les résultats de l’économie mainstream ne conduit pas toujours à soutenir des politiques libérales, celle-ci est donc
bien objective.
Cahuc et Zylberberg font le choix de ne jamais aborder les débats autour de certaines expérimentations quand ceux-ci
existent (par exemple sur l’interprétation des résultats d’une expérimentation sur le pre-K schooling, l’équivalent de la
toute petite section, dans le Tennessee). Ils n’abordent aucune des nombreuses critiques faites aux expériences
aléatoires, en particulier les problèmes de validité interne (que mesure-t-on exactement, quels peuvent être les biais ?)
et externe (ces résultats sont-ils généralisables ?). Aucune méthode alternative n’est évoquée, que ce soit les
expériences de laboratoire, en plein boom, l’analyse des faits stylisés, pourtant présente dans le volume, l’économétrie
structurelle, la microéconometrie sur données de panel, ou l’intégration balbutiante destechniques de machine
learning (traitement algorithmique a-théorique d’énormes bases de données) aux pratiques des économètres. Ils
choisissent également d’ignorer que les stratégies de publication des scientifiques et le classement de leurs revues
puissent être eux-mêmes analysés comme des phénomènes sociaux répondant à des contraintes institutionnelles et
des stratégies de pouvoir. Ils ne mentionnent pas l’existence possible de biais dans l’évaluation par les pairs supposée
garante de la scientificité des travaux. Et c’est une stratégie de vulgarisation étrange. Il n’est en effet pas nécessaire
d’avoir lu Angus Deaton pour se demander si les résultats d’une expérimentation menée il y a 15 ans dans un Etat
américain sont transférables au système scolaire ou fiscal français. Et les journalistes français, et le public, ont bien
conscience de l’augmentation considérable du nombre de scandales et de rétractations, en premier lieu dans la
biologie et la médecine.
Le cadre ainsi planté par Cahuc et Zylberberg les amène à considérer que
tous ceux qui ne fondent pas leurs préconisations de politique économique
sur des expérimentations pratiquent, en connaissance de cause, un
négationnisme visant à enfumer le public et les décideurs pour leur profit,
leur prestige ou leur pouvoir. Ces négationnistes qui accaparent la scène
publique comprennent, à leurs yeux, aussi bien des PDG comme Jean-Louis
Beffa que la quasi-totalité des économistes hétérodoxes français, au premier
rang desquels leséconomistes atterrés ou ceux d’Alternative Economique. Les
méthodes d’analyse de ces économistes de l’analyse Keynésienne à celle des
institutions et des modes de régulation économiques, ne sont pas réellement
expliquée dans l’ouvrage. Mais puisqu’elle ne peuvent pas permettre une
identification robuste des causes des phénomènes économiques, elles
mettent, aux yeux des auteurs, leurs défenseurs sur le même plan que ces
intellectuels ayant défendu la charge de Lyssenko contre la génétique ou que
ces scientifiques ayant produit des études brouillant les liens entre tabagisme
et cancer pour le compte de l’industrie du tabac.
Car c’est essentiellement sur les travaux de l’historien Robert Proctor, auteurs
de deux ouvrages décrivant les pratiques du tabac, que les deux économistes
s’appuient. Dans Cancer Wars, puis Golden Holocaust, ce dernier a analysé en
détail le processus par lequel certaines entreprises et lobbies “fabriquent de
l’ignorance” pour leur profit personnel. Le nom qu’il a donné à l’analyse de ce
phénomène “l’agnotologie,” désigne un domaine de recherche désormais très
fécond. Mais contrairement à la majorité des ces études, Cahuc et Zylberberg
n’expliquent pas vraiment quel profit les hétérodoxes tirent de leur
négationnisme. Ils empruntent également à Proctor sa justification de
l’analogie avec l’holocauste. De la même façon que l’historien justifie son choix
par le nombre de décès causés par les agissement de l’industrie du tabac (“a
calamity of epic proportions with too many willing to turn a blind eye, too
many willing to let the horror unfold without intervention”) les économistes
affirment ainsi “qu’à l’échelle de la planète, des politiques fondées sur des
idées fausses se traduisent par des millions de chômeurs, autant de morts et
l’appauvrissement de centaines de millions de personnes. ” Naomi Oreske et
Erik Conway, auteurs d’une célèbre étude des lobbies climatosceptiques parue
en 2010, avaient par comparaison choisi le titre Merchants of Doubt. Le choix
de ce titre, et de l’analogie qu’il porte, autant que les prémisses
épistémologiques des auteurs, a attiré les foudres de nombreux économistes
hétérodoxes parmi lesquels l’un des chefs de l’école régulationiste, André Orléan. Ces mêmes travers ont été soulignés
par un commentaire plus académique de Xavier Ragot, directeur de l’OFCE et macroéconomiste tout ce qu’il y a de
plus “orthodoxe.” Olivier Bouba-Olga explique de son côté que la parfaite neutralité du chercheur, défendue par les
auteurs, est une illusion.