Selon P. Bourdieu il existe « d’un côté, ceux qui admettent que la politique n’est pas leur
affaire et qui, faute des moyens de les exercer, abdiquent les droits formels qui leur sont
reconnus, de l’autre, ceux qui se sentent en droit de prétendre à l’opinion personnelle ou
même à l’opinion autorisée, agissante, qui est le monopole des compétents : deux
représentations opposées mais en fait complémentaires de la division du travail politique. » (1)
Cette phrase annonce bien toute l’ampleur de l’influence de la classe politique c'est-à-dire des
« professionnels », par opposition aux « profanes », qui ne font que subir les « principes de
division » des premiers. Selon Bourdieu, il existerait un champ politique formé par ces
dominants, comprenant les hommes politiques ainsi que les journalistes et spécialistes de
sondages. Il reposerait sur un système d’exclusion et de dépossession des profanes, et serait
délimité par la « problématique politique légitime » du moment. En effet, pour Bourdieu la
politique s’apparenterait à une lutte de pouvoir, une lutte pour la légitimation par chaque
homme ou parti politique de sa propre « problématique légitime », c'est-à-dire une « lutte pour
le monopole du principe légitime de vision et de division du monde social », de ce qui mérite
ou ne mérite pas une prise en charge politique. Ainsi, l’auteur explique que le monde social
est constitué d’individus ayant chacun une position précise ou « place objective » dans cet
espace, dépendant de divers critères (patrimoine…). Mais les partis politiques peuvent faire
croire à l’existence de classes réelles qui ne sont en réalité que purement subjectives, dans le
but de se définir comme le représentant légitime de cette classe, ne souhaitant en réalité
qu’accéder au pouvoir. Cette théorie dite du structuralisme constructiviste met en évidence
l’existence d’un marché politique qui est « un des moins libres qu’il soit » (2). En effet, la
demande est construite par l’offre et les dominés doivent se contenter de ce qui leur est
proposé par les dominants, qui détiennent le monopole de la définition de cette problématique
politique légitime. On en conclut donc que la politique n’est qu’une affaire de professionnels,
et que les individus soumis à l’illusion démocratique car ils méconnaissent l’arbitraire de ces
découpages, ne sont que des pantins, participant à une politique faussée afin de légitimer à
leur insu l’action de leurs représentants.
Ce mécanisme de dépossession politique est redoublé par une autre catégorie
d’acteurs : les journalistes politiques et sondeurs. En effet, ceux-ci prétendent donner la parole
aux profanes qui seraient en mesure de faire des demandes autonomes, mais ce mode d’action
n’est qu’illusoire car les sondages ne font qu’agréger des opinions individuelles. Il n’y a donc
pas de mécanisme d’interaction, qui serait pourtant le seul à pouvoir leur permettre de
modifier la problématique politique légitime, par la production d’une opinion conforme à leur
intérêt. De plus, les sondeurs développent l’opinion publique qui serait selon P. Bourdieu, une
production purement artificielle, au principe de laquelle se trouvent trois postulats implicites :
(1) Pierre. BOURDIEU. « questions de politique », Actes de la recherche en sciences sociales, p.55 à 89
(2) Idem. Propos sur le champ politique