Chapitre V : L'implantation de la République en France, 1870-1914.
Après la Révolution et le Premier Empire, la France semble peiner à trouver le régime poli-
tique qui lui convienne : après une restauration monarchique de courte durée (1814-1848) et une
non moins éphémère IIème République (1848-52), après un Second Empire (1852-70) qui paraît
pouvoir lui donner stabilité et prospérité au détriment des libertés publiques et politiques, la IIIème
République va être la première expérience républicaine durable durant laquelle les formes démo-
cratiques s’acclimatent en France.
Elle doit donc lutter sur sa droite contre les partisans de la monarchie, en particulier l'Eglise
encore puissante sur les esprits. A qui s'ajoute une nouvelle forme d'opposition de droite, le na-
tionalisme exacerbé qui met en avant le thème de la revanche sur l'Allemagne à la suite de la dé-
faite de 1871 et reproche à la République née dans la défaite de ne pas être capable d'assurer la
grandeur extérieur de la France.
Enfin se fait jour une autre opposition, sur sa gauche cette fois, celle des différents courants
anarchistes et socialistes sur le terrain de la question sociale, c'est-à-dire le partage des richesses
nées de la révolution industrielle et la prise de pouvoir du peuple contre les notables.
1ère partie : L'enracinement de la culture républicaine. (pp. 312 à 326)
La IIIème République est le régime le plus durable qui a succédé à l'Ancien Régime. Et
pourtant il est né au milieu des difficultés et n'a pas cessé d'être en but aux oppositions les plus
violentes et aux difficultés avec l'étranger. Comment peut s'expliquer un tel enracinement des
principes et des pratiques démocratiques ? Et cet enracinement est-il aussi réel qu'on le dit ?
1. Quelles sont les règles du jeu démocratiques ? Comment républicaniser la Répu-
blique ?
a. Un régime sans réelle constitution aux mains de ses ennemis :
- une succession de lois constitutionnelles de 1875 à 1879 élaborent progressive-
ment le régime républicain ; pourquoi ? : choc de la défaite face aux Prussiens de
Bismarck et domination des monarchistes (400/600), heureusement divisés, à
l'Assemblée Nationale ;
- panique des élites face à la Commune de Paris (mars à mai 1871) ; répression san-
glante contre les "rouges"; divorce de la République nouvelle avec le monde ou-
vrier ;
- présidence de Mac Mahon de 1873 à 79 et politique ultraréactionnaire de "l'Ordre
moral" (prières publiques, etc.) ; mais forcé de démissionner face à la montée en
puissance des républicains au fil des élections ; crainte de restauration monarchi-
que s'éloigne, le parlement quitte Versailles pour Paris en 1879 ; voir l'image 1 p.
312 qui met en valeur pour 1ère fois les emblèmes et symboles de la République ;
b. Un régime parlementaire dévoyé :
(voir le schéma constitutionnel 1 p. 314)
- modèle anglais des libertés publiques et de l'équilibre des pouvoirs, mais réalités
politiques françaises radicalement différentes depuis la Révolution ;
- un pouvoir exécutif très affaibli dans la personne du Président de la République
comme dans celle du Président du Conseil des ministres : instabilité ministérielle
(55 cabinets ministériels en 44 ans) ;
- toute puissance du législatif mais rendu impuissant par la division en 2 chambres
(Assemblée Nationale et Sénat) et en une multitude de partis ; manœuvres parle-
mentaires éloignent le gouvernement du peuple ;
- une absence d'indépendance du pouvoir judiciaire, d'où une "République absolue"
et l'absence d'un Etat de droit (refus d'inscrire les Droits de l'Homme dans la
constitution) ;
c. Les grandes libertés publiques fondatrices :
(voir texte 2 p. 314)
- lois de 1881 et 84 : libertés publiques … : réunion, presse, association profession-
nelle, municipales ; extension de la liberté des associations en 1901;
- … et personnelles : suppression de l'obligation du repos dominical, divorce ; déjà
combat contre l'Eglise ;
- grandes lois scolaires, bases de l'exercice des libertés et armes de la lutte anticléri-
cale : lycées de jeunes filles ; Jules Ferry 1881 Iaire laïc, gratuit et obligatoire ; (voir
texte 1 p. 320)
2. La difficile victoire sur les forces réactionnaires.
a. Puissance de l'Eglise :
- force réactionnaire politiquement et socialement : souvenir de la Révolution, or-
ganisation cléricale monarchique, revendication du règne de Dieu sur Terre (ca-
tholicisme social) ; malgré Rerum novarum de 1891 et politique du Ralliement de
Léon XIII ;
- clergé séculier fonctionnaire et régulier riche ; le 2ème est donc plus dangereux ;
- emprise sur les élites en particulier militaires (le sabre et le goupillon) et acadé-
miques ;
- emprise sur les consciences par l'école, par sa presse (La Croix, Le Pèlerin … ) et
par sa maîtrise des rites sociaux (baptêmes, mariages et enterrements) ;
b. Nationalisme de la revanche :
- l'obsession de la "Revanche" sur l'Allemagne depuis défaite de 1870 ; desserrer
l'étau bismarckien autour de la France, diplomatie active de Delcassé mais son
renvoi sous la pression de Guillaume II semble confirmer emprise allemande
(1905) ;
- la crise allemande de la pensée française : rattraper retard dans les sciences et
l'éducation qui ont fait succès des Allemands ; d'où réforme de l'Université
- les humiliations de la perfide Albion, ennemi héréditaire : marine française surclas-
sée, diplomatie à la traîne, humiliation culmine à Fachoda en 1898 ;
c. Antiparlementarisme :
- les scandales financiers et la corruption : scandale des décorations en 1887, affaire
de Panama en 1892, augmentation des indemnités parlementaires de 9.000 à
15.000 fr en 1907 ;
- l'impuissance et l'incompétence : régime de discussions, secret des décisions im-
possible, autorité de l'Etat impossible, surtout face aux monarchies européennes ;
- l'antisémitisme comme explication des maux de la République : à l'antijudaïsme
traditionnel s'ajoute un racisme biologique (Drumont et sa Libre Parole, Gobineau
et sa théorie des races ; derrière corruption et révolution, se cacherait toujours le
Juif ;
d. De Boulanger à Dreyfus, les grands combats :
- Boulanger, le général "Revanche" trop populaire ministre de la guerre : crise bou-
langiste de 1887 à 90, menace sur la République par l'alliance de ses opposants de
droite et de gauche derrière le général ; en fait un révisionnisme musclé dans la
tradition bonapartiste ; (voir discours de Boulanger en 1888, 4 p. 315)
- Dreyfus : de l'affaire d'espionnage (condamnation à la déportation, 1894) au scan-
dale judiciaire (lettre de Zola, suicide de Henry, 1898 ; 2ème procès, 1899), l'Arche
sainte de l'armée, la fracture du pays, l'exacerbation du parti nationaliste ; (voir
dossier pp. 316-317)
- la fabrique du réflexe de défense républicain qui fait oublier la Commune aux
"rouges" et mobilise les intellectuels dans les deux camps ;
e. La lutte anticléricale :
(dossier pp. 366-367)
- affaires décident gouvernement à lutter contre puissance de l'Eglise ;
- loi de 1901 : expulsion des congrégations religieuses ; (voir photo 1 p. 370)
- rupture diplomatique avec le Vatican en 1904 ;
- loi de séparation des Eglises et de l'Etat en 1905 et querelle des inventaires ;
3. Le modèle républicain.
Pendant que se déroulent toutes ces agitations, la France dans ses profondeurs se convertit
et s'habitue au système démocratique. Trop d'intérêts sont liés à ce régime pour qu'il doit désor-
mais facile de le changer.
a. L'école :
!
- les "hussards de la République" et le catéchisme républicain ; (dossier pp. 320-321)
- les symboles : une fête nationale (14 juillet), un hymne (Marseillaise), une effigie
(Marianne dans toutes les mairies) ; (voir images 1 p. 310 et 2 p. 324 et dossier pp.
322-323)
- vecteur de l'ascension sociale dans les campagnes ; les "couches nouvelles" ;
b. L'armée :
- rôle intégrateur du service militaire : en 1872, 5 ans avec exemptions et réforme
(1m,54, …) ; 2 ans en 1905, 3 ans en 1913 ;
- fabrique du sentiment national autour de la République ; d'où importance de l'af-
faire Dreyfus ; la "grande muette" ;
- force de répression utilisée contre grèves et manifestations : cf. massacres de
Fourmies en 1891, mais mutinerie du 17ème de ligne en 1907 dans le Midi ; (voir il-
lustration 2 p. 319)
c. Les partis politiques :
- évolution des forces politiques parlementaires : de la contestation du régime (pour
ou contre la république avant 80's) à la double fracture Dieu-Argent (pour ou
contre l'Eglise/pour ou contre le capitalisme) ;
- l'acclimatation des pratiques démocratiques : le vote, les réunions électorales, les
partis politiques et tous leurs élus, la presse d'opinion ; (voir illustration 3 p. 315)
- radicaux incarnent la base sociologique du régime, les petits propriétaires des
campagnes ; plus au centre, les républicains modérés ; à l'extrême gauche, les so-
cialistes ;
d. La prospérité :
- les expositions universelles de Paris, 1889, 1900 et les autres ;
- encaisse or de la Banque de France et Emprunts étrangers ; fortune française : 300
Mdfr.or en 1913 (soit 900 Md);
- campagnes protégées par tarifs Méline en 1892 ;
4. Les forces révolutionnaires à l'assaut.
a. montée de la question ouvrière :
- syndicalisme, naissance CGT en 1902, mais aussi les "jaunes" et les chrétiens (pa-
ternalisme) ; revendication de la journée de 8 h et du salaire de 100 sous ;
- grèves et manifestations réprimées : Draveil, Villeneuve-St-Georges, Midi viticole,
Clémenceau briseur de grèves ;
- lois sociales et ministères du travail en 1906 : inspecteurs du travail, code du tra-
vail ;
- naissance SFIO en 1905 : pacifisme, laïcisme militant et égalitarisme ; son leader
charismatique, Jean Jaurès, héros populaire (Panthéon) ;
b. Les attentats anarchistes et les lois scélérates :
- anarcho-syndicalisme : action directe, sabotages et attentats ; (voir illustration 1 p.
318)
- Ravachol et c° (1882), bombe à l'Assemblée, assassinat du prés. Lazare Carnot en
1894 ;
- lois scélérates utilisées abusivement contre socialistes et syndicalistes ;
c. naissance et montée du nationalisme révolutionnaire, prélude du fascisme :
- une nouvelle droite plébiscitaire : composé de nationalisme et de pseudo-socia-
lisme ; prémisses du fascisme de l'après guerre ;
- AF dans l'Affaire Dreyfus : journal et mouvement monarchiste, nationaliste inté-
gral et antisémite fondé en 1899 par C. Maurras, prend la tête de la lutte à
l'extrême droite ;
- vogue des idées contre révolutionnaires et anti rationnelles, perte en la foi du Pro-
grès ; renouveau de la foi et du nationalisme contre République bourgeoise ;
L'entrée en guerre en 1914 est l'épreuve de la solidité du régime républicain : la victoire
emportée sur l'Allemagne ne peut que la renforcer en identifiant le régime à la victoire. Au point
que la République peut se montrer généreuse envers son ennemie en autorisant les religieux à
revenir en France et rouvrir leurs écoles après 1918.
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