H. Romano / La Revue de médecine interne 31 (2010) 626–630 629
•la sidération : liée à l’état de choc à l’annonce de la maladie,
«ce n’est pas possible »,«c’est le monde qui s’écroule »,«c’est
la vie qui bascule ». Le temps est suspendu et rien ne sera plus
jamais comme avant. Cette phase d’abattement, de stupéfac-
tion, d’engourdissement correspond à un état de choc avec une
profonde sidération qui entraîne une altération des fonctions ins-
tinctuelles (sommeil, appétit, sexualité). Il n’y a plus de place pour
les explications rationnelles. Les messages techniques, les infor-
mations médicales et les explications sont «court-circuitées »;
•le déni et la révolte : refus de la réalité, incrédulité par rapport
au diagnostic, «je ne peux pas y croire »,«c¸ a ne peut pas être
vrai »,«c’est impossible ». Cette phase entraîne encore une sorte
de «surdité »par rapport à toutes les informations transmises
de sorte que les explications ne sont pas entendues, le patient
pouvant affirmer qu’on ne les lui a pas données. En premier lieu,
assommé par l’annonce, le sujet retrouve une sorte d’énergie du
désespoir pour s’opposer à ce qui lui a été dit : «qu’est-ce que j’ai
fait pour mériter c¸a?»,«c’est pas juste! ». La famille peut ne pas
croire le médecin et demander d’autres avis avec l’espoir que le
diagnostic à venir sera différent. La colère peut aussi se retourner
de fac¸ on agressive vers le médecin qui peut être désigné comme
responsable de ce diagnostic grave ;
•la dramatisation excessive : la perspective de l’évolution de la
maladie, la mort qui se dresse à l’horizon entraîne des réactions
très violentes : «je suis foutu n’est-ce pas ? »,«combien de temps
me reste-t-il ? ». Ce vécu potentialise les risques d’impulsion sui-
cidaire et il est alors important d’assurer au patient la possibilité
d’une prise en charge ;
•le marchandage : la maladie est discutée, parlée, négociée. Les
sentiments sont multiples et contradictoires avec des demandes
parfois très compliquées à assouvir car incompatible avec le trai-
tement médical ou l’état physique du patient ;
•la dépression : la douleur de la perte à venir se traduit par des
symptômes dépressifs. Cette phase n’est pas un épisode dépres-
sif au sens psychiatrique du terme, mais une réaction de défense,
témoignant d’une tentative de mise à distance de la violence psy-
chique que représente la maladie. Elle peut se traduire par un
détachement du sujet, des difficultés somatiques, intellectuelles
et affectives multiples. Les troubles de l’appétit, du sommeil,
les pertes de mémoire à court terme, les difficultés d’attention
et de concentration, l’humeur triste, la sensibilité accrue pou-
vant conduire le patient à s’effondrer en larmes sans pouvoir se
contrôler, sont autant de symptômes à repérer. Pour parler d’état
dépressif, il faut tenir compte de la temporalité de leur survenue
et de leur chronicité dans la vie du malade ;
•l’acceptation : correspond à une période plus sereine où le patient
se centre sur lui-même, s’installe dans un état de silence, de rési-
gnation, de lassitude et d’apparente sérénité.
5. Les suites de l’annonce
5.1. Du côté du patient et de ses proches
Lors du premier entretien, certaines personnes n’osent pas poser
leurs questions ou n’arrivent tout simplement pas à mettre en mot
leurs interrogations ; d’autres peuvent s’imaginer que le méde-
cin ne leur a pas tout dit et être envahies par l’inquiétude et les
incertitudes. Il est pour cela important de pouvoir proposer assez
rapidement un second entretien dans le cadre d’une consultation
plus ciblée sur les informations et de fixer ce rendez-vous dès la fin
de la consultation d’annonce. Le dispositif d’annonce décrit dans
le Plan Cancer 2003–2007 propose ainsi qu’une consultation avec
une infirmière soit effectuée dans les suites de l’annonce initiale.
Ce second temps (quelques heures à quelques jours après, en fonc-
tion de l’état d’avancée de la maladie) permet également d’évaluer
l’impact de l’annonce auprès du patient et de son entourage, et de
répondre à toutes les nouvelles questions qu’il a pu se poser depuis
l’annonce du diagnostic. Il est important de proposer au patient
d’y associer, s’il le souhaite, des proches (conjoint, parent) ou une
personne ressource, comme le «tiers digne de confiance »confor-
mément à la Loi du 4 mars 2002. Un temps spécifique peut être
dédié aux enfants du patient malade lorsqu’il s’agit d’un adulte et
à la fratrie lorsque le patient est un enfant.
L’annonce d’une maladie grave ou d’un handicap définitif repré-
sente un brusque virage dans l’histoire familiale. Autour du patient
souffrant, handicapé, diminué par la maladie ou par l’accident, la
constellation familiale se trouve bouleversée et donne lieu à des
réaménagements [6–8,12]. Chaque parent, chaque famille, chaque
proche face à cet événement traumatique, a un cheminement sin-
gulier avec ses temporalités et ses modalités propres. À maladies
équivalentes, aucune norme de parcours ne peut donc être définie
à l’avance car chacun a un vécu personnel influencé par sa person-
nalité et par son histoire familiale qui lui appartient en propre :
certains fuient par crainte de ne pas réussir à faire face (sépa-
ration, divorce, rejet, indifférence...), d’autres se rapprochent et
manifestent beaucoup plus d’attention qu’avant la maladie.
La maladie rompt les habitudes de la famille, redistribue les res-
ponsabilités, change les priorités et le malade se trouve propulsé
au centre de toutes les préoccupations. Toute la vie familiale se
trouve réorganisée autour de lui et souvent conditionnée par les
traitements, les soins, les hospitalisations, l’attente des résultats et
la surveillance des moindres symptômes. Autour de cette «bulle »
d’inquiétude qui monopolise toute l’attention, la souffrance, les dif-
ficultés des autres membres de la famille ne sont plus prioritaires
et dans certains cas, ne peuvent même plus s’autoriser à être expri-
mées, et c’est particulièrement le cas des enfants lorsque le malade
est un parent et des fratries lorsque le malade est un enfant. Dans
ces situations, les adultes tentent souvent de minimiser la gra-
vité de la maladie et des conséquences par crainte de traumatiser
les enfants. En fait, les enfants perc¸ oivent souvent beaucoup plus
de choses que les adultes ne le pensent [1,4,12,14] et ressentent
les répercussions de la maladie même s’ils n’osent rien deman-
der. Ils peuvent se sentir coupables de ce qui se passe, craindre
«d’attraper »la même maladie, se culpabiliser de ne pas être eux
aussi malades et présenter des signes de souffrance plus ou moins
intenses, plus ou moins durables. Il est pour cela essentiel de pou-
voir leur offrir un espace où leurs craintes, leur souffrance et leurs
inquiétudes pourront être entendues et contenues.
Au-delà de l’annonce, le patient va devoir apprendre à vivre
avec sa maladie : ce cheminement est très variable d’une per-
sonne à l’autre et le soutien psychologique peut être précieux
pour permettre au patient de ne pas être submergé par tous ces
bouleversements. La maladie, les traitements peuvent entraîner
des douleurs physiques importantes, une dégradation du corps qui
peuvent atteindre l’image de soi et envahir l’esprit du patient qui
perd alors espoir et n’a plus l’impression de contrôler ce qui lui
arrive. Toutes ces perturbations ont des répercussions au niveau
psychologique qu’il est essentiel de prendre en charge. Si le recours
à un psychologue ou à un psychiatre est encore considéré par
certaines personnes comme un signe de faiblesse, la présence de
ces professionnels dans les services de soins permet véritablement
d’apprivoiser cette approche : il ne s’agit pas de «psychiatriser »
des réactions de souffrance psychique mais d’apporter un soutien,
une écoute spécialisée pour permettre au patient de faire face à la
maladie et aux bouleversements qu’elle entraîne.
5.2. Du côté du soignant
Travailler auprès de patients confronte à la prise en charge
de situations émotionnellement chargées : la souffrance psy-
chique, la douleur physique, les inquiétudes, les incertitudes, la
mort témoignent du désarroi du patient face à son corps souf-