avec le soutien de la Commission Communautaire Franqaise
de la R6gion de Bruxelles CaPitale
DE L'ACCOMPAGNEMENT A LA THERAPIE
Et si je t'accompagnais, pas d pas?...
Si, prenant le risque d'6tre touch6 ou touch6e, de me laisser atteindre, je me mettais
i l'6coute de ton angoisse, sans la banaliser, en acceptant que tu t'y confrontes petit e pedt,
m6me quand elle r6veille la mienne,
Sije prends le parti de m'appuyer sur ta partie positive, discernant tes forces et tes
qualit6s de ta fragilit6, t'aidant d moins m6priser ta peur,
Si je peux entendre, sans m'enfuir, combien tu es dans le d6sarroi et la tristesse,
combien l'incompr6hension de ce qui t'arrive souldve ta coldre,
Si je peux, sans te l'imposer jamais, ou aussi peu que possible, et si tel est ton
d6sir, te redire tes paroles, souligner tes 6motions, supposer tes sentiments, leur pr6ter une
forme, en te laissant le loisir de les approfondir pour leur offrir un sens et en nourrir ta
vie,
Si tu peux te laisser m'utiliser comme m6diat pour d6couvrir toute la force de tes
projections et de tes repr6sentations de la vie,
Si je peux, en gardant mon int6grit6, te rejoindre ld oi tu attends, m0me dans le
silence et le repli dans un combat pour r6sister i l'6vidence, pour rencontrer avec toi cette
terreur proche de celle de l'enfant,
Si je peux, te sachant le plus capable de le faire, te soutenir auprds des tiens, dans
ton d6sir de retrouver une alliance de ceur avec eux,
Si je peux, avec une r6elle comp6tence, m'appuyer sur ton savoir profond et ta
force 6motionnelle pour etre avec toi dans ta recherche, si ce n'est pour r6parer ton corp-s,
au moins li oi tu mets ton 6nergie d r6parer quelque chose de ta vie, dirais{u de ton ime?
Si je pawiens, parce que j'en ai fait l'exp6rience, m6me si ce n'est pas dans les
m6mes circonstances et de la m6me manidre que toi, d te faire passer que tu peux
t'appuyer sur moi, que je m'efforcerai de ne pas "lAcher la barre" pour 6tre prOt i
rencontrer, avec toi, les 6cueils du parcours.
Sije peux te faire passer que, m6me si j'ai peur, je d6ciderai de faire ce qu'il faut
pour arriver d rester ld,
... alors, peut-etre, pourrons-nous 6tablir une confiance r6elle et solide qui te
permettra d'aller, en m'incluant si tu le veux, li oi tu conduis ta vie, i la rencontre, ou non,
de ton mythe.
Benoit de COSTER
Psychoth6rapeute
W
PENSER L'IMMO-RTALITE PERDUE
Frangoise DAUNE
Psychoth6rapeute
Cet article parait aussi dans le Bulletin
du CollCge Royal des MCdecins de f Agglom6ration Bruxelloise.
INTRODUCTION
L'annonce d'un cancer et de ses traitements est un 6v6nement exceptionnel dans la
vie de tout individu. Cette annonce provoque une brutale d6stabilisation remettant en
question les valeurs de la vie, une perte des repdres tant corporels que psychiques, une
perte de sens. [r mode de d6couverte et I'annonce du cancer, la chirurgie, les traitements
adjuvants et l'apres-traitement sont autant de moments venant modifier un 6quilibre
physique et psychique, parfois d6jd trBs fragile. Avec le cancer, I'individu est touch6
dans son identite personnelle, dans son rapport i autrui, mais aussi, dans ses relations
sociales et professionnelles.
Avec I'annonce d'un cancer, c'est le ddbut d'une histoire m6dicale, mais aussi
d'une histoire psychique de la maladie : deux histoires au temps diffdrent. Une histoire
m6dicale dans l'ici et le maintenant avec sa r6alitd palpable, visuelle, objectivable de par la
pr6sence du cancer et des effets secondaires des traitements : d'une histoire psychique
envahie par un corps malade, porteur de mort et of le pass6 fait irruption dans le pr6sent
avec son cortBge de conflits, de deuils non rdsolus,... et oi le futur semble sans avenir.
L'annonce d'un cancer est avant tout pour la personne, synonyme de mort et m€me dans
un premier temps, de mort imminente. Cet 6v6nement exceptionnel qu'est la maladie
cancdreuse fait profiler ) I'horizon I'exp6rience unique dans la vie de tout individu, celle
de mourir. Avec nos patients, nous allons tenter, au travers de la relation
psychothdrapeutique, de penser l'impensable, de supporter I'insupportable, d'imaginer
i'inimaginable, de mettre des mots sur I'expdrience unique et future qui sera agie, car la
mort se fait.
LETEMPS DEL'ANNONCE
Dans un cabinet de consultation, un mddecin et un patient qui vont, I'un et l'autre,
vivre un moment particulier. Pour le m6decin, celui d'annoncer un cancer, diagnostic
porteur d'une menace effrayante car il est synonyme de mort r6elle, Poll 19 patient, celui
d'entendre ce diagnostic de cancer, v6ritable traumatisme brutal de la rdalitE. [r temps se
suspend. Quelle est cette catastrophe dont le m6decin lui parle ? Il ne comprend.rien.
C'est le chaos. Il est sid6r6 devant cet incompr6hensible, cet insupportable, cette violence
des mots. Tout cela n'a pas de sens. Beaucoup de patients disent: 'Te me sens bien et
vous me dites que vous allez me mutiler. Je me sens bien et vous me dites que je vais
mourir ..." Tout ceci est d'autant plus paradoxal si le cancer est une ddcouverte de
d6pistage (sein) ou fortuite au couri au iours d'un examen pour d'autres _problbmes
(leuc6mie). Aucun signe d€celabte, palpable, visuel ne donnait au patient la moindre
indication sur un proctssus corporel de maladie. C'est donc parfois dans une totale
ignorance que le patient arrive d la consultation.
_ [r Moi qui aime la paix, ne se doutait de rien, aucun danger Ar I'horizon. Entendre
le mot cancer, et brutalement le Moi est d6stabilis6, mis dans l'impossibilit6 d,agir, de
penser, d'hair. [r Moi est sid6r6, fascind par cet irrepr6sentable qu'est la mort.
L'annonce du cancer est donc un moment of les patients s'effondrent devant le
m6decin. C'est alors que le mddecin fait appel au psychoth6rapeute, au tiers. La
demande qu'il eflectue l''est souvenl autant pour le patient qr" poui lui-m€me, en plein
ddsarroi devant ce malade, qui le met dans l'impossibilit6 a'agir et lui signilie par ses
dmotions, la violence du diignostic prononcd pirr lui. l-e m6d"ecin, au tdvers di cette
demande,.nous- donne une_place, celle de prendre en charge les effets psychiques de la
maladie, lui s'occupera du corps malade. Son but est-de rendre un corp3 en bon
fonctionnement e^t gudri, notre but a nous, psychothdrapeutes, est de donner au patient les
moyens de faire.face. au cancer et i ses cons6quences en donnant sens i l'exp6ri'ence de la
maladie sans pr6tention de gu6rison. Une patlente me disait " Un medecin donne la vie,
peut-il comprendre la mort ?". Premidre rencontre avec le patient surpris de nous voir,
mais soulagd que le m6decin ait formul6 cette demande. Saiouffrance a 6td entendue ei
reconnue et nous allons tenter de redonner place d la parole coupde par I'angoisse. pour
le patient, dans ce moment d'effondrement, comme li: dit Freu<i '. Le moinire seste oui
lui rendra plus facile de s"y reconnaftre en son monde intdrieur sera Ie bienvefiu". Un
monde intdrieur oi le chef d'orchestre a perdu sa baguefl.e. C'est la cacophonie qui est le
plus. souvent.exprim6e par le_patient. Il a I'impression d'6tre I'acteurd'un film {ui n'est
pas le sien. Il y.a malentendu ou mal entendi. I-e mddecin a d0 se tromper. Ii ne sait
plus qui il est. TJ a I'impression de devenir fou tant ce qu'il a entendu est faradoxal, tant
la violence des 6motions est forte, tart le traumatisme eit sans repr6sentation. Ia vie est
menacde physiquement par des cellules rongeant de fagon inarchique le corps et
psychiquement par un noyau de terreur avec sei id6es follei ndcessitant^un mouve'ment
agressif du M9i, pgyl tenter de faire face a la brutalit6 de la blessure narcissique
provoqu6e par la rdalit6.
. Il n'est pas rare que, dans I'attente du premier traitement, les patients parviennent
d mettre de la distance avec cette menace qri'est le cancer. Il n'esi pas endore rdalit6.
fuen dans ou sur le corps ne le dit. Ils sont'entiers, sans trace. Ni vu, ni connu oour le
Moi corporel. [,a bonne m6thode, ne pas penser, s'occuper I'espni pour renhre les
pensdes inoffensives, pgur les rdprimer, fouries mettre de c6td. Mais paieil traumatisme
n'est pas oubliable, refoulable. [-e Moi- tente de sauver la face, de se'leurrer lui-m€me.
Et comme me le signalait une patiente " S'occuper I'esprit n'est pas remplir une vie,'.
Le. temps des traitements va l'y aider, car c'est le temps de I'agir. Mais dans ce
temps de.l'agir, d'autres blessures vont venir se cumuler i la-premiBri, celles du temps
pr6sent, lides aux effets des traitements et celles du temps pais6, r6veill6es par l'6cht.
Nous y reviendrons-lorsque nols parlerons de l'aprds-traitim'ent, car avec le qancer, l'6tat
in(1eyr est-celui d'une exffrience traumatique iilterne, continue, comme une patiente me
le disait : " Le bon sens me dit aussi que cette alopdsie "d6finitive" n'est pas essentielle
au regard de la vie. Toutefois, elle est largement charg6e d'affects. Elle est une blessure
s'ajoutant aux "deuils" auxquels mon caicer m'a co-nduite. Scorie de la maladie ? Je
croyais "refleurir" tranquillement apres le long hiver des lourds traitements. Ma
ddception est grande et le chemin sera iong pour reLouver mon image ".
LE TEMPS DES TRAITEMENTS
Si chaque traitement a ses propres effets physiques, il est v6cu diff6remment selon
lj:s interprdtations et les associatibns des pitientbs en fonction de leur rristoire.
cependant, le type de tmitement peut induire d6s probldmatiques diff6rentes, par exemple
: la mastectomie touchera la ferirme dans son identit6, maii la recherche'd" aonneii.t
familiaux pour une greffe de moelle troublera les liens et ses alliances dans la famille.
Mais sans aucun doute, les traitements renvoient au cancer, i la mort, de par le but
poursuivi : faire r6gresser la maladie, obtenir une r6mission, voire une gudnson. Les
traitements sont une lutte, comme il est dit "combattre la maladie". Un Combat dont la
n6cessit6 essentielle est de posrposer la mort, dans un temps le plus 6loign6 possible,.
Gagner du temps sur cette mort qui arrive toujours trop t6t. Mais avec les traitements, le
r6el du corps habitd par la mort va s'inscrire. Pour cerlains patients, pour qui ce rdel ne
montrait aucun symptome physique, c'est avec les effets secondaires des traiiements qu'il
va prendre sens. Effets secondaires qui peuvent Ctre transitoires, tels que I'alopdcie, les
naus6es, les vomissements, les modifications du go0t, de I'odorat, ... ou ddfinitifs tels
que la stdrilitd, I'amputation d'un membre, d'un organe... Avec les effets secondaires
des traitements, c'est la p€rte des repBres corporels : la perte du sein, des cheveux,
I'installation d'une mdnopause pr6coce, des variations pond6rales parfois importantes, ...
Nombreux sont les patients qui d6cident ne plus se reconnaitre, ne plus €tre femme,
homme, se vivre vieux avant l'6ge, ... et m6me se percevoir comme un mort en sursis.
Telle cette patiente, 6g6e de 4O ans, ayant un cancer du sein g6n6ralis6 pour lequel elle
avait d6ja regu de nombreuses chimioth6rapies, qui un jour me dit : "Je n'ai que des
artifices, ce n'est pas moi, tout est dessin6. Lorsque je rentre le soir, j'enldve ma
pemtque, je me d6maquille, il n'y a plus de sourcils. Ce que le miroir me montre, c'est
une nudit6 i fleur de peau. Signe d'une condamnation a mort, puis la peau part".
Un corps qui, pour de nombreux malades, devient un objet d'horreur pour eux,
mais aussi pour I'entourage. Plusieurs patients m'ont rapportd les difficultds li6es d ces
modifications corporelles, avec surtout les enfants. Ceux-ci ont peur car ils ne les
reconnaissent plus. Jorge SEMPRUN dans son livre "L'6cnture ou la vie" 6crit : "Je
voyais mon corps, de plus en plus flou, sous la douche hebdomadaire. Amaigri mais
vivant : le sang circulait encore, rien d craindre, ga suffirait, ce corps amenuisd mais
disponible, apte i une survie r€v6e, bien que peu probable. I-a preuve, d'ailleurs, je suis
ta.
k Moi semble accepter de nombreux sacrifices pour 6viter son effondrement par
la menace suprdme de l'an6antissement par la mort. Un but : vivre, m6me si le prix payd
est comme pour cette patiente de 4O ans : une alopdcie ddfinitive, de I'arthrose, la stdrilitd,
la m6nopause, de nombreuses cicatrices, la fatigue, une exacerbation de ses allergies, une
sdcheresse de la peau, des muqueuses ... et au cours des traitements, en plus, la perte des
ongles, de rdflexes, d'hypoesth6sie des membres, des naus6es, de I'an6mie, des
infections diverses li6es i la leucopdnie... Toutes ces modifications font 6cho dans
I'histoire du patient. Ainsi, pour cette patiente que je viens de ddcrire, I'alopdcie la
renvoie d ses premidres ann€es de vie of elle avait, comme elle disait, la boule d z€ro. l-z
seule personne d qui elle se montrait sans p€rruque ou coiffe, 6tait sa mbre, car celle-ci
I'avait connue comme cela. Des yeux dans lesquels elle se reconnaissait. Pour les autres
regards, ce nu-t6te 6tait un signe ext6rieur de maladie etelle y lisait l'horreur. De plus, la
m6nopause, la fatigue, les probldmes de peau lui renvoyaient aussi une perception d'elle-
m6me qui 6tait d'6tre une petite vieille. Mais avec I'alopdcie, la st6rilitd et la cicatrice au
sein, son identitd de femme 6tait aussi touchde. Elle ne savait plus si elle 6tait jeune ou
vieille, femme ou ayant un sexe, disait-elle, ind6termin6. "Je ne parviens pas d retrouver
mon image f6minine, c'est la plaie ouverte du cancer". Pour cette patiente, la lutte contre
la mort primera car la maladie poursuivra son chemin sans rdpit. Pour les autres patients,
c'est parfois par ces modifications corporelles qu'ils prennent conscience que leur corps
existe et qu'ils existent. C'est par l'absence de I'organe qu'ils r6alisent son importance.
Pour ces patients, le corps va devenir un objet d'intdr€t. Ils vont 6tre i son 6coute. Mais
une dcoute parlois perturMe car ils n'en reconnaissent ou ne connaissent pas le sens. Un
corps qui souvent, par son silence, inquibte. Que se passe-t-il ? Une patiente 6tait
heureuse d'entendre les bruits aMominaux, car ils 6taient signes de vie. Mais certains
effets de ces traitements peuvent devenir des repdres auxquels le patient s'accroche,
1 / 14 100%