L’annonce d’un diagnostic grave

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La Revue de médecine interne 31 (2010) 626–630
Mise au point
L’annonce d’un diagnostic grave
The announcement of a serious diagnosis
H. Romano a,b,∗
a
b
Consultation spécialisée de psychotraumatisme du Val-de-Marne, CHU Henri-Mondor, 94000 Créteil, France
SAMU 94 – CUMP 94, CHU Henri-Mondor, 51, avenue du Maréchal-de-Lattre-de-Tassigny, 94000 Créteil, France
i n f o
a r t i c l e
Mots clés :
Maladie
Handicap
Annonce du diagnostic
Traumatisme
Souffrance psychique
r é s u m é
Le diagnostic d’une maladie ou d’un handicap grave est un événement traumatique pour le patient. Audelà du choc que génère la maladie ou le handicap, les conditions qui entourent l’annonce ont un impact
déterminant sur les réactions du patient et son parcours de soins. L’annonce du diagnostic peut atténuer
ou renforcer ce choc. Cet article analyse les enjeux psychiques qui sous-tendent l’annonce d’un diagnostic grave. L’auteur examine d’abord l’impact traumatique d’un diagnostic grave et les répercussions
psychiques pour le patient ; il développe les modalités d’annonce et les réactions possibles des patients.
Il présente enfin les suites possibles, tant du côté du patient que du côté des soignants.
© 2010 Société nationale française de médecine interne (SNFMI). Publié par Elsevier Masson SAS.
Tous droits réservés.
a b s t r a c t
Keywords:
Disease
Disability
Diagnosis announcement
Psychological distress
The diagnosis of an illness or a serious handicap is a traumatic event for the patient. Beyond the shock
generated by the disease or the handicap, the conditions surrounding the announcement have a determining impact on the reactions of the patient and the course of care. The announcement of the diagnosis can
reduce or reinforce the shock. This article analyses the psychological risks which underlie the announcement of a serious diagnosis. The traumatic impact of a serious diagnosis, the possible reactions of and
the psychological consequences for the patient are described. Recommendations regarding an announcement plan are proposed. Finally, the possible follow-up for the patients as well as for the caretakers
are discussed.
© 2010 Société nationale française de médecine interne (SNFMI). Published by Elsevier Masson SAS.
All rights reserved.
Les médecins sont régulièrement confrontés à la question de
l’annonce d’un diagnostic grave. Ce temps de la prise en charge
est un moment émotionnel particulièrement intense où le lien de
confiance patient–médecin est susceptible d’être mis à mal. Face
à la maladie ou au handicap annoncé, la souffrance psychologique
vient renforcer la souffrance du corps. Notre propos, étayé par notre
expérience auprès de patients et de familles de patients, vise à
décrire les processus psychiques en jeu au moment de l’annonce
et à proposer une réflexion sur les modalités de sa prise en charge.
1. L’impact traumatique de l’annonce
La révélation d’un diagnostic est un temps déterminant pour
l’avenir du patient (enfant ou adulte) et de ses proches. Elle
∗ Auteur correspondant.
Adresse e-mail : [email protected].
conditionne souvent l’acceptation de la maladie, les conditions du
traitement et de la prise en charge. L’annonce d’un diagnostic grave
est un événement traumatique au sens où c’est un événement
de la vie du sujet qui se caractérise par sa violence, son intensité,
l’incapacité où se trouve le sujet d’y répondre adéquatement,
le bouleversement et les effets pathogènes durables qu’il peut
provoquer dans l’organisation psychique du sujet et dans ses interactions avec son entourage [1]. Le temps de l’annonce est un temps
suspendu, qui confronte le sujet à l’indicible, à une information
qui est tellement violente, tellement insupportable que le patient
ne peut, dans l’immédiat, la traduire. « En une fraction de seconde
la vie bascule », « rien ne sera plus jamais comme avant », « il y a le
temps d’avant et le temps d’après ». Le patient se trouve en quelque
sorte brutalement mis à nu psychiquement, ce qui explique ses
réactions parfois déroutantes. Ce qui est dit à ce moment là reste
ancré durablement dans la mémoire et habituellement, patient
et proches de malade se rappellent avec précision ce temps de
la révélation du diagnostic [2]. Certaines annonces peuvent être
0248-8663/$ – see front matter © 2010 Société nationale française de médecine interne (SNFMI). Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
doi:10.1016/j.revmed.2010.01.013
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apaisantes : le patient est rassuré par la présence et les propos de
son médecin, d’autres peuvent être « traumatogènes » et renforcer
la souffrance psychique du patient (impression de ne pas être
considéré, de ne pas avoir toutes les informations, d’être réduit à un
objet scientifique et non plus considéré comme une personne, etc.).
L’impact traumatique intervient à deux niveaux :
• un traumatisme primaire direct dû à la crainte de la douleur, du
handicap et de la mort ;
• un traumatisme secondaire, qui intervient dans l’après-coup, lié
à l’histoire familiale, en particulier à la réactivation d’événements
douloureux passés : deuil, maladie, séparation, conflit.
2. Les répercussions psychologiques au niveau du patient
Les répercussions psychologiques constatées lors de la confrontation à un événement traumatique ont une expression plus ou
moins intense, plus ou moins durable selon les sujets et qui peut
prendre plusieurs formes [3].
2.1. Sentiment d’arbitraire
L’événement traumatique est violent, soudain et confronte brutalement le sujet à un vécu d’impuissance face à une vie qu’il ne
contrôle plus. « Je ne pensais pas qu’un truc pareil puisse arriver et
le pire c’est que ça vous tombe dessus, comme ça, qu’on y peut rien »,
« pourquoi moi, pourquoi cela m’arrive à moi ? », « j’ai toujours eu
une vie saine, sportive, alors pourquoi ça m’arrive à moi ? ».
2.2. Culpabilité
Ce mécanisme de défense est très fréquent et témoigne de la
tentative pour le patient et/ou ses proches de lutter contre ce sentiment d’arbitraire en se réappropriant une responsabilité face à ce
qui vient d’arriver. « si j’avais fait/si je n’avais pas fait ça, ça ne serait
pas arrivé » ; « c’est de ma faute c’est moi qui. . . » ; « je n’aurais pas
dû insister, ce ne serait jamais arrivé ». La culpabilité est à entendre
comme une véritable « béquille psychique » qui, en immédiat, est
le seul lien d’humanité face à l’événement : si je suis coupable, la
prochaine fois cela ne se reproduira pas. Elle se manifeste à tous les
âges de la vie, chez les adultes comme chez les enfants qui peuvent
croire que la maladie vient les punir. Il est important de l’entendre
pour aider le patient à s’en dégager.
2.3. Altération du sentiment d’appartenance
Elle témoigne de la déshumanisation extrême où peut conduire
cette confrontation à l’image de sa propre mort et correspond à
un profond sentiment d’étrangeté à l’égard de soi-même comme
à l’égard de ses proches. L’annonce d’un diagnostic grave brise
l’unité du sujet, son sentiment d’identité et met en souffrance les
liens interpersonnels préexistants. Le patient ne se reconnaît plus
et son entourage ne le reconnaît pas davantage : « Je ne suis plus
comme avant, je ne suis plus le même, je ne me reconnais pas » ;
« j’ai l’impression d’être devenu pour moi-même un étranger » ; « on
avait l’impression d’être seuls au monde » ; « on ne me regarde plus
comme avant », etc.
Ainsi, l’annonce d’un diagnostic grave n’est pas qu’une information objective sur la maladie mais doit prendre en considération la
dimension subjective, c’est-à-dire le sens de cette annonce pour le
patient : quelle que soit la maladie, le médecin a toujours en face de
lui non pas un corps malade et souffrant, mais une personne avec
sa complexité, sa personnalité et son unité [4,7–10].
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3. Les modalités de l’annonce
3.1. Recommandations législatives
La loi du 4 mars 2002, relative au droit des malades et à la qualité du système de santé, précise que « toute personne a le droit
d’être informée sur son état de santé. . . Cette information est délivrée au cours d’un entretien individuel. La volonté d’une personne
d’être tenue dans l’ignorance d’un diagnostic ou d’un pronostic doit
être respectée, sauf lorsque les tiers sont exposés à un risque de
transmission » [5].
Un rapport de la Haute Autorité de santé de février 2008 sur
l’annonce d’une mauvaise nouvelle [6] rappelle l’importance de ce
temps de la prise en charge. C’est davantage la manière dont on dit
les choses que le fait de les énoncer ou non qui importe.
3.2. Le temps de l’annonce
Il est préférable au moment de l’annonce, qu’il n’y ait pas plus
de deux professionnels avec le patient afin de bien personnaliser cette consultation et de ne pas renforcer le sentiment souvent
exprimé par les patients d’être réduits à un objet d’étude. Si un
des deux professionnels n’est pas connu du patient, il est essentiel qu’il se présente en donnant son nom, sa fonction et son lien
d’appartenance avec le médecin connu du patient.
Il est toujours essentiel de ne pas chercher à uniformiser un
moment aussi important que celui d’une consultation d’annonce et
d’évaluer avant tout l’état des connaissances du patient (« que saitil de sa maladie ? Depuis quand a-t-il l’impression d’être malade ?
De quoi pense-t-il qu’il s’agit ? Comment se sent-il, comment vit-il
aujourd’hui ? »). Les patients ont une représentation de la maladie qui est rarement celle de leur médecin et cette consultation
d’annonce est de fait, asymétrique puisque le professionnel transmet un diagnostic que le patient ignore pour le moment. Ils peuvent
connaître d’autres personnes atteintes, s’être renseignés sur internet, sur les serveurs d’associations, dans des revues, etc. Le décalage
entre les informations récupérées, ce qui est compris de la maladie
et la réalité médicale peut être important et source de malentendus,
voire d’incompréhension au moment de l‘annonce.
La période qui précède l’annonce est souvent une période de
doute, d’inquiétudes, marquée par des douleurs, des transformations du corps, des symptômes plus ou moins évocateurs, la
réactivation d’éventuels antécédents dans la famille. C’est aussi
une période où les examens se multiplient avec certaines fois
des errances diagnostiques, des changements de services et/ou
d’hôpitaux, des bilans et investigations de toutes sortes. Le patient
voit son corps transformé en objet de savoir médical sans qu’il
obtienne les réponses à toutes ses questions. Il est à la recherche
d’une aide, d’une assistance, de réponses à ce qu’il ressent et subit.
Pour cela, il est important que la maladie soit nommée mais sans
précipitation et en recourant d’abord à des explications sur les
troubles présentés par le patient et sur les résultats de ses examens.
Il peut ainsi être précieux d’avoir établi au préalable les différentes
étapes de l’entretien (diagnostic, traitement, pronostic et soutien,
par exemple) et de les présenter dès le début de l’entretien : « nous
allons reprendre ensemble ce qui vous a conduit à consulter ; je
vais vous parler de votre maladie, de votre traitement puis nous
pourrons discuter de tout cela, de l’avenir et de toutes les autres
questions ».
Expliquer les résultats médicaux, nommer la maladie permettent au patient de mettre un mot sur des symptômes, sur
des troubles, sur une souffrance et de ne plus être « dans le
vide » et « dans l’incertitude ». Les mots permettent d’inscrire
les informations transmises et de contenir l’angoisse, de limiter
une compréhension de la maladie basée sur l’imagination et la
fantasmatique. Les mots scientifiques peuvent être donnés mais
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ils ne doivent pas rester incompréhensibles, c’est-à-dire qu’il faut
les expliquer en faisant attention au risque d’interprétations. Par
exemple, « dans la normale, le niveau de. . . » peut être compris
comme « dans l’anormal » et modifier totalement le sens de ce
que souhaitait dire le médecin. Il peut être utile de recourir à des
dessins, des supports visuels pour expliquer les mécanismes en
jeu, par exemple, réaliser un schéma pour décrire la transmission
génétique ou indiquer sur une illustration représentant l’organe
malade, les zones atteintes. Tout au long de l’entretien, le médecin
s’ajuste au patient, lui parle de lui et non de façon impersonnelle
(ex. « pour bien comprendre votre maladie. . . les examens vont me
permettre d’ajuster au plus près votre traitement ») ; il répond en
partant des termes utilisés par le patient, reformule les questions
pour s’assurer de leur sens pour le patient et le rassure sur la qualité
de sa prise en charge. Il peut régulièrement demander au patient
« vous me comprenez ? », « vous me suivez ? », pour s’assurer que les
éléments déjà transmis sont progressivement compris ; montrer
au patient que le médecin est attentif à ce qu’il ressent ; ajuster la
suite de l’entretien à l’état émotionnel du patient.
Le pronostic doit cependant ne pas figer l’avenir et s’effectuer
dans un contexte d’espoir, même si le traitement curatif n’est pas
certain.
La maladie énoncée, les patients attendent que leur soient
clairement exposés la nature des soins à venir, les modalités du
traitement, les conséquences éventuelles sur leur quotidien [6]. Le
médecin peut alors craindre les réactions du patient et tenter de
limiter les informations pour éviter des explications trop précises.
Silence et informations parcellaires peuvent être privilégiés par le
médecin mais présentent le risque d’entraîner du côté du patient
un sentiment d’incompréhension, un renforcement du sentiment
de désappartenance, une suspicion, voire une hostilité à l’égard du
corps médical : « on m’a menti », « on me cache des choses », « on ne
m’a pas tout dit », etc.
3.3. Clôturer l’entretien
En fin d’entretien, il est important de s’assurer de ce qui a été
compris par le patient. Les mots ne veulent pas dire la même chose
pour tous et il est important de veiller à ce que les informations
transmises ne soient pas mal comprises. Il est aussi illusoire de
croire que tout peut être compris et intégré lors d’un unique entretien. Le temps de l’annonce est tellement chargé émotionnellement
que le patient n’entend souvent plus ce qui est dit après l’annonce
du diagnostic. Il faut du temps pour que s’élabore l’inconcevable. Il
est, en revanche, important de savoir, en fin d’entretien, ce que
le patient et ses proches retiennent de ce qui leur a été dit, ce
Tableau 1
Attitudes et comportements qui doivent être évités lors de l’annonce d’un diagnostic
difficile.
Mentir, banaliser, esquiver, se dérober
Ne pas regarder le patient
Ne parler que de l’aspect scientifique de la maladie
Utiliser un vocabulaire inadapté à l’âge du patient (très jeune ou très âgé)
ou à ses niveaux de compréhension
Comparer cette maladie à d’autres maladies pour tenter d’en diminuer
l’impact
Utiliser des mots trop connotés (« mongolisme », « dysmorphie »)
Utiliser des termes trop techniques
Ne pas laisser d’espace à la parole du patient et parler sans cesse
Ne pas offrir un cadre humanisant : chambre d’hôpital en présence
d’autres patients, dans un couloir entre deux portes
Annoncer de façon impersonnelle : par téléphone, par mail
Utiliser l’humour, l’ironie
Exprimer un manque de disponibilité (regards sur la montre)
Clore la consultation sans demander au patient s’il a des questions
Ne pas parler au patient de la suite : traitement, hospitalisation, examens,
prochaine consultation, etc.
Tableau 2
Conditions matérielles importantes pour mener l’entretien de l’annonce dans le
cadre le plus approprié possible.
Bureau fermé, calme, confortable avec un siège pour chaque personne
présente
Bureau dédié à cette consultation où aucune personne non concernée n’est
présente (ex. collègue travaillant sur un ordinateur dans un coin du
bureau)
Présence maximale de deux professionnels de santé
Disponibilité des professionnels durant cette consultation d’annonce : pas
de BIP, pas d’interruption téléphonique
Temps consacré à cette consultation suffisant : pas moins de 45 minutes
Patient correctement installé (ne devant pas être dévêtu ou découvert, par
exemple)
Patient et médecin à même niveau de regard (s’asseoir à côté du lit du
malade si ce dernier est couché sans pouvoir se redresser)
qu’ils en ont compris, s’ils ont des questions à poser. Il est précieux
de transmettre une trace écrite (brochure, note d’information) où
les éléments importants concernant la maladie sont repris. Ce
document, adapté à l’âge du patient, ne doit pas simplement être
distribué mais présenté, expliqué au patient pour qu’il puisse effectivement l’investir et se l’approprier.
Lors de l’annonce, certaines attitudes, certains comportements
doivent être évités (Tableau 1). De bonnes conditions matérielles
sont également importantes pour mener l’entretien de l’annonce
dans le cadre le plus approprié possible (Tableau 2) [1,6–8].
L’écoute reste essentielle pour s’adapter à chaque patient et les
accompagner autour de leurs incertitudes, de leurs interrogations,
de leurs croyances, de leur espoir. Si le médecin porte un regard
attentif à son patient, ce dernier est aussi à l’affût des moindres
réactions de celui chargé de sa santé.
4. Réactions possibles du patient et de ses proches à l’égard
du médecin et de l’équipe soignante
4.1. Réactions immédiates
Au cours de cette consultation d’annonce, le patient peut immédiatement exprimer différentes réactions, qu’il est important pour
le médecin de connaître afin de ne pas être trop déstabilisé, gêné
ou submergé par un sentiment d’impuissance. L’annonce d’un diagnostic grave est, en effet, un temps d’extrêmes tensions qui peut
bloquer les émotions ou les libérer sans aucun contrôle : choc,
incrédulité, déni, confusion, peur, désespoir, angoisse, agitation
émotionnelle, sentiments d’incapacité à faire face, colère, accablement, culpabilité, résignation, déception, soulagement. Certains
patients cherchent aussi à provoquer le médecin par des allusions
plus ou moins directes à leur fin de vie : « le moment venu, vous
ferez ce qu’il faut ? », questions qui visent avant tout à s’assurer
de l’engagement du médecin, à se rassurer sur le fait de ne pas être
abandonné par celui qui vient d’annoncer la maladie. Plus le patient
est agressif, plus il a besoin d’être rassuré.
Ces modalités d’expression, parfois violentes, sont à
comprendre comme des réactions de défense et non comme
des attaques personnelles à l’égard du médecin. Elles sont les
signes du travail d’acceptation de la maladie, processus douloureux qui permet au patient d’assimiler toutes les informations
transmises et d’admettre peu à peu la réalité de la maladie grâce
à l’élaboration de ses défenses psychiques.
4.2. Réactions différées
Dans les jours et les semaines qui suivent l’annonce, il existe
une grande variabilité dans les réactions des patients mais plusieurs étapes, décrites par Elisabeth Kübler-Ross [11], peuvent être
repérées :
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• la sidération : liée à l’état de choc à l’annonce de la maladie,
« ce n’est pas possible », « c’est le monde qui s’écroule », « c’est
la vie qui bascule ». Le temps est suspendu et rien ne sera plus
jamais comme avant. Cette phase d’abattement, de stupéfaction, d’engourdissement correspond à un état de choc avec une
profonde sidération qui entraîne une altération des fonctions instinctuelles (sommeil, appétit, sexualité). Il n’y a plus de place pour
les explications rationnelles. Les messages techniques, les informations médicales et les explications sont « court-circuitées » ;
• le déni et la révolte : refus de la réalité, incrédulité par rapport
au diagnostic, « je ne peux pas y croire », « ça ne peut pas être
vrai », « c’est impossible ». Cette phase entraîne encore une sorte
de « surdité » par rapport à toutes les informations transmises
de sorte que les explications ne sont pas entendues, le patient
pouvant affirmer qu’on ne les lui a pas données. En premier lieu,
assommé par l’annonce, le sujet retrouve une sorte d’énergie du
désespoir pour s’opposer à ce qui lui a été dit : « qu’est-ce que j’ai
fait pour mériter ça ? », « c’est pas juste ! ». La famille peut ne pas
croire le médecin et demander d’autres avis avec l’espoir que le
diagnostic à venir sera différent. La colère peut aussi se retourner
de façon agressive vers le médecin qui peut être désigné comme
responsable de ce diagnostic grave ;
• la dramatisation excessive : la perspective de l’évolution de la
maladie, la mort qui se dresse à l’horizon entraîne des réactions
très violentes : « je suis foutu n’est-ce pas ? », « combien de temps
me reste-t-il ? ». Ce vécu potentialise les risques d’impulsion suicidaire et il est alors important d’assurer au patient la possibilité
d’une prise en charge ;
• le marchandage : la maladie est discutée, parlée, négociée. Les
sentiments sont multiples et contradictoires avec des demandes
parfois très compliquées à assouvir car incompatible avec le traitement médical ou l’état physique du patient ;
• la dépression : la douleur de la perte à venir se traduit par des
symptômes dépressifs. Cette phase n’est pas un épisode dépressif au sens psychiatrique du terme, mais une réaction de défense,
témoignant d’une tentative de mise à distance de la violence psychique que représente la maladie. Elle peut se traduire par un
détachement du sujet, des difficultés somatiques, intellectuelles
et affectives multiples. Les troubles de l’appétit, du sommeil,
les pertes de mémoire à court terme, les difficultés d’attention
et de concentration, l’humeur triste, la sensibilité accrue pouvant conduire le patient à s’effondrer en larmes sans pouvoir se
contrôler, sont autant de symptômes à repérer. Pour parler d’état
dépressif, il faut tenir compte de la temporalité de leur survenue
et de leur chronicité dans la vie du malade ;
• l’acceptation : correspond à une période plus sereine où le patient
se centre sur lui-même, s’installe dans un état de silence, de résignation, de lassitude et d’apparente sérénité.
5. Les suites de l’annonce
5.1. Du côté du patient et de ses proches
Lors du premier entretien, certaines personnes n’osent pas poser
leurs questions ou n’arrivent tout simplement pas à mettre en mot
leurs interrogations ; d’autres peuvent s’imaginer que le médecin ne leur a pas tout dit et être envahies par l’inquiétude et les
incertitudes. Il est pour cela important de pouvoir proposer assez
rapidement un second entretien dans le cadre d’une consultation
plus ciblée sur les informations et de fixer ce rendez-vous dès la fin
de la consultation d’annonce. Le dispositif d’annonce décrit dans
le Plan Cancer 2003–2007 propose ainsi qu’une consultation avec
une infirmière soit effectuée dans les suites de l’annonce initiale.
Ce second temps (quelques heures à quelques jours après, en fonction de l’état d’avancée de la maladie) permet également d’évaluer
l’impact de l’annonce auprès du patient et de son entourage, et de
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répondre à toutes les nouvelles questions qu’il a pu se poser depuis
l’annonce du diagnostic. Il est important de proposer au patient
d’y associer, s’il le souhaite, des proches (conjoint, parent) ou une
personne ressource, comme le « tiers digne de confiance » conformément à la Loi du 4 mars 2002. Un temps spécifique peut être
dédié aux enfants du patient malade lorsqu’il s’agit d’un adulte et
à la fratrie lorsque le patient est un enfant.
L’annonce d’une maladie grave ou d’un handicap définitif représente un brusque virage dans l’histoire familiale. Autour du patient
souffrant, handicapé, diminué par la maladie ou par l’accident, la
constellation familiale se trouve bouleversée et donne lieu à des
réaménagements [6–8,12]. Chaque parent, chaque famille, chaque
proche face à cet événement traumatique, a un cheminement singulier avec ses temporalités et ses modalités propres. À maladies
équivalentes, aucune norme de parcours ne peut donc être définie
à l’avance car chacun a un vécu personnel influencé par sa personnalité et par son histoire familiale qui lui appartient en propre :
certains fuient par crainte de ne pas réussir à faire face (séparation, divorce, rejet, indifférence. . .), d’autres se rapprochent et
manifestent beaucoup plus d’attention qu’avant la maladie.
La maladie rompt les habitudes de la famille, redistribue les responsabilités, change les priorités et le malade se trouve propulsé
au centre de toutes les préoccupations. Toute la vie familiale se
trouve réorganisée autour de lui et souvent conditionnée par les
traitements, les soins, les hospitalisations, l’attente des résultats et
la surveillance des moindres symptômes. Autour de cette « bulle »
d’inquiétude qui monopolise toute l’attention, la souffrance, les difficultés des autres membres de la famille ne sont plus prioritaires
et dans certains cas, ne peuvent même plus s’autoriser à être exprimées, et c’est particulièrement le cas des enfants lorsque le malade
est un parent et des fratries lorsque le malade est un enfant. Dans
ces situations, les adultes tentent souvent de minimiser la gravité de la maladie et des conséquences par crainte de traumatiser
les enfants. En fait, les enfants perçoivent souvent beaucoup plus
de choses que les adultes ne le pensent [1,4,12,14] et ressentent
les répercussions de la maladie même s’ils n’osent rien demander. Ils peuvent se sentir coupables de ce qui se passe, craindre
« d’attraper » la même maladie, se culpabiliser de ne pas être eux
aussi malades et présenter des signes de souffrance plus ou moins
intenses, plus ou moins durables. Il est pour cela essentiel de pouvoir leur offrir un espace où leurs craintes, leur souffrance et leurs
inquiétudes pourront être entendues et contenues.
Au-delà de l’annonce, le patient va devoir apprendre à vivre
avec sa maladie : ce cheminement est très variable d’une personne à l’autre et le soutien psychologique peut être précieux
pour permettre au patient de ne pas être submergé par tous ces
bouleversements. La maladie, les traitements peuvent entraîner
des douleurs physiques importantes, une dégradation du corps qui
peuvent atteindre l’image de soi et envahir l’esprit du patient qui
perd alors espoir et n’a plus l’impression de contrôler ce qui lui
arrive. Toutes ces perturbations ont des répercussions au niveau
psychologique qu’il est essentiel de prendre en charge. Si le recours
à un psychologue ou à un psychiatre est encore considéré par
certaines personnes comme un signe de faiblesse, la présence de
ces professionnels dans les services de soins permet véritablement
d’apprivoiser cette approche : il ne s’agit pas de « psychiatriser »
des réactions de souffrance psychique mais d’apporter un soutien,
une écoute spécialisée pour permettre au patient de faire face à la
maladie et aux bouleversements qu’elle entraîne.
5.2. Du côté du soignant
Travailler auprès de patients confronte à la prise en charge
de situations émotionnellement chargées : la souffrance psychique, la douleur physique, les inquiétudes, les incertitudes, la
mort témoignent du désarroi du patient face à son corps souf-
630
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frant. Elles peuvent aussi réactiver de façon inconsciente chez le
professionnel des épreuves professionnelles et/ou des douleurs
personnelles [3,13]. La transmission d’une information relative à
un diagnostic grave peut également être ressentie comme l’aveu
d’une insuffisance personnelle et renvoyer à un profond sentiment d’impuissance [3]. Annoncer un diagnostic grave peut être
d’autant plus difficile pour le médecin qu’il n’a pas été toujours
formé aux répercussions psychologiques de ce temps de la prise en
charge : le médecin doit transmettre les informations au patient
(et aux parents s’il s’agit d’un enfant ou d’une personne vulnérable) mais il doit aussi gérer leurs émotions et les siennes propres.
Pour rester le plus humain possible et ne pas être débordé par des
réactions défensives susceptibles de blesser le patient, il est essentiel de repérer ses propres limites et d’essayer de les comprendre.
L’accumulation de situations émotionnellement éprouvantes peut
conduire à un épuisement professionnel, tel que le médecin ne sera
plus disponible pour ses patients, pour lui-même, pour ses collègues et son entourage familial. La gestion de ces situations stressantes et la prévention du burn-out passent par un travail régulier
sur son propre ressenti. Pour chaque situation éprouvante, le médecin peut effectuer ce travail par l’intermédiaire de quatre questions :
• quels sont les éléments du contexte qui rendent la situation difficile ?
• qu’est-ce qui est chargé émotionnellement ?
• quels sont les éléments défavorables ?
• quels sont les éléments favorables ?
Ces questions et les réponses que s’en donne le médecin lui permettent de mettre en mots ses émotions, de les décrypter et de
les dégager de l’impact traumatique de la consultation d’annonce.
Au-delà de ce travail personnel, il est aussi précieux que des temps
d’échange entre professionnels puissent exister au sein d’un service
ou dans le cadre de groupes de réflexion.
6. Conclusion
Le temps de l’annonce est un temps essentiel dans l’histoire du
patient. Il conditionne la qualité du lien de confiance avec le(s)
médecin(s) et nécessite une attention toute particulière. L’annonce
d’un diagnostic grave doit laisser une place au temps, pour que
le patient puisse comprendre et devenir acteur de sa propre prise
en charge. Les conditions pour que ce travail d’élaboration puisse
se faire dépendent grandement de la capacité des soignants à
s’adapter à chaque patient, à chaque famille et à reconnaître les
retentissements psychologiques de la révélation du diagnostic.
L’enjeu est d’importance puisqu’il s’agit d’accompagner le patient
au-delà des souffrances, des peurs de la maladie ou du handicap,
pour lui permettre de continuer à être jusqu’au bout un sujet, une
personne à part entière.
Conflit d’intérêt
L’auteur n’a aucun conflit d’intérêts.
Références
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