Université Robert Schuman Institut d’Etudes Politiques 1ère année *** Anne-Sophie Chauvet Institutions et vie politique française et étrangère 1ère partie : Théorie générale de l’Etat Titre 1 : La notion d’Etat Chapitre 1 : Définition de l’Etat Ce type d'organisation politique est apparu en Europe (essentiellement France, Angleterre et Allemagne) au 13ème siècle puis s'est étendu dans le reste du monde. Au 18ème siècle l'extension s'est fait aux anciennes colonies anglaises puis une autre extension s'est fait au moment de la décolonisation à proprement parler. En 1945 l'ONU regroupe en théorie tous les Etats. Suite à la décolonisation le nombre d'Etats va être multiplié par 4 en 50 ans. Ce quadrillage étatique du monde détermine la politique intérieur et extérieur des Etats. Mais comment l'Etat est-il apparu ? I. Genèse de L'Etat moderne D'après Norbert Elias, l'Etat est né de la monopolisation du pouvoir par les monarques. Ils ont affirmé leur domination sur les seigneurs féodaux, leur indépendance vis à vis de l'Empereur et du Pape. En même temps est née la notion de souveraineté. Il en a découlé la suprématie d'une certaine puissance et la souveraineté de cette puissance. Cette puissance prévaut, elle ne dépend de rien ni personne en interne et est au moins égale aux autres puissances en externe. La souveraineté s'exerce sur un territoire délimité : on parle de puissance territoriale. L'Etat se définie par l'existence de frontières et une organisation juridique qui ne dépend pas de celle des autres Etats. A. La territorialisation de la puissance publique (De l'Empire a L'Etat) L'Etat existe sur une certaine surface à l'intérieur des frontières. Au départ la domination était universelle (Dominium mundi ). 1. Le Dominium Mundi des organisations impériales Ex : la Chine (l'Empire du milieu), dont les limites territoriales n'étaient pas définies, était décrite comme le pays "sous le Ciel dominé par le Fils du Ciel". Pour les Chinois il n'y avait qu'une civilisation, un maître du monde, au loin ce n'était plus des humains, mais des barbares indignes d'intérêt. En grec « oikou mene » défini l'espace civilisé dirigé par le Cosmos au-delà duquel il n'y a que des barbares et un monde dépourvu de sens. 1 On voit que chaque Etat se définit comme le centre du monde, sans frontières. Au départ le terme frontière était perçu d'une façon négative comme séparant de "l'autre" puis a pris une connotation positive car devenu le signe reconnaissance de l'autre. Cette forme d’organisation a imprégné l’idéologie impériale, telle qu’elle réapparaît sous Charlemagne (an 800). L’empereur va avoir un certain nombre de prétentions à maîtriser l’ensemble du monde civilisé. Cette formulation apparaît très clairement lors de la diète de Roncaglia en 1158, où le roi Frédéric 1er, Barberousse se fait appeler « loi vivante » ("Toi la loi vivante tu peux donner, dissoudre, créer les lois, les ducs naissent et disparaissent et les rois gouvernent sous ta juridiction") : tout ce qu'il dit a valeur de loi. Un certain nombre de légistes réagissent à ces prétentions. 2. La réaction des légistes royaux aux prétentions impériales à partir des 12ème13ème siècles L'entourage de Louis IX réagit, refusant la dépendance du roi de France envers l'Empereur du Saint Empire Romain Germanique. Jean de Blanot, légiste et publiciste du roi, déclare ainsi que" Le roi de France est Empereur en son royaume". Aussi le roi de France est-il dès lors perçu comme loi vivante au même titre que l'Empereur (expression constante de la monarchie jusqu’en 1789), marquant le début de la monarchie absolue. Mais il ne prétend pas au pouvoir universel, il gouverne à l’intérieur d’un cadre territorial. En France au même moment, la titulature du roi change, jusque Philippe Auguste, le roi était "rex francorum" (roi des francs), là il devient "rex franciae" (roi de France). Le territoire est maintenant défini, et non plus une population. Cette prétention qui commence au 13ème siècle va être un motif constant de discordes entre la France et l’Allemagne au long des 13ème et 14ème siècles. Les empereurs successifs maintiennent cette fiction juridique de suprématie impériale. Une des dernières réfutations des prétentions allemandes se trouve dans le Traité des Seigneuries de Le Bret. Il y souligne la souveraineté du roi et sa non dépendance envers l'Empereur. En 1648 le Traité de Westphalie met fin à la guerre de 30 ans (guerre civile européenne) et aux prétentions impériales à la suprématie universelle. Désormais les relations entre Etats sont régit par le principe de l'équilibre des puissances, facteur de paix et de prospérité. B. La sécularisation de la puissance publique (de l'Eglise à l'Etat) La séparation du domaine politique et religieux n'est que progressive. Si la laïcité de l'Etat est aujourd'hui une valeur fondamentale de la société moderne, le principe de cette distinction n'est apparu qu'au 13ème siècle. Avant cela l'Etat faisait partie du domaine théologicopolitique. 1. L'indifférenciation du spirituel et du temporel dans les sociétés traditionnelles (holistes) Dans l'Egypte ancienne et en Mésopotamie le pouvoir politique et religieux sont confondus. De même en Chine, où l’empereur était l’intercesseur entre le monde des dieux et celui des hommes. Il interprète la volonté divine en lisant les signes du Ciel et les retranscrit sur terre. En Europe règne la théocratie pontificale jusqu'au 14ème siècle. Le pape considéré comme le vicaire du Christ sur terre. Il interprète ainsi sa volonté, exprimée dans les évangiles. L'organisation de la vie terrestre se fait donc à partir des Ecritures. Cette forme très particulière d’organisation du pouvoir apparaît sous Léon IX et s’affirme avec son successeur, 2 Grégoire VII (Réforme grégorienne). Le pape se voit alors doté de trois pouvoirs fondamentaux : -Il reconnaît au concile le droit voter pour lui, supprimant le pouvoir de l’empereur dans ce domaine. -Le pape nomme les évêques seul, et non plus sur proposition de l’empereur du Saint Empire Romain Germanique, ce qui va provoquer la querelle des investitures en Allemagne au 11ème siècle. -Le pape est infaillible dans l'interprétation qu'il donne des écritures. Aussi peut-il déposer un roi « hérétique » ou l'excommunier. Le pape est détenteur de 2 glaives : -Le glaive spirituel -Le glaive temporel dont il a délégué l’exercice au roi, mais qu’il peut reprendre à tout moment. Il est celui qui exerce un pouvoir suréminent au titre de la vérité révélée. 2. Les grandes étapes de la sécularisation du pouvoir en France Face à cette confusion du pouvoir religieux et politique se produit une réaction de rejet. Les rois de France commencent par contrôler la vérité religieuse, il s’agit du gallicanisme. Se développe ensuite le pluralisme (Edit de Nantes de 1598). On a enfin observé un phénomène de sécularisation (ensemble des attitudes qui tentent de dissocier le domaine religieux du domaine politique) qui a abouti à la mise en place de la laïcité. a. La solution gallicane L'opposition entre le pape et le roi né au sujet de l'impôt. L'affrontement débute avec Boniface VIII et Philippe Le Bel (1296-1304). Il se développe une activité juridique et théologique intense pour justifier de leur droit à lever l'impôt de part et d'autre : en effet, le roi, pour financer sa campagne en Flandres prétend imposer l’Eglise de France, qui ne paye d’impôts qu’à Rome. En France va naître une véritable conception du statut politique de l’Eglise. Dans l’entourage du Pape, Gilles de Rome (grand canoniste), s'attache à justifier la théocratie pontificale par l'Evangile selon St Matthieu : "Non est enim potestas ni si a Deo" (il n'est de pouvoir qui n'émane de Dieu). Il soutient par-là la théorie des pouvoirs exceptionnels : « de même que Dieu peut faire des miracles, de même le Pape peut intervenir de manière exceptionnelle dans le cours des affaires temporelles. » En France, Jean de Paris (légiste) veut justifier la pleine autonomie du pouvoir temporel. Il dit que la politique est une science autonome qui ne dépend pas exclusivement de la révélation chrétienne mais aussi de la nature de l'Homme. Il se réfère à Aristote ("l'Homme est un animal politique"), qui est un auteur non chrétien, ce qui prouve que l’autorité ne peut se prévaloir d’une révélation divine. Sa rationalité lui donne raison : la science politique n’est pas une science théologique mais une science autonome. A partir du tout début du 14ème siècle apparaît l’idée d’une autonomie du pouvoir temporel qui va s’affirmer dans le cadre des positions de l’Eglise anglicane. Au sein de l'Eglise dirigée par le pape, il existe des Eglises nationales subordonnées au pape pour les questions religieuses mais subordonnées au roi pour les questions d'administration (pour la chose temporelle). Ce gallicanisme va trouver son expression dans la « pragmatique sanction » de Bourges en 1438, acte de Charles VII qui décide de manière unilatérale que dorénavant les évêques de France seront choisis par le monarque avant d’être investis par le Pape. b. L'organisation du pluralisme 3 Progressivement va se mettre en place une politique qui reconnaît la coexistence pacifique de plusieurs religions sur un même territoire. L'Edit de Nantes de 1598 donne un statut à la religion protestante. Mais surtout le pouvoir politique ne peut plus être déduit du pouvoir religieux puisqu'on accepte le pluralisme. Enfin le pluralisme religieux suppose une liberté de conscience. Le Concordat de 1801 entre Napoléon 1er et le Pape consacre la coexistence pacifique des quatre religions reconnues, redonne un certain statut officiel à l’Eglise catholique et reconnaît les ministres du culte comme fonctionnaires (statut toujours en vigueur en Alsace-Moselle où la loi de séparation religieuse de 1905 ne s’applique pas). Le pluralisme religieux constitue un pas vers la sécularisation. c. La mise en place de la laïcité La loi de 1905, en mettant fin au Concordat, déclare que la religion est de l'ordre du privé. L’organisation du culte, la rémunération des ministres du culte et l’entretien des bâtiments cultuels sont à la charge des pratiquants. En 1946, l'article premier de la constitution dit que "la France est une république laïque". On distingue le domaine religieux purement privé du domaine politique public. C. La monopolisation de la puissance publique Aux 12ème-13ème siècles, le roi va réagir à la structure féodale du royaume de France : à partir de Philippe Auguste, et surtout sous Louis IX, il y a une forte réaction aux prétentions seigneuriales. C’est l’image du roi justicier, qui correspond à l’affirmation progressive d’une compétence juridictionnelle supérieure aux autres : « le roi est souverain par-dessus tous » d’après Philippe de Beaumanoir. 1. La souveraineté comme suprématie Au 13ème siècle la France est une fédération de seigneurs plus ou moins vassalisés envers le roi. Ils prétendent juger, faire la guerre, et battre la monnaie. Les rois réagissent durement et entendent exercer une compétence juridique exclusive. La souveraineté provient de la suprématie du roi, le pouvoir des seigneurs découle de lui. A la fin du 16ème siècle, le roi fait la loi et n'est plus seulement celui qui rend la justice (théorisé par Jean Baudin dans son Traité de droit public en 1576). Tout au long du 19ème siècle, le roi revendique le pouvoir d'homologation, affirmation selon laquelle la coutume existe mais ne fait office de loi (caractère obligatoire) que si le roi le veut. La loi est un acte unilatéral mais tandis que la coutume n'est qu'une pratique. Le fondement de la force obligatoire de la coutume a changé : il est à chercher dans l’absence de volonté contraire du roi (« la souveraineté c’est de pouvoir faire la loi et de la casser » Bodin). 2. La souveraineté comme indépendance Le roi monopolise l’intégrité de la puissance publique mais il est indépendant à l’égard de tout autre pouvoir extérieur : l’ordre international est composé d’Etats définis comme rigoureusement égaux. Progressivement, les légistes vont opérer une construction juridique qui va consister à transférer la titularité du monarque à l’Etat. Loyseau définit ainsi le roi comme « le principal officier de la couronne ». II. La définition de l'Etat comme personne morale 4 A. La construction juridique de la notion de personnalité morale de l'Etat Les individus sont régulièrement renouvelés d'où le problème de savoir comment on peut avoir une certaine unité de l'Etat. 1. Personne physique et personne juridique Une personne physique est un individu avec un patrimoine, des droits et des intérêts. Une personne juridique a un statut juridique, des droits propres, un patrimoine et peut être représentée en justice. Elle existe indépendamment des gens qui la compose, la continuité est possible. Elle se définit par l’addition de deux éléments : intérêt pour un groupe et la protection juridique. 2. Les archétypes de la personnalité de l'Etat a. Les deux corps du roi Cette hypothèse vient du Moyen Age en Angleterre. On fait la distinction entre la personne physique du roi et son corps symbolique, son royaume. En réalité cette théorie est calquée sur l'idée des deux corps du Christ (Jésus et l’Eglise, le corps spirituel). De plus, le roi étant de droit divin, il est dans l’ordre du possible qu’il ait un corps spirituel. Ceci constitue une volonté d’unifier l’Etat. b. La notion de couronne chez Loyseau Cette théorie est apparue après la mort d'Henri IV, au 17ème siècle. Deux expressions dénotent la volonté de continuité politique dans le royaume : "Le Roi est mort. Vive le Roi !" et " Le Roi ne meurt jamais". Ceci dénote l'immédiateté de la succession et le dédoublement du Roi. Loyseau va essayer de systématiser cette théorie de la couronne, cette dernière étant le véritable souverain : « Le véritable souverain c'est la couronne et le monarque en est le principal officier ». La Couronne subsiste toujours tandis que les rois se succèdent. c. La théorie de la personnalité de l'Etat dans la pensée de Gerber Gerber juriste allemand de la fin du 19ème siècle, formule cette théorie dans le cadre d’une Allemagne monarchique. Il dit que l'Etat est une personne juridique souveraine afin d’empêcher la bourgeoisie de participer au pouvoir. C'est la première fois qu'on emploi le mot personne pour parler de l'Etat. Cette théorie de la personnalité de l’Etat va ensuite être appliquée à la nation. B. L'Etat, personnification juridique du peuple ou de la nation 1. La notion juridique de peuple Un Etat est composé d’une population assujettie aux lois du pays. Le peuple politique est une communauté, un ensemble, une universalité de citoyens mais on différencie peuple de population car le peuple politique se définit par une condition de nationalité. Pour exercer ses droits, il faut remplir un certain nombre de conditions : jouir de ses droits civiques et avoir 5 une certaine majorité. Dans la définition du peuple politique, un certain nombre d’éléments juridiques interviennent : ce peuple exprime une certaine volonté, il l’exprime en votant. 2. La loi, expression de la volonté générale C. La personnalité de l'Etat, expression de son ordre juridique 1. La notion d'organe de l'Etat a. Volonté psychologique et volonté juridique En supposant que la volonté d'un individu doit être considérée comme la volonté de l'institution, que ces individus exercent des fonctions élus ou nommés et que la constitution prévoit leurs compétences, un organe équivaut donc à une personne physique habilitée à exercer une certaine compétence dans l'Etat. Cette personne accède à sa fonction en vertu d'une décision prise par une instance supérieure. Elle exerce un pouvoir défini par des règles, doit respecter des procédures, exerce dans le domaine de ses compétences. Aussi une partie de sa vie est-elle une personne publique et le reste une personne privée. b. La distinction entre les organes de l'Etat On fait la distinction entre les représentants et les fonctionnaires. Les représentants sont élus, ils prennent les décisions initiales les plus importantes : ils font la loi. Les fonctionnaires sont subordonnés aux représentants et sont chargés d'exécuter les "ordres" donnés par les représentants. 2. La hiérarchie des organes a. La notion d'ordre juridique C'est l'ensemble des règles qui organisent et hiérarchisent les organes de l'Etat. L'Etat se représente par un ordre juridique hiérarchisé (ou ordre d'organes hiérarchisés) Normes constitutionnelles La précision augmente Loi (ne devant pas contredire les normes constitutionnelles) Décrets Décisions individuelles 6 b. Personne étatique et ordre juridique Cette notion de personne étatique sert à l'unité de l'ordre juridique par la personnification de l'ensemble des organes. Ceci explique le contrôle de constitutionnalité. 7