II) La division du travail politique aliène-t-elle l’électeur ?
A) Aliénation de l’électeur
- La division du travail de production est aliénante. Marx distingue à ce titre l’atelier et la fabrique. Dans la
fabrique, l’ouvrier est dépossédé de son propre travail dont il ne maîtrise ni le processus, ni l’affectation. Le
taylorisme accentue cette aliénation en disqualifiant l’habileté de l’ouvrier.
- La position de l’électeur dans le travail politique n’est-elle pas analogue à celle de l’ouvrier à l’usine ? La
fonction latente du vote serait alors d’entériner, de légitimer la monopolisation des décisions politiques par les
classes dominantes.
- Il n’y a pas qu’un rapport d’analogie entre domination politique et exploitation économique. Marx considère
l'Etat comme l'instrument de la classe dominante – la bourgeoisie dans la société capitaliste -; la "superstructure"
émane de "l'infrastructure". Les mécanismes d’aliénation politique et idéologique renforcent l’aliénation
économique.
B) La division du travail politique institue un « Cens caché »
- La division du travail politique est inégalitaire, ce qui contredit l’idéologie « naïvement » démocratique postulée
par la production de sondages et le suffrage universel. Les travaux de P. Bourdieu et D. Gaxie ont démonté cette
idéologie.
- Ainsi, tout le monde ne peut pas avoir une opinion, et toutes les opinions ne se valent pas. Les choix de la
plupart des électeurs, en particulier ceux démunis des compétences culturelles propres au champ politique,
relèvent de la « foi implicite », ce qui explique le poids de l’origine sociale dans les choix électoraux. (cf.
Michelat & Simon)
- La viscosité sociologique des comportements électoraux mise en évidence par l’Ecole de Columbia et le
Paradigme de Michigan, peut également être interprétée comme attestant une aliénation de l’électeur.
C) L’électeur est assujetti
- Les professionnels de la politique (journalistes, sondeurs, partis) définissent les objets légitimes du débat
électoral, au delà des clivages partisans, produisant ainsi une autonomisation, une fermeture du champ politique,
que Bourdieu analyse d’ailleurs souvent dans les mêmes termes que le champ religieux.
- Loïc Wacquant a ainsi décrit comment le surgissement de la « geste sécuritaire » comme thème électoral a
éclipsé dans les années 90 la question de l’insécurité sociale.
- La fonction latente du moment électoral l’apparenterait alors à un rituel d’intronisation, de légitimation du
pouvoir comparable au sacre des monarchies?
En adoptant une grille de lecture marxiste, l’autonomie du champ politique apparaît comme se construisant au
détriment de l’autonomie de l’électeur. Celui-ci n’agit plus alors comme stratège, mais comme agent dont les
dispositions concourent à la reproduction de la domination politique et économique. Nous allons voit maintenant
comment les analyses en termes de stratégie et les analyses en termes de dispositions expliquent non plus
l’orientation du choix électoral, mais l’acte même du vote.
III) L’abstention : le désenchantement du jeu électoral ?
A) L’abstention redouble le « cens caché ». L'abstention ou la non-inscription provient souvent d'un
sentiment d'incompétence, et constitue une autre forme du "cens caché". L'abstention est ainsi devenue le "premier
parti" des ouvriers et des chômeurs (cf article d'E. Pierru dans La démobilisation politique, dirigé par F. Mattonti).
Cette explication rend compte des inégalités de participation électorale, mais pas vraiment de la montée de
l'abstention sous la Vème République.
B) Une abstention stratégique ?
- La division du travail politique produirait un « désenchantement » du jeu politique, propice à une mise à distance
du vote par l’électeur (cf. Weber). Il en va de même du repli sur la sphère privée caractéristique des sociétés
démocratiques (cf. Tocqueville)
- La volatilité de l’abstention selon le type et les enjeux du scrutin, l’intermittence de l’abstention (appuyer si
possible cette observation sur des exemples précis) soutiennent cette analyse.
- La montée récente de l’abstention pourrait alors se comprendre comme l’avènement d’un électeur - homo
politicus, qui aiguiserait le paradoxe d'Olson.
C) Une abstention anomique ?
- La division du travail est créatrice d’anomie. Les associations, les partis, les collectivités locales, constituent des
« groupements intermédiaires », des "segments" qui protègeraient la démocratie de l’anomie politique, à l'intérieur
desquels se maintiendrait une solidarité mécanique favorable à la mobilisation des électeurs.
- La montée de l’abstention dans les classes populaires peut se comprendre alors comme le résultat de la crise de
l’identité ouvrière et des instances de socialisation qui lui sont attachées. L’enquête qualitative menée par O.
Masclet (La gauche et les cités) va dans ce sens.