « La 216F dit qu’elle va fuguer. Elle veut voir le médecin. »
Ok! J’y retourne. La patiente me réexplique qu’il est indispensable qu’elle rentre chez elle s’occuper de son chien
et de ses deux chats. Je suis très ennuyée mais dans un premier temps, je ne modifie pas mon discours (qui
pourtant a fait preuve de son inefficacité). La patiente est plus agressive, très insistante. Je cherche une solution
qui satisferait tout le monde… Des voisins? Des amis? Mais Mme H se dit très isolée et n’est pas prête à donner
ses clés à quelqu’un qu’elle connaitrait peu. Alors je me demande s’il serait raisonnable qu’un inconnu aille
s’occuper des animaux. « Quelle est la taille du chien? », « C’est un Yorkshire. » Mais la question a
désagréablement surpris Mme H : « Mais je ne vois pas ce que ça change, de toute façon ils ont besoin d’être
nourris, et surtout un chien d’être sorti. »… C’est mal parti... Je me proposerais bien d’aller moi-même au
domicile de Mme H mais il faudrait avant regagner sa confiance… La conversation se prolonge donc. Mais la
patiente n’a plus aucune confiance en cette équipe qui ne l’a pas prise en considération, qui n’a pas pris au
sérieux ses requêtes… Le ton monte. Je ré-explique que je ne peux pas prendre la responsabilité de laisser sortir
une patiente suicidante sans un avis psychiatrique favorable qu’il n’est plus possible d’avoir à cette heure… La
patiente demande alors une sortie contre avis médical, qui lui est refusé d’office au regard du motif
d’hospitalisation. J’essaye de justifier ma position. Ce n’est pas la première tentative de suicide. Le contexte
difficile de Mme H reste d’actualité (on n’évoque qu’à peine le caractère protecteur de cette hospitalisation…
C’est mal venu). Mme H a dit la veille qu’elle regrettait l’inefficacité de son geste, et depuis, refuse de
communiquer. Elle est restée 36 heures particulièrement peu réactive… « sauf à la douleur », je ravale à la
dernière seconde ces derniers mots… Mais manifestement la patiente les a déjà entendus dans le service et
comprends ce que j’allais dire… D’où une question gênante « Et comment savez-vous que je réagissais à la
douleur? J’étais inconsciente mais quand même! ». Le ton monte lentement mais sûrement. La patiente reste
sur ses positions, et moi je ne sais plus quoi faire… Désespérée, je lâche des mots que je regrette
immédiatement: « Mais vous savez, légalement, on est responsable de vous, pas de vos animaux ». Je présente
immédiatement mes excuses … C’était crédible apparemment parce que la patiente semble comprendre que ces
mots reflètent plus mon incapacité que le fond de ma pensée… Malheureusement, c’est moins évident
concernant l’aide-soignante qui a prononcé la même phrase quelques minutes plus tôt. Je quitte la pièce
quelque peu désorientée. En tout, ça fait une heure que je me bats… Je vais au poste de soin. Une infirmière me
dit que je ne dois pas aller au domicile de la patiente, en raison du risque que présentent les animaux… Par
contre, l’assistante sociale peut le faire si elle est d’accord (et pourquoi donc pas un « médecin »? Après
information, il apparait que pour l’assistante sociale, ce serait considéré comme un accident de travail) . Je
m’apprête donc à appeler Mme D, l’assistante sociale du service.
La chef de service, le Dr B arrive… Ca me soulage. Elle est très présente, très impliquée… Et finalement, j’espère
que son expérience va permettre de trouver une solution… Mais voilà, elle manque de temps… Son bip vient de
re-sonner… Elle a juste eu le temps de me confirmer que la patiente ne doit pas partir contre avis médical, quitte
à prendre le risque d’une fugue. Il ne lui semble pas opportun que l’assistante sociale aille voir les animaux… Si
elle a un accident de travail, tous les patients de plusieurs services en pâtiront… Ce n’est pas faux, mais ça ne
fait pas mon affaire! Je suis vraiment en difficulté, et ça s’entend quand je réponds « 2 minutes! » à une aidesoignante qui ne sait plus quoi dire et me demande de retourner voir Mme H.
L’arrivée inattendue de l’assistante sociale, Mme D, amènera la solution… L'atmosphère est tendue… mon
regard se détourne (bah oui! j’ai reçu l’ordre de ne pas lui parler de la situation)… Du coup, elle va voir la
patiente… Ca tombe bien, elle connait un peu son quartier… Elle passe quelques appels téléphoniques (on
n’avait aucun numéro de téléphone à joindre, mais Mme D connait le gardien de l’immeuble). Personne n’y
croyait mais elle a réussi. Des amis sont déjà passés s’occuper des animaux… On souffle… Ca peut régler le
problème… Mais en fait, la patiente est peu soulagée… Est-elle inquiète de l’intrusion chez elle? Ou n’était-ce
qu’un prétexte pour échapper à la prise en charge? La suspicion est manifestement des deux côtés (envers la
patiente comme envers les soignants). Cependant, l’assistante sociale affirme que la patiente s’est engagée à
ne pas partir avant le lendemain. Elle semble accepter le fait de revoir une psychiatre avant sa sortie… En fait,
personne ne semble satisfait (pas même la chef de service qui est de retour), mais c’est mieux que rien.
A 18h50, le lit est vide, la patiente introuvable… Avec l’infirmière, je retrouve le sac à main, qu’on fouille
immédiatement (étrangement, je ne me pose plus la question du respect de son intimité). Les clés de maison et
de voiture sont à l’intérieur. L’équipe médicale tente de me rassurer… Sans ses clés, Mme H n’ira pas loin et elle
reviendra à l’hôpital pour les récupérer. Je n’ose pas verbaliser ma crainte: pas besoin de clés pour se suicider…
Je rentre chez moi.
A mon arrivée, le lendemain à 8h40, on m’apprend que la patiente est revenue à 21h. Elle serait sortie avec son
ami, mais elle nous ment concernant l’endroit où elle est allée… Par acquis de conscience, je passe dans la
chambre… Désertée! Probablement juste après le tour de l’infirmière du matin. On fait la procédure de fugue
(avertir l’administrateur de garde de la fugue et le commissariat de police d’une disparition inquiétante).
Devenir : Le médecin traitant a été prévenu. Quelques jours plus tard, un ami (inconnu du service) passera
récupérer le portable de la patiente. Nous le lui avons remis, en insistant sur l’importance pour Mme H de
commencer un suivi psychiatrique.
PROBLEMES RENCONTRES
1) Je n’ai pas su évaluer le risque suicidaire de la patiente… Habituellement, je me fiais à l’évolution dans le
service (amélioration ou non de l’humeur, de la mimique et du discours).
2) J’ai été très désorientée face au refus de communication et je n’ai pas su anticiper leurs conséquences ni en
trouver l’origine précocement, en mettant hâtivement ce repli sur le compte de la dépression.
3) J’ai sous-estimé, comme toute l’équipe médicale et paramédicale, l’importance de l’environnement habituel
de la patiente. Il est vrai que je m’appuie fréquemment sur l’entourage humain de mon patient pour faciliter la
prise en charge. Je considérais comme plutôt rare le fait que l’entourage puisse gêner les soins et je négligeais
totalement le contexte non humain… En l’occurrence les chiens, chats et poissons rouges…
4) C’était la première fois que je me retrouvais dans une situation bloquée, plus ou moins conflictuelle, avec un
patient. En réalité, toute l’équipe s’est retrouvée dans la même situation, avec la même réaction: passer le
relais… à l’infirmière (pour les aides-soignantes), à l’interne, c'est-à-dire moi… Moi-même je souhaitais passer le
relais à ma chef, ce qui n’a pas été possible ce jour là (c’est un problème très ponctuel dans ce service, par
ailleurs avec un très bon encadrement)… Cette attitude présente un avantage : pour le soignant en difficulté, se
débarrasser du problème, pour le patient, la résolution du conflit en général… Mais pas cette fois là.
5) Je me suis également posée deux questions :
-
Devait-on imposer les soins via une hospitalisation sous contrainte, à la demande d’un tiers? La
question en fait semble presque rhétorique dans ce cas… La patiente était très isolée à part des amis
(que nous n’avons jamais vu et dont elle niait l’existence)… Et cette décision dépend des psychiatres…
-
Etait-il envisageable de laisser son généraliste se débrouiller tout seul avec le problème? De toute
évidence dans cette situation, nous n’avions à terme plus le choix… Mais dans un cadre plus général, la
dépression est très majoritairement prise en charge en ambulatoire… Mais après un geste suicidaire,
peut-on se satisfaire d’une prise en charge ambulatoire non organisée de l’hôpital? Le recours au
psychiatre est-il systématique? Et que faire si manifestement ce suivi est abandonné de façon
répétitive?
RESULTATS DES RECHERCHES
Petit rappel épidémiologique
En France, 12 000 personnes meurent par suicide chaque année, soit 21 décès pour 100 000 habitants, un
suicide toutes les 40 minutes. On estime que ces statistiques sont sous-évaluées de 20%.
C’est la deuxième cause de mortalité chez les 15-24 ans, la première chez les 25-34 ans.
Globalement, les personnes âgées se suicident plus que la population générale. Les hommes se suicident trois
fois plus que les femmes.
On estime que seules 10% des tentatives de suicides aboutissent réellement à la mort, soit environ 120 000
tentatives de suicide par an (soit une tentative de suicide toutes les 4 minutes). Ces tentatives concernent
surtout les femmes (sex ratio : 2/3), et les jeunes de 15 à 35 ans. Les sujets âgés font peu de tentatives de
suicide (mais réussissent plus).
On estime que 20 à 30% des tentatives de suicide sont traitées en ambulatoire.
Le geste suicidaire n’est pas toujours évident, il peut prendre différents masques:
-
Un désir intense de dormir
-
une agressivité vis-à-vis d’autrui
-
des prises médicamenteuses excessives, notamment chez le sujet âgé en faisant croire à une erreur
(AVK et psychotropes…)
-
un syndrome de désinvestissement chez la personne âgée (refus de manger ou boire, voire un
syndrome de glissement)
-
des conduites à risque chez un adolescent (alcoolisations excessives, overdoses, conduites sexuelles à
risque, conduite à grande vitesse, chute).
Evaluation du risque suicidaire
Quels sont les facteurs de risque de mort par suicide ?
-
-
Facteurs de risque sociologiques
o
Catégories socio-professionnelles peu qualifiées
o
Chômage, difficultés financières, précarité
o
Isolement affectif (célibataires, séparés, divorcés, veufs, sans enfant, éloignement de la
famille)
o
Isolement social (déracinement, migration, hospitalisation, retraite)
o
Sexe masculin (sex ratio : 3). On remarquera que les femmes tentent plus de se suicider (sex
ratio 2/3) mais réussissent moins en raison de méthodes moins agressives
o
Age > 45 ans. De même, les personnes âgées font moins de tentative de suicide que la
population générale, mais réussissent plus souvent.
Facteurs psychopathologiques
o
Dépression (65-70% des suicidés sont déprimés, la prévalence annuelle des tentatives de
suicide chez les dépressifs est de 4 à 10%)
o
Schizophrénie
o
Troubles affectifs de l’humeur
o
Addiction (alcool et autres drogues)
o
Troubles anxieux
o
Antécédents personnels de tentative(s) de suicide (récidive dans 43% des cas, la plupart du
temps (60%) dans l’année qui suit).
o
Antécédents familiaux de tentative(s) de suicide ou de suicide
On note qu’une tentative de suicide est un facteur de risque de suicide réussi (19 à 42% des suicidés ont fait
précédemment une ou plusieurs tentatives, 10% des suicidants décèdent dans les 10 ans par suicide) .
L’association de trois facteurs de risque multiplie par 7 le risque suicidaire !
Quels sont les facteurs de risques de tentatives de suicide ?
-
Age < 35 ans
-
Sexe féminin (sex ratio 2/3)
-
Origine maghrébine
-
Fin de scolarité
Chez l’adolescent qui est particulièrement à risque, le geste suicidaire est le plus souvent impulsif. Leur
dépression est souvent masquée par des pathologies organiques graves nécessitant des hospitalisations. Leurs
plaintes se résument à une asthénie avec des troubles du sommeil. Toutes les études ont retrouvé des
comportements à risques (fugue, addiction, troubles des conduites alimentaires) et une consommation accrue
de médicaments, en particulier de psychotropes.
Y a-t-il des échelles pour évaluer le risque suicidaire ?
J’ai recherché s’il existait des échelles d'évaluation… Du fait d’un raisonnement qui, j’en conviens, peut sembler
étrange et que l'on pourrait résumer ainsi : une bonne échelle standardisée et reconnue pourrait m’aider à
pallier à mon manque d’expérience…
Après recherche, plusieurs échelles ou tests pour dépister une dépression existent. Certaines d’entre elles
permettent d’en coter la gravité (je parlerai en premier des échelles les plus brèves, permettant une utilisation
en consultation ou en temps limité… Mais plus un test est court, moins il est « quantitatif », représentatif de la
sévérité de la dépression) . Très peu d’échelles simples permettent d’évaluer le risque suicidaire.
Le test PRIME-MD : Au cours du dernier mois:
-
Avez-vous ressenti un désintérêt ou une absence de plaisir à accomplir les choses de la vie?
-
Vous êtes vous senti abattu, déprimé ou désespéré?
Le test est positif si le patient répond oui à une des deux questions. C’est un test de dépistage de la dépression
(Sensibilité 96%, spécificité 57%).
Le test complémentaire au PRIME-MD (le T4) :
Ce test se déroule en 4 questions : l’existence ou non de troubles du sommeil, d’anhédonie, de baisse de l’estime
de soi, d’une modification de l’appétit.
Il est positif si le patient répond oui à au moins 2 questions sur les 4.
La sensibilité du T4 en complément du PRIME-MD est de 97%. Ce test simple permet également d’apprécier la
sévérité de la dépression : 25% des patients avec au moins 3 réponses positives avaient des idées suicidaires.
Le test MINI :
Il se présente en 4 items (j’ai des troubles du sommeil, je me sens fatigué tout le temps, je me sens nerveux,
tendu, j’ai du mal à faire face aux évènements) .
Le test est positif si le patient répond oui à au moins l’un des items.
Ce test n’a été évalué que lors d’une étude de cohorte chez EDF-GDF et ses résultats sont à confirmer…
Cependant, il semble donner de bons résultats.
L’échelle MINI-GDS :
Elle est particulièrement utilisée chez la personne âgée.
Il se déroule en 4 questions. Avez-vous le sentiment que votre vie est vide? Etes-vous heureux la plupart du
temps? Vous sentez vous découragé et triste? Avez-vous l’impression que votre situation est désespérée?
La sensibilité est bonne, mais la spécificité est mauvaise.
Les critères diagnostiques du DSM-IV :
Le test est positif si le patient présente au moins 5 symptômes / 9 depuis 2 semaines :
-
humeur dépressive
-
anhédonie : diminution de l’intérêt et du plaisir
-
perte d’appétit et perte de poids d’au moins 5% par mois
-
insomnie ou hypersomnie
-
agitation ou ralentissement psychomoteur
-
asthénie
-
dévalorisation ou sentiment de culpabilité
-
trouble de la concentration ou indécision
-
idées ou projet ou tentative de suicide.
Cet état ne répond pas aux critères de l’épisode mixte (où il existe de façon concomitante des symptômes
maniaques). Il doit y avoir un retentissement socioprofessionnel. Il ne doit pas exister de cause toxique ou
organique, ni de deuil.
La mélancolie est la forme la plus intense et la plus grave. Elle engage le pronostic vital. Les critères
diagnostiques sont :
-
anhédonie généralisée ou aréactivité aux stimuli agréables
-
et au moins trois éléments parmi: une humeur dépressive marquée, la prédominance matinale des
symptômes, un réveil matinal précoce, une anorexie ou une perte de poids, une culpabilité excessive ou
inappropriée.
-
On en décrit trois formes : stuporeuse, anxieuse ou délirante.
L’échelle MADRS :
On note entre 0 et 6 (de façon croissante) différents items qui sont :
-
tristesse apparente
-
tristesse exprimée
-
tension intérieure
-
réduction de sommeil
-
réduction de l’appétit
-
difficulté de concentration
-
lassitude
-
incapacité à ressentir
-
pensées pessimistes
-
idées de suicide.
On obtient une note sur 60. Il semble y avoir deux écoles :
-
soit le seuil de la dépression est fixé à 15
-
soit: entre 10 et 13, symptômes dépressifs légers; de 14 à 17, symptômes dépressifs légers à modérés;
au-dessus de 18, les symptômes dépressifs sont modérés à sévères.
L’échelle de désespoir de Beck (la plus répandue et la plus utilisée dans les tests thérapeutiques):
Elle se déroule en 20 items. Mais je ne la retrouve pas… Sa sensibilité est de 91%, sa spécificité de 50%.
L’échelle d’évaluation du risque suicidaire de Ducher :
0
Pas d’idées de mort
1
2
Pense plus à la mort qu’habituellement
Idées de mort
3
4
Ne pense pas plus à la mort qu’habituellement
Pense souvent à la mort
A quelques idées de suicide
Idées de suicide
5
A souvent des idées de suicide
Pense très souvent au suicide et parfois voudrait ne plus
exister
6
Désir passif de mourir
7
a) Lien fort
b) Lien faible
Désir de mourir, ou plutôt d’être mort
Désir de mort très fort mais retenu par quelque chose (un
être cher…)
8
Volonté active de mourir
9
a) projet défini à long terme
Veut mettre fin à ses jours
Sait déjà comment il veut mettre fin à ses jours
b) projet défini à court terme
10
Début de passage à l’acte
A déjà préparé son suicide ou a commencé de passer à
l’acte
La valeur seuil est de 7.
Un syndrome clinique pré-suicidaire prémonitoire (de Ringel) peut être recherché. Il comprend trois groupes de
symptômes :
-
constriction croissante de la personnalité,
o
constriction situationnelle : repli sur soi, limitation des relations interpersonnelles, réduction
de l’activité
o
constriction psycho-dynamique : restriction de la sensibilité des émotions et des mécanismes
de défense, perte d’espoir
o
constriction des idéaux : réduction du sens de valeurs
-
inhibition de l’agressivité par refoulement ou retournement de celle-ci contre soi, apathie
-
envahissement fantasmatique des idées suicidaires qui occupent toute la vie imaginaire
La sensibilité de ce syndrome est de 86%, sa spécificité est également bonne. En présence d’une telle clinique, le
recours à une hospitalisation est requis.
Comment évaluer cliniquement le risque suicidaire ?
1) Diagnostic de crise suicidaire :
-
contexte suicidaire : idées suicidaires fréquentes, avec une intentionnalité communiquée au praticien
ou à des tiers directement ou indirectement, sentiment de désespoir, préparation de l’acte
-
vulnérabilité psychique : trouble de l’image
comportementale, anxiété et attaque de panique
-
changements récents de comportement, modification de la vie relationnelle, conduites à risque
de
soi,
impulsivité,
agressivité,
instabilité
2) Apprécier la dangerosité
-
niveau de souffrance : désarroi ou désespoir, repli sur soi, isolement relationnel, sentiment de
dévalorisation ou d’impuissance, sentiment de culpabilité
-
degré d’intentionnalité : idées envahissantes, rumination, recherche ou non d’aide, attitude par
rapport à des propositions de soins, dispositions envisagées ou prises en vue d’un passage à l’acte
(plan, scénario)
-
éléments d’impulsivité : tension psychique, instabilité comportementale, agitation motrice, état de
panique, antécédent de passage à l’acte, de fugue, d’actes violents
-
élément précipitant : conflit, échec, rupture, perte…
-
moyens létaux à disposition : armes, médicaments…
-
qualité de soutien de l’entourage proche, ou absence de soutien voire renforcement du risque
-
accumulation de facteurs de risque
Comment prendre en charge des idées suicidaires quand le médecin n’est pas psychiatre
(recommandations de la HAS) ?
1) Evaluer le niveau d’urgence. Les pensées suicidaires sont-elles fréquentes ? Sont-elles contrôlables? La
communication avec le soignant est-elle préservée? Y a-t-il d’autres alternatives envisagées pour résoudre les
problèmes? Y a-t-il un projet suicidaire programmé? Y a-t-il un syndrome clinique pré-suicidaire prémonitoire?
2) En cas de facteurs d’urgence chez un suicidaire : hospitalisation libre en milieu spécialisé… En pratique c’est
parfois difficile à obtenir… réticence à aller chez «les fous», jugé excessif par le patient et son entourage,
éloignement géographique par rapport au domicile, peu de place dans des services adaptés aux adolescents et
aux personnes âgées… Si besoin, il est possible de recourir à l’hospitalisation sur la demande d’un tiers.
3) En cas de facteurs d’urgence chez un suicidant : Evaluer le risque vital somatique et les traiter. Un accord
professionnel recommande l’hospitalisation systématique en service d’urgence de l’hôpital le plus proche, quelle
que soit la gravité du geste. Après la phase d’urgence somatique, la prise en charge psychiatrique est
commencée pendant l’hospitalisation… Mais la place du médecin généraliste est importante après
l’hospitalisation : inciter le patient à poursuivre les soins, faire participer la famille à la prise en charge, prise en
charge de la psychopathologie qui a entrainé la situation d’urgence… Malheureusement, le médecin généraliste
est généralement averti tardivement de la tentative de suicide et du retour à domicile… sans compter le patient,
sa gêne probable ou sa possible envie d’oublier cet épisode.
4) En l’absence de facteurs d’urgence : discuter l’hospitalisation avec le patient et son entourage, si elle n’est
pas retenue, organiser un suivi psychiatrique en ambulatoire (qu’il est difficile d’obtenir dans des délais courts…
d’où la nécessité que le médecin généraliste commence lui-même la prise en charge).
5) Dans tous les cas, essayer de travailler en réseau multi-professionnel, sanitaire et social…
6) Dans tous les cas, éduquer l’entourage :
-
répondre à leurs questions…
-
les informer des formules toutes faites à éviter (secoues-toi ! Il faut faire un effort. Pense à ta famille.
Tu ne peux pas nous faire ça…)
-
maintenir ou restaurer le lien affectif, malgré ses tentatives de s’isoler
-
éviter l’accès aux moyens et retirer les objets susceptibles d’être utilisés pour l’auto-agression
-
reconnaître les signes évolutifs de la crise, sans les dramatiser ni les banaliser.
-
si besoin, proposer une thérapie familiale.
Les problèmes éthiques non résolus : Faut-il prévenir un proche en l’absence de facteurs d’urgence ? Que faire si
le patient demande la confidentialité ?
Quelle est la place du médecin généraliste ?
De part sa place de premier recours, il semble évident que le médecin généraliste ait un rôle majeur à jouer dans
le dépistage et la prévention du risque suicidaire. La relation patient-médecin est également prépondérante.
Ceci est d’ailleurs confirmé par plusieurs études.
60 à 70% des suicidés et suicidants ont consulté un praticien, la plupart du temps leur généraliste, dans le mois
précédent, et 36% la semaine précédente.
Le diagnostic de dépression grave est majoritairement fait par le généraliste (environ 66%).
L'étude Gotland montre que le dépistage et la prise en charge de la dépression en médecine générale diminuent
la morbidité et la mortalité. Après 2 ans de formation des médecins généralistes :
-
les suicides ont diminué de 60%
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la consommation des antidépresseurs a augmenté de 52% (contre 17% en Suède sur la même période)
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La prescription de benzodiazépines et de neuroleptiques a diminué de 25%, en comparaison à la
moyenne suédoise
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Le nombre de consultation en psychiatrie a diminué de 50%
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Le nombre de consultation pour mélancolie a diminué de 85%
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Le nombre de congé maladie pour dépression a diminué de 50%.
Plus concrètement, si le patient est suivi pour des troubles psychiatriques, en particulier une dépression, les
questions sur l’existence d’idées suicidaires ou d’idées noires viennent naturellement. Il faut savoir que le
patient peut ne pas verbaliser clairement ses idées mais s’exprimer indirectement (je voudrais rejoindre un être
cher, je souhaiterais dormir longtemps, je me sens inutile, je suis une charge pour mon entourage), en
particulier le sujet âgé.
Si le patient est suivi régulièrement pour des troubles organiques sans connotation anxio-dépressive, il faut au
moins aborder les idées suicidaires et l’estime de soi lors d’évènements de vie du patient (stress vital, deuil,
rupture affective ou sociale…). Mais la dépression peut être masquée par des signes somatiques… D’où
l’importance du dépistage systématique (20% des consultants sont déprimés, les 2/3 sont méconnus et 20%
sont des malades chroniques). Dans ce cas, les patients donnent souvent une explication extérieure à leurs
troubles psychologiques ou somatiques (asthénie due à un surmenage ou à une anémie)… par crainte d’ennuyer
le médecin, par crainte des psychotropes, ou parce qu’il croit que ce n’est pas du ressort du généraliste ou que
ce dernier ne pourrait rien y faire.
Quand on reçoit quelqu’un pour la première fois, il faut s’intéresser à la motivation profonde de la consultation.
Une symptomatologie, même médicalement expliquée peut servir de « ticket d’entrée ». Les patients peuvent
être gênés d’aborder la thématique de la dépression et du suicide avec leur médecin traitant ce qui les incite à
changer de praticien (en particulier les adolescents peuvent craindre que le médecin de famille informe ses
parents… Mais les adolescents consultent rarement. S'ils consultent, ils rencontrent le plus souvent un
généraliste pour des plaintes somatiques).
DISCUSSION
Pour des raisons évidentes, je prends en compte le comportement de la patiente avant l’apparition des
difficultés relationnelles avec l’équipe de soin…
Mme H présentait de nombreux facteurs de risque de suicide abouti :
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son âge (> 45 ans),
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sa catégorie socioprofessionnelle (peu qualifiée, sans réelle précarité),
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l’entourage déficient (violences conjugales et relatif isolement),
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la dépression (sans co-morbidité psychiatrique type schizophrénie, addiction ni mélancolie)
-
les multiples antécédents personnels de tentatives de suicides.
On rappelle que 3 facteurs de risque multiplient par 7 le risque de suicide… Mme H est donc à fort risque de
suicide abouti !
Son sexe est à risque de tentative de suicide, mais pas de suicide réussi.
Par contre, la patiente a manifesté de moins en moins d’idées suicidaires. A mon premier passage, elle
exprimait le désir d’être morte. Au passage de la psychiatre, elle a verbalisé des idées de mort. Concernant
l’échelle d’évaluation du risque suicidaire de Ducher, le score est de 6/10 à mon passage, à 2/10 au passage de
la psychiatre… donc inférieur au seuil de 7/10 dans les deux cas.
Elle ne présentait ni syndrome pré-suicidaire prémonitoire, ni crise suicidaire (pas d’idées suicidaires verbalisées
malgré son comportement impulsif). Initialement elle communiquait avec l’équipe.
Selon les recommandations de la HAS, il fallait tout d’abord évaluer le niveau d’urgence. Dans ce cas, il n’y avait
ni idées suicidaires verbalisées, ni projet suicidaire établi, ni syndrome clinique pré-suicidaire prémonitoire, ni
rupture de la communication avec le personnel soignant… Il n’y avait donc pas d’urgence. Il fallait donc
effectivement proposer une hospitalisation libre dans un service de psychiatrie. Celle-ci étant refusée, un suivi
ambulatoire devait être organisé.
CONCLUSION
La dépression est une pathologie très fréquente qui doit être dépistée et diagnostiquée par le médecin traitant.
Ce dépistage est en fait assez aisé et très rapide puisque des tests de deux ou quatre questions fermées ont fait
leurs preuves.
La prise en charge d’une dépression peut être totalement réalisée par le médecin généraliste. Même si le
patient est adressé à un psychiatre, le médecin traitant reste un intervenant de choix pour initier le traitement
(car son délais de prise en charge est très bref), éduquer l’entourage et éventuellement organiser une prise en
charge de l’environnement du patient (thérapie de groupe, aides sociales, soutien associatif…).
Les idées suicidaires ne sont pas un obstacle à la prise en charge en ambulatoire d’un patient dépressif, sauf en
cas de critères d’urgence faisant redouter un passage à l’acte rapide : caractère envahissant des idées
suicidaires, rupture de la communication avec le soignant, absence de recherche de solutions alternatives,
planification du geste suicidaire, syndrome clinique pré-suicidaire prémonitoire (repli sur soi et réduction des
relations interpersonnelles, perte d’espoir, diminution de la sensibilité des émotions, réduction du sens des
valeurs, apathie, refoulement de l’agressivité ou auto-agressivité, fantasmes suicidaires envahissant toute la vie
imaginaire). Ces critères d’urgence doivent conduire à une hospitalisation, en dernier recours sous contrainte
par demande d’un tiers. Dans tous les cas, une prise en charge en ambulatoire devra être organisée après
l’hospitalisation. A distance de l’épisode dépressif, le médecin généraliste sera le référent de choix pour dépister
et prendre en charge une éventuelle récidive.
BIBLIOGRAPHIE
http://www.esculape.com/psychiatrie/suicide_risque.html
HAS – suicide – conférence de consensus – texte court
« psychiatrie pédopsychiatrie », édition VG, 2007
http://www.echelles-psychiatrie.com
http://www.pslr.org/2003/PERSOAGEE.htm (prévention suicide Languedoc-Roussillon)
DUCHER J L, TERRA J L. L’échelle d’évaluation du risque suicidaire RSD possède-t-elle une valeur prédictive ?
L’Encéphale, 2006, 32 :738-745
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