Université de Toulouse I 1ière année 2006/2007
Sciences sociales
2, rue du doyen Gabriel Marty
31 042
TOULOUSE CEDEX
Dissertation de conférence de méthode de sciences
politiques
Sujet : La politique est-elle l’affaire de tous ?
ETUDIANT :
CESAR Claire
Groupe 7
Le taux d’abstention particulièrement élevé des élections présidentielles de 2002 peut
remettre en cause l’idée d’une participation générale de tous les citoyens français au vote. En
effet cet évènement serait-il le reflet d’un manque d’intérêt pour la « chose publique » d’une
part non négligeable de la population ? La politique ne serait-elle donc aujourd’hui que
l’affaire d’une minorité l’ayant envisagée comme fin professionnelle et parfois même
lucrative ? Et ne pourrait-elle être considérée qu’en matière de citoyenneté, dont le vote est
l’illustration la plus marquante ? Ou bien pourrait-t-elle être appréhendée selon une autre
grille de lecture, considérant des manifestations d’un ordre différent, elle permettrait la
prise en compte de l’ensemble de la population? D’une manière plus nérale, la démocratie
représentative ne pourrait-elle pas être remise en cause au profit de nouvelles formes d’action
politique envisageables par l’ensemble de la population?
Pour limiter notre étude face à un domaine d’implication très vaste, nous nous contenterons
d’observer le modèle de fonctionnement de la démocratie occidentale, en nous concentrant
plus particulièrement sur le modèle français à l’heure actuelle.
Pour appréhender cette question, plusieurs théories s’opposent concernant l’implication
politique des différents « agents » ou « acteurs » politiques (1), selon la définition adoptée par
chaque sociologue. La notion de politique confère deux conceptions bien distinctes. La
première serait, selon R .A. Dahl, l’idée qu’ « un système politique est une trame persistante
de rapports humains qui implique une mesure significative de pouvoir, de domination ou
d’autorité » (2) ; c'est-à-dire qu’on assimilerait la politique à une idée de lutte de pouvoir. Or
d’autres sociologues estiment qu’on ne peut réduire cette définition à un sens aussi strict
comme par exemple David Easton pour qui la politique est « l’allocation autoritaire des
valeurs dans une société donnée » (3) ; elle serait donc a trait au collectif et non plus
seulement au personnel politique. Dans cette optique, nous étudierons donc dans un premier
temps les théories, et particulièrement les théories bourdieusiennes, qui mettent l’accent sur
une conception de la démocratie représentative, préservant « l’illusion démocratique ». Puis
dans un second temps, nous nous concentrerons sur des théories mettant en avant la
participation active, directe ou indirecte de l’ensemble de la population en matière politique,
et le passage vers une démocratie participative.
La représentation politique paraît aujourd’hui s’imposer comme une nécessité au bon
fonctionnement de la démocratie. En effet, elle permet l’unification d’un peuple dispersé, aux
intérêts divergents, voire même parfois antagonistes, et introduit la société civile dans l’Etat.
(1) P. Bourdieu. Propos sur le champ politique
(2) Robert A DAHL.Modern Political Analys
(3) David EASTON. A systems analysis of political life
Cependant elle peut être critiquée en tant qu’elle confisque le pouvoir du peuple pour le
remettre entre les mains d’une élite qui, prédisposée à s’intéresser à la politique et ce par des
facteurs externes à sa propre volonté, manipule le peuple en instaurant l’illusion démocratique.
En effet, un type d’analyse particulier nommé modèle écologique, est fondé sur le constat
empirique de régularités des comportements politiques collectifs à l’échelle d’une région ou,
plus largement, d’un territoire géographique donné. Par exemple, A. Siegfrield (1), fondateur
du modèle de l’écologie électorale, étudie à travers le cas de la Vendée, comment certains
facteurs intermédiaires tels que le type de sol, le mode de peuplement le régime de propriété
et la structure sociale, influent sur le niveau de politisation des individus et leurs choix
politiques. En effet, il remarque que ceux qui habitent sur un sol granitique ont tendance à
voter à droite alors que ceux qui vivent dans des plaines calcaires votent massivement à
gauche. Paul Bois (2), quant à lui, analyse les effets de l’histoire sur ce même comportement.
Par l’étude du département de la Sarthe, il démontre que la division entre habitants de l’est et
de l’ouest, qui votent respectivement à gauche et à droite, est liée aux évolutions historiques
dans cette région. Le choix électoral ne serait donc nullement lié à une volonté personnelle
mais à des facteurs externes, indépendants de préférences politiques raisonnées de tout un
chacun. Il y aurait donc, selon le lieu de naissance et l’histoire de la région habitée, une
prédisposition à un certain type de vote, qui exclurait l’idée d’une véritable participation
politique citoyenne.
Par ailleurs d’autres critères motiveraient le vote électoral, tout aussi éloignés d’une
véritable réflexion et d’une étude approfondie des diverses alternatives politiques possibles. Il
s’agit des modèles psychosociaux qui prennent en compte l’influence de variables sociales ou
tentent de cerner les mécanismes psychologiques déterminant le vote : en d’autres termes, ces
modèles tentent de comprendre l’influence de la socialisation sur l’individu. C’est dans cette
optique que P. Lazersfeld élabore le modèle de Columbia (3) : il constate empiriquement que
trois éléments orientent le vote des individus (étude faite aux Etats-Unis dans l’Ohio) : le
statut socioculturel, la religion et le lieu de résidence. Ils sont à l’origine de comportements
politiques homogènes selon le groupe social d’appartenance; le sociologue en arrive donc à la
conclusion qu’il sexiste de préférences partisanes anciennes, durables et ancrées dans les
traditions familiales, et selon lui « les gens pensent politiquement comme ils sont
socialement ». Il met en place un indice de prédisposition politique, démontrant ainsi que les
individus subissent une influence politique extérieure et que des comportements types sont
intériorisés. D’autres recherches sont effectuées dans la continuité de celle de P. Lazersfeld
(1) André SIEGFRIELD. Le tableau politique de la France de l’Ouest
(2) Paul BOIS. Paysans de l’Ouest
(3) Paul LAZARSFELD. The people’s choice
comme par exemple celle de R. Alford (1) qui montre la corrélation entre le vote et les
clivages sociaux (travailleurs manuels et non manuels) par un nouveau concept, celui de
l’alignement électoral. Le principe revient à effectuer des mesures à intervalles réguliers pour
obtenir un rapport dont l’indice s’il est élevé, correspond à un fort alignement électoral. Enfin,
dans cette même optique de valorisation des facteurs psychologiques individuels, le modèle
de Michigan, élaboré par A. Campbell (2) montre l’importance de la socialisation primaire
dans l’élaboration de l’identification politique. L’apprentissage du partisanship, qui est
l’attachement d’un individu à un parti politique, se fait de manière progressive, à travers la
socialisation primaire c'est-à-dire les normes et valeurs inculquées au sein de la famille.
Plongé dans un bain de prédispositions, l’individu parvient à l’âge adulte avec un certain
niveau de dotation en capitaux, propre à chacun, qu’il soit social, culturel ou symbolique, et
avec une grille de lecture orientée de la vie politique. L’entourage de l’individu, son groupe
social d’appartenance, sa famille et les valeurs qu’elle lui inculque, feront de lui un ferment
militant politisé ou une personne totalement désintéressée par les questions politiques. Ainsi
on constate que des inégalités en matière de compréhension politique apparaissent dès
l’enfance et façonneront le niveau de politisation futur des individus. Le capital culturel joue
un rôle particulièrement important puisque, comme le démontre D. Gaxie dans une de ses
enquêtes (3), le niveau de diplôme et le statut social influent sur la participation électorale car
ils influent sur la capacité de l’individu à comprendre et à maîtriser son environnement. Ce
facteur, ainsi que celui de l’intégration dans les groupes sociaux et réseaux de relations,
expliquerait une part importante de l’abstentionnisme en France ; car des individus ne pouvant
comprendre un vocabulaire trop ardu se sentent incompétents en la matière. Ainsi ces deux
grands modèles (écologique et psychosocial) issus de l’analyse déterministe, qui évalue le lien
entre niveau d’études, l’intérêt pour la politique, l’auto positionnement droite-gauche, la
proximité partisane et le comportement électoral, mettent en évidence l’existence d’un
électeur passif qui fait preuve de peu d’intérêt pour la politique et ne fait que reproduire un
comportement politique hérité. La politique ne serait donc l’affaire que d’un certain nombre,
ceux dont le capital est reconnu comme « bon » par la société, ceux dont la position sociale
hiérarchique est élevée, ceux qui formeront l’« élite politique ».
Si l’on peut observer l’existence d’une culture politique collective, il ne faut pas en
déduire celle d’une unité culturelle nationale. En effet, cette dernière est construite par les
élites politiques, et la distinction entre culture des dominés et des dominants explique l’inégal
accès des membres d’une société à la politique.
(1) R. ALFORD. A suggested index of the association of social class and voting ” Public opinion quarterly
(2) A. CAMPBELL, P. CONVERSE, W. MILLER, D. STOKES. The american voter
(3) D. GAXIE. Le cens caché. Inégalités culturelles et ségrégation politique
Selon P. Bourdieu il existe « d’un côté, ceux qui admettent que la politique n’est pas leur
affaire et qui, faute des moyens de les exercer, abdiquent les droits formels qui leur sont
reconnus, de l’autre, ceux qui se sentent en droit de prétendre à l’opinion personnelle ou
même à l’opinion autorisée, agissante, qui est le monopole des compétents : deux
représentations opposées mais en fait complémentaires de la division du travail politique. » (1)
Cette phrase annonce bien toute l’ampleur de l’influence de la classe politique c'est-à-dire des
« professionnels », par opposition aux « profanes », qui ne font que subir les « principes de
division » des premiers. Selon Bourdieu, il existerait un champ politique formé par ces
dominants, comprenant les hommes politiques ainsi que les journalistes et spécialistes de
sondages. Il reposerait sur un système d’exclusion et de dépossession des profanes, et serait
délimité par la « problématique politique légitime » du moment. En effet, pour Bourdieu la
politique s’apparenterait à une lutte de pouvoir, une lutte pour la légitimation par chaque
homme ou parti politique de sa propre « problématique légitime », c'est-à-dire une « lutte pour
le monopole du principe légitime de vision et de division du monde social », de ce qui mérite
ou ne mérite pas une prise en charge politique. Ainsi, l’auteur explique que le monde social
est constitué d’individus ayant chacun une position précise ou « place objective » dans cet
espace, dépendant de divers critères (patrimoine…). Mais les partis politiques peuvent faire
croire à l’existence de classes réelles qui ne sont en réalité que purement subjectives, dans le
but de se définir comme le représentant légitime de cette classe, ne souhaitant en réalité
qu’accéder au pouvoir. Cette théorie dite du structuralisme constructiviste met en évidence
l’existence d’un marché politique qui est « un des moins libres qu’il soit » (2). En effet, la
demande est construite par l’offre et les dominés doivent se contenter de ce qui leur est
proposé par les dominants, qui détiennent le monopole de la définition de cette problématique
politique légitime. On en conclut donc que la politique n’est qu’une affaire de professionnels,
et que les individus soumis à l’illusion démocratique car ils méconnaissent l’arbitraire de ces
découpages, ne sont que des pantins, participant à une politique faussée afin de légitimer à
leur insu l’action de leurs représentants.
Ce mécanisme de dépossession politique est redoublé par une autre catégorie
d’acteurs : les journalistes politiques et sondeurs. En effet, ceux-ci prétendent donner la parole
aux profanes qui seraient en mesure de faire des demandes autonomes, mais ce mode d’action
n’est qu’illusoire car les sondages ne font qu’agréger des opinions individuelles. Il n’y a donc
pas de mécanisme d’interaction, qui serait pourtant le seul à pouvoir leur permettre de
modifier la problématique politique légitime, par la production dune opinion conforme à leur
intérêt. De plus, les sondeurs développent l’opinion publique qui serait selon P. Bourdieu, une
production purement artificielle, au principe de laquelle se trouvent trois postulats implicites :
(1) Pierre. BOURDIEU. « questions de politique », Actes de la recherche en sciences sociales, p.55 à 89
(2) Idem. Propos sur le champ politique
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