QDND N°24 - Doit-on rechercher systématiquement l`infection à

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EPIDEMIOLOGIE
CLINIQUE / CIRCONSTANCES DE DECOUVERTE
Le cytomégalovirus (CMV) fait partie de la famille des Herpesviridae, l'espèce
humaine en constituant le seul réservoir. Après une primo-infection,
l'excrétion du virus peut durer des mois, parfois des années. Qui plus est, le
virus n'est pas éliminé de l'organisme ; il y reste latent (caractéristique des
Herpesviridae). Il pourra se produire tout au long de la vie de l'individu des
phases de réactivation au cours desquelles le virus va se multiplier,
notamment en cas d'immunodépression "spontanée" (grossesse, SIDA) ou
iatrogène (traitements immuno-suppresseurs). Ces réactivations étant
asymptomatiques, les risques de contamination sont alors élevés. La
réplication du virus est intranucléaire, ce qui le rend insensible aux Ac
sériques neutralisants.
Primo-infection maternelle
Elle peut se traduire par un syndrome mononucléosique fébrile (syndrome
pseudo-grippal avec asthénie modérée et arthralgies) avec lymphocytose
relative ou absolue, augmentation des transaminases, anémie hémolytique,
thrombopénie, hépatite avec ictère, conjonctivite, pneumopathie interstitielle,
myocardite, syndrome de Guillain Barré, encéphalite aiguë... Dans environ
90% des cas, l'infection maternelle est asymptomatique.
Après une période d'incubation de 20 à 60 jours, la maladie dure de 2 à 6
semaines. L'absence habituelle d'angine et de réaction ganglionnaire en
début d'infection la différencie d'une mononucléose infectieuse.
L'infection à CMV est transmise essentiellement par les sécrétions
oropharyngées, urogénitales et les transfusions abondantes de sang non
déleucocyté (le virus étant retrouvé dans le sang (leucocytes), l'urine, la
salive, les sécrétions du col utérin, le sperme et le lait). Elle peut être acquise
in utero, à l'occasion d'une virémie maternelle, qui peut survenir soit lors
d'une primo-infection pendant la grossesse, soit dans un contexte de
réactivation ou de réinfection.
L'infection fœtale à CMV est l'infection intra-utérine la plus fréquente : 0,4% à
2,3% des nouveau-nés vivants excrètent du CMV dans les urines pendant
leur première semaine de vie. L'infection est d'abord placentaire lors d'une
virémie maternelle, puis elle est transmise au fœtus par voie hématogène,
cette transmission étant liée à la fraction leucocytaire du sang. En cas de
primo-infection, la transmission au fœtus est de l'ordre de 30 à 50% alors
qu'elle est inférieure à 3% après une infection secondaire. Chez le fœtus
infecté, du fait de l'immaturité immunologique fœtale, une infection chronique
et productive avec cytomégalie disséminée peut s'installer.
Le statut sérologique de la mère avant la grossesse est corrélé à des facteurs
socio-économiques et au comportement sexuel. En France, environ 45% des
femmes enceintes ont des Ac anti-CMV ; ce chiffre peut dépasser 95% dans
certains pays à conditions socio-économiques défavorables. Dans les pays
du tiers monde, l'immunité s'acquiert principalement durant l'enfance, par voie
orale ou respiratoire (rôle de la promiscuité et de l'allaitement maternel).
Le taux moyen de séroconversion pendant la grossesse est de 1,5 à 2%, il
dépend de la séroprévalence (dans les populations à pourcentage de
séropositivité élevé, l'incidence est élevée car la population séronégative très
minoritaire est très exposée au risque de contamination, ce d'autant que les
conditions socio-économiques sont souvent défavorables). Le taux de
réactivation est surtout important en fin de grossesse mais son diagnostic est
difficile à poser.
Les groupes professionnels à risque sont ceux en contact avec des individus
excrétant massivement le CMV (infirmières, puéricultrices, institutrices,
personnels des crèches, et surtout mères de famille avec des enfants en bas
âge fréquentant la crèche).
Infection à CMV chez le fœtus
Le risque de transmission au fœtus dépend essentiellement du statut
maternel vis à vis du CMV :
Lors d'une primo-infection maternelle, le risque de contamination foetale est
de l'ordre de 30 à 50%. L'âge gestationnel au moment de la virémie fœtale ne
semble pas influencer le taux de transmission. Cependant, il semble corrélé à
la sévérité de l'infection, les atteintes de la première moitié de la grossesse
ayant le plus mauvais pronostic. Les avortements occasionnés par le CMV
sont rares.
●Environ 5 à 10% des nouveau-nés infectés sont symptomatiques à la
naissance, et certains présentent une maladie des inclusions cytomégaliques
généralisée caractérisée par :
-des signes neurologiques : microcéphalie, calcifications péri-ventriculaires,
hypotonie, dilatation ventriculaire
-une hépatosplénomégalie, un ictère, des pétéchies, un purpura
-un retard de croissance intra-utérin, une naissance prématurée
-des signes oculaires : choriorétinite, atrophie optique
-une pneumopathie interstitielle
La mortalité est élevée, 10 à 20% en quelques jours ou semaines. 10% des
enfants survivants peuvent espérer un développement normal et les 90% des
enfants restant présentent des troubles du développement à type de retard
mental, hypotonie, parésie, surdité progressive.
●La majorité des enfants infectés (90%) ne présente aucune
symptomatologie à la naissance. Chez 5% à 15% d'entre eux, une surdité,
une choriorétinite, un retard mental se manifeste tardivement.
●Les 2/3 des enfants ayant échappé à l'infection in utero après une primoinfection maternelle présentent une virurie vers l'âge de 4 mois, cette
infection étant probablement postnatale, acquise lors de l'accouchement,
l'allaitement ou de contacts intimes avec la mère.
Plus de 50% des femmes sont séronégatives lors de la grossesse et risquent
donc une primo-infection aux conséquences graves pour le fœtus.
Lors d'une infection maternelle "secondaire" (réactivation ou réinfection), le
risque de contamination fœtale n'est que de 0,15% à 3%. Les récurrences
maternelles sont relativement fréquentes. Il a été montré que l'excrétion virale
est peu fréquente au cours du premier trimestre de grossesse et qu'elle
augmente au cours du dernier trimestre touchant 15 à 30% des femmes. La
plupart du temps, il n'y a pas d'infections symptomatiques à la naissance.
Quand des lésions apparaissent, elles semblent d'apparition plus tardive et
de gravité moindre que lorsqu'elles sont consécutives à une primo-infection
(le plus souvent il s'agit d'une surdité unilatérale d'aggravation progressive
qui reste modérée). L'apparition de signes neurologiques est rare. Il est donc
très important de pouvoir différencier chez une femme enceinte, une primoinfection d'une réactivation.
Circonstances de découverte
Le problème du diagnostic prénatal de l'infection congénitale à CMV peut se
poser dans 3 circonstances différentes :
-soit en raison d'anomalies échographiques du foetus connues pour pouvoir
être en rapport avec une infection congénitale à CMV : retard de croissance
intra-utérin, d'autant qu'il existe un oligo-amnios, un placenta épais ou
certaines anomalies morphologiques (hydrocéphalie, microcéphalie, images
hyperéchogènes intra-abdominales, ascite, épanchement pleural…).
-soit à l'occasion d'un épisode clinique maternel évoquant une infection à
CMV, les signes étant cependant peu spécifiques (syndrome pseudo-grippal,
fièvre…)
-soit en raison d'une séroconversion ou d'une réactivation asymptomatique
durant la grossesse, dépistée lors d'une surveillance systématique dans des
populations à risque, alors qu'il n'existe pas d'anomalies échographiques.
DIAGNOSTIC BIOLOGIQUE DE L'INFECTION
Diagnostic de la primo-infection maternelle
Il est basé sur le sérodiagnostic qui met en évidence une séroconversion en
IgM et IgG.
Comme il n'est pas habituel de faire une recherche systématique d'Ac antiCMV au début de grossesse, la séroconversion est difficile à mettre en
évidence. Il est cependant fréquent que le laboratoire ait stocké des
échantillons de sérum pour des sérologies rubéoliques ou toxoplasmiques
(obligation légale de conserver les sérums à –30°C pendant 1 an pour les
échantillons utilisés pour la réalisation de sérologies). Dans ces conditions,
en présence d'un syndrome infectieux évocateur ou en présence d'une
pathologie fœtale détectée à l'échographie, il est possible d'effectuer un
prélèvement sanguin et de l'analyser en parallèle avec les échantillons
stockés.
Une ascension du titre des IgG anti-CMV, entre 2 prélèvements effectués à
15 jours d'intervalle, est sans valeur en l'absence d'autres critères de primoinfection. Celle-ci peut être liée à une stimulation polyclonale ou un rappel
hétérologue. Une absence d'ascension du taux des Ac, surtout chez la
femme enceinte, ne permet pas non plus de conclure à une infection
ancienne. Il existe de faux positifs en cas de présence d'auto-Ac sériques
comme dans le cas de LED (cette remarque étant vraie pour tous les virus du
groupe Herpès).
Les IgM anti-CMV sont présentes au cours des primo-infections mais elles
peuvent persister pendant plusieurs mois (plus de 6 mois quelquefois) et
surtout elles réapparaissent dans 10 à 70% des cas de réinfection. Au cours
d'infections non dues au CMV, la recherche d'IgM peut être positive
(réactions croisées ou stimulation polyclonale du système immunitaire). La
présence d'IgM anti-CMV n'est donc pas un critère fiable de primo-infection.
Ce n'est qu'un élément de présomption d'une infection active. La notion d'IgM
fugaces n'existe pas dans le cas du CMV .
La mesure de l'avidité des IgG anti-CMV permet, devant des IgM et des IgG
positives en début de grossesse, d'évaluer la date de l'infection et donc de
différencier les infections présumées anciennes où l'avidité des IgG est
élevée, des infections récentes, où elle est faible. Ce test permet un
diagnostic d'exclusion. Il n'est pas inscrit à la nomenclature des actes de
Biologie Médicale pour l'instant.
L'isolement du virus CMV par culture ou PCR, dans le sang ou l'urine,
chez une femme enceinte connue séronégative en début de grossesse
confirme la primo-infection maternelle.
Diagnostic d'une réactivation maternelle
Le seul critère absolu de réactivation maternelle est l'existence d'une
infection congénitale à CMV chez une femme connue avant la grossesse
comme immunisée contre le CMV. Les autres critères (augmentation des IgG
avec absence d'IgM, virurie récurrente pendant la grossesse) sont sujets à
caution.
Remarque : après infection à CMV, des taux élevés d'Ac peuvent persister
pendant plusieurs années et des épisodes de virurie peuvent survenir de
manière intermittente. Le risque d'infection fœtale chez une femme
immunisée contre le CMV est très faible et ni le taux des Ac, ni leur cinétique,
ni l'existence d'une virurie ne sont en l'état actuel des connaissances des
arguments pour différer le début d'une grossesse.
Diagnostic prénatal
Le dépistage prénatal de l'infection congénitale repose sur la mise en
évidence du CMV par culture ou PCR dans le liquide amniotique 4 à 6
semaines après la séroconversion et après la 20-22ème SA. La PCR ne paraît
pas apporter une sensibilité supplémentaire par rapport à la culture virale qui
constitue la méthode de référence. Lors de la réalisation de l'amniocentèse, il
paraît prudent de s'assurer de l'absence de virémie maternelle. Celle-ci peut
entraîner non seulement des faux positifs (de l'ordre de 8%) mais elle peut
être aussi responsable de la contamination du fœtus.
Il est très important de rappeler que la présence de virus témoigne d'une
infection fœtale mais pas nécessairement d'une maladie fœtale.
En l'état actuel des connaissances, il n'existe pas de paramètres biologiques
prédictifs fiables de l'atteinte fœtale (charge virale dans le liquide
amniotique?, souche de CMV?…)
Diagnostic postnatal
Le diagnostic postnatal de l'infection congénitale est réalisé par la recherche
du CMV dans les urines, par culture, durant la première semaine de vie. Le
rapport coût/bénéfice d'une telle recherche n'est pas connu.
FAUT-IL DEPISTER SYSTEMATIQUEMENT L'INFECTION MATERNELLE
A CMV PENDANT LA GROSSESSE ?
A l'heure actuelle, la mise en place d'un dépistage systématique de l'infection
à CMV chez la femme enceinte ne paraît pas opportune étant donné :
- les difficultés à assurer le diagnostic et le pronostic d'une infection fœtale.
Le fait d'avoir diagnostiqué une primo-infection chez la femme ne signifie pas
que le fœtus va être atteint, même si la femme est virémique et/ou virurique,
ce qui suggère une infection du placenta mais non du fœtus.
- l'inexistence de médicaments anti-CMV efficaces, dénués de toxicité et de
pouvoir tératogène.
La pratique d'un tel dépistage serait à l'origine de nombreuses demandes
d'IMG (interruption médicale de grossesse) du fait de l'angoisse intense
soulevée par ce type de situation.
Par contre, si de tels traitements se développaient, il importerait de mettre en
place des stratégies de dépistage efficaces car :
- Le dépistage systématique permettrait, en théorie, de mieux identifier les
fœtus pour lesquels une IMG serait envisageable, mais surtout de mieux
prendre en charge les enfants asymptomatiques et pauci-symptomatiques
dont un certain nombre risque de développer des séquelles neuro-sensorimotrices à distance. Pour ne donner qu'un seul exemple, les conséquences
en termes de développement psychomoteur, langage, capacités d'acquisition
d'une surdité sont totalement différentes selon que le diagnostic a été posé
précocement ou non.
- Le dépistage systématique permettrait de sensibiliser les femmes enceintes
séronégatives aux mesures d'hygiène à respecter pour diminuer le risque de
contamination par le CMV. Ces mesures visent à éviter le contact avec la
salive ou les urines des sujets infectés et notamment les enfants en bas âge
(lavage des mains après le change, pas de "bisous baveux", pas de "partage"
des repas). Toutefois, les femmes séropositives ne sont pas à l'abri d'un
réactivation ou d'une réinfection, mais leurs conséquences sont moins
fréquentes et moins sévères.
CONCLUSION
L'infection à CMV, acquise in utero, est la cause principale des retards
psychomoteurs d'origine infectieuse et des surdités congénitales. La
prévention de ces infections et de leurs séquelles est un objectif de santé
publique dont il faut envisager les modalités, même si pour l'instant elles sont
limitées.
Jean-Pierre BOUILLOUX & Sylvie HAMON
Prochain sujet : diagnostic biologique des hyperéosinophilies.
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