b Wilhelm von HUMBOLDT d

publicité
 Wilhelm von HUMBOLDT Deux fragments de
Jacques François
LE SIÈCLE D’OR DE LA LINGUISTIQUE
EN ALLEMAGNE
De Humboldt à Meyer-Lübke
à paraître
Limoges : Éditions Lambert-Lucas
Section II—1:
Wilhelm von Humboldt
Chapitre VI :
Wilhelm von Humboldt, grammairien
et philosophe
1
II─1. Wilhelm von HUMBOLDT
“La question du langage marque le point d’orgue
d’une interrogation philosophique portant sur la
destination de l’homme (anthropo-logie), au
croisement des Lumières et du Romantisme : l’homme
en procès de lui-même, inventant librement le sens de
son être au long d’un devenir ponctué par ses œuvres
(sciences, littérature, philosophie) dont le langage est
le foyer et le vecteur.”1
II─1.1. UNE CARRIÈRE MULTIPLE ET FLAMBOYANTE
Wilhelm et Alexander von Humboldt – une fratrie2 aussi indissociable que Friedrich
et August Schlegel ou Jacob et Hans Grimm à la même époque – naissent à deux ans
de distance (1767 et 1769) à Berlin d’un père officier et d’une mère issue d’une
famille de huguenots français entrés au service de la cour de Prusse, Marie Elisabeth
Colomb, baronne de Holwede par son premier mariage. Formés par leur précepteur
Joachim Heinrich Campe dans l’esprit des Lumières, les deux frères reçoivent une
éducation libérale3 et ouverte sur la culture et le monde :
“With his brother, Alexander, who was two years younger, Wilhem von Humboldt
belonged to a generation which witnessed the collapse of absolute monarchies in the
wake of the French revolution and helped to shape the construction of a new Europe.
The two brothers were both educated in the spirit of Rousseau and of the philanthropist
school ; on their youth, they adopted the ideas of the enlightenment, lived through the
Sturm und Drang (Storm and stress) period and went on to join the Weimar circle of
poets there they enjoyed the friendship of Schiller and Goethe. While Alexander
travelled the world and guided natural science into new paths, Wilhelm paved the way
for the development of the modern moral sciences.” UNESCO — International Bureau
of Education (1993), Wilhelm von Humboldt (1737-1835)
En 1790 (il a 23 ans et vient de terminer un cycle diversifié d’études de droit, de
philologie, de philosophie, de sciences de la nature et de physique expérimentale à
Göttingen) Wilhelm entre au service de l’État prussien comme juge, mais abandonne
cette charge un an après pour se retirer sur les terres de sa jeune femme et se plonger
avec elle dans les humanités classiques selon l’esprit du “nouvel humanisme”
1
2
3
Extrait de la notice de Pierre Caussat sur l’Introduction à l’oeuvre sur le kawi dans le
Corpus des Textes Linguistiques Fondamentaux.
Tels Castor et Pollux, les deux frères demeurent généralement dans la mémoire des
allemands comme les “dioscures” de la science allemande du début du 19e siècle, l’un
pour les sciences de l’esprit, l’autre pour celles de la nature.
En 1789, alors que le jeune Wilhelm âgé de 22 ans termine ses études et va entrer au
service de l’État prussien, Campe lui offre un itinéraire initiatique en l’emmenant visiter
la France révolutionnaire. Au retour Wilhelm et sa fiancée Caroline von Dacheröden font
la connaissance de Goethe et Schiller à Weimar. Wilhelm restera un ami fidèle de Schiller
qu’il rejoint en 1794 à Iéna où celui-ci enseignait la philosophie de l’esthétique et de
l’histoire, et ce jusqu’en 1797, date de la gravure figurant en tête de la première partie de
ce volume, et il sera en correspondance régulière avec Goethe.
2
(Neuhumanismus)4. En 1801 il s’installe temporairement à Paris et en profite pour
faire un voyage d’études en Espagne destiné à l’étude du basque dont il sait qu’il n’a
rien à voir avec les langues romanes, mais peut-être avec l’ibère dont on a retrouvé
des traces épigraphiques. En 1802 il saisit une occasion de résider à Rome, haut-lieu
de la culture humaniste immortalisé par le tableau de Tischbein représentant Goethe
trônant mélancoliquement au milieu des ruines de Rome, en devenant légat de
Prusse auprès du Saint-Siège. Il y demeure jusqu’en 1808 et ne voit donc pas de près
la décomposition de l’état prussien en 1806.
Soucieux de jouer un rôle dans la reconstruction intellectuelle et morale de la
Prusse, il se réjouit d’être sollicité par le baron von Stein comme directeur de
l’enseignement au ministère de l’intérieur en vue de préparer un projet de réforme
des établissements scolaires et universitaires. En fait, en butte à la méfiance de
ministres inquiets de son faible zèle religieux, il rencontre surtout des revers et finit
par être écarté du service de l’État en 1819 en raison de son libéralisme politique.
Seule la fondation de l’université de Berlin en 1809 sera un succès durable avec la
nomination de “grandes pointures”, le théologien F. Schleiermacher, le philosophe
J.G.Fichte, le juriste K. von Savigny, l’historien de l’antiquité B.G. Niebuhr et le
clinicien Ch. W. Hufeland, médecin personnel du roi Friedrich-Wilhelm III et
premier doyen de la faculté de médecine (cf. Erbe 2010).
Une fois libéré de toute responsabilité publique, Humboldt se consacre
pleinement de 1820 à sa mort en 1835 aux études linguistiques qu’il mène avec la
conviction que toutes les langues – et il en connaît une quantité impressionnante –
partagent une même nature dont le caractère des peuples et des nations valorise
certaines propriété et en minore d’autres. C’est le thème central de l’œuvre maîtresse
inachevée publiée par son frère Alexander, Über die Verschiedenheit des
menschlichen Sprachbaues und ihren Einfluß auf die geistige Entwicklung des
Menschengeschlechts (cf. section II—1.2), laquelle est préparée par de nombreuses
conférences à l’Académie des Sciences de Berlin et des mémoires dont les plus
importants (cf. Trabant, dir. 22002) sont5 :
1820
4
5
6
Über das vergleichende
Sprachstudium in Beziehung auf die
verschiedenen Epochen der
Sur l’étude comparée des langues dans son
rapport aux différentes époques du
développement du langage6
Les plus grands noms du nouvel humanisme, une des branches les plus vivantes de la
vision allemande des Lumières (Aufklärung) et du “classicisme de Weimar” sont
l’helléniste Friedrich August Wolf, l’historien de l’art et archéologue Johann Joachim
Winckelmann, et les philosophes et dramaturges inspirés par la conception rousseauiste
de la nature humaine : le dramaturge et théoricien de la littérature Gotthold Ephraim
Lessing, le philosophe de l’histoire et du langage Johann Gottfried Herder, le poète et
dramaturge Friedrich Hölderlin et bien entendu Goethe et Schiller. Certains de ses jeunes
représentants sont en même temps des rebelles et créent le mouvement Sturm und Drang
(litt. “Tempête et impulsion”) et “l’exaltation du ‘génie originel‘ comme modèle de
l’homme d’exception et du génie” (Wilpert 1969).
Les écrits de 1820, 1821a, 1822, 1823, 1826, 1827 sont édités en entier et annotés par
Jürgen Trabant (22002) ; ceux de 1829a, 1829b font l’objet d’une édition raccourcie dans
le même volume. Les écrits de 1820, 1821b et 1822-24 donnent lieu à une édition bilingue
par Denis Thouard (2000).
Écrit traduit par P. Caussat (1974 :71-95) puis par D. Thouard (2000 :65-111). Le titre
indiqué est celui de l’édition bilingue de D. Thouard. Les termes Sprachstudium et
Sprachentwicklung véhiculent une certaine indétermination sémantique : “étude du
langage” ou “des langues”, “développement des langues” ou “évolution du langage” ?
3
Sprachentwicklung
1821a
Über die Aufgabe des
Geschichtsschreibers
“Sur la tâche de l’historien”7
1821b
Über den Einfluß des verschiedenen
Charakters der Sprachen auf
Literatur und Geistesbildung
De l’influence de la diversité du caractère
des langues sur la littérature et la culture de
l’esprit (édition bilingue par Denis Thouard,
2000 :120-129)
1822
Über das Entstehen der
grammatischen Formen, und ihren
Einfluß auf die Ideenentwicklung
“Sur la genèse des formes grammaticales et
leur influence sur l’évolution des idées”8
(édité par H. Steinthal ; traduit en français
par Alfred Tonnellé en 1859, Paris : A.
Franck)
18221824
Über den Nationalcharakter der
Sprachen – Bruchstück
Sur le caractère national des langues –
Fragment 9
1823
Über das Verbum in den
Amerikanischen Sprachen
“Sur le verbe dans les langues américaines”
(traduit en anglais par D.G. Brinton en 1885,
Proceedings of the American Philosophical
Society 22-120 ; édition bilingue Chap. VI)
18241826
Grundzüge des allgemeinen
Sprachtypus (Fragment)
“Traits fondamentaux du type linguistique
général”10
1826
Über den grammatischen Bau der
Chinesischen Sprache
“Sur la structure grammaticale de la langue
chinoise” (version réduite des trois premières
sections de la lettre de Humboldt à AbelRémusat sur le génie de la langue chinoise,
1827)
1827
Über den Dualis
“Sur le duel”11
1829a
Ueber die Sprachen der
Südseeinseln
“Sur les langues des îles des mers du sud”
1829b
Über die Verwandtschaft der
Ortsadverbien mit dem Pronomen in
einigen Sprachen
“Sur la parenté entre les adverbes de lieu et
les pronoms dans diverses langues”
7
8
9
10
11
S’agissant de la collocation vergleichendes Sprachstudium, le caractère comparatif
impose “étude des langues”, mais s’agissant de Sprachentwicklung, Humboldt voyait sans
doute dans le développement historique de chaque langue particulière une illustration de
l’évolution du langage en général, ce développement étant lié à celui du peuple qui la
pratique et de la nation que la langue, dans sa fonction communautaire, l’aide à constituer.
Écrit traduit en 1974 par Pierre Caussat (1974 : 35-62) et par André Laks et Annette
Disselkamp (1985). Les traductions donnant lieu à une édition séparée figurent en
italiques, les autres entre guillemets.
On notera le thème, récurrent dans les titres des œuvres linguistiques de Humboldt, de
l’influence de la langue sur l’esprit d’une nation, qui devient la “marque de fabrique” du
courant humboldtien : (1820) “en relation avec les différentes époques du développement
de la langue ; (1822) “leur influence sur l’évolution des idées” ; (1836) “Sur la diversité
de la construction du langage humain et son influence sur le développement spirituel de
l’espèce humaine”.
Écrit traduit par P. Caussat (1996 : 434-449) puis par par Denis Thouard, 2000 :130-165,
édition bilingue)
H. Christmann en a édité un extrait (1977 : 19-49) qu’il a intitulé “Natur der Sprache
überhaupt”, ce qui est approximativement le titre du chapitre 9 de l’Introduction à l’œuvre
sur le kavi (“Natur und Beschaffenheit der Sprache überhaupt”, 1836 : 48-64)
Écrit traduit par P. Caussat (1974 : 118-123). Chabrolle-Cerretini (2004 :119-120)
propose un résumé de l’argumentation de Humboldt dans cet écrit.
4
1835
“Caractères des langues. Poésie et prose”
Charakter der Sprachen. Poesie und
Prosa
II—1.2. LA LANGUE HUMAINE, UNE ET INFINIMENT DIFFÉRENCIÉE12
À partir de “L’étude comparative des langues en rapport avec les différentes
époques de l’évolution du langage”13 en 1820, laquelle attestait la réorientation vers
la linguistique de son “Plan d’une anthropologie comparative”14 de 1797, tous les
mémoires et conférences de Humbolt sur le langage peuvent se concevoir comme
des anticipations fragmentaires de son œuvre maîtresse “Sur la diversité de la
construction du langage humain et son influence sur le développement spirituel de
l’espèce humaine” également connue comme l’Introduction à l’œuvre sur le kavi
(dans la traduction de Pierre Caussat, 1974). C’est pourquoi, plutôt que d’évoquer
successivement ces fragments, je préfère entrer dans le détail de cette œuvre que
Caussat (2000) qualifie d’“entreprise sans équivalent de théorisation philosophicoempirique dans la multiplicité de ses configurations”15.
II—1.2.1. La place centrale de Humboldt dans la genèse de la linguistique
moderne
Nous avons vu dans la section I—1 qu’au tournant du 19e siècle la recherche sur la
fonction du langage dans son universalité et sur ses réalisations concrètes dans la
diversité des langues modernes et anciennes s’articule en trois secteurs :
a) la GRAMMAIRE GÉNÉRALE, avec comme terminus a quo la Grammaire de PortRoyal (Arnault et Lancelot 1662), suivie des travaux théoriques de Beauzée,
Dumarsais, Jaucourt, Turgot, etc. qui figurent résumés dans de nombreux articles
de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert (1751-1780) et qui débouchent sur
ceux des Idéologues, en particulier le vol. 2 “Grammaire” des Élément
d’idéologie de Destutt de Tracy et le vol. 2 Grammaire universelle et
comparative du Monde primitif de Court de Gébelin ;
b) l’exploration des RELATIONS ENTRE LE SANSCRIT ET LES LANGUES EUROPÉENNES
(G.L. Coerdoux, W. Jones, Lord Monboddo inter alia) ;
c) et la tradition des COLLECTEURS DE DESCRIPTIONS LINGUISTIQUES, jumelées au
tournant du siècle avec des observations ethnographiques, particulièrement dans
le troisième volume du Mithridates dû à J.S. Vater (1816).
12
13
14
15
Cf. Chabrolle-Cerretini (2007 : 26) : “Dans sa théorie du langage, Humboldt a toujours
pensé le plan de l’universel et celui du particulier ensemble, sans doute parce que sa
théorie est bien fondée sur l’objectivation de la question de la diversité. Tout commence
avec son explication de la diversité des langues comme le résultat de la dynamique de
l’humanité. En effet, pour Humboldt, le langage s’est développé, en une seule fois, dans le
cerveau humain lorsque celui-ci présenta une maturité suffisante pour l’utiliser. Si
l’origine du langage n’est pas un phénomène progressif, de même, celui-ci ne s’est pas
développé dans le but de répondre aux besoins de communiquer de l’homme, mais parce
qu’il s’est révélé indispensable à sa croissance intellectuelle, lui permettant d’appréhender
le monde extérieur.”
Über das vergleichende Sprachstudium in Beziehung auf die verschiedenen Epochen der
Sprachentwicklung.
Plan einer vergleichenden Anthropologie.
Caussat (2000) inventorie six traductions de l’oeuvre en russe (dès 1859), français,
japonais, anglais, espagnol et italien.
5
Humboldt a connaissance de tous ces travaux et il est celui qui parvient le mieux
à en tirer une synthèse au fil notamment de ses conférences à l’Académie Royale des
Sciences de Berlin. L’effet de ses travaux et principalement de son Introduction à
l’œuvre sur le kavi (1836) se perçoit principalement dans le développement de la
linguistique générale et philosophique, d’abord chez Steinthal puis chez Gabelentz
et Schuchardt, mais aussi occasionnellement chez les grammariens comparatistes : il
entretient en effet des relations étroites avec Fr. Schlegel et avec Fr. Bopp auquel il
fait continuellement référence dans les sections de l’Introduction qui portent sur le
sanscrit. Même si Delbrück estime en 1884 (Einleitung, 2e éd. : V) que l’influence
de Humboldt sur la grammaire comparée a été marginale, on en retrouve cependant
la trace dans l’article de Schleicher sur les structures morphologiques (1859) et
surtout dans les ouvrages de Friedrich MÜLLER (cf. François 2014b), le propagateur
de l’ethnographie linguistique dans le prolongement de l’œuvre de J.S. Vater. La
figure 1 illustre le rôle exceptionnel qu’a joué Humboldt en synthétisant tout le
savoir linguistique de son époque et en distribuant les tâches pour la génération
suivante de chercheurs (cf. Figure 1).
6
Figure 1 : Wilhelm von Humboldt, rassembleur des traditions linguistiques du 18e
siècle et penseur de celles du 19e
II—1.2.2. Verschiedenheit des menschlichen Sprachbaues, Chapitres 1-18
Humboldt commence par affirmer que le besoin de s’exprimer par un langage
articulé ne se limite pas à la nécessité de la communication en société mais de celle
7
de mettre en accord le mode de pensée de tout sujet parlant avec le mode de pensée
collective du peuple dont il est membre (§§2-3) :
“Produire le langage est un besoin intime de l’humanité, non seulement un besoin
externe pour entretenir un commerce en société, mais un besoin primordial, fondé dans
sa nature propre, celui de développer les forces spirituelles de celle-ci et de faire éclore
une conception du monde à laquelle l’homme ne peut parvenir qu’en accordant avec
clarté et détermination sa pensée à la pensée collective.”16
La “force spirituelle” (Geisteskraft) d’un peuple se traduit par la mise en place
d’une civilisation, d’une culture collective (Cultur) et d’une infinité de cultures
individuelles (Bildung)17, le peuple étant le moyen terme entre la langue et la nation
(§4) :
“Dans les langues, puisque celle-ci ont toujours une forme nationale, les nations en tant
que telles sont catégoriquement et immédiatement créatrices.”18
Il ajoute d’ailleurs un peu plus loin :
“La langue est pour ainsi dire la manifestation externe de l’esprit des peuples ; leur
langue est leur esprit et leur esprit est leur langue; on ne peut pas s’imaginer l’étendue
de leur identité.”19
Sous l’intitulé “L’oeuvre commune des individus et des nations”, §5-6,
Humboldt met plus clairement en lumière que ses contemporains l’évolution
cyclique des langues : un germe vivant voit le jour, qui s’épanouit sous une forme
différenciée comme l’organisme de nouvelles langues en voie d’éclosion :
“Un principe intime émergent a recomposé, dans chacune d’elle de manière spécifique,
le bâtiment en ruines et nous qui ne pouvons qu’en percevoir les effets, nous ne
prenons conscience de sa mutation que quand elle est déjà massive”20
Dans une terminologie actuelle, les langues sont des totalités “métastables”, c’est-àdire perçues comme stables mais se déformant lentement sous l’effet de pressions
multiples. Il faut donc les imaginer en acte (energeia) et non en effet (ergon) :
16
17
18
19
20
“Die Hervorbringung der Sprache ist ein inneres Bedürfniß der Menschheit, nicht bloß ein
äußerliches zur Unterhaltung gemeinschatlichen Verkehrs, sondern ein in ihrer Natur
selbst liegendes, zur Entwickelung ihrer geistigen Kräfte und zur Gewinnung einer
Weltanschauung, zu welcher der Mensch nur gelangen kann, indem er sein Denken an
dem gemeinschaftlichen Denken mit anderen zur Klarheit und Bestimmtheit bringt,
unentbehrliches.” (1836 : 9-10)
“Die Civilisation ist die Vermenschlichung der Völker in ihren äußeren Einrichtungen
und Gebräuchen und der darauf Bezug habenden innren Gesinnung. Die Cultur fügt dieser
Veredlung des gesellschaftlichen Zustandes Wissenschaft und Kunst hinzu. Wenn wir
aber in unserer Sprache Bildung sagen, so meinen wir damit etwas zugleich Höheres und
mehr Innerliches, nämlich die Sinnesart, die sich aus der Erkenntniß und dem Gefühle des
gesammten geistigen und sittlichen Strebens harmonisch auf die Empfindung und den
Charakter ergießt” (ibid : 21-22).
“In den Sprachen (...) sind, da dieselben immer eine nationelle Form haben, Nationen, als
solche, eigentlich und unmittelbar schöpferisch.” (ibid : 23)
“Die Sprache ist gleichsam die äußerliche Erscheinung des Geistes der Völker ; ihre
Sprache ist ihr Geist und ihr Geist ihre Sprache ; man kann sich beide nie identisch genug
denken.” (ibid : 37)
“Ein inneres, neu entstandenes Prinzip fügte, in jeder auf eigene Art, den zerfallenden Bau
wieder zusammen, und wir, die wir uns immer nur auf dem Gebiete seiner Wirkungen
befinden, werden seiner Umänderung nur an der Masse derselben gewahr.” (ibid : 33)
8
“La langue, saisie dans son essence réelle, est quelque chose de constant et à chaque
instant d’éphémère (…) Elle n’est pas un produit (Ergon), mais une activité (Energeia).
Sa véritable définition ne peut donc être que génétique. Elle est en effet le travail
indéfiniment répété de l’esprit qui rend le son articulé apte à exprimer la pensée.”21
La notion de forme des langues s’applique en premier lieu aux mots-racines
(Grundwörter) et doit leur être effectivement appliquée dans la mesure du possible,
si l’on veut reconnaître l’essence véritable de la langue (ibid : 45). Représenter la
forme interne d’une langue, c’est reconnaître le cheminement spécifique qu’adopte
celle-ci et à travers elle la nation à laquelle elle appartient, pour exprimer la pensée
(ibid : 46).
Humboldt aborde ensuite la “nature et constitution de la langue dans l’absolu”
(§9). La forme phonique est le principe qui détermine à proprement parler la
diversité des langues, “autant en elle-même que dans la force d’incitation ou de
résistance qu’elle dispose en vis-à-vis de la tendance intime de la langue” (ibid : 49).
La langue est indispensable pour réunir synthétiquement l’activité des sens et
l’action interne de l’esprit :
“car tandis que l’aspiration de l’esprit se fraie une voie entre les lèvres, son produit
prend le chemin de sa propre oreille. La représentation est donc transmuée en une
véritable objectivité, sans être cependant soustraite à la subjectivité.”22
Humboldt en donne une illustration à propos de ce qu’on appelle désormais la
“fenêtre d’acquisition” du langage par les enfants : tous les enfants parlent et
comprennent la langue dans les circonstances les plus diverses à peu près au même
âge avec un faible intervalle de variation (ibid : 56). Il en profite pour évoquer, en
deça de la langue, l’entrelacs de l’objectivité et de la subjectivité dans l’acte de
preception :
“Comme dans toute perception objective il y a inévitablement une dose de subjectivité,
nous pouvons considérer toute individualité humaine, même indépendamment de la
langue, comme envisageant le monde sous un angle particulier”23
Il est à noter ici que l’analyse de Humboldt préfigure précisément la notion de
“vantage point” telle qu’elle est présentée dans la Cognitive Grammar de Ronald
Langacker (cf.1986 : 12)24.
Humboldt aborde ici les langues comme des architectures symboliques. Concernant
le système phonique des langues et la nature du son articulé, il note que le sens de la
langue (Sprachsinn) doit comporter quelque chose que nous n’arrivons pas à nous
expliquer précisément, “un pressentiment instinctif du système dans son ensemble
21
22
23
24
“Sie selbst ist kein Werk (Ergon), sondern eine Thätigkeit (Energeia). Ihre wahre
Definition kann daher nur eine genetische sein. Sie ist nämlich die sich ewig
wiederholende Arbeit des Geistes, den articulirten Laut zum Ausdruck des Gedanken
fähig zu machen.” (ibid : 45)
“denn indem in ihr das geistige Streben sich Bahn durch die Lippen bricht, kehrt das
Erzeugniß desselben zum eignen Ohre zurück. Die Vorstellung wird also in wirkliche
Objektivität hinüberversetzt, ohne darum der Subkjektivität entzogen zu werden.” (ibid :
52)
“Da aller objektiven Wahrnehmung unvermeidlich Subjektivität beigemischt ist, so kann
man, schon unabhängig von der Sprache, jede menschliche Individualität als einen eignen
Standpunkt der Weltansicht betrachten.” (ibid : 58)
“The final dimension of imagery is perspective, which subsumes a number of more
specific factors: orientation, assumed vantage point, directionality, and how objectively an
entity is construed.”
9
dont la langue va avoir besoin dans sa forme individuelle” (ibid : 72), ce qu’il
développe dans le passage souvent cité comme une préfiguration de la vision
systémique de Saussure :
“On peut comparer la langue à une toile immense dans laquelle chaque partie est en
relation plus ou moins clairement reconnaissable avec une autre et chacune avec
l’ensemble.”25
Et Humboldt reformule aussitôt cette idée du point de vue du locuteur : celui-ci
n’entre en contact en parlant qu’avec une partie isolée de cette toile, mais
instinctivement il le fait toujours comme s’il était à tout instant en présence de toutes
les parties avec lesquelles celle qu’il touche est nécessairement corrélée (ibid : 72).
Il introduit ensuite une distinction qui constituera la pierre angulaire de la
doctrine morphologique de Schleicher (1859), celle entre l’espèce des objets ou
concepts individuels et l’espèce des relations générales “qui se laissent associer avec
nombre des premiers, en partie pour la désignation de nouveaux objets ou de
nouveaux concepts, en partie pour le tissage du discours” (ibid : 81), moyennant
quoi ces relations générales “appartiennent pour l’essentiel aux formes de la pensée
en général et constituent des systèmes clos parce que dérivées d’un unique principe
initial”26. On voit que là encore Humboldt pense la composante relationnelle de la
langue en termes de système, ce dont Schleicher lui sera redevable.
La relation entre l’organisation de la langue et celle de la pensée de l’individu et
de la nation est explicitée au chap.11 portant sur la “forme linguistique interne”. Au
niveau de chaque locuteur, les concepts sont représentés de manière figurée. Les
principales figurations concernent les relations entre les personnes et les lieux, et
elles sont intriquées. Au niveau de la nation, les figurations individuelles sont en
quelque sorte “collectivisées”, les plus prégnantes entrant dans un pot commun de
représentations partagées. Deux manifestations frappantes de cette collectivisation
des concepts sont
a)
le volume variable du lexique abstrait de l’intellect, de la sensibilité, de la
spiritualité dans les différentes langues nationales et
b) le degré de développement des structures grammaticales27.
Le chapitre 14 passe ensuite au vif du sujet avec le classement des morphologies
isolante, agglutinante et flexionnelle28. L’essence de la morphologie flexionnelle
réside dans la fusion de deux éléments en une seule unité dotée d’une catégorie29. En
25
26
27
28
29
“Man kann die Sprache mit einem ungeheuren Gewebe vergleichen, in dem jeder Theil
mit dem andren und alle mit dem Ganzen in mehr oder weniger deutlich erkennbarem
Zusammenhange stehen”
“Die allgemeinen Beziehungen gehören größtentheils den Formen des Denkens selbst an,
und bilden, indem sie sich aus einem ursprünglichen Princip ableiten lassen, geschlossene
Systeme” (ibid : 81).
On mesure ici le profit qu’Anna Wierzbicka a tiré de la philosophie du langage de
Humboldt avec sa théorie des cultural scripts. Elle montre en particulier dans son ouvrage
étudiant l’influence de la philosophie empiriste de Locke sur les modes d’expression de
l’anglais (2006) que la mise en doute d’une vérité partagée a entraîné une prolifération
d’expressions verbales et adverbiales véhiculant l’attitude propositionnelle du locuteur.
“Isolierung der Wörter, Flexion und Agglutination” (1836 : 119-132)
“Was (…) in der innerlichen Gestaltung dem Begriffe der Flexion entspricht,
unterscheidet sich gerade dadurch, daß gar nicht zwei Elemente, sondern nur eines, in ein
10
outre ces deux éléments doivent être de nature différente (sous-entendu, l’un lexical,
l’autre grammatical)30. La supériorité de la morphologie flexionnelle sur
l’agglutinante tient à ce que la forme du mot réunit d’une part la fonction de
désignation (Bezeichung) qu’il véhicule intrinsèquement et celle d’indication
(Andeutung) qu’il véhicule par l’écart entre la forme de base et la forme fléchie, “car
l’intention sous-jacente dans ce procédé, celle de préserver l’identité du mot, et
cependant de le présenter sous une autre apparence, est obtenue au mieux par
l’altération interne”31.
Humboldt introduit alors une distinction terminologique à partir de constituants
de l’allemand qui appelle un commentaire étymologique : il appelle Anfügung
l’agglutination telle qu’elle se présente dans une langue telle que le finnois et
Anbildung l’affixation dans une langue flexionnelle comme le sanscrit d’un élément
dénommé Anbildungssylbe (“syllabe de reconfiguration” semble refléter au mieux
l’idée de Humboldt). Le préfixe an- indiquant le rapprochement est commun aux
deux termes, mais le verbe fügen n’exprime que la jonction entre la racine (Wurzel)
ou le thème (Stamm) et le suffixe, tandis que le verbe bilden exprime une mise en
forme. Il existe selon Humboldt un lien symbolique32 entre la racine et la “syllabe de
reconfiguration” dont une manifestation peut être idéophonique. Ainsi il voit à la
suite de Bopp une “analogie phonétique” (Analogie der Töne) entre la sonorité des
désinences –s et –m et des idées qu’elles sont censées véhiculer, animé vs. inanimé ;
agent vs. patient33 :
DÉSINENCE
-s
-m
CATÉGORIE
e
pronom 3 pers. masc.
nominatif
pronom 3e pers.neutre
accusatif
SYMBOLISME
le vivant
l’agent
le sombre, l’asexué
le patient
Tableau 2 : Le symbolisme des désinences –s et –m en sanscrit
selon Bopp et Humboldt
Les langues agglutinantes sont des êtres d’un genre indéterminé (Zwitterwesen)
qui aspirent vainement à devenir des langues flexionnelles, elles souffrent d’une
30
31
32
33
bestimmte Kategorie versetztes, das Doppelte ausmacht, von dem wir bei der
Bestimmung dieses Begriffes ausgingen.” (1836 : 121).
“Daß dies Doppelte, wenn man es auseinanderlegt, nicht gleicher, sondern verschiedener
Natur ist, und verschiedenen Sphären angehört, bildet gerade hier das charakteristische
Merkmal.” (1836 : 121).
“Denn die in diesem Verfahren liegende Absicht, dem Worte seine Identität zu erhalten,
und dasselbe doch als verschieden gestaltet zu zeigen, wird am besten durch die innere
Umänderung erreicht” (1836:123).
“(…) die durch die Anbildungssylben angedeutete Beziehung auf die Kategorien des
Denkens und Redens kann keinen bedeutsameren Ausdruck finden, als in Lauten, die
unmittelbar das Subjekt zum Ausgangs- oder Endpunkt ihrer Bedeutung haben” (1836 :
128). Ce que Humboldt entend par “des sons qui prennent immédiatement le sujet comme
point de départ ou d’arrivée de leur signification” est très obscur.
“Hierzu kann sich hernach auch die Analogie der Töne gesellen, wie Bopp so vortrefflich
an der Sanskritischen Nominativ- und Accusativ-Endung gezeigt hat. Im Pronomen der
dritten Person ist der helle s-Laut dem Lebendigen, der dunkle des m dem geschlechtlosen
Neutrum offenbar symbolisch beigegeben; und derselbe Buchstabenwechsel der
Endungen unterscheidet nun das in Handlung gestellte Subject, den Nominativ, von dem
Accusativ, dem Gegenstande der Wirkung.” (1836 : 128-9)
11
“faiblesse du sens de l’organisation interne de la langue” ou d’une “négligence à
l’égard de sa véritable direction”, alors même qu’elles “cherchent à valider
phonétiquement les catégories des notions sans toutefois traiter celles-ci par ce
procédé à égalité avec la véritable désignation de ces dernières”34. Bref, les langues
agglutinantes “peuvent mieux faire” ou plutôt elles ne le peuvent pas.
Et on touche là une aporie du raisonnement de Humboldt qui vaut également
pour les types ultérieurs de langue échafaudés par Steinthal dans l’esprit de son
mentor (cf. section III—2.2) : dès lors que Humboldt lie indissolublement le degré
d’avancement culturel d’un peuple (ou d’une “nation”) et la place, sur une échelle de
valeur, de la langue que pratique ce peuple et qui véhicule cette culture, les langues
des peuples jugés arriérés, par rapport à l’idéal des langues indo-européennes de
l’antiquité, ne peuvent être elles aussi qu’arriérées. En d’autres termes, un “peuple
de nature” ne peut pas pratiquer une “langue de culture”, et il faudra attendre le
début du 20e siècle pour que Franz Boas, un linguiste et anthropologue pourtant de
formation humboldtienne, renonce à disposer sur une échelle de valeur les structures
incorporantes des langues amérindiennes et introduise ainsi une vision du
classement des langues35 purgée de toute dimension axiologique.
Plus loin, au chapitre 22, Humboldt expose encore plus clairement cette
corrélation indissoluble en déclarant péremptoirement :
“Les langues sanscrites se rapprochent le plus de cette forme linguistique parfaite et
elles sont en même temps celle qui ont permis la formation spirituelle de l’espèce
humaine le plus heureusement et dans la série la plus longue de progrès. Nous
pouvons donc la considérer comme un point fixe de comparaison pour toutes les
autres.”36
II—1.2.3. “La différence principale entre les langues selon la pureté de leur
principe de formation”37 (chapitre 19)
Dans son anthologie de 1967, Winfred Lehmann propose une traduction du chap.19
de notre ouvrage et précise : “The whole is tightly organized and should be read as a
unit for accurate understanding of Humboldt’s position” (1967 : 27). Il me paraît
effectivement utile de suivre de près les deux dernières pages (189-190) de ce
chapitre qui exposent d’une manière lumineuse ce que Humboldt attend de la
comparaison des systèmes particuliers à chaque langue, abstraction faite de leur
passé.
34
35
36
37
“Diese Art der Anknüpfung von bestimmenden Nebenbegriffen entspringt auf der einen
Seite allemal aus Schwäche des innerlich organisirenden Sprachsinnes, oder aus
Vernachlässigung der wahren Richtung desselben, deutet aber auf der andren dennoch das
Bestreben an, sowohl den Kategorien der Begriffe auch phonetische Geltung zu
verschaffen, als dieselben in diesem Verfahren nicht durchaus gleich mit der wirklichen
Bezeichung der Begriffe zu behandeln.” (1836:130)
Voir son introduction au Handbook of American Indian Languages (Boas, ed. 1911, cf.
François 2014b).
“Die Sanskritischen Sprachen (…) nähern sich dieser [vollkommenen Sprach-]Form am
meisten, und sind zugleich die, an welchen sich die geistige Bildung des
Menschengeschlechts in der längsten Reihe der Fortschritte am glücklichsten entwickelt
hat. Wir können sie mithin als einen festen Vergleichspunkt für alle übrigen betrachten.”
(1836 :304)
“Hauptunterschied der Sprachen nach der Reinheit ihres Bildungsprincips” (1836:1841890).
12
Il commence par évoquer l’absence de structures grammaticales du CHINOIS et
rend hommage à la “simple grandeur de cette langue”.
“Personne ne peut nier que le chinois de la haute époque véhicule une dignité
saisissante du fait que seules les notions d’importance y figurent juxtaposées, et qu’il
acquiert ainsi une simple grandeur, semblant quasiment s’envoler vers l’expression
linguistique de la pure pensée après avoir fait fi de toute relation secondaire inutile.”38
Pourtant, dans la première version de sa typologie, le chinois avait un statut
paradoxal en raison du présupposé de correspondance entre le génie d’un peuple ou
d’une nation et celui de la langue dans laquelle il s’exprime. Le chinois étant une
langue monosyllabique, donc isolante, et ne distinguant pas entre constituants
lexicaux et grammaticaux, le génie du peuple chinois devait être extrêmement
primitif.
Quand le sinologue français Jean-François Abel-Rémusat parvient à persuader
Humboldt des conséquences indéfendables de son présupposé, Humboldt se met à
l’étude du chinois à travers les travaux d’Abel-Rémusat et finit par reconnaître au
chinois un génie particulier39, inférieur cependant à celui des langues des humanités
classiques et en particulier à celui du grec, parce que la subordination syntaxique
(permise par la distinction entre types de conjonctions) permet un art de la période
(avec l’antéposition possible des subordonnées et la hiérarchisation de celles-ci) qui
reste inaccessible au chinois. L’auditeur ou le lecteur a la liberté de subordonner les
unes aux autres les propositions dont il prend connaissance, mais le locuteur ou le
scripteur n’a pas cette liberté.
Il évoque ensuite successivement les caractères dominants de quatre langues ou
familles de langues, en premier le MALAIS moderne, qu’il connaît bien par son étude
du kavi, la langue sacrée de l’Insulinde, qui est au malais ce que le sanscrit est à
l’ancien indien et l’avestique à l’ancien iranien. Il en loue la légereté et la simplicité
remarquable de sa syntaxe40. Il passe ensuite aux langues SÉMITIQUES qui exploitent
avec un art admirable l’exploitation de la gradation vocalique pour exprimer les
différences sémantiques les plus subtiles41. Quant au BASQUE, il “possède dans la
composition du mot et dans celle du discours une force particulière issue de la
brièveté et de l’audace de l’expression”42. Enfin le DELAWARE, langue amérindienne
qu’il a examinée en détail, “associe, comme d’autres langues américaines, en un
38
“Niemand kann laügnen, daß das Chinesiche des alten Styls dadurch, daß lauter
gewichtige Begriffe unmittelbar an einander treten, eine ergreifende Würde mit sich führt,
und dadurch eine einfache Größe erhält, daß es gleichsam, mit Abwerfung aller unnützen
Nebenbeziehungen, nur zum reinen Gedanken vermittelst der Sprache zu entfliehen
scheint.” (ibid : 189).
39
Cf. Humboldt (1827), Thouard (en ligne) et Rousseau / Thouard (dir.1999).
40
“Das eigentlich Malayische wird wegen seiner Leichtigkeit und der großen Einfachheit
seiner Fügungen nicht mit Unrecht gerühmt.” (ibid : 189)
41
“ Die Semitischen Sprachen bewehren eine bewunderungswürdige Kunst in der feinen
Unterscheidung der Bedeutsamkeit vieler Vocalabstufungen.” (ibid : 189-190)
42
“Das Vaskische besitzt im Wortbau und in der Redefügung eine besondere, aus der Kürze
und der Kühnheit des Ausdruck hervorgehende Kraft.” (ibid : 190).
13
seul mot une quantité de notions, dont l’expression [dans nos langues] en exigerait
plusieurs”43.
Le choix de ces langues est destiné à illustrer les grandes voies structurales qui
s’offrent à “la” langue de l’humanité, dès lors qu’elle s’élève au-dessus de l’option
minimaliste, celle du mot monosyllabique. Ainsi le malais ou l’indonésien moderne
est une langue agglutinante à forte composante préfixale, mais ce que Humboldt ne
souligne pas assez, c’est que sa simplicité morphosyntaxique lui vient de son statut
progressivement acquis de lingua franca dans toute l’Insulinde. Concernant la
virtuosité des langues sémitiques dans l’exploitation fonctionnelle de la gradation
vocalique, il est aussi à noter qu’il ne suit pas Grimm qui voit dans cette gradation
vocalique l’essence de la famille ‘indogermanique’, manifestée tout particulièrement
en sanscrit, en grec classique et dans les langues germaniques anciennes (gotique et
vieil islandais). Il préfère manifestement réserver ce caractère à la famille sémitique.
La question de la valorisation relative des deux familles réapparaîtra dans les deux
versions successives (1850, Classification et 1860, Charakteristik) de l’entreprise
typologique de Steinthal.
La hardiesse morphologique et syntaxique du basque tient essentiellement à la
structure du verbe basque liée à un système casuel ergatif inconnu de toutes les
autres langues de l’Europe occidentale et à un usage original des auxiliaires dans la
conjugaison (cf. François & Renault 2005). Enfin les langues américaines, que
Humboldt étudie spécialement du point de vue de la distinction entre verbe et nom
dans sa conférence de 1823 (voir son édition bilingue au Chapitre VI) illustrent
l’option “incorporante” ou “polysynthétique”44 qui conduit au “mot-phrase”.
Curieusement, la conclusion de Humboldt dans ce chapitre est tout sauf
axiologique. Il s’émerveille au contraire de la variété des voies que s’est frayées
l’esprit pour dénicher des modes d’expression aussi différents :
“Tous ces exemples prouvent seulement que l’esprit humain, quelle que soit la voie
particulière sur laquelle il s’engage, est toujours capable de produire quelque chose de
grand et d’apte à lui apporter en retour un effet fructueux et stimulant.”45
Mais alors, toutes les systèmes linguistiques sont-ils d’égale valeur ? Bien sûr,
Humboldt, féru d’humanités classiques et enthousiasmé par l’apprentissage du
sanscrit auprès de Bopp, n’entend pas se passer d’une échelle de valeur, mais en
quelque sorte il “botte en touche” en déclarant que l’essentiel n’est pas le système,
mais ce que les locuteurs en font :
“La supériorite d’une langue par rapport à une autre ne se décide pas à partir de ces
traits pris individuellement. Une langue est véritablement supérieure à une autre quand
elle se développe à partir d’un principe et avec une liberté qui lui permettent de
maintenir toutes les facultés intellectuelles de l’homme en activité alerte, de leur servir
d’organe satisfaisant et d’influer sur elle d’une manière perpétuellement entraînante par
43
44
45
“Die Delaware-Sprache, und auch andere Amerikanische, verbinden mit einem einzigen
Worte eine Zahl von Begriffen, zu deren Ausdruck wir vieler bedürfen würden.” (ibid :
190).
La distinction entre ces deux caractérisations typologiques est sujette à débat. Cf. Sapir
1921 : 150-1 pour un tableau synoptique.
“Alle diese Beispiele beweisen aber nur, daß der menschliche Geist, in welche Bahn er
sich auch einseitig wirft, immer etwas Großes und auf ihn befruchtend und begeisternd
Zurückwirkendes hervorzubringen vermag.” (190)
14
la plénitude des sens et le règlement de l’esprit (…) Cet étalon formel n’est applicable
aux langues que si l’on entreprend de les soumettre à une comparaison généralisée.”46
Fort bien dit, mais comme Humboldt constate par ailleurs (ibid : 49) que le génie
d’une langue peut être aussi bien vivifié que contrarié par les moyens d’expression
dont elle dispose, l’ambition humboldtienne d’aller au-delà d’une axiologie primaire
paraît aussitôt remise en cause. Mon interprétation de ce passage paradoxal par
raport à ce que les héritiers de Humboldt, Steinthal le premier, ont compris de la
pensée de leur mentor, est que parmi les langues isolantes, le chinois a tiré le
meilleur parti de ses structures, qu’il en est de même pour le sanscrit, le grec
classique du côté ‘indogermanique’ et de l’hébreu et de l’arabe classique du côté
sémitique, et sans doute aussi du malais pour les langues agglutinantes et du
delaware pour les langues incorporantes.
Mais les structures en place bâtissent une volière invisible hors de laquelle les
langues – dans un certain état historique – ne peuvent pas s’envoler pour faire
transiter l’esprit vers un niveau supérieur de réalisation. En revanche, comme nous
l’avons vu plus haut (ibid : 37), rien ne s’oppose à ce qu’en diachronie une nouvelle
langue née sur les ruines d’une langue antérieure (comme les langues romanes à
partir du latin vulgaire) n’atteigne un état de perfection, c’est-à-dire de réalisation
optimale, mais toujours dans les limites de l’option structurale qui se sera dégagée.
II—1.2.4. L’imperfection des langues sémitiques (chapitre 23)
En quoi Humboldt peut-il juger défaillantes des langues aussi clairement
flexionnelles que l’hébreu et l’arabe, avec leur exploitation experte de l’apophonie ?
Son argumentation – subtile comme toujours – peut se résumer ainsi :
a) Les langues flexionnelles parfaites (langue “sanscritiques”) pratiquent
l’apophonie (Ablaut), le redoublement (Reduplikation) et l’adjonction de ce que
j’ai proposé d’appeler une syllabe de reconfiguration (Anbildungssylbe) à partir
d’une racine monosyllabique, moyennant quoi la racine véhicule la désignation
(Bezeichnung) et le procédé flexionnel la relation (Beziehung).
b) Les langues sémitiques ont en revanche des racines dysyllabiques (de la forme
C1_C2_C3), dont Humboldt suppose qu’elles proviennent aussi de racines
monosyllabiques, l’idée étant que des structures C1_C2 sans aucune
détermination vocalique ne seraient pas assez diversifiées pour pouvoir véhiculer
l’ensemble du lexique primaire et que l’ajout de _C3 aurait permis la
diversification lexicale sans toucher au principe de l’indétermination vocalique.
c) Dans l’Ablaut des langues flexionnelles parfaites, la relation n’est pas véhiculée
par la voyelle, mais par l’altération de la sonorité vocalique, donc il n’y a pas de
‘division du travail’ entre les consonnes et les voyelles, les premières étant
chargées de véhiculer la désignation et les secondes la relation. C’est en
revanche ce qui se passe dans les langues sémitiques où les trois consonnes
46
“Über den Vorzug der Sprachen vor einander entscheiden diese einzelnen Punkte nicht.
Der wahre Vorzug einer Sprache ist nun der, sich aus einem Princip und in einer Freiheit
zu entwickeln, die es ihr möglich machen, alle intellectuelle Vermögen des Menschen in
reger Thätigkeit zu erhalten, ihnen zum genügenden Organ zu diesen, und durch die
sinnliche Fülle und geistige Gesetzmäßigkeit, welche sie bewahrt, ewig anregend auf sie
einzuwirken. Diesen formalen Maaßstab kann man allein an die Sprachen anlegen, wenn
man sie unter eine allgemeine Vergleichung zu bringen versucht.”(190)
15
désignent un contenu lexical et les voyelle interconsonantiques établissent les
relations temporelles, aspectuelles et autres47.
L’argumentation de Humboldt ne se limite pas à ces trois points, mais ils en sont
l’armature (1836 : 306-314). Reprenons donc pour conclure l’ensemble du
raisonnement :
a) Dans la version primitive du classement des langues chez Fr. Schlegel (cf.
section II—2.2) et dans celui de Humboldt jusqu’en 1826, les langues isolantes
comme le chinois représentent le degré zéro de la structuration morphologique,
les langues agglutinantes représentent un degré supérieur mais imparfait et les
langues flexionnelles constituent le point d’orgue de l’évolution des systèmes
morphologiques.
b) Partiellement convaincu par Abel-Rémusat, Humboldt reconnaît en 1827, dans
sa lettre au sinologue français, un génie particulier au chinois : cette langue se
limite à désigner des notions et il appartient à l’auditeur ou au lecteur, aidé par le
seul ordre des mots monosyllabiques, de deviner leurs relations, ce qui entrave
toute organisation complexe de la phrase et interdit la hiérarchisation de la
pensée que permettent dans les autres langues les subordinations emboitées.
c) Dans la version de 1836, Humboldt introduit d’une part le type des langues
incorporantes comme le Delaware (chap. 17 et 23), et procède à un dernier
jugement de valeur : non seulement la morphologie agglutinante est imparfaite
parce qu’elle témoigne d’un effort incomplet, avorté, de se rapprocher de la
perfection représentée par le sanscrit, mais les langues sémitiques – quoique
flexionnelles – partagent cette imperfection, cette fois parce que (c’est le
principal reproche) elle ont des racines dénuées de voyelle, donc
imprononçables, c’est-à-dire matériellement inexistantes, alors que les langues
“flexionnelles parfaites” ont de “véritables” racines, dont la forme ne véhicule
que la désignation d’une notion en l’absence de toute relation, en particulier à la
situation d’énonciation.
L’objectif est clair : il s’agit de glorifier en premier lieu le sanscrit et ses parents
les plus proches : l’avestique, le grec classique, le latin, éventuellement le gotique,
le slavon d’église et le gaélique. Ces langues, en tout cas les quatre premières, ont
véhiculé des cultures, mythologies et religions de premier plan. On ne peut pas en
dire autant des langues agglutinantes, que l’on pense aux groupes turcs ou finnoougriens. Leur infériorité culturelle est donc bien en accord avec l’infériorité de
leurs structures grammaticales. Mais déclarer l’hébreu imparfait par rapport au
sanscrit est très audacieux à l’époque si l’on considère qu’un siècle à peine
auparavant la thèse de l’hébreu comme langue originelle de l’humanité était
dominante. Et l’argumentation de Humboldt dévalorisant l’hébreu et l’arabe n’est
pas très convaincante. Pourquoi le principe d’une racine lexicale triconsonantique
abstraite (puisqu’imprononçable) et d’un remplissage vocalique entièrement
fonctionnel constituerait-il une imperfection ? Il y a là clairement une pétition de
principe : il s’agit sans doute d’une part de dénigrer la vivacité de la culture arabe
47
“Flectirte Wörter enthalten in den Semitischen Sprachen nicht Umbeugungen
ursprünglicher Töne, sondern Vervollständigungen zur wahren Lautform. Da nun der
ursprüngliche Wurzellaut nicht neben dem flectirten dem Ohre im Zusammenhange der
Rede vernehmbar werden kann, so leidet dadurch die lebendige Unterscheidung des
Bedeutungs- und Beziehungsausdrucks.” (1836 : 312).
16
qui a été exceptionnelle mais ne l’est plus, puisque cette culture a été absorbée pour
l’essentiel par les turcs, peuple éminemment primitif, et d’autre part sans doute
d’éradiquer les derniers reliquats d’exaltation de l’hébreu, langue parfaite, puisque
“adamique” et choisie par Jahvé pour la transmission de la Torah. Steinthal restera
fidèle à cette échelle de valeur (cf. section V—3), mais en laissant en 1893 Misteli
réviser de fond en comble son classement de 1860, il lui permettra aussi de la
rectifier et d’accorder la première place ex-aequo aux langues “sanscritiques” et
sémitiques.
II—1.3. LA RÉCEPTION DE L’ŒUVRE LINGUISTIQUE DE HUMBOLDT
II—1.3. 1. La philosophie du langage de Humboldt examinée par Steinthal à
travers le prisme de l’idéalisme dialectique de Hegel48
Dès 1848, soit douze ans après la parution de l’Introduction à l’œuvre sur le kavi et
dix-sept ans après la mort de Hegel, Heyman Steinthal consacre sa thèse
d’habilitation49 à un essai de fusion entre la philosophie du langage de Humboldt et
la phénoménologie de l’esprit de Hegel (qui se connaissaient immanquablement,
puisque Hegel avait repris en 1818 la chaire de Fichte à l’université de Berlin). Je
reviendrai sur cette tentative dans la section III—2.2.2. et je me contenterai de citer
ici un passage de cette thèse dans laquelle Steinthal présente Humboldt comme un
parfait “philologue”. On se fait généralement une idée quelque peu poussiéreuse du
philologue plongé dans la comparaison des manuscrits et menant un travail
méticuleux mais sans grande ambition théorique. Mais pour Steinthal un parfait
philologue est un savant qui cherche à dégager “l’esprit” d’une œuvre, c’est-à-dire
l’Esprit de l’humanité se déployant à travers les œuvres :
“Ainsi [référence à Humboldt 1836 :XVIII], Humboldt nous promet les fondements d’une
histoire de l’esprit humain du point de vue de la langue. Humboldt lui-même peut bien
défendre de son côté d’autres thèses que les nôtres sur la philologie, la linguistique et
la philosophie ; cela ne peut pas pour autant nous empêcher de notre côté de
reconnaître un authentique chef d’œuvre philologique, et ce faisant ce n’est pas la prise
en compte particulière des diverses langues et des divers peuples qui détermine ce
caractère philologique, mais c’est la prise en compte générale de l’esprit humain
évoluant de niveau en niveau à travers les langues et les peuples particuliers”.50
Il fournit également une lecture éclairante de l’organicisme de Humboldt et de la
place du chinois dans son système. Sur le premier point il précise les limites de la
métaphore de l’organisme (ce qui lui permettra plus tard en 1855 de s’attaquer
véhémentement à l’organicisme dévoyé de Karl Ferdinand Becker)51 :
“Toute langue ou famille de langue est conduite par un principe particulier et a un
système de relations grammaticales qui en découle, c’est un organisme particulier. En
48
49
50
51
Cf également section III—2.2.2.
Die Sprachwissenschaft Wilhelm von Humboldts und die Hegel'sche Philosophie.
“Somit verspricht uns Humboldt die Grundsätze einer Geschichte des menschlichen
Geistes vom Gesichtspunkt der Sprache aus. Mag darum nun Humboldt selbst über
Philologie, Sprachwissenschaft und Philosophie andere Bestimmungen geben, als wir :
das kann uns nicht hindern, in seinem Werke ein nach unserem Sinne echt philologisches
Meisterwerk zu erkennen, und zwar nicht die besondere Rücksicht auf die einzelnen
Sprachen und Völker ist das eigentliche Philologische, sondern die allgemeine Rücksicht
auf den in den einzelnen Sprachen und Völkern durch verschiedene Stufen hindurch sich
entwickelnden menschlichen Geist“ (1848:35)
[Der] Organism[us] der Sprache (1827, 2 variantes du titre).
17
résumé : le langage de l’espèce humaine n’est pas un organisme mais tout un règne de
52
créations organiques”.
Sur le second point, il suit le principe de son maître en corrélant la langue et la
mentalité des chinois, telle que la décrit Hegel dans sa philosophie de l’histoire.
Nous verrons dans les sections III—1.2.1 pour Schleicher et III—2.2.2 pour
Steinthal, que l’application aux langues de la dialectique de Hegel les conduit tous
deux à distinguer trois moments, celui de l’unité indifférenciée des mots, celui de la
différenciation des catégories et celui de la fusion des catégories préalablement
différenciées. Le premier moment est représenté par les langues à morphologie
isolante, le second par celles à morphologie agglutinante et le troisième par celles à
morphologie flexionnelle. Steinthal interprète le premier moment, celui de l’unité
indifférenciée, c’est-à-dire de l’absence de distinction entre les mots lexicaux et les
mots (ou segments) grammaticaux, en rapport avec l’indistinction entre la volonté de
l’empereur et celle de chacun de ses sujets :
“Nous devrions donc caractériser le principe de la langue chinoise avec son manque
des distinctions les plus nécessaires, comme l’unité immobile, DÉNUÉE DE DISTINCTIONS.
Le même principe se manifeste dans la vie courante des chinois dans la mesure où la
substantialité et la subjectivité, la législation ou la volonté générale et la moralité ou la
volonté individuelle, l’état et la famille, l’état et la religion sont intimement unis.”53
Ce mode de raisonnement – que n’aurait peut-être pas cautionné le sinologue AbelRémusat et qui disparaît complètement dans la “Grammaire du chinois” (1881) de
Georg von der Gabelentz – nous paraît surprenant, mais à l’époque la doxa était que
la marche triomphante de l’Esprit devait être conduite par l’Europe éclairée et Hegel
ne faisait qu’offrir à cette convition un habillage philosophique.
II—1.3.2. Humboldt vu par les linguistes du 19e siècle
En 1869, Theodor BENFEY, bien que principalement intéressé aux développements
de la grammaire comparée, consacre plus de 40 pages de son Histoire de la
linguistique à une analyse serrée de l’essentiel de l’œuvre linguistique de
Humboldt. Il en tire trois conclusions principales :
a)
Humboldt a su rapprocher la philosophie du langage et les études empiriques et
par là il montre aux philosophes qu’ils ne peuvent argumenter avec pertinence
sur le langage qu’en prenant appui sur une variété de langues54.
52
“Jede Sprache oder Sprachfamilie (…) wird von einem besonderen Principe geleitet und
hat ein besonderes aus ihm abgeleitetes System der grammatischen Beziehungen, ist ein
besonderer Organismus. Das ist festzuhalten : die Sprache des Menschengeschlechts ist
nicht ein Organismus, sondern ein ganzes Reich organischer Schöpfungen” (1848 : 112)
53
“Das Princip der chinesischen Sprache müssten wir also bei ihrem Mangel der
nothwendigsten Scheidungen als die bewegungslose, UNTERSCHIEDSLOSE Einheit
bezeichnen. Dieses selbe Princip zeigt sich in dem praktischen Leben der Chinesen so,
dass Substantialität und Subjektivität, Staatsgesetz und allgemeiner Wille und Moralität
oder der einzelne Wille, Staat und Familie, Staat und Religion in unmittelbarer Einheit
liegen” (1848 : 133)
54
“Humboldt (..) zeigte (…), daß wo möglich alle Sprachen der Erde zu Hülfe gerufen
werden müssen, um als Unterlage für sprachphilosophische Betrachtungen und
Untersuchungen zu dienen.” (1869 : 554) Cette exhortation n’a cependant pas eu
beaucoup d’effets au siècle suivant où la philosophie du langage, qu’il s’agisse de Carnap,
de Wittgenstein ou de Quine, n’a guère tenu compte de la variété des langues du monde.
18
b) En même temps il fournit aux spécialistes de la grammaire comparée “un
étalon qui leur fait reconnaître la limitation et l’insuffisance pour de telles
recherches de leur périmètre d’observation”55.
c)
Enfin il entend rappeler deux traits de la théorie linguistique de Humboldt qu’il
considère cruciaux : d’un côté la répartition des langues en types définis par le
mode d’expression des catégories grammaticales et de l’autre “la corrélation
intime entre l’individualité de la langue et celle du peuple” (1869 : 555).
Avec Steinthal, le plus grand commentateur de Humboldt au 19e siècle a été
August Friedrich POTT, qui publie en deux volumes à la fin de sa vie en 1880 (il a
78 ans) une réédition de l’Introduction à l’œuvre sur le kavi précédée d’une
gigantesque préface (Wilhelm von Humboldt und die Sprachwissenschaft, 558
pages) destinée à replacer dans son temps Humboldt et son génie linugistique.
Après une longue entrée en matière (1-86), Pott décline son propos en trois
questionnements :
1. “De quoi Humboldt a-t-il pris connaissance, notamment (a) en philosophie du
langage, et (b) en linguistique historique et à quel degré s’est-il laissé influencer
par ces œuvres ?” (86-221)
2. “Quels rapports ses divers écrits linguistiques entretiennent-ils mutuellement ? et
particulièrement les écrits brefs vis-à-vis de l’œuvre maîtresse sur le kavi ?”
(222-421)
3. “Quel est l’objectif majeur que visent des études et considérations relatives au
langage ?” (421-537) avec un examen minutieux des critères de classement
typologique des langues
L’ouvrage est riche de trois index (540-588) des noms de personne, de choses et
des mots en sanscrit, pracrit, kurde, grec, italique, germanique, balto-slave, celte,
finnois, birman, chinois, japonais, ainsi que dans cinq langues africaines, trois
langues amérindiennes, quatre langues malaises, quatre langues polynésiennes et en
basque. On peut donc affirmer qu’en reconnaissant d’une manière aussi
monumentale sa dette à l’égard de Humboldt, Pott, le maître des étymologies indoeuropéennes, a contribué à un examen plus approfondi des thèses de celui-ci chez
les comparatistes.
C’est peut-être l’une des raisons pour lesquelles Berthold DELBRÜCK, qui avait
simplement mentionné la personnalité originale de Humboldt dans les premières
éditions de son Introduction à l’étude des langues, lui consacre un commentaire
beaucoup plus développé à partir de l’édition de 1908 (51908 :41-55). Humboldt n’a
certes pas exercé une influence directe sur le développement de la grammaire
comparée, mais il a eu un impact sur des hommes comme Bopp, Pott, Schleicher ou
Curtius qui ne cessent de lui rendre hommage. C’est ce qui m’a incité à établir un
lien entre Humboldt et la grammaire comparée dans la figure 1 de ce chapitre.
Delbrück commente ainsi cet impact : “Je crois que l’impression que Humboldt a
produite chez ces hommes et d’autres qui lui ressemblaient, provenait de la totalité
55
“Auch für diese ist die breite concrete Grundlage, welche Humboldt seinen
philosophischen Betrachtungen gegeben hat, überaus belehrend, indem sie ihnen einen
Maaßstab gewährt, an welchem sie die Beschränktheit des eigenen Gesichtskreises zu
erkennen vermögen.” (1869 : 555)
19
de son être” (ma trad.) et après avoir exalté ses qualités de savant, de penseur et
d’homme il ajoute :
“Toutes ces qualités ont un effet réconfortant et rassérénant sur une personnalité
scientifique qui approche Wilhelm von Humboldt, et celui-ci continuera encore
longtemps à faire un tel effet, même sur ceux que les théories humboldtiennes laissent
perplexes”56
II—1.3.3. Le jugement de Jespersen
Dans les six pages que Otto JESPERSEN consacre à Humboldt dans la partie
historique de Language – Its natur, development, and origin (1922 : 55-60, §II—8),
il insiste sur la révolution que représente la vision humboldtienne du langage
comme activité et non produit fini (energeia vs. ergon) :
“Language is not a substance or a finished work, but action (…). Language therefore
cannot be defined except genetically. ts is the ever-repeated labour of the mind to utilize
articulated sounds to express thoughts. Strictly speaking, this is a definition of each
separate act of speech, but truly and essentially a language must be looked upon as the
totality of such acts. For the words and rules, which according to our ordinary notions
make up a language, exist really only in the act of connected speech” (ibid : 56-57)
Concernant l’échelle de valeur au long de laquelle Fr. Schlegel et Humboldt
disposent les familles de langue, Jespersen résume le point de vue de Humboldt sur
la disparité entre le classement (axiologique) général et les prouesses locales, ce qui
rappelle son jugement équivoque sur le génie de la langue chinoise :
“The human mind is always capable of producing something admirable, however onesided it may be, such special points decide nothing with regard to the rank of
languages”. (1922 : 57)
Et, faisant référence à Humboldt (1836 : 191), il montre que ce qui deviendra
ultérieurement la théorie “anti-uniformitaire” de Schleicher (cf. section III—1.2)
trouve explicitement son origine chez Humboldt :
“In this develoment there are naturally two definite periods, one in which the creative
instinct of speech is still growing and active, and another in which a seeming stagnation
begins and then an appreciable decline of that creative instinct.”(p.59)
Cependant, ce qui fait l’originalité de la pensée de Humboldt imprégnée par le culte
goethéen du génie, c’est que selon lui, dans la première phase de constitution des
langues, l’acte de création (cf. gr. poiesis) est poétique, c’est ce qui fait le génie de
cette langue, alors que dans la seconde, celle de la décomposition, la langue se
limite à sa fonction de communication57 :
“While in the first period the elements still recall their origin to man’s consciousness,
there is an aesthetic pleasure in developing the instrument of mental activity ; but in the
second period language serves only the practical needs of life” (1922: 60).
56
57
“Alle diese Eigenschaften wirken stärkend und läuternd auf eine fremde wissenschaftliche
Persönlichkeit, die Wilhem von Humboldt nahetritt, und diese Art der Einwirkung wird,
wie ich glaube, Humboldt noch lange behalten und selbst auf diejenigen auszuüben
fortfahren, welche den Humboldtschen Theorien ratlos gegenüberstehen.” (1908 : 55). Ce
double passage est repris des éditions antérieures, mais Delbrück a jugé nécessaire entretemps d’étendre de deux à quinze pages son commentaire, tenant beaucoup mieux compte
de l’ensemble de la pensée de Humboldt.
Il y a là chez Humboldt une contradiction avec son jugement positif sur la morphologie du
malais moderne, qui est une langue simplifiée pour les besoins d’une communication
généralisée à l’ensemble de l’Insulinde.
20
II—1.3.4. Le jugement des historiographes
Contrairement à ma pratique concernant la réception des quatorze autres linguistes
sélectionnés depuis la seconde moitié du 20e siècle, compte tenu de la pléthore
d’études sur Humboldt linguiste que j’ai renoncé à prendre toutes en compte,
j’indiquerai immédiatement les deux études en français par lesquelles il faudrait à
mon avis commencer pour entrer dans la pensée linguistique et plus largement
anthropologique de Humboldt.
Il s’agit en premier lieu du petit recueil d’Écrits sur le langage présentés,
traduits et commentés par Denis Thouard (2000). THOUARD présente une édition
bilingue de trois des principaux mémoires de Humboldt sur le langage, ceux datés de
1820, 1821b et 1822-24 dans la liste que j’ai établie en section II—1.1. Après une
introduction sur le cheminement de Humboldt intégrant peu à peu philosophie du
langage et étude empirique d’une variété de langues, Thouard propose trois
éclairages successifs intitulés respectivement I. Traduire, II. Comparer et III.
Caractériser. La première partie présente des fragments et de la correspondance, la
seconde livre l’édition bilingue commentée de l’écrit “Sur l’étude comparée des
langues” (1820), le premier mémoire linguistique de Humboldt, et la troisième
présente et édite en bilingue successivement les deux écrits De l’influence de la
diversité de caractère des langues sur la littérature et la culture de l’esprit (1821b)
et Sur le caractère national des langues – Fragment (1822-24). Ce petit livre très
utile se termine par un glossaire bilingue de quatorze termes délicats à traduire et un
dossier sur la réception de Humboldt linguiste chez Steinthal et sept autres
philosophes modernes de l’esprit et de la société (H. Meschonnic, E. Cassirer, M.
Heidegger, H.G. Gadamer, J. Habermas et J. Simon)58.
Le second est l’ouvrage d’A.M. CHABROLLE-CERRETINI, La vision du monde de
Wilhelm von Humboldt – Histoire d’un concept linguistique (2004) dont le cœur
porte sur l’ambitieux projet d’anthropologie comparée de Humboldt et la place qu’y
joue le concept de “vision du monde”, lequel traduit en priorité Weltansicht, mais
aussi Weltanschauung, deux termes qui ne sont pas exactement synonymes chez
Humboldt. Le projet de Humboldt s’articule en deux temps. L’auteure fournit
(2004 : 115-6) une illustration saisissante de la difficulté à traduire Humboldt - le
passage concerné étant particulièrement délicat – et les options passablement
divergentes des deux traducteurs. Il s’agit d’un extrait du mémoire “Sur l’étude
comparée des langues” (1820) où Humboldt fait valoir qu’en marge des
monographies examinant l’ensemble des structures d’une langue particulière “dans
le sens de la longueur”, il convient de prévoir des études “dans le sens de la largeur”
portant chacune sur une structure particulière à travers les langues (comme celle sur
58
Parmi les nombreux autres travaux de D. Thouard sur Humboldt, je retiens en particulier
ses deux articles “ Humboldt, Abel-Rémusat et le chinois : du mystère au savoir” (en
ligne), à propos de la révision du jugement de Hymboldt sur le génie propre de la langue
chinoise sous l’influence d’Abel-Rémusat et “Wilhelm von Humboldt und das
vergleichende Sprachstudium : eine Politik durch die Sprachen” (2012) dans lequel il
défend l’idée – tout à fait convaincante, compte tenu de sa formation cosmopolite et de
son engagement politique au service de la reconstruction intellectuelle de la Prusse –
qu’en se consacrant à la diversité des langues du monde, Humboldt a voulu faire passer
un message politique : “Avec ses études sur les langues et l’identification de différents
formats linguistiques qui en a résulté, Humboldt a mis en pratique les principes de son
libéralisme politique” (2012 : 171, ma trad.).
21
le verbe dont je fournis une édition critique au chap.VI)59. A.M. Chabrolle juge la
traduction de Pierre Caussat “très justement évocatrice” (2004 :116). J’observe
surtout qu’elle est moins obscure, car Caussat opte à plusieurs reprises pour une
périphrase explicative, ce qui allonge sa traduction (124 mots au lieu de 106 pour
Thouard et 84 pour l’original riche en composés en Sprach~ (Sprachbau,
~bedürfnis, ~vermögen).
Traduction de Pierre Caussat
(1974)
Traduction de Denis Thouard (2000)
“Mais outre ces monographies globales, la
théorie comparative doit s’attacher à des
segments singuliers de la construction
linguistique, tel, par exemple, le verbe dont on
suivra le sort que lui réserve la série entière des
langues.
“Hormis ces monographies de langues
prises dans leur ensemble, l’étude
comparée des langues demande que l’on
passe en revue dans toutes les langues
d’autres parties singulières de leur
structure, par exemple, le verbe.
Car il s’agit de décroiser et de recroiser tous les
fils du réseau linguistique ; les uns, dans le sens
de la largeur, si l’on peut dire, mettant en cause
les segments similaires et toutes les langues ; les
autres, dans le sens de la longueur, faisant
interférer les segments de nature diverse à
l’intérieur de chaque langue.
Car on doit rechercher et relier entre eux
tous les fils de la trame d’ensemble, dont
certains passent, pour ainsi dire en largeur,
à travers les parties équivalentes de toutes
les langues, et d’autres, pour ainsi dire en
longueur, à travers les différentes parties
de chaque langue.
Les premiers sont fonction de l’identité des
besoins et des potentialités linguistiques
présents dans toutes les nations ; les seconds
signalent les traits individuels que chacune
d’elles possède en propre.
Les premiers reçoivent leur direction de
l’équivalence,dans toutes les nations, entre
le besoin de parler et la faculté de parler ;
les derniers, de leur individualité.”
Tableau 3 : Extraits comparés des traductions de Humboldt (1820) par P. Caussat et
D. Thouard
A.M. Chabrolle-Cerretini a consacré sa thèse de doctorat et de nombreux travaux
à la pensée linguistique de Humboldt, parmi les quels il faut citer sa coordination du
numéro spécial de la revue HEL (2002, Dossier 1)60 intitulé Editer et lire Humboldt
contenant les contributions de Denis Thouard, “La difficulté de Humboldt“, de
Jürgen Trabant, “L’édition des œuvres linguistiques de Humboldt – Le sort d’un
legs intempestif”, d’Henri Meschonnig, “Continuer Humboldt” et de Jacques
Guilhaumou, “Lire Humboldt en français. Le cheminement vers la langue dans le
contexte de la culture politique française”, ainsi que le déroulement de la table-ronde
(avec de nombreux extraits vidéo) restitué par A.M. Chabrolle-Cerretini, plusieurs
comptes rendus de publications, une belle bibliographie (mais datée de 2003) de tout
ce qui est disponible en français, en particulier des traductions de Humboldt et la
liste des sites consacrés à W. von Humboldt. En outre Chabrolle-Cerretini (2007)
examine l’influence de Humboldt sur différentes orientations de la linguistique
59
60
“Ausser diesen Monographien der ganzen Sprachen, fordert aber die vergleichende
Sprachkunde andre einzelner Theile des Sprachbaues, z.B. des Verbum durch alle
Sprachen hindurch. Denn alle Fäden des Zusammenhanges sollen durch sie aufgesucht,
und verknüpft werden, und es gehen von diesen einige, gleichsam in der Breite, durch die
gleichartigen Theile aller Sprachen, und andre, gleichsam in der Länge, durch die
verschiedenen Theile jeder Sprache. Die ersten erhalten ihre Richtung durch die
Gleichheit des Sprachbedürfnisses und Sprachvermögens aller Nationen, die letzten durch
die Individualität jeder einzelnen.” (Über das vergleichende Sprachstudium, 1820).
http://htl.linguist.univ-paris-diderot.fr/num1/num1.htm
22
cognitive américaine du début (Sapir et Whorf) à la fin du 20e siècle (de Chomsky61
à la Grammaire cognitive62).
Je distinguerai ensuite les commentaires plus ou moins développés de la vision
de Humboldt dans les ouvrages historiographiques de référence que je me
contenterai de mentionner et quelques études spécifiques qui me paraissent d’un
intérêt particulier.
Parmi les historiographes, on notera les commentaires
de Hans ARENS (21969) qui portent particulièrement (avec de larges extraits) sur
les écrits concernant la langue basque (ibid : 170-5), l’étude comparée des
langues (ibid : 179-186) et l’Introduction à l’œuvre sur le kavi (ibid : 203-218) ;
de Georges MOUNIN (21985 :189-196) qui évoque en ces termes le désintérêt des
linguistes de la seconde moitié du 19e siècle et de la première du 20e à l’égard de
Humboldt :
“C’est un grand précurseur, qu’on nomme et qu’on salue toujours, mais qu’on ne
fréquente guère. Plus encore que par les jugements explicites de Jespersen ou de
Meillet, l’attitude d’un siècle de linguistes à l’égard de Humboldt est résumée par
Pedersen, qui lui consacre deux lignes à propos du basque, et quatre lignes, a propos
du kawi, sur deux questions strictement techniques, sans un mot de ses théories
[Discovery, pp.130, 144].” (ibid : 192)
de Hans Helmut CHRISTMANN (1977 : 19-49) qui édite un extrait du fragment
Grundzüge des allgemeinen Sprachtypus (1824-26) sous le titre “Natur der
Sprache überhaupt” (“La nature du langage dans l’absolu”) et qui est le seul
(idib : 47) à estimer que Humboldt a eu une influence décisive sur la genèse de la
grammaire historique comparée ;
de Bertil MALMBERG (1991) qui dédie à Humboldt tout son chapitre 11 dans
lequel il pointe sur différentes contradictions (ibid : 259) et déclare que “von
Humboldt s’inscrit en faux contre toute idée de langues évoluées contrastant
avec des langues primitives, erreur qui ne sera rejetée qu’à une époque toute
récente” (ibid : 261), ce qui est en contradiction avec la conclusion de Jespersen
citée plus haut : “such special points decide nothing with regard to the rank of
languages” ;
de Roy HARRIS & Talbot TAYLOR qui consacrent le chapitre 13 de leurs
Landmarks in linguistic thought I à “Humboldt on linguistic and mental
diversity” (1997:171-184), qui, comme Seuren ci-dessous, voit dans la
corrélation de Humboldt entre langues et peuples une théorie “foncièrement
raciste”63 ;
61
62
63
cf. Chomsky (1966, Cartesian Linguistics).
Dans ce cadre théorique, la pensée de Humboldt occupe effectivement une place dans
trois chapitres de Geeraerts & Cuykens (eds. 2006), ceux de Eric Pederson, “Cognitive
linguistics and linguistic relativity” (Chap.38), de G.B. Palmer, “Cognitive linguistics
and anthropological linguistics” (Chap.39) et surtout de R. Dirven, H.G. Wolf & F.
Polzenhagen, “Cognitive linguistics and cultural studies” (Chap.46).
“According to Humboldt, there is something mental, something spiritual, something
organically different about different nations (peoples, races) which makes them creatively
express themselves in the way they originally do and, whithin limits continue to do
throughout their history. Humboldt’s theory is also in this respect a form of racial
determinism.” (ibid : 176)
23
de Pieter SEUREN (1998, section 2.6.2. Wilhelm von Humboldt : 108-120), qui
reproche à Humboldt “un eurocentrisme de base et une arrogance culturelle”
(ibid : 111) mais rappelle que l’idée d’un héritage intellectuel cohérent entre
Humboldt, Sapir et Whorf est incorrecte64 ;
de Anna MORPURGO-DAVIES (1998 : 98-123) qui consacre elle aussi un chapitre
entier, le 5, à “Wilhelm von Humboldt, general linguistics and linguistic
typology”, et qui va dans le même sens que Jespersen en dépit de Malmberg en
déclarant :
“While the organic/non-organic distinction of Schlegel is completely given up by
Humboldt and while he readily admits the typologically mixed character of individual
languages, he nevertheless thinks that there is an ideal form of language and that in a
sense all language types can be hierarchically arranged in a scale aiming at that ideal
form, namely, inflection.” (ibid : 113)
et de Jürgen TRABANT (2000 : 311-322) sur “Le courant humboldtien” qui
retrace le destin difficile de la pensée de Humboldt malgré les éclairages
favorables qu’y ont apporté successivement Steinthal, Pott, Gabelentz et la
l’Internationale Zeitschrift für allgemeine Sprachwissenschaft de Techmer
(1883-1890) et s’exprime dans les mêmes termes que Thouard (2000, cf. plus
haut) sur ce que Cassirer avec sa philosophie des formes symboliques et
Heidegger ont emprunté ou critiqué chez Humboldt65.
Enfin parmi les nombreux articles consacré à Humboldt linguiste, j’en mentionnerai
quatre qui ont particulièrement retenu mon attention :
Luce FONTAINE-DE VISSCHER consacre en 1977 un article à la notion de
grammaire chez Humboldt et à la question du « génie particulier » du chinois.
Elle résume ainsi la découverte de Humboldt à la lecture d’Abel-Rémusat :
“‘l’avantage’ du chinois est peut-être d’atteindre, grâce à ce dépouillement maximal, une
plus grande ‘transparence’ de la pensée : les paroles chinoises seraient comme des
feux qui s’allument dans la nuit et font surgir un monde pour l’homme sans que celui-ci
lui impose ses propres formes mentales… ” (1977 : 448)66
Jean QUILLIEN a publié en 1981 dans le revue HEL un article très bien
documenté sur “Humboldt et la linguistique générale” qui souligne que “c’est la
langue tout entière (…) qui dit LE sens du monde, ou plutôt UN sens du monde
(…) pour les locuteurs d’une langue donnée, membres d’une NATION,
appartenant à une CULTURE et héritiers d’une HISTOIRE” (1981 :105, mes
soulignements). Cela nous rappelle à quel point Humboldt a su intégrer l’esprit
universaliste des Lumières et de Kant en particulier ( le sens du monde) et
celui du pré-romantisme de Herder ( nation, culture, histoire). Et Quillien
conclut très philosophiquement :
64
65
66
“The real ‘Humboldt-hypothesis’ is that language and thought form an inseparable union
in the sense that thought is unthinkable without language (…)” (ibid : 114).
J. Trabant a consacré à la pensée linguistique de Humboldt de nombreux articles et
ouvrages dont on trouvera liste dans le dossier bibliographique d’Anne-Marie ChabrolleCerretini (2002).
À noter toutefois une erreur historique stupéfiante. L’auteure affirme que Humboldt
“emprunte à Schleicher son schéma d’inspiration naturaliste : isolant-agglutinant-infléchi”
(p.438) et plus loin p.440 qu’il “a repris les données de l’évolutionnisme de Schleicher”.
À la mort de Humboldt en 1835, Schleicher avait 14 ans, c’est donc évidemment
Humboldt qui a influencé Schleicher et non l’inverse !
24
« Le monde est sens et n’est sens que pour un être membre d’une communauté, qui,
dans un horizon historique déterminé, parle. Bref, il ne peut y avoir problème du sens et
sens que pour ce fragment de la nature qui peut énoncer que le sens est un
problème. » (ibid)
Enfin Hans AARSLEFF s’est également penché sur l’œuvre de Humboldt, d’abord
en 1982 dans le cadre de son ouvrage From Locke to Saussure (cf. “Wilhelm von
Humboldt and the linguistic thought of the French Idéologues”, 1982 : 335-355).
L’objectif de Aarsleff est d’attribuer à Humboldt une place dans un lignage
intellectuel qui va de Locke à Saussure et au-delà jusqu’à Whorf. Il cherche à
corriger l’idée qu’il juge fausse selon laquelle Humboldt aurait été nourri de la
philosophie du langage de Herder et il insiste inversement sur le poids de sa
rencontre avec les Idéologues parisiens :
“there is plenty of evidence that Humboldt during his years in Paris in the late 1790s
stayed closely in touch with the idéologues and their linguistic thought, and it would
seem beyond question that he is deeply indebted to French philosophy and the
problems that were debated in Paris, for example about the status of Basque, linguistic
anthropology, the principle of linguistic relativism, the crucial role of language in culture,
and the place of language in knowledge and education.” (Aarsleff 1982a : 15)
Et Aarsleff suggère un héritage relativiste ou culturaliste issu de Locke qui passe par
Condillac, les Idéologues, Humboldt, Bréal et Saussure (tous deux dans leur rejet du
naturalisme de Schleicher) et Whorf67.
En fait ce chapitre de Aarsleff était paru originellement en 1977 et Helmut
Gipper – qui avait soutenu précédemment l’idée que l’influence de Herder sur la
philosophie du langage de Humboldt avait été largement supérieure à celle des
Idéologues – s’associe en 1979 à Peter Schmitter pour critiquer radicalement la thèse
d’Aarsleff (1979 : 99-116) au fil d’une discussion très documentée des notions d’
“innere Sprachform” et d’ “energeia vs. ergon” (1979 :86-91 et 97-98) ainsi que de
la renaissance de Humboldt au 20e siècle (ibid : 117-129) ;
Vingt ans plus tard, Aarsleff entre dans le cœur de la philosophie du langage de
Humboldt avec un article à l’intitulé malicieusement trilingue : “The context and
sense of Humboldt’s statement that language ‘ist kein Werk (ergon) sondern eine
Tätigkeit (energeia)’” (cf. note 22). Après avoir rappelé (comme Jespersen) que les
termes grecs ergon et energeia évoquent respectivement un travail achevé et une
activité « impliquant créativité et création » (2002 : 197), Aarsleff conclut que
Humboldt s’est ouvert à de multiples influences, linguistique avec la découverte
éclairante des structures morphosyntaxiques du basque, anthropologiques et
esthétiques et parmi celles-ci il souligne ce que Humboldt doit à la lecture de la
Lettre sur les sourds-et-muets (1751) de Diderot.
À noter enfin l’article récent de Paola GIACOMONI (2009) sur “Wilhelm von
Humboldt et l’anthropologie comparée” qui nous ramène à la jeunesse de Humboldt.
Nous avons vu plus haut (I—2.1) que Humboldt avait laboré en 1797 (il avait 20
ans) le plan d’une telle anthropologie comparée avant de se résoudre à limiter son
propos à l’étude de la variété des types de langues. L’auteure rappelle en premier
lieu que Humboldt était profondément imprégné (tout comme Goethe, Fr. Schlegel
et ultérieurement A. Schleicher) de la méthode comparative et évolutive en anatomie
67
cf. Roy Harris, (1982) : “the theory of ‘linguistic relativity’, nowadays associated by
linguists primarily with the work of Edward Sapir and Benjamin Lee Whorf, is shown to
go back, not merely to Humboldt’s work on the Kawi language, but beyond Humboldt to
Condillac and to Locke”.
25
et en physiologie68 et envisageait se projet comme une application de cette méthode
et elle conclut que “W. von Humboldt intégra les nolbreuses influences issues de
différents doaines scientifiques en une théorie propre de la différence
anthropologique, qui peut être considérées comme le fondement de la méthode
développée dans les grands textes linguistiques de ses dernières années” (ibid : 45),
ce qui revient à supposer que le projet d’anthropologie comparée conçu à 20 ans ait
guidé toute son entreprise linguistique.
En conclusion de ce bref aperçu de l’immense littérature sur l’œuvre linguistique
de Humbolbt avec ses jugements souvent divergents, on ne peut que confirmer la
constatation perplexe d’A. Morpurgo-Davies à son propos : “An embarassing
thinker” (1998, intertitre 5.1 : 98).
CHAPITRE VI
WILHELM VON HUMBOLDT,
GRAMMAIRIEN ET PHILOSOPHE
Ceux qui ont quelque notion de l’évolution
de la pensée allemande au XIXe siècle
s’étonneront à bon droit que les linguistes
n’aient pas été sensibles à ce qu’il y a
d’étrange à classer dans l’échelle des
valeurs, fût-ce des valeurs linguistiques, un
esprit universel hautement cultivé et armé en
particulier d’une culture scientifique
approfondie, comme Humboldt, après un
simple technicien de la grammaire
comparée, comme Bopp, que l’histoire de la
pensée allemande ne mentionne souvent
même pas. La linguistique sera fatalement
amenée à rendre un jour pleine justice à
Humboldt, qu’un homme comme Goethe
avait admis dans son intimité intellectuelle,
et qui était un esprit d’une tout autre
envergure que Bopp.
L. Tesnière (21969 : 13)
Dans ce chapitre j’évoquerai deux facettes de l’œuvre linguistique de Humboldt. À
mon sens, sa philosophie du langage, dont Steinthal a souligné les obscurités, n’a de
valeur qu’au regard des travaux proprement grammaticaux qui la sous-tendent.
68
cf. Foucault (1966 : 275-292) à propos de la coupure épistémologique introduite en
biologie à cette époque par la méthode comparative et évolutionnaire de Cuvier et de
Geoffroy Saint-Hilaire.
26
C’est pourquoi je commencerai par l’édition bilingue d’une conférence à
l’Académie des sciences de Berlin datée de 1823 Sur le verbe dans les langues
américaines, qui illustre bien la maestria de Humboldt dans la comparaison
grammaticale de langues des familles les plus diverses, vue comme une fenêtre
ouverte sur l’unité de l’esprit humain en dépit de la variété des structures
grammaticales (cf. sections II—1.2 et V—3.1).
Je proposerai ensuite un fragment de l’introduction de Heymann Steinthal
(section III—2) aux écrits de philosophie du langage de Humbolbt (1883) dans
lequel il cherche à circonscrire, peut-être moins ce que Humboldt avait à l’esprit,
que ce que Steinthal a voulu en retenir69. Dans cette introduction il cite in extenso un
fragment inédit de Humboldt qui nous donne une image de sa puissance
d’abstraction philosophique à partir de ses études grammaticales.
VI—1. Édition bilingue de la communication à l’Académie de Berlin
le 23 juin 1823 Über das Verbum in den Amerikanischen Sprachen70
L’intérêt majeur de la communication de Humboldt Sur le verbe dans les langues
américaines présentée en 1823 à l’Académie de Berlin tient à la qualité de l’analyse
détaillée de propriétés de difféentes langues américaines, mais en priorité du
‘mexicain’ (aztèque ou nahuatl), langue bien décrite au 16e siècle par Bernardino de
Sahagún71 avant qu’elle ne disparaisse comme l’empire aztèque face à la puissance
invincible des conquérants et des missionnaires espagnols.
Humboldt donne souvent l’impression d’être plus philosophe que linguiste, mais
dans cette communication l’analyse morphologique est parfaitement claire. Il y
défend sa thèse récurrente (cf. section II—1.2) selon laquelle l’ « organisme d’une
langue » (en fait sa morphologie) est « parfait » si les racines relationnelles
(essentiellement déictiques et modales) qui s’agglutinent à une racine notionnelle
perdent toute autonomie au point de devenir difficilement identifiables. C’est une
conception qui lui vient de Fr. Schlegel (cf. section II—2.2) et que développera en
particulier A. Schleicher dans son article essentiel de 1859 sur les types de
morphologie (cf. section III—1.2).
La fin de la communication présente une conclusion sur le rapport en ‘mexicain’
entre la racine verbale et les affixes de personne qui mérite d’être mise en relation
avec la théorie de l’agglutination de Fr. Bopp pour le sanscrit (cf. section II—4.2) :
dans le cas du sanscrit un pronom autonome est supposé s’être agglutiné à la racine
69
70
71
Dans son introduction à l’écrit de 1822, Über die Entstehung der grammatischen Formen
und ihren Einfluss auf die Ideenentwicklung [Sur la genèse des formes grammaticales et
leur influence sur l’évolution des idées]
D’après l’édition de Jürgen TRABANT, 1992 : 82-97 et 247-252 pour les notes de l’éditeur.
Trabant précise p.247 que le teste de Humboldt a été reconstitué par Manfred Ringmacher
à partir du manuscrit en la poessession de la Museum Library der l’université de
Pennsylvanie à Philadelphie. Cet écrit était inédit en allemand, mais il avait été traduit Il
est à noter que le texte de Humboldt présente des hésitations orthographiques sur
T/tempus, M/modus et A/amerikanisch.
Bernardino de Sahagún (1499/1500-1590), missionnaire franciscain, ethnographe et
linguiste espagnol avait rédigé en 1569 en annexe à son Anatomie de l’aztèque une Arte
(de la lengua mexicana) qui a malheureusement disparu, mais il subsiste de lui un
Vocabulario trilingue (dictionnaire nahuatl – latin – espagnol) resté inédit (Newberry
Library, Ayer Collection (Ms 1478) [source : Wikipedia.de].
27
verbale dans un état antérieur du sanscrit et ce faisant il a perdu son autonomie et
s’est altéré phonétiquement. Il a réellement fusionné avec cette racine verbale, mais
il ne peut pas le faire avec une racine nominale. En ‘mexicain’ en revanche, le
pronom affixé présente deux variantes ad-verbale et ad-nominale. Dans la première
variante il exprime la personne qui accomplit l’action, dans la seconde le possesseur
(ex. IL TRAITE (une maladie) vs. SON TRAITEMENT (d’une maladie)). C’est une
propriété caractéristique des langues que Launey (1981) a désignées comme
“omniprédicatives”.
En amont, ce type d’agglutination verbe-affixe de personne est déjà évoqué à
propos de diverses langues, dont le basque et le ‘mexicain’ dès 1812 dans l’Essai
sur les langues du nouveau Continent (O.C., t. III) dont le CRECLECO72 fournit la
traduction :
En énonçant (…) une action, il est assez naturel d'y lier d'abord l'objet auquel elle a
rapport. Il n'est donc pas étonnant qu'il y ait des langues qui joignent si étroitement au
verbe les pronoms régis par lui qu'ils servent à en former la conjugaison. (…) Toutes
les langues doivent mettre un soin particulier à distinguer des nuances aussi
essentielles, et plusieurs le font immédiatement en énonçant le verbe. L'allemande en
change la voyelle radicale, nuance fine et délicate et qui ne se ressent en rien de la
grossièreté si souvent gratuitement attribuée aux premiers inventeurs des langues, le
basque ajoute dans quelques cas semblables une syllabe au milieu du mot, la langue
grecque a son médium, la hongroise distingue deux conjugaisons entièrement
différentes pour le verbe qui régit un objet déterminé, et celui dont l'objet reste vague;
mais la seule langue mexicaine épuise tous les cas possibles à cet égard et entre
dans des nuances si fines que p. e. en disant que je m'instruis dans quelque science,
un seul pronom ajouté ou omis indique si je veux dire que je suis mon propre
instituteur (ni-no-ne machtia) ou si je ne veux point exprimer cette circonstance, et puis
bien aussi en avoir un autre (ni-no-machtia). (Humboldt 1812 : 310-311)
En aval, Humboldt évoque sa communication de 1823 dans sa Lettre à M. AbelRémusat (1827 : 76) dans ces termes :
“J’ai lu, il y a quelques années, à l’académie de Berlin, un mémoire qui n’a pas été
imprimé, dans lequel j’ai comparé la plupart des langues américaines entre elles, sous
l’unique rapport de la manière dont elles expriment le verbe, comme liaison du sujet
avec l’attribut dans la proposition, et je les ai rangées, sous ce point de vue, en
différentes classes. Comme cette circonstance prouve jusqu’à quel point une langue
possède des formes grammaticales, elle décide de la grammaire entière d’une langue
(…) Presque toutes ces langues, pour alléguer une autre circonstance également
importante, ont des pronoms affixes à côté de pronoms isolés. Cette distinction prouve
que les premiers accompagnent habituellement les noms et le verbe ; car si ces
affixes ne sont que les pronoms abrégés, cela même montre qu’on en fait un usage
extrêmement fréquent, et si ce sont des pronoms différens, on voit par là que ceux qui
parlent, regardent l’idée pronominale d’un autre point de vue, lorsqu’elle est placée
isolément, et lorsqu’elle est jointe au verbe ou au substantif.”
Enfin, Humboldt consacre un assez long développement au processus de
l’incorporation verbale en ‘mexicain’ dans son œuvre majeure, l’Introduction à
l’œuvre sur le kavi (1836 :162-171). Il y développe un raisonnement généalogique et
organiciste qui laisse supposer qu’après avoir reconnu, sous l’influence de Fr.
Schlegel, un seul type de perfection morphologique, le FLEXIONNEL représenté par le
sanscrit, et avoir admis sous celle d’Abel-Rémusat un second type de perfection,
l’ISOLANT représenté par le chinois, il identifie désormais un troisième type de
perfection, l’INCORPORANT, représenté par le ‘mexicain’, les autres langues
américaines typologiquement apparentées et en Europe la langue basque.
72
Centre de recherches en histoire et épistémologie comparée de la linguistique d'Europe
centrale et orientale, université de Lausanne, cf. http://www2.unil.ch/slav/ling/
28
On notera la précision des termes : “à l‘origine” les éléments affixés au verbe
dans les futures langues incorporantes entrent avec lui dans une Zusammenfügung
(combinaison de constituants autonomes), mais dans l’état de développement atteint
par le ‘mexicain’ ils forment avec lui une Zusammenbildung (combinaison de
constituants indissociables) in eine Worteinheit (le résultat est une unité lexicale). Si,
dans ce passé imaginé, la morphologie de la langue est comparable à un bourgeon
encore fermé, le développement de la morphologie mexicaine est en revanche
assimilé à l’épanouissement du bourgeon. À l’époque primitive de la
Zusammenfügung, les pronoms et les substantifs qui entrent dans le matériau
morphologique du verbe sont censés s’agglutiner sous leur forme autonome ; à celle
de la Zusammenbildung, ils présentent deux formes distinctes, l’une pour l’usage
autonome, l’autre pour l’usage incorporé, donc la langue a réalisé son type propre de
perfection : la création d’une unité lexicale composée de constituants qui ne gardent
plus que le souvenir de leur autonomie passée, ce qui revient par une autre voie à la
perfection du sanscrit où les pronoms deviennent des marques flexionnelles que seul
le philologue est encore capable d’associer à leur forme autonome.
“Ces affixations au verbe se sont construites d’une manière déjà harmonieuse et à un
degré comparable à celui de la fusion en une unité lexicale et à celui des flexions du
verbe lui-même. Ce qui diffère réside seulement dans le fait que ce qui dans la phrase
primitive ne constitue en quelque sorte que le bourgeon encore fermé en voie
d’épanouissement se présente dans la langue mexicaine comme un tout fusionné,
complet et indivisible, là où le chinois laisse à l’auditeur tout le soin de reconnaître
l’agglutination à peine évoquée par les sons, et où le sanscrit plus vivant et plus
audacieux déploie immédiatement devant nos yeux la partie dans sa relation au tout
en la désignant fermement.”73
Là où l’on est obligé de voir un effet pernicieux de la vision axiologique de
Humboldt, c’est quand il monte au pinacle des langues, en particulier le grec
classique, où selon ses propres termes le philologue lui-même a de la peine à repérer
les éléments constitutifs du mot en raison d’altérations qui défient l’analyse. On peut
lui accorder éventuellement que les langues incorporantes regroupent dans le mot
des éléments circonstanciels qui ont leur place « raisonnable » au niveau supérieur
de la proposition, mais dans la mesure où les constituants actanciels, qu’ils soient
nominaux ou pronominaux, présentent une fois incorporés une forme particulière qui
ne se rencontre pas de manière indépendante, le système morphosyntaxique du
‘mexicain’ semble présenter des régularités plus satisfaisantes pour l’analyste que
celui du grec.
73
“(…) diese Zusammenfügungen am Verbum haben sich schon harmonisch und in
gleichem Grade, wie die Zusammenbildung in eine Worteinheit und die Beugungen des
Verbums selbst, ausgebildet. Das Unterscheidende liegt nur darin, daß, was in den
Uranfängen gleichsam die unentwickelt in sich schließende Knospe ausmacht, in der
Mexicanischen Sprache als ein zusammengebildetes Ganzes vollständig und
unzertrennbar hingelegt wird, da die Chinesiche es ganz dem Hörer überläßt, die kaum
irgend durch Laute angedeutete Zusammenfügung auszusuchen, und die lebendigere und
kühnere Sanskritische sich gleich den Theil in seiner Beziehung zum Ganzen, sie fest
bezeichnend, vor Augen stellt.” (Humboldt 1836:171).
29
LES LANGUES AMÉRINDIENNES AUXQUELLES HUMBOLDT FAIT RÉFÉRENCE DANS
CET ÉCRIT
74
L’étendue exceptionnelle des informations linguistiques que W. von Humboldt
avait pu réunir – en grande partie grâce à son frère Alexander – transparaît en
établissant la liste des langues évoquées dans cet écrit :
Abiponisch
abipone, dialecte du guaicuru, langue du Chaco (Paraguay, Argentine)
Achagua
achagua, langue de la famille arawak parlée entre les rivières Apure et Meta (
Maipure)
Betoi
bétoïque, langue jadis parlée dans la haute vallée de la rivière Meta en
Colombie
Karibisch
caribéen, famille de langues parlées dans les îles Caraïbes
Huastekisch
houastèque, langue parlée essentiellement dans l’état de Vera Cruz (Mexique)
Lule
lule, langue jadis parlée dans le Chaco occidental (nord de l’Argentine)
Maipurisch
maipure, langue amazonienne (bords de l’Orénoque) de la famille arawak
Maya
maya, famille de langues amérindiennes (comprenant les langues quiché, maya
yucatèque, mam, cakchuiquel, q’eqcui, totzil, tzeltal). Les langues maya sont
parlées au sud du Mexique et au Guetamala.
Mbayisch
mbaya, dialecte du guaicuru, langue du Chaco (Paraguay, Argentine).
Mexikanisch
nahuatl, langue de l’empire aztèque ; le nahuatl classique s’est maintenu après
la conquête espagnole comme lingua franca du Mexique. Langue éteinte.
Mocobisch
mocobi, dialecte du guaicuru, langue du Chaco (Paraguay, Argentine).
Omagua
omagua, langue amazonienne de la famille tupi-guarani (Colombie, Pérou).
Tamanakisch
tamanaque, langue jadis parlée sur les bords de l’Orénoque, apparentée à la
famille guarani.
Totonakisch
totonaque, langue parlée à l’est du Mexique à l’époque de la conquête
espagnole.
Yaruro
yaruro, langue parlée dans l’état d’Apure au Vénézuela.
Yukatanisch
yucatèque, langue maya parlée dans la presqu’île du Yucatan.
74
Les informations généalogiques et géographiques sur ces langues proviennent de la
synthèse des notes du traducteur de l’écrit en anglais, D.G. Brinton (Proceedings of the
American Philosophical Society XXII-120, 29 mai 1885 : 352-4), des notes de l’édition de
J. Trabant (1992 :247-252) et des notices de l’encyclopédie en ligne Wikipédia.
30
UEBER DAS VERBUM IN DEN AMERICANISCHEN
SPRACHEN
SUR LE VERBE DANS LES LANGUES AMÉRICAINES
[gelesen am 3. Juni 1823]
[prononcé le 3 juin 1823 à l’Académie des Sciences de Berlin]
[82] Sie haben die Güte gehabt, meiner neulichen Abhandlung über das
Entstehen der grammatischen Formen eine theilnehmende
Aufmerksamkeit zu schenken.
Vous avez eu la bonté d’accorder une attention bienveillante à ma
communication récente sur la genèse des formes grammaticales.
Ich wünsche heute, das jenige, was ich damals allgemein über dieses
Entstehen behauptet, an einem einzelnen grammatischen Punkt durch
eine Reihe von Sprachen hindurch auszuführen. Ich wähle hierzu die
Americanischen, als die am meisten zu einem solchen Behufe
geeigneten, und hebe das Verbum, als den bedeutendsten Redetheil, und
den Mittelpunkt jeder Sprache heraus. Ohne aber in die
Auseinandersetzung der einzelnen Theile des Verbum einzugehen,
werde ich mich bloß auf seine eigentliche Verbalnatur, das
Zusammenfassen des Subjects und Praedicats des Satzes vermittelst des
Begriffes des Seins beschränken. Nur diese macht sein Wesen aus; alle
übrigen Bezeichnungen, Personen, Tempora, Modi, Genera sind nur
daraus abgeleitete Eigenschaften desselben.
Aujourd’hui je souhaite illustrer ce que j’ai alors affirmé de
manière générale sur cette genèse à propos d’un point grammatical
particulier à travers une série de langues. Je choisis pour cela les
langues américaines comme étant les plus adaptées à une telle
entreprise et je sélectionne le verbe comme la partie du discours la
plus importante et le pivot de toute langue. Mais loin d’entrer dans
le détail des différentes parties du verbe, je me limiterai à sa nature
proprement verbale, à savoir l’assemblage du sujet et du prédicat
de la proposition à l’aide du concept de l’être. C’est à cela que se
réduit son essence ; toutes les autres relations, les personnes, les
temps, les modes, les voix ne sont que des propriétés qui se
déduisent de cette nature.
Die zu beantwortende Frage ist also:
La question à laquelle il s’agit de répondre est donc :
Durch welche grammatiche Bezeichnungsart deuten die hier zu
vergleichenden Sprachen an, daß Subjekt und Praedicat vermittelst des
Begriffes des Seyns überhaupt, oder auf eine bestimmte Weise
zusammengefaßt werden soll?
Par quel mode de désignation grammatical les langues que nous
allons comparer indiquent-elles que le sujet et le prédicat doivent
être assemblés à l’aide du concept de l’être en général, ou d’une
manière spécifique ?
Um nun zu beurtheilen, inwiefern sich diese Sprachen der
grammatischen Vollendung in diesem Punkte nähern, muß man den
Zustand, als Ziel, vor Augen haben, wo das Verbum, als wirklicher
Pour juger dans quelle mesure ces langues s’approchent sur ce
point de la perfection grammaticale, il faut chercher à observer la
situation dans laquelle le verbe se présente comme une véritable
31
Redetheil da steht, d.h. wo es eine Gattung von Wörtern giebt, welche,
indem sie die Verbalkraft besitzen, sich durch eine festbestimmte Form
von allen übrigen Redetheilen unterscheiden. Bis zu diesem Zustande
hinauf müssen alle übrigen sich vorfindenden [83] Bildungsarten, oder
Umschreibungen des Verbum, so viel als möglich, stufenweise
zusammengestellt werden
partie du discours, c’est-à-dire où il y a une espèce de mots qui,
possédant le pouvoir du verbe, se distinguent de toutes les autres
parties du discours par une forme bien déterminée. Jusqu’à ce que
cette situation soit atteinte, il faut rassembler autant que possible,
niveau par niveau, tous les autres modes de construction ou
périphrases verbales qui se présentent.
Der Begriff des Seyn’s, welcher die Grundlage, und das Wesen des
Verbum ausmacht, kann angedeutet seyn
Le concept de l’être, qui constitue le fondement et l’essence du
verbe peut-être indiqué/marqué
•
entweder als für sich bestehen,
• soit comme existant par lui-même
•
oder als der Verbalform körperlich, als Hülfsverbum, einverleibt,
• soit comme incorporé à titre de verbe auxiliaire à la forme
verbale,
•
oder als in ihr nur der Idee nach enthalten.
• soit encore comme contenu idéellement dans celle-ci.
Nach diesen drei Abteilungen werden sich die Verschiedenheiten der
verglichenen Sprachen am richtigsten stellen lassen. Nur darf man nicht
vergessen, daβ es wohl keine Sprache geben mag, in welcher nicht die
erste dieser Methoden mit einer der letzten zugleich gebraucht werden
sollte, und daβ in denjenigen Sprachen, welche ein Verbum
substantivum und in ihrer Conjugation Formen mit und ohne Hülfsverba
besitzen, alle diese drei Fälle vorkommen.
Après ces trois sections, il sera possible d’identifier le plus
correctement les différences entre les langues en contraste. Il ne
faut toutefois pas oublier qu’il n’y a probablement aucune langue
dans laquelle le premier de ces procédés ne serait pas employé
simultanément à l’un des deux autres et que dans les langues qui
ont un verbum substantivum et qui possèdent dans leur
conjugaison des formes avec et sans auxiliaires, les trois procédés
sont présents.
I.
Wenn der Begriff des Seyns, als für sich bestehend angedeutet
ist.
I. Quand le concept de l’être est indiqué comme existant pour
lui-même
Von den Arten, wie dies geschehen kann, muß ich gleich die
ausnehmen, wo es ein wirkliches, das Verbum substantivum
ausmachendes Wurzelwort giebt. Denn da dies, wie jedes andere
Stammwort, die Verbalform annehmen muß, so tritt es in einen der
Parmi les différentes manières dont cela peut se réaliser, je dois
immédiatement les cas où il y a un véritable mot-racine constituant
le verbum substantivum. Car puisque celui-ci doit accueillir la
forme verbale comme tout autre mot de base, il relève de l’un des
32
beiden andren Fälle. Es enthält das Seyn entweder als ein Hülfsverbum,
wie in unsren : ich bin gewesen, oder in der bloßen Form, wie im
einfachen : ich bin. Wenn man bedenkt, daß wohl die Verba substantiva
aller Sprachen ursprünglich von dem Begriff eines concreten Zustandes
ausgehen, und auf diesen nur den allgemeinen des Seyns übertragen, so
leuchtet dies noch mehr ein.
deux autres cas. Il contient l’être soit comme verbe auxiliaire,
comme dans notre ich bin gewesen, ou dans la forme nue comme
dans le simple ich bin. Si l’on considère que les verba substantiva
de toutes les langues proviennent sans doute du concept d’un état
concret, et ne font que transférer sur celui-là le concept général de
l’être, cela s’éclaire encore plus.
Soll es nun keinen eignen Wurzellaut für das Verbum substantivum
geben und dasselbe doch für sich, nicht in einer andren Verbalform,
angedeutet seyn, so muß diese Andeutung entweder nur durch die
Stellung der, das Verbum regierenden, und von ihm regierten Worte
geschehen, oder an Sprachelementen, die an sich keine Verba sind,
sondern nur dadurch dazu werden. Im ersteren Fall wird das Verbum
substantivum nur hinzugedacht, im andren stellt es sich in einem eignen
Worte, aber ohne Wurzellaut dar. [84]
Au cas où il n’y a aucun mot-racine propre pour le verbum
substantivum et où celui-ci doit être désigné en tant que tel et non
dans une autre forme verbale, il faut y pallier soit par la disposition
des mots régissant le verbe et régis par lui, soit à l’aide de
constituants de langue qui en soi ne sont pas des verbes mais qui le
deviennent de ce fait. Dans le premier cas le verbum substantivum
n’est évoqué qu’au surplus, dans le second il se présente dans un
mot qui lui est propre, mais sans racine exprimée.
1.
1.
Wenn das Seyn hinzugedacht wird.
Quand l’être est pensé à titre complémentaire.
Die Nebeneinanderstellung eines Adjectivs und Substantivs, mit
ausgelassenem Verbum substantivum ist in den hier verglichenen
Amerikanischen Sprachen eine der gewöhnlichsten Arten, Sätze zu
bilden.
La juxtaposition d’un adjectif et d’un substantif, en l’absence d’un
verbum substantivum, est l’un des procédés les plus usuels dans les
langues américaines comparées ici pour former des phrases.
Mexikanisch : in Pedro qualli, der Peter (ist) gut.
Mexicain :In Pedro qualli, Pierre (est) bon.
Totonakisch : aquit chixco, ich (bin) Mensch.
Totonaque : aquit chixco, je (suis) homme.
Huastekisch : naxe uxum ibaua tzichniel, dieses Weib (ist) nicht deine
Magd.
Aztèque : naxe uxum ibaua tzichniel, cette femme n‘(est) pas ta
servante.
In einigen Sprachen kann nicht jedes Praedikat mit einem Subject auf
diese Weise verbunden werden, sondern nur Verbalien, oder gar
Participien.
Dans certaines langues, seuls certains prédicats peuvent se
combiner avec un sujet de cette manière, à savoir les verboïdes ou
même les participes.
33
Das Subject kann auch, statt eines Nomen, ein Pronomen, entweder ein
selbstständiges, oder ein affigirtes seyn. In diesem letzten Fall
vorzüglich wächst die Verwandschaft dieser Bezeichnungsart mit einer
Verbalform. Denn auch eine solche wird da, wo keine
Tempuscharakteristik hinzutritt, nur durch die Verbindung von einem
Attributivum, und einem Pronomen gebildet.
Au lieu d’un nom, le sujet peut aussi être un pronom, soit
indépendant soit affixé. Dans ce dernier cas, la parenté de ce mode
de désignation avec une forme verbale devient patente. Car, là où
aucun trait de temps ne s’ajoute, une telle forme se constitue par la
simple association d’un attribut avec un pronom.
Indeß ist das Verbum, als abgesonderter Redetheil nicht vorhanden,
wenn, wie auch die Form sonst sey, auf die hier betrachtete Weise ein
Verbum aus jedem Wort, nicht bloß mit den in der Sprache zu Verben
gestempelten gemacht werden kann, oder mit solchen ausdrücklich die
Charakteristik des Nomen an sich behalten, und ich verweise daher alle
diese Fälle in diese Classe.
Cependant le verbe est absent en tant que partie du discours
distincte quand, quelle que soit la forme, un verbe peut être
construit à partir de n’importe quel mot de la manière envisagée ici
et non seulement à l’aide de ceux estampillés comme verbes dans
la langue ou quand ces derniers conservent expressément le
caractère d’un nom, et je range donc tous ces cas dans cette même
classe.
Denn in allen diesen giebt es noch in der That kein Verbum, sondern
nur abgesonderte Sprachelemente mit ausgelassenem Verbum.
Car dans tous ces cas il n’y a effectivement pas encore un verbe,
mais seulement des constituants de langue en l’absence de tout
verbe.
Interessant aber werden diese Fälle, weil in ihnen eine stufenweise
Annäherung zum Verbum und mithin das Trachten des Sprachinstincts
nach dem Erreichen der grammatischen Form sichtbar ist.
Mais ces cas deviennent intéressants, parce qu’en eux se perçoit un
rapprochement progressif du verbe et ainsi la tendance de l’instinct
linguistique à modeler une forme grammaticale.
Die affigirten Pronomina sind nun entweder eigne, nur dieser
Wortstellung gewidmete, oder zwar auch sonst in der Sprache, aber
nicht beim Verbum, oder nicht so gebräuchlich, oder die PronominalAffixa des Verbum selbst.
Les pronoms affixés sont des formations soit proprement
consacrées à cette seule disposition des mots soit présentes ailleurs
dans la langue mais pas auprès du verbe, ou bien ils sont moins
usuels ou encore ce sont les affixes pronominaux du verbe.
Die Mayische, oder Yucatanische Sprache hat ein eignes Pronomen,
welches, zu jedem Nomen gestellt, mit demselben einen Satz bildet, und
also die Kraft besitzt, den Begriff des Verbum einzufügen. Pedro en, ich
bin Peter. So wie es aber, ohne Praedicat, steht, verliert esdiese Kraft,
La langue maya ou youcatèque a un pronom particulier, qui
juxtaposé à tout nom, forme avec celui-ci une phrase et a donc la
capacité d’introduire le concept de verbe. Pedro en, je suis Pierre.
Mais dès qu’il se présente sans prédicat, il perd cette capacité et en
34
und en allein kann nicht : ich bin heißen.
à soi seul ne peut pas signifier je suis.
In der Betoischen Sprache giebt es zwar kein eignes Pronomen hierfür,
da das gebrauchte auch als Besitzpronomen dient. Aber die Stellung
bringt den Unterschied hervor ; denn praefigirt ist dies Pronomen, das
sich übrigens wenig von dem persönlichen, selbständigen unterscheidet,
das Besitzpronomen, suffigirt ist es das die Verbalkraft enthaltende ;
humanirru, Mensch (bin) ich, fofeirru, böse (bin) ich. Auf die gleiche
Weise bildet diese Sprache ein Verbum substantivum, ajoirru. Die
Bedeutung der Stammsilbe wird nicht angegeben, sie scheint aber ein
Etwas, ein Vorhandenes anzuzeigen. Ausdrucksvoll ist es noch, daß in
dieser Wortstellung der Accent immer auf das Pronomen gelegt wird,
als wolle man andeuten, daß dies dabei die Hauptsache sey.
Dans la langue bétoïque il n’y a sans doute pas de pronom
particulier pour cela, car celui qui est employé sert aussi de
pronom possessif. Mais la disposition marque la différence; car,
préfixé, ce pronom, qui se distingue d’ailleurs à peine du pronom
personnel autonome, c’est le pronom possessif, et suffixé il est ce
qui détient la force verbale; humanirru, homme je (suis), fofeirru,
méchant je (suis). De la même manière cette langue forme un
verbum substantivum, ajoirru. Le sens de la syllabe de base n’est
pas exprimé, mais elle semble évoquer quelque chose d’existant. Il
est également significatif que dans cet ordre des mots l’accent
porte toujours sur le pronom, comme si l’on voulait indiquer que
c’est là l’essentiel.
Daß das Nomen (um den Besitz) und das Verbum (um das Subject
anzuzeigen) sich desselben Pronomens bedienen, ist in den
Amerikanischen Sprachen sehr häufig. Man kann es daraus erklären,
daß die Handlung als ein Besitz des Handelnden angesehen werden
kann. Einfacher aber ist es anzunehmen, daß in beiden Fällen an die
Verbindung der Person mit dem Nomen, oder Verbum gedacht, und
diese Beziehung, wie sie der Sinn fordert, genommen wird, denn daß
man den Begriff bis zur Schärfe grammatischer Unterscheidung bringe.
Que le nom (pour la possession) et le verbe (pour indiquer le sujet)
se servent d’une même pronom, ce la se rencontre très
fréquemment dans les lensuges américaines. On peut l’expliquer
par le fait que l’action peut être vue comme une possession de
l’agent. Mais il est plus simple d’admettre que dans les deux cas
on pense au lien entre la personne et le nom ou le verbe et qu’on
saisit cette relation comme l’exige le sens, plutôt que de raffiner le
concept jusqu’aux distinctions grammaticales.
Der Nutzen, welchen die hier genannten Sprachen durch diese Bildung
von Sätzen vermittelst einer Auslassung des Verbum erreichen, ist ein
doppelter.
Le bénéfice que réalisent les langues sus-nommées en formant des
phrases moyennant l’omission du verbe est double.
Sie können einmal dadurch jedes beliebige Nomen in ein Verbum
verwandeln, oder wenigstens, als solches, behandeln. Dies geschieht
nun zwar auch durch ein wirkliches Verbum substantivum, wo ein
Elles peuvent d’une part transformer ainsi quelque nom que ce soit
en un verbe ou du moins le traiter comme tel. Certes, cela se fait
aussi à l’aide d’un véritable verbe substantivé, quand il en existe
35
solches vorhanden ist, aber da diese Sprachen, wie wir gesehen, das
Nomen zum Theil mit den Flexionssilben des Verbum selbst verbinden,
so geht diese Freiheit viel weiter.
un, mais étant donné que ces langues, comme nous l’avons vu,
associent le verbe pour une part avec les syllabes flexionnelles du
verbe lui-même, cette liberté va beaucoup plus loin.
Der zweite Vortheil dieser Bezeichnungsart ist, daß wo es darauf
ankommt, die zweifache Art des Verbum, wo es in der einen ein
energisches Attributiv zur Basis hat, in der andren bloß das
Zusammengehören eines Praedicats mit seinem Subject, einer Sache
und der in ihr ruhenden Eigenschaft, deutlich von einander zu
unterscheiden, dies viel besser auf diese Weise geschieht, als selbst
durch ein ausdrückliches Verbum substantivum, das durch seine
vollständige Verbalform immer an ein energisches Attribut erinnert.
Le second avantage de ce mode de désignation est que, là où il
importe de distinguer clairement les deux facettes de la nature
bivalente du verbe, qu’il ait tantôt pour base un attributif
énergique, ou tantôt seulement la concordance entre un prédicat et
son sujet, entre une chose et sa qualité intrinsèque, cela se
matérialise bien mieux de cette façon que par un verbe
explicitement substantivé, lequel rappelle toujours un attribut
énergique par sa forme verbale complète.
Mehrere der hier genannten Sprachen verbinden zwar auch mit diesen
Wortstellungen, freier oder beschränkter, Partikeln der tempora und
somit ist in ihnen die Absonderung nicht rein. Aber in andren ist dies
nicht der Fall. In der Betoischen und Mayischen namentlich entsteht
durch die gewöhnliche Conjugation, und die mit dem Pronomen, eine
zweifache Conjugation mit, und ohne Zeitbestimmung, und da in diesen
beiden Sprachen das Praesens der wahren Conjugation, auch als tempus,
eine Charakteristik hat, so entsteht durch die andere Art der Conjugation
ein abgesonderter Aorist des Praesens, desgleichen die cultivirten
Sprachen nicht auf gleich bequeme Weise bilden können.
Certes, plusieurs des langues mentionnées ici associent des
particules temporelles à ces ordres de mots, libres ou contraints, et
de ce fait dans ces dernières la discrimination est imparfaite. Mais
dans d’autres ce n’est pas le cas. Dans le bétoïque et le maya
notamment on est en présence, par la conjugaison habituelle et
celle associée au pronom, d’une double conjugaison avec et sans
dimension temporelle et comme dans ces deux langues le présent
de la véritable conjugaison est également caractérisé comme un
temps, le second type de conjugaison délivre un présent à valeur
aoristique distincte, tel que les langues cultivées ne peuvent pas en
former aussi commodément.
36
2. Wenn das Seyn in einem eigenen Worte, aber ohne Wurzellaut
dargestellt wird.
2. Quand l’être est représenté par un mot spécifique, mais sans
expression sonore de la racine
Obgleich die hier ausgedrückte Annahme auf den ersten Anblick
etwas räthselhaft klingt, so sieht man doch bald, daß, wenn das Seyn
ohne Wurzellaut, in einem Wort dargestellt werden soll, dies nur durch
die Charakteristik der Person, mithin das Pronomen, mit oder ohne
Tempus-Charakteristik seyn kann.
Bien que l’hypothèse exprimée ici semble a priori quelque peu
énigmatique, on voit cependant bientôt que lorsque l’être doit être
représenté dans un mot sans expression sonore de la racine,cela ne
peut se faire que par la marque de personne, donc par le pronom,
avec ou sans caractérisation du temps.
Wirklich verhält es sich nun in zwei Sprachen auf diese Weise, in der
Mayischen und der Yarurischen.
Cela se passe effectivement ainsi dans deux langues, le maya et le
yaruro.
Von der Mayischen haben wir oben gesehen, daß sie ein eignes
Pronomen besitzt, um mit dem Begriff der Person ein Praedicat in
einem Satz zu verbinden. Es giebt aber in ihr auch ein andres, welches
für sich, und allein stehend den Verbalbegriff mit sich führt, und von
dem jede Person sowohl die Bedeutung der Pronomen, als des Verbum
substantivum hat ; ich und ich bin, du und du bist u.s.f. Es wird aber
nicht allein auf diese Weise im Praesens abgewandelt, sondern nimmt
auch die Kennzeichen der tempora an. Von dem zweiten, früher
erwähnten Pronomen derselben Sprache unterscheidet es sich in den
beiden ersten Personen des Sing. und Plur. (die dritten kommen von
einem andren Stamm) nur durch ein hinzu kommendes t,
folgendergestalt.
À propos de la langue maya nous avons vu plus haut qu’elle
possède un pronom propre pour associer dans une phrase un
prédicat à la notion de personne. Mais il y a aussi en maya un autre
pronom qui véhicule en lui-même et à soi seul la notion verbale et
dont chaque personne a à la fois le sens du pronom et celui du
verbe substantivé ; ‘moi et je suis’, ‘toi et tu es’, etc. Mais ce n’est
pas isolément qu’il se convertit en présent, mais en prenant les
marques de temps. Il ne se distingue du second pronom, mentionné
plus haut, de la même langue dans les deux premières personnes
du sing. et du plur. (les troisièmes personnes viennent d’un autre
radical) que par un t suffixé de la manière qui suit :
Pronomen das mit einem Praedicat den Verbalbegriff verbindet
Pronom associant la notion verbale avec un prédicat
1. en
ten
2. ech
tech
3. lailo
lai
37
4. o
toon
5. ex
teex
6. ob
loob
Diese Ähnlichkeit leitet auf den Gedanken, daß in dem t ein wirklicher
Wurzellaut liegen könne, und so scheint Alles zusammen zu treffen, um
dies Wort nicht für ein Pronomen, sondern für ein wirkliches Verbum
substantivum zu halten. Doch liefe dies immer auf Eins hinaus. Denn
die Thatsache ist nicht zu läugnen, daß dies Wort zugleich als bloßes
Pronomen und Verbum subst. dient, und bald so, bald anders gebraucht
wird. In der Uebersetzung des Vater-Unser kommt toon deutlich als
bloßes Pronomen vor. Wenn t ein Wurzellaut ist, so kann er dies auch
vom Pronomen seyn. Es giebt sichtbar solche in einigen Sprachen. In
der Maipurischen z. B. finden sich die Ausdrücke für die 3.pers.sing.
durch alle andre Personen hindurch wieder, eben als hieße dieser Laut
die Person, der Mensch überhaupt, und die Pronomina der andren
Personen in dieser Zusammensetzung die Ich-Person, die Du-Person
u.s.f.
Cette ressemblance conduit à penser que le t pourrait correspondre
à un véritable son radical et tout semble ainsi converger pour
concevoir ce mot non pas comme un pronom mais comme un
véritable verbum substantivum. Mais cela reviendrait toujours au
même. Car il est indéniable que ce mot opère à la fois comme
pronom et comme verbum substantivum et est employé tantôt
comme ceci et tantôt comme cela. Dans la traduction du Notre
Père toon figure clairement comme un simple pronom. Si t est un
son radical, il peut l’être aussi en tant que pronom. Visiblement, il
en existe dans quelques langues. Dans la langue de Maipure par
ex. les expressions de la 3e pers.sing. se retrouvent dans toutes les
autres personnes, comme si ce son avait pour sens la personne,
l’être humain en général, et les pronoms des autres personnes
signifiant dans cette combinaison la personne-je, la personne-tu,
etc.
In der Sprache der Achagua haben die Pronomina aller Personen den
nemlichen Wurzellaut, der aber nicht, wie in der Maipurischen, in der 3.
pers.sing. allein steht, sondern auch in ihr, wie in den übrigen Personen,
mit einem Affixum verbunden ist.
Dans la langue des Achagua les pronoms de toutes les personnes
ont ce même son radical, lequel ne figure pas seul à la 3e pers.sing,
comme dans le maipure mais est lié à un affixe à toutes les
personnes, celle-ci comprise.
Auf jeden Fall aber leistet dies Mayische Pronomen vollständig die
Dienste eines Verbum substantivum, und es giebt kein anderes in der
Sprache.
Mais dans tous les cas ce pronom maya assure pleinement les
fonctions d’un verbe substantivé et il n’y en a pas d’autres dans la
langue.
Es ist auch sehr begreiflich, daß in der Vorstellungsweise roher Völker
Il est aussi aisément compréhensible que dans le mode de
38
der Begriff eines Gegenstandes und besonders einer Person gar nicht so
getrennt seyn kann von dem Begriff seines Daseyns. Dies findet auch
auf die vorigen angeführten Wortstellungen Anwendung. Wo uns eine
harte und ungrammatische Auslassung des Verbum zu seyn scheint, ist
bei jenen Völkern vermuthlich ein dunkles Zusammendenken, ein
Nichtunterscheiden des Gegenstandes vom Seyn. Vermuthlich rührt es
auch daher, daß in einigen Amerikanischen Sprachen jedes Adjectivum
so zusammengesetzt ist, daß es nicht sowohl den bloßen Begriff, als
vielmehr den Ausspruch enthält : es ist so und so beschaffen. [88]
représentation de peuples rustres le concept d’un objet et
spécialement d’une personne ne puisse pas être séparé de celui de
son existence. Cela s’applique aussi aux ordres des mots
mentionnés plus haut. Là où il semble y avoir une omission du
verbe brutale et contraire à la grammaire, il y a probablement chez
ces peuples une sombre confusion de l’esprit, une absence de
distinction entre l’objet et l’être. Cela tient probablement aussi au
fait que dans certaines langues américaines tout adjectif est
composé de telle sorte qu’il ne contient pas seulement le simple
concept, mais plutôt son expression : il a telle et telle propriétés.
In der Yarurischen Sprache wird die Abwesenheit eines Wurzellaut,
welcher seyn bedeutete, noch sichtbarer. Jede Person des Pronomens
macht ein verschiednes Wort, und kein Buchstabe ist allen
gemeinschaftlich. Auch ist das Pronomen, welches die Verbalkraft
besitzt, bis auf kleine Verschiedenheiten, dasselbe, als das selbständige
persönliche. Die Kennzeichen der tempora werden ihm praefigirt. So
heißt que , ich bin, ri-que, ich war u.s.f. Dies ri aber ist nichts andres,
als eine Partikel, welche ein Entfernen von einem Gegenstand
ausdrückt, und unsrem von entspricht. Ui-ri-di, es war Wasser da,
wörtlich : Wasser fern es.
Dans la langue yaruro, l’absence d’un son radical destiné à
signifier être est encore plus visible. Toute personne du pronom est
exprimée par un mot différent, et aucun caractère n’est commun à
toutes. Et à de minces différences près, le pronom qui détient la
force verbale est le même que le pronom personnel indépendant.
Les caractères des temps lui sont préfixés. Ainsi que signifie ‘je
suis’, ri-que, ‘j’étais’, etc. Mais ce ri n’est rien d’autre qu’une
particule qui exprime l’éloignement par rapport à un objet et qui
correpond à notre de. Ul-ri-di ‘il y avait de l’eau’, littéralement :
eau-loin-cela.
Streng genommen sind die beiden hier erklärten Verbalbezeichnungen
mit den im Vorigen aufgeführten einerlei. Auch hier wird das Verbum
hinzugedacht. Der Unterschied aber besteht darin, daß die Pronomina
hier für sich allein schon das Seyn bedeuten, und es also gleichsam in
sich enthalten, statt daß in jenen Fällen der Begriff davon erst durch das
Zusammentreten eines Subjects und Praedicats geweckt wird. Auch
kommt noch dazu, daß, besonders in der Mayischen Sprache, ein eignes,
und nur dies Pronomen (indem es mehrere giebt, welche die Yarurische
À strictement parler, les deux désignations verbales identifiées ici
sont identiques à celles mentionnées plus haut. Ici aussi le verbe se
conçoit au surplus. Mais la différence tient à ce que les pronoms
signifient ici l’être par eux-mêmes, au lieu dans les autres cas le
concept de l’être ne vient à l’esprit qur par la coexistence d’un
sujet et d’un prédicat. À cela s’ajoute le fait que, surtout dans la
langue maya, un pronom particulier, et seul celui-là, possède cette
propriété (tandis qu’il en existe plusieurs dont la langue yaruro est
39
nicht hat) diese Eigenschaft besitzt. Wie die Formen nun sind, sehen
diese vollkommen einem wahren Verbum ähnlich, und wenn man dies
que und ten als bloße Verba subst. vorstellte, so würde der, welcher ihre
Elemente nicht untersuchte, sie ebenso für wahre Verba annehmen, als
die Sanskritischen bhu und as, das Griechische ἐιμì, und lat. sum. Das
Beispiel dieser Sprachen kann auch bei der Analyse der Wörter, welche
andre Sprachen als Verb. subst. brauchen, dienen, und lehren, daβ nicht
nothwendig in denselben ein gemeinschaftlicher Wurzellaut gemacht zu
werden braucht.
dénuée). Telles que les formes se présentent, celles-ci ressemblent
pleinement à un véritable verbe et si on présentait ces que et ten
comme de simples verbes substantivés, celui qui ne les analyserait
pas en éléments les prendrait également pour de véritables verbes,
tout comme le sanscrit bhu et as, le grec ἐιμì et le latin sum.
L’exemple de ces langues peut aussi servir pour analyser les mots
dont d’autres langues ont besoin comme verbes substantivés et
nous apprendre que dans celles-ci on n’a pas nécessairement
besoin d’un son radical commun.
II.
II.
Wenn der Begriff des Seyns dem Verbum körperlich in der
Form eines Hülfsverbum einverleibt ist.
Quand le concept de l’être est incorporé au verbe sous la
forme d’un auxiliaire.
Hülfsverba treten entweder nur für einzelne tempora ein, oder bilden die
ganze Conjugation. Das erstere entsteht aus zufälligen, sich nur auf
diese tempora, nicht auf die Bildung des Verbum allgemein
beziehenden Ursachen. Das letztere findet sich leicht, wenn [89] ein
einmal vorhandenes Verbum subst. die Bequemlichkeit darbietet, jedes
andre Verbum durch bloβe Verbindung mit ihm zu bilden. Bisweilen
aber zeigt die Conjugation durch ein Hülfsverbum auch an, daβ der
Sprachsinn der Nation in dem Verbum, auβer den Kennzeichen der
Personen und Tempora, noch etwas, die Verbalkraft selbst anzeigendes
sucht, und darum zu einem allgemeinen Verbum seine Zuflucht nimmt.
Dies kann zwar selbst doch nur aus jenen Elementen und dem
Wurzellaute bestehen. Aber der Mangel, dem abgeholfen werden soll,
ist alsdann doch in der Sprache nur einmal, und kehrt nicht in jedem
Verbum wieder.
Les auxiliaires interviennent soit seulement pour des temps
particuliers, soit pour toute la conjugaison. Le premier cas se
présente pour des raisons accidentelles relatives à ces seuls temps
et non à la formation du verbe en général. Le second se rencontre
aisément quand un verbe une fois substantivé offre la commodité
de former tout autre verbe par une simple association avec celui-ci.
Mais occasionnellement la conjugaison à l’aide d’un auxiliaire
indique aussi que le sens linguistique de la nation cherche dans le
verbe, outre les marques des personnes et des temps, quelque
chose d’autre qui indique le potentiel verbal lui-même et qu’il se
réfugie pour cela dans l’emploi d’un verbe général. Celui-ci peut
certes se composer uniquement de ces éléments et du son radical.
Mais le défaut qu’il faut compenser ne se présente alors qu’une
fois dans la langue et ne se reproduit pas pour chaque verbe.
Ein treffendes Beispiel hierzu giebt die Mayische Conjugation. Bei ihrer
Zergliederung stöβt man auf ein Element, das weder zur Wurzel gehört,
noch Kennzeichen einer Person, eines tempus, oder Modus ist, und
Un exemple pertinent nous est fourni sur ce point par la
conjugaison maya. En la décomposant on rencontre un élément qui
n’appartient pas à la racine et qui n’est pas non plus une marque
40
wenn man ihre Verschiedenheiten und Umänderungen vergleicht, so
trifft man durchaus eine groβe Sorgfalt an, auch die eigentliche
Verbalkraft in der Form des Verbum auszudrücken.
d’une personne, d’un temps ou d’un mode, et quand on compare
leurs différences et leurs transformations, on est en présence d’une
grande minutie, même pour exprimer le potentiel proprement
verbal sous la forme du verbe.
Die Conjugation in der Sprache Maya wird durch Anfügung des
Pronomen, und der Charakteristik der tempora und modi an das
Stammwort gebildet. Das Pronomen ist, nach einem weiter unten zu
bestimmenden Unterschiede, entweder das Besitzpronomen, oder
dasjenige, welches ohne für sich mit Verbalkraft versehen zu seyn, sie
dann erhält, wenn sie ein Praedicat zu einem Satz an dasselbe
anschlieβt.
La conjugaison dans la langue maya procède par agglutination du
pronom et des marques des temps et des modes au mot radical. Le
pronom est, selon un trait différentiel à déterminer plus bas, soit le
pronom possessif soit celui qui, sans être pourvu en soi d’un
potentiel verbal, le recueille quand la conjugaison forme une
phrase en adjoignant un prédicat à celui-ci.
Auβerdem aber begleitet alle Verba, im Praesens und Imperfectum das
Suffixum cah, und alle transitiven durch die übrigen Tempora, auβer
dem Futurum, hindurch das Suffixum ah ; Praes. 1. Pers.Sing. canan-incah, ich bewache. Imperf. 1 Pers. s. canan-in-cah-cuchi. Perf. 1.
Pers.Sing. in-canan-t-ah. In ist das Besitzpronomen, cuchi, die
Charakteristik des Imperfectum, das t im Perfectum ein euphonischer
Buchstabe.
Par ailleurs tous les verbes sont accompagnés au présent et à
l’imparfait du suffixe cah, et tous les verbes transitifs le sont aux
autres temps, hormis le futur, du suffixe ah ; Prést 1ère pers.sing.
canan-in-cah, je garde. Imparf. 1ère pers.sg. canan-in-cah-cuchi.
Parfait 1ère pers.sg. in-canan-t-ah. In est le déterminant possessif,
cuchi, la caractéristique de l’imparfait, le t au parfait une lettre
euphonique.
Der Begriff der transitiven Verba wird hier etwas enger, als gewöhnlich
genommen. Man versteht darunter nemlich nur diejenigen, die ein
andres auβer ihnen stehendes Wort, als ihren Gegenstand, regieren. Alle
übrigen heiβen intransitiva, folglich auch diejenigen, die an und für sich
Activa sind, aber entweder keinen bestimmten Gegenstand haben (wie
ich liebe, hasse u.s.f.) oder das von ihnen regierte Wort im Verbum
selbst enthalten, auf ähnliche Weise als die Griechischen ὀικοδομέω,
La notion de verbe transitif est ici plus limitée qu’on ne la conçoit
habituellement. On entend en effet par là les seuls verbes qui
régissent un autre mot indépendant comme leur objet. Tous les
autres sont appelés intransitifs, et par conséquent aussi ceux qui
sont en eux-mêmes des verbes actifs mais qui soit n’ont pas
d’objet déterminé (comme j’aime, je hais, etc.), soit contiennent
dans le verbe même le mot régi, d’une manière analogue aux
41
ὀικουρέω. Da diese einen zweiten Accusativ regieren können, so wird
bei ihnen in der That der ihnen einverleibte Gegenstand gleich in ihren
Begriff mit aufgenommen.[2]
verbes grecs ὀικοδομέω, ὀικουρέω [Je construis une maison ; je
garde la maison]. Comme ceux-ci peuvent régir un second
accusatif, l’objet incorporé en eux fait réellement partie intégrante
de leur notion[1].
Die tempora der intransitiven Verba, auβer dem Praesens und
Imperfectum, sind, indem sie ah und das Besitzpronomen wegwerfen,
mit demjenigen Pronomen verbunden, welches mit einem Praedicat für
sich Sätze bildet.
Comme les temps des verbes intransitifs, hormis le présent et
l’imparfait, rejettent ah et le déterminant possessif, ils sont liés au
pronom destiné à former des phrases en combinaison avec un
prédicat.
Es giebt Fälle, wo das Praesens nicht nur das Suffixum cah, sondern wo
sogar das Stammwort, wenn es, wie bei vielen Verben der Fall ist, ein
ah zur Endsilbe hat, diese verliert, und an anderer Stelle ic gesetzt wird.
Die Bedeutung ändert sich dann auch, und deutet ein gewöhnliches, zur
Eigenschaft gewordenes Handeln an. Da nun ic auch Charakteristik
eines Gerundium genannt wird, so scheint diese ganze Umänderung die
Verwandlung des Verbum in ein Verbale zu seyn, und alsdann muβ, um
die Abwandlung zu bewirken, mit solchem Worte dasjenige Pronomen
verbunden werden, welches zugleich als Verbum subst. dient ; ten
yacunic, ich liebe, eig. ich bin liebend.
Il y a des cas où le présent ne perd pas seulement le suffixe cah,
mais où le mot radical lui-même, quand il a un ah en syllabe finale
(ce qui est le cas pour beaucoup de verbes) perd celle-ci, tandis
qu’en position différente on ajoute ic. La signification aussi change
alors et implique une action habituelle devenue une propriété.
Comme ic est également appelé un trait caractéristique du
dérondif, cette transformation semble revenir à la mutation d'un
verbe fini en un verbe non fini et dès lors, pour déclencher la
transformation, un tel mot doit être adjoint au pronom qui sert
simultanément de verbe substantivé; ten yacunic, j'aime, litt. je suis
aimant.
Was cah und ah für sich bedeuten, erfährt man nicht. Da wo cah zum
Stamm einiger Verba selbst gehört, drückt es Heftigkeit aus. Ah ist, als
Vorsilbe, Charakteristik des männlichen Geschlechts, der Bewohner
eines Ortes, endlich der von Activverben gemachten Nomina. Hiernach
scheint es ursprünglich Person, Mann, angedeutet zu haben, dann
Pronomen und endlich Affixum geworden zu seyn. Merkwürdig ist, daβ
zwischen ah und cah derselbe Unterschied ist, als zwischen en und ten.
Das c könnte daher wohl auch ein Wurzellaut seyn. In der Conjugation
wird cah ganz wie ein Verbum behandelt. Denn das Besitzpronomen
Ce que cah et ah signifient en eux-êmes, on n’en sait rien. Là où
cah est partie intégrante du radical de certains verbes, il exprime
l’impétuosité. Comme syllabe initiale, ah caractérise le genre
masculin, l’habitant d’un lieu, et enfin il désigne les noms formés à
partir de verbes actifs. De ce fait il semble avoir marqué
originellement la personne, l’homme, puis être devenu un pronom
et finalement un affixe. Il est à noter qu’il y a entre ah et cah la
même différence qu’entre en et ten. Le c pourrait donc être aussi
un son radical. Dans la conjugaison, cah est traité tout à fait
42
wird in dieser dem Wortstamm immer praefigirt. Da es nun im Praesens
und Imperfectum, wie die obigen Beispiele zeigen, sich hinter das
wahre Stammwort des Verbum, und vor cah stellt, so zeigt sich an
diesem Unterschied von canan-in-cah, und in-canan-t-ah, daβ im er[91]-steren cah, und canan nur im letzteren als Verbum angesehen wird.
Canan-in-cah ist gerade, wie das Englische I do guard.
comme un verbe. Car, dans la conjugaison, le pronom possessif est
toujours préfixé au radical verbal. Étant donné qu’au présent et à
l’imparfait il figure, comme le montrent les exemples ci-dessus,
derrière le véritable radical du verbe et devant cah, il ressort de
cette différence entre canan-in-cah et in-canan-t-ah, que c’est cah
dans la première forme et canan dans la seconde qui est à
considérer comme le verbe. Canan-in-cah est construit de la même
manière que l’anglais I do guard.
Cah also ist ein wahres Hülfsverbum, ten, wo es eintritt, auch, bei en
muβ, seiner Natur nach dies Seyn hinzugedacht werden, ah scheint ihm
gleich, was es auch seyn möge, so begleitet es in der Conjugation bloβ
transitive Verba, ist dann Charakteristik, und enthält also die
Verbalkraft des Seyns in sich. Daβ wirklich cah und ah diese Function
in der Sprache besitzen, zeigt sich auch daraus, daβ sie niemals da
gebraucht werden, wo schon eins der beiden, immer mit dem Begriffe
des Seyns verbundenen Pronomina vorhanden ist.
Donc cah est un véritable auxiliaire, il en est de même de ten là où
il se présente ; pour en il faut, conformément à sa nature,
s’imaginer en plus l’idée d’ “être”, ah semble également partager
cette propriété, quelle qu’elle puisse être, il accompagne la
conjugaison des seuls verbes transitifs, il se comprend alors
comme un marqueur et il contient en lui-même la force du verbe
“être”. Que cah et ah possèdent effectivement cette fonction dans
la langue, cela ressort du fait qu’ils ne sont jamais employés là où
figure déjà l’un des deux pronoms toujours liés à la notion d’être
[en / ten].
Die bestimmten Resultate dieser Auseinandersetzung sind daher :
Les résultats précis de cette discussion sont par conséquent :
1) daβ die Mayische Sprache in ihrer Conjugation, auβer den
Beugungssilben der Personen und Tempora, noch ein andres
Element besitzt, welches den Begriff des Seyns deutlich mit sich
führt.
1)
que la langue maya possède dans sa conjugaison, outre les
syllabes de flexion des personnes et des temps, un autre
élément, qui véhicule la notion de l’être ;
2) daβ diese Sprache ein Bemühen zeigt, in dem Verbum, auβer den
andren Bestimmungen desselben, auch eine synthetische Kraft zu
bezeichnen, welches um so sichtbarer ist, als sie sich dazu, nach
Verschiedenheit der Fälle, verschiedener, aber zum gleichen Zweck
2)
que cette langue manifeste dans le verbe un effort pour
désigner un potentiel de synthèse, indépendamment de ses
autres déterminations ; cet effort est d’autant plus visible que
la langue use pour cela selon les différents cas, de moyens
43
führender Mittel bedient.
différents mais destinés à une même fin.
Noch einfacher, und in die Augen fallender bildet die Yarurische
Sprache ihre ganze Conjugation durch ein Hülfsverbum.
Plus simplement et plus visiblement, la langue yaruro construit
toute sa conjugaison à l’aide d’un auxiliaire.
Die Verbindung des Pronomen, und der Kennzeichen der Tempora,
welche, wie wir im Vorigen sahen, das Verbum subst. bildet, macht, den
Stammwörtern suffigirt, auch die Flexionssilben der einzigen und
ganzen Conjugation der attributiven Verba aus, nur daβ noch die
selbständigen Pronomina vorgesetzt werden. Weder die Stammwörter,
noch jenes Hülfsverbum leiden dabei irgend eine Veränderung. Die
Verbindung bleibt aber dem ungeachtet immer nur locker, und wo
Person und Zeitbezeichnung von selbst aus dem Zusammenhange
hervorzugehen scheint, wird das Hülfsverbum auch wohl weggelassen.
L’association du pronom et des marques de temps, qui comme
nous l’avons vu plus haut, constuit le verbe substantivé quand elle
est suffixée aux mots radicaux, constitue aussi les syllabes de
flexion de la seule conjugaison des verbes attributifs mais en
totalité, à cela près que les pronoms autonomes sont placés avant.
Ce faisant, ni les mots radicaux ni cet auxiliaire ne subissent le
moindre changement. Mais indépendamment de cela l’association
reste toujours lâche, et là où la personne et la référence temporelle
semblent résulter directement du contexte, l’auxiliaire peut aussi
être omis.
Die Bildung einzelner Tempora durch Hülfsverba ist auch in den
Amerikanischen Sprachen häufig vorhanden.
La formation des différentes temps à l’aide d’auxiliaires se
présente fréquemment aussi dans les langues américaines.
Ich erwähne aber hier nur eines, auch in andrer Beziehung
merkwürdigen Falles dieser Art in der Totonaka-Sprache.
Mais je ne mentionnerai ici qu’un cas de ce type dans la langue
totonaque, qui est remarquable aussi d’un autre point de vue.
Die Kennsilbe eines der beiden Perfecta, welche diese Sprache [92]
besitzt, ist nit, und niy heiβt sterben. Es ist nicht unwahrscheinlich, daβ
jenes Affixum von diesem Verbum stammt, Tod und Vernichtung sind
passende Begriffe für den Ausdruck der Vergangenheit, und andre
Sprachen bedienen sich daher verneinender Partikeln zu
Charakteristiken des Praeteritum. In der Tamanakischen ist zwar nicht
gerade dies der Fall, aber die Verneinungspartikel puni zu einem Worte
gesetzt, das etwas Lebendiges bezeichnet, bedeutet, daβ dasselbe
gestorben ist ; papa puni (wörtlich : Vater nicht) der verstorbene Vater.
In der Sprache der Omagua heiβt dasselbe Wort alt, vergangen, und
La syllabe identifiant l’un des deux parfaits que possède cette
langue est nit et niy signifie “mourir”. Il n’est pas invraisemalbalbe
que cet affixe provienne de ce verbe, la mort et l’anéantissement
sont des notions adaptées à l’expression du passé et c’est pourquoi
d’autres langues usent de particules négatives pour caractériser le
prétérit. Dans la langue tamanaque, ce n’est pas exactement ce qui
se passe, mais la particule de négation puni, adjointe à un mot
désignant quelque chose de vivant, signifie que le [référent de]
celui-ci est mort ; papa puni (litt.père neg), “le père mort”. Dans la
langue des omagua le même mot signifie vieux, passé et absent.
44
nicht vorhanden.
In der Maipurischen und Caribischen Sprache dagegen sind die
Verneinungspartikeln ma und spa zugleich Kennsilben des Praeteritum.
Bopps[3] Vermuthung daβ das Sanskritische Augment ursprünglich das
a privativum sey, wird als o durch die Analogie dieser Sprachen
gestützt. Doch möchte ich darüber nicht entscheiden, da dies, das
Griechische Augment ε, und das Mexicanische o auch vielleicht nur
Lautverlängerungen sind, welche sinnbildlich die Länge der
verflossenen Zeit anzeigen sollen. Auf jeden Fall müβte man die
Verneinung als eine wirkliche Vernichtung, ein Gewesen und nicht
mehr seyn, nicht als eine Verneinung des Praesens ansehen.
Dans les langues maipure et caraïbéenne au contraire les particules
de négation ma et spa marquent simultanément le prétérit. La
présomption de Bopp[2] selon laquelle l’augment du sanscrit serait
originellement le a privatif, est confortée sous la forme o par
l’analogie entre ces langues. Cependant je ne voudrais pas prendre
position sur ce point, car l’augment grec ε et le mexicain o ne sont
peut-être que des allongements des sons destinés à suggérer
symboliquement la longueur du temps qui passe. En tout état de
cause, il faudrait concevoir la négation comme un véritable
anéantissement, un avoir-été et ne plus être, et non comme une
négation du présent.
III. Wenn der Begriff des Seyn’s in der Verbalform nur der Idee nach
vorhanden ist.
III.
Das Verbum besteht in diesem Fall nur aus dem Stammwort, den
Kennsilben der Personen, und denen der Tempora und Modi. Jene sind
ursprünglich Pronomina, diese Partikeln. Ehe nun beide durch die
abschleifende Aussprache ganz zu Affixen geworden sind, kommen
folgende drei Fälle vor :
Dans ce cas le verbe n’est constitué que du mot radical, des
syllabes d’identification des personnes et de celles des temps et des
modes. Les premières sont originellement des pronoms, les
secondes des particules. Avant que les uns et les autres ne se soient
réduits à des affixes par la prononciation relâchée, les trois cas
suivants se présentent :
1) daβ alle jene drei Elemente gleich ausgeschieden, und gleich locker
verbunden sind.
1)
2) daβ eine von beiden, die Bezeichnung der Personen, oder die der
Tempora und Modi eine festere Verbindung mit dem Stammwort
eingegangen, und zur Form geworden ist, die andre aber nur
2) L’une des deux désignations, celle de la personne ou bien celle
des temps et des modes peut s’être engagée dans une
association plus étroite avec le mot radical et avoir engendré
45
Quand la notion de l’être n’est présente qu’idéalement dans
la forme verbale
Ces trois éléments peuvent être identiquement dissociés et
reliés de manière identiquement lâche.
phrasenartig daran angeschlossen wird.
une forme, l’autre n’y étant rattachée que par un lien
phraséologique.
3) daβ beide Bezeichnungen gleich fest mit dem Stammwort
zusammengeschmolzen sind, und das Ganze sich einer wahren
grammatischen Form nähert, wenn es auch dem Begriffe derselben
nicht volle Genüge leistet.
3) Les deux désignations peuvent avoir fusionné aussi étroitement
avec le mot radical et le tout se rapproche d’une véritable
forme grammaticale, même si cela ne satisfait pas pleinement
à cette notion.
Erster Fall.
Premier cas
Ich wüβte hier nur die Sprache der Omagua zu nennen, da mir keine
andre mit so entschiedener Abwesenheit aller wahrhaft grammatischen
Formen im Verbum vorgekommen ist.
Je ne pourrais citer ici que la langue des Omaguas, car je n’en ai
rencontre aucune autre présentant une absence aussi catégorique de
toute véritable forme grammaticale pour le verbe.
Die selbständigen Pronomina, die Stammwörter der Verba, und die
Partikeln der Tempora und Modi werden, ohne alle Abänderungen, und
ohne alle engere Verbindung, bloβ neben einander gestellt, und nicht
einmal die Ordnung in welcher dies geschieht, scheint fest zu seyn ; usu,
gehen. 1. pers. sing. Praes. Ta usu. 2.pers. sing. perf. Avi ene usu (ene ist
das Pronomen, avi char.perf.)
Les pronoms autonomes, les radicaux verbaux et les particules de
temps et de mode sont simplement disposés les uns derrière les
autres sans acune altération ni aucune liaison plus étroite, et même
l’ordre dans lequel sela se fait ne semble pas être fixe ; usu, aller 1e
pers.prés. Ta usu 2e pers. sing.parfait. Avi ene usu (ene est le
pronom, avi marque de parfait).
Zweiter Fall.
Deuxième cas
1) Die Maipurische, Abiponische, und Mbayische und Mocobische
Sprache stellen nur die Kennzeichen der Personen in engere
Verbindung mit dem Stammwort des Verbum, und lassen sich die der
Tempora und modi loser daran anschliessen. Sie haben daher nur
Einen, durch verschiedene Partikeln, oder aus solchen entstandene
Affixa in jedes Tempus, und jeden Modus zu verwandelnden Typus
der Personenformation. Dieser Typus, für sich betrachtet, macht
gewöhnlich das Praesens aus. Allein genau genommen kann man ihm
diesen Namen nicht beilegen. Denn auch die Charakteristiken der
andren Tempora werden weggelassen, wenn man glaubt ihrer, der
1) Les langues maipure, abipone, mbaya et mocobi ne disposent
que les traits des personnes en relation étroite avec le radical
verbal, et se laissent associer plus lâchement aux traits des
temps et des modes. De ce fait vous n’avez qu’un seul type de
formation de la personne que peuvent transformer des particules
diverses ou des affixes issus de particules pour chaque temps et
chaque mode. Ce type, considéré en lui-même, véhicule
habituellement le présent. Mais à y regarder de près on ne peut
pas lui conférer ce nom. Car les caractéristiques des autres
temps sont tout autant écartées quand on pense pouvoir s’en
46
Deutlichkeit unbeschadet, entbehren zu können. Man erwartet nicht,
in gebildeten Sprachen etwas dieser Conjugationsform Aehnliches
anzutreffen. Dennoch findet es sich im Sanskrit und Griechischen.
Die jetzt bedeutungslose Partikel sma verwandelt, wenn sie sich im
Sanskrit hinter das Praesens stellt, dies in eine vergangene Zeit, und
im Griechischen bringt ἄν mit dem Indicativus den Conjunctivus
hervor.
passer sans dommage pour la compréhension. On ne s’attend
pas à trouver quelque chose d’analogue à cette forme de
conjugaison dans les langues cultivées. Toutefois cela se
rencontre en sanscrit et en grec. La particule sanscrite sma,
désormais vide de sens, quand elle se place derrière le présent,
transforme celui-ci en un temps passé et en grec ἄν associé à un
indicatif produit un subjonctif.
In den bisher betrachteten Sprachen machten also die
Personenzeichen mit dem Worte die Conjugation aus, und die
übrigen Kennsilben schlossen sich nur gleichsam äuβerlich und
locker an. Der umgekehrte Fall, doch nicht vollkommen und rein,
findet sich in der Sprache der Lule. Die Charakteristiken der
Tempora und Modi sind nemlich unmittelbar, und fest, zum Theil nur
aus [94] einzelnen Buchstaben bestehend, dem Stammwort angefügt,
und mit diesen Verbindungen vollenden Pronomina, die Conjugation.
Diese sind aber die gewöhnlichen Possessiva, so daβ Nomen und
Verbum dadurch zum Theil zusammenfallen, und z. B. came so gut :
ich esse, als meine Speise, cumuee so gut : ich heirathe, als mein
Weib heiβt, nur in wenigen Fällen sind die Verbal-Pronomina von
den possessiva verschieden.
2) Dans les langues considérées jusqu’à présent, les marques de
personne étaient donc à la base de la conjugaisonc et les autres
syllabes caractéristiques ne s’associaient en quelque sorte de
manière seulement externe et lâche. Le cas inverse, sans être
complet ni pur, se rencontre dans la langue des Lule. En effet,
les caractéristiques des temps et des modes, en parties réduites à
quelques lettres, sont attachées directement et fixement au mot
radical et la conjugaison de ces composés est complétée par des
pronoms. Mais ceux-ci sont les possessifs habituels, ce qui
contribue à confondre partiellement le nom et le verbe, et par
ex. came signifie aussi bien ‘je mange’ que ‘mon mets’, cumuee
aussi bien ‘je me marie’ que ‘ma femme’, rares sont les cas où
les pronoms verbaux diffèrent des possessifs.
Die Personenzeichen sind folglich hier selbständige, auch sonst in der
Sprache vorkommende Elemente, und die der Tempora und Modi
dagegen wahre Affixa.
En conséquence, les marques de personnes sont ici des éléments
autonomes, présents par ailleurs dans la langue, mais celles de
temps et de modes sont en revanche de vrais affixes.
Die Sprachen der Mbaya, Abiponen, Mocobi und Lule sind, sowohl den
Worten, als einigen grammatischen Formen nach, nahe mit einander
verwandt. Es ist daher um so wunderbarer, daβ die letzte in der
ursprünglichen Bildung des Verbum ein Princip befolgt, welches dem
der drei ersten Sprachen beinahe entgegengesetzt ist.
Les langues des Mbaya, Abipone, Mocobi et Lule sont étroitement
apparentées pour leur lexique, ainsi que pour certaines formes
grammaticales. Il est donc d’autant plus étonnant que la dernière
de ces langues suive dans la formation primitive du verbe un
principe qui est presque l’inverse de celuji des trois premières
2)
47
langues.
Dritter Fall.
Troisième cas
Die Sprachen, deren Conjugation in diese Classe gehört, nähern sich
den höher gebildeten, in welchen jede Verbalbeugung eine eigne und
feste Form ausmacht. Sowohl die Personen, als Tempus- und ModusKennzeichen sind mit dem Stamme des Verbum verbunden, ohne daβ
diese Verbindung bei der einen oder andren Gattung dieser Affixa
fester, oder loser genannt werden kann.
Les langues dont la conjugaison entre dans cette classe se
rapprochent de celles de construction supérieure dans lesquelles
toute flexion verbale constitue une forme propre et fixe. Les
personnes aussi bien que les marques de temps et de modes sont
liées à la racine verbale sans que ce lien puisse être qualifié de plus
ou moins étroit quelle que soit la classe de ces affixes.
Allen hier zusammenzustellenden Conjugationen fehlt indeβ immer
noch viel an derjenigen Festigkeit der Formen, welche den Geist
grammatisch befriedigt.
Il manque cependant à toutes les conjugaisons beaucoup de la
fermeté des formes propre à satisfaire l’esprit du grammairien.
Die Elemente stehen wohl regelmäβig, und bestimmt bei einander, sind
aber nicht eigentlich in einander verschmolzen und daher leicht
erkennbar.
Les éléments sont certes disposés régulièrement et précisément les
uns à côté des autres, mais ils n’entrent pas véritablement dans une
fusion mutuelle et restent donc aisément distinctibles.
Sie finden sich sonst, auβer dem Verbum, in der Sprache in
selbständiger Form wieder entweder ohne alle Veränderung oder mit
sehr kleiner Umbeugung der Laute, die Personenzeichen als Pronomina,
die übrigen Affixa als Partikeln.
Dans la langue ils se rencontrent habituellement, en dehors du
verbe sous une forme indépendante soit sans aucun changement,
soit avec une très légère altération des sons, les marques de
personnes comme pronoms, les autres affixes comme particules.
Das Verbum ist in seiner Zusammensetzung trennbar, und nimmt, wie
es der Zusammenhang der Rede fordert, andre Redetheile in sich auf.
Dans la composition le verbe est divisible et il prend les autres
affixes comme particules selon ce qu’exige le contexte du
discours.
Keine amerikanische Sprache ist in ihrer Conjugation von allen diesen
Hindernissen der Festigkeit der Form frei, in vielen finden [95] sich alle
drei, in den meisten wenigstens das erste und letzte. In den wahrhaft
grammatisch gebildeten Sprachen dagegen, der Sanskritischen,
Griechischen, Lateinischen, Deutschen trift man keinen dieser Mängel
Aucune langue américaine n’est exempte dans sa conjugaison de
tous ces obstacles à la fixation de la forme, dans nombre d’entre
elles on les trouve tous les trois, dans la plupart au moins le
premier et le second. En revanche, dans les langues qui ont une
véritable construction grammaticale, le sanscrit, le grec, le latin,
48
an. Das Verbum nimmt nichts von demjenigen, was es regiert, in seine
Mitte auf, die den Stamm modificirenden Affixa haben alle
Selbständigkeit verloren, und die Unterscheidung selbst der Elemente
der Formen wird eine schwierige, philologische Aufgabe, deren Erfolg
oft mislingt, und der nur sehr selten zu wirklicher Evidenz gelangt.
l’allemand, on ne rencontre aucun de ces défauts. Le verbe n’y
prend rien en son sein de ce qu’il régit, les affixes modifiant la
racine ont perdu toute autonomie, et la distinction même des
constituants des formes devient pour le philologue une tâche
malaisée qui échoue souvent et qui n’est véritablement probante
que dans de très rares cas.
In einzelne Beispiele dieser Verbalformen einzugehen, würde in ein
ermüdendes Détail führen. Ich erwähne daher nur der merkwürdigen
Eigenthümlichkeit der Mexikanischen Sprache, an dem Verbum selbst
auch den Gegenstand auszudrücken, den es regiert. Dies ist zwar
mehreren Amerikanischen Sprachen eigen, allein die Mexikanische ist
unter allen mir bekannten diejenige, welcher das Aufnehmen der
regierten Redetheile in die Verbalform am meisten eigen ist, und welche
diese Eigenthümlichkeit vorzüglich ausgebildet hat. Das regierte Nomen
wird mitten in das Verbum gesetzt, geht dies nicht an, so wird es durch
ein vertretendes Pronomen, im Verbum doch im voraus verkündet. Sind
zwei regierte Redetheile da, ein Accusativ, und Dativ, so werden auch
zwei ihnen entsprechende Pronomina eingeschoben, und ist kein
regiertes Object vorhanden, aber das Verbum doch von der Natur, daβ
es gewöhnlich eins, die Sache, oder Person, oder beide mit sich führt, so
treten zwei unbestimmte Pronomina in das Verbum. Alle diese
Einschiebungen geschehen, und in festbestimmter Regelmäβigkeit,
zwischen dem Personenzeichen und dem Stammwort des Verbum. Das
Mexikanische Verbum drückt also allemal entweder einen ganzen Satz
wirklich aus, oder giebt doch immer das vollständige Schema, und die
Andeutung aller Theile desselben, die nur hernach weiter ausgebildet
werden ; es sagt z. B. ich gebe einem etwas, in Einem Wort,
nitetlamaca, und bestimmt hernach wer und was dieser und dieses ist.
Daraus folgt aber auch unabänderlich, daβ ein Theil der Verbalform
Fournir des illustrations de ces formes verbales serait une tâche
accablante. Je me contente donc d’évoquer le trait le plus
extraordinaire de la langue mexicaine consistant à exprimer dans le
verbe même l’objet qu’il régit. Certes, c’est une propriété partagée
par plusieurs langues des Amériques, mais le mexicain est parmi
les langues dont j’ai connaissance, celle qui pratique le plus
l’incorporation des parties du discours régies dans la forme
verbale. Le nom régi est disposé au milieu du verbe, sinon il est
annoncé par avance dans le verbe par un pronom qui le représente.
S’il se présente deux parties du discours régies, un accusatif et un
datif, deux pronoms correspondants sont insérés et si aucun objet
n’est présent, mais si par nature le verbe est accompagné
habituellement d’une chose ou d’une personne ou des deux, deux
pronoms indéfinis figurent dans le verbe. Toutes ces insertions se
présentent avec une régularité parfaitement déterminée, entre la
marque de personne et le mot radical du verbe. Le verbe mexicain
exprime donc en tout état de cause soit véritablement une phrase
complète, soit son schéma constitutif complet, annonçant toutes les
parties qui ne seront développées qu’à sa suite ; le mexicain dit par
exemple “je donne quelque chose à quelqu’un” en un seul mot
nitetlamaca, et détermine ensuite de quelle chose et de quelle
personne il s’agit. Mais il en résulte aussi immmanquablement
qu’une partie de la forme verbale varie constamment selon le sens
49
dem Sinn und Zusammenhang der Rede nach, immer wechselnd ist, und
daβ das regierende Pronomen bald unmittelbar vor dem Stammwort
steht, bald von ihm durch eine, oder mehrere Silben, bestimmte, oder
unbestimmte Pronomina, und Substantiva getrennt wird. [96]
et le contexte du discours et que le pronom régissant se situe
parfois immédiatement avant le mot radical, mais parfois en est
séparé par une ou plusieurs syllabes, des pronoms définis ou
indéfinis.
Geht man nun in Gedanken noch einmal die verschiedene Bildungsart
der hier zergliederten Verbalformen durch, so ergiebt sich ein
allgemeines, über den ganzen Organismus dieser Sprachen Licht
verbreitendes Resultat.
Si maintenant on parcourt encore une fois les différents modes de
constitution des formes verbales des formes verbales que nous
avons décomposées, on obtient un résultat général qui éclaire tout
l’organisme de ces langues.
Das Herrschende und Vorwaltende in ihnen ist das Pronomen, mit allen
zur Sprache kommenden Gegenständen wird der Begriff der Person
verbunden.
Ce qui s’impose et qui prédomine dans ces langues c’est le
pronom ; la notion de personne est liée à tous les objets que
véhicule la langue.
Nomen und Verbum sind nicht an sich verschieden, sie werden es erst
durch das sich mit ihnen verbindende Pronomen.
Le nom et le verbe ne sont pas distincts en soi, ils ne le deviennent
que par le pronom qui s’associe à eux.
Denn der Gebrauch dieses spaltet sich in zwei Theile, von denen der
eine dem Nomen, der andre dem Verbum zugewandt ist. Beide
verbinden sich aber in dem Begriff des Gehörens zur Person, als Besitz
beim Nomen, als Energie beim Verbum. Darauf aber, ob diese Begriffe
dunkel in einander verwirkt sind, oder sich bestimmt und deutlich
scheiden, beruht hauptsächlich die grammatische Vollkommenheit der
Sprache. Die richtige Abtheilung der Gattungen des Pronomens ist
daher für dieselbe entscheidend, und in dieser muβ man bei weitem der
Mexikanischen den Vorzug geben.
Car l’emploi de celui-ci se subdivise en deux parties dont l’une est
dédiée au nom et l’autre au verbe. Mais toutes deux s’unissent
dans la notion de l’appartenance à la personne, comme possession
auprès du nom, comme énergie auprès du verbe. Mais ce qui fonde
essentiellement la perfection grammaticale de la langue, c’est que
ces notions peuvent se présenter dans une combinaison opaque ou
se distinguer avec précision et clarté. La subdivision des types de
pronom est donc décisive pour celle-ci et de ce point de vue on
doit donner absolument la préséance au mexicain.
Es entsteht hieraus, daβ die Redenden gewissermaβen mehr in jedem
Augenblick das Verbum machen, als sich eines vorhandenen bedienen,
und eine weitere Folge hiervon ist es, daβ die Verbalbindung fast in
jeder Sprache nur Eine, auf alle einzelnen Verba passende ist, daβ es
wesentlich nur Eine Conjugation giebt, und daβ die einzelnen Verba,
Il en résulte que les interlocuteurs fabriquent en quelque sorte le
verbe à chaque instant plus qu’isl n’emploient un verbe
préexistant, et à titre de complément, que la constitution du verbe
est une et unique dans presque toutes les langues, s’appliquant à
tous les verbes particuliers, qu’il n’y a à la base qu’une seule
50
einige
wenige
unregelmäβige
Eigenthümlichkeiten darbieten.
etwa
ausgenommen,
keine
conjugaison et que ces verbes, à quelques exceptions près, ne
présentent pas de caractères spécifiques.
Im Griechischen, Lateinischen, Alt-Indischen ist dies anders. Viele
Verba müssen da einzeln studirt werden, weil sie einzelne Ausnahmen,
Lautveränderungen, Mängel, und überhaupt sie charakterisirende
Individualität an sich tragen.
En grec, en latin et en indien ancien il en est autrement : de
nombreux verbes doivent y être étudiés individuellement parce
qu’ils portent en eux des exceptions, des changements
phonétiques, des défaillances et en général une individualité
caractéristique.
Der Unterschied zwischen diesen gebildeten, und jenen roheren
Sprachen ist gewiβ groβentheils nur einer der Zeit, und einer mehr oder
weniger glücklichen Mischung verschiedenartiger Dialecte. Allein zum
Theil liegt er gewiβ auch in den ursprünglichen Anlagen der Nationen.
Assurément, la différence entre ces langues élaborées et les
langues plus brutes est dans une large mesure une différence
chronologique et de métissage plus ou moins heureux de différents
dialectes. Elle ne tient certainement qu’en partie aux dispositions
primitives des nations.
Diejenigen, deren Sprachen wir hier zergliedert haben, setzen im
Sprechen ewig die Elementartheile der Rede zusammen, verbinden
diese nicht fest, weil sie dem wechselnden Bedürfniβ fol-[97]-gen,
bringen immer soviel zusammen, als das Bedürfniβ ihnen jedesmal zu
erheischen scheint und lassen oft verbunden, was die Gewohnheit des
Gebrauches verknüpft, wenn auch die scharfe Absonderung der
Gedanken es nothwendig trennen würde.
Celles dont nous avons analysé ici les langues combinent
continuellement des constituants élémentaires du discours dans
l’acte de parole, elles ne les lient pas fermement parce qu’elle
s’adaptent à des besoins variables, elles combinent à chaque
occasion tout ce qui leur paraît utile et laissent souvent lié ce ue
qu’associe l’usage habituel, même si la partition rigoureuse des
idées devrait imposer leur disjonction.
Daraus kann nun keine richtige Wortabtheilung entstehen, nicht für die
Richtigkeit und Angemessenheit des Gedankens, wo das Wort nur eine
gewisse Masse wohl in sich geschlossenen Inhalts, und eine bestimmte
grammatische Form haben muβ, noch für die Forderungen des Ohrs.
Il ne peut pas en résulter une véritable partition des mots, ni pour
l’exactitude et l’adéquation de la pensée, où le mot ne devrait avoir
qu’une quantité de contenu
bien délimité et une forme
gramamticale déterminée, ni pour les attentes de l’oreille.
Nationen von höheren Geistes- und Sinnes-Anlagen werden für diese
richtige Abtheilung Gefühl haben, das Zusammenfügen und
unaufhörliche Verschieben bloβer Elementartheile wird ihnen widrig
seyn, sie werden auch in den Wörtern wahre Individualität suchen,
Les nations ayant des dispositions supérieures de l’esprit et des
sens seront sensibles à cette partition exacte, l’agglutination et la
translation d’éléments simplement élémentaires les rebuteront,
elles rechercheront une véritable individualité même dans les mots,
51
daher fest verbinden, nicht zu viel in Ein Ganzes versammeln, und nur
zusammen lassen, was dem Gedanken nach zusammengehört, nicht was
bloβ der Gebrauch oft, oder sogar gewöhnlich verknüpft.
elle lieront fermement, elle ne regrouperont pas trop d’éléments
dans un tout et ne laisseront ensemble que ce que la pensée conçoit
ensemble et non que que le simple usage associe souvent, ou
même habituellement.
[1] Ich bemerke hier gelegentlich, daß die sonst an den kühnen
Zusammensetzungen so reiche Sanskrit-Sprache, wie die deutsche,
diese Verbindungen von Subst. und Verben in demselben Wort nicht
kennt. Im Lateinischen kommen sie, obgleich aber sparsam vor:
aedifico.
[1] Je constate ici à cette occasion que la langue sanscrite,
habituellement si riche en compositions, tout comme l’allemande,
ne connaît pas ces combinaisons de substantifs et de verbes dans le
même mot. En latin on en rencontre, mais très rarement, ex.
aedifico.
(2] Annals of oriental literature.nr.1. p.26.
[2] Annals of Oriental Literature n°1, p.26.
52
VI—2. STEINTHAL, ÉDITEUR DES ÉCRITS DE HUMBOLDT EN
PHILOSOPHIE DU LANGAGE75 (1883)
L’ÉDITION DE STEINTHAL, UN PROLONGEMENT TARDIF DE SA THÈSE
D’HABILITATION DE 1848
Nous avons vu dans la section III—2.2.2 qu’initialement, Steinthal s’est attaché à la
pensée de Humboldt – en dépit de l’intérêt dominant des linguistes de l’époque
pour la grammaire historique comparée de la famille indo-européenne – sous le
double aspect de sa philosophie de l’esprit et du langage, qu’il cherche à unifier
avec la phénoménologie de la perception de Hegel dans sa thèse d’habilitation de
1848, et de ses écrits consacrés à des phénomènes grammaticaux particuliers qui
l’incitent à élaborer sa Classification de 1850. En 1883, il entreprend de rassembler
les écrits de Humboldt relevant de la philosophie du langage, certainement pour
rappeler l’importance de Humboldt à des linguistes majoritairement hantés à
l’époque par les prouesses du mouvement néogrammairien (cf. section V—3).
EXTRAIT DE L’INTRODUCTION DE L’ÉDITEUR
Dans le passage suivant (1883 :14-19, avec coupures), Steinthal essaie de
résumer l’essence de la philosophie de Humboldt (La conception de Humboldt est
du Spinozisme teinté de Kantisme, expression pour le moins lapidaire et opaque !),
qu’il voit dans l’intrication de trois interrogations philosophiques, celle de l’esprit,
celle du langage et celle de l’histoire.
75
Heymann Steinthal (éd. 1883), Die sprachphilosophischen Werke Wilhelm’s von Humboldt.
Berlin : Dümmler (vol.1).
53
54
Le même esprit qui animait Schiller et Goethe, qui guidait Grimm et Bopp,
Böckh et Lachmann, a également produit H. : ce sera mon introduction.
Mais si on réclame une analyse, une indication provisoire sur le noyau, d’où tout
a germé : alors je ne peux l’exprimer que succinctement. – L’acte génial de H. réside
dans le rattachement du langage à la force la plus haute et ultime, à laquelle notre
pensée renvoie toute chose ; et il est vraiment étonnant de voir comment un objet ne
devient scientifiquement significatif et digne d’étude qu’en entrant dans le cercle des
problèmes insolubles. Je crois pouvoir l’affirmer : La conception de H. est du
Spinozisme teinté de Kantisme.
À y regarder de plus près trois points majeurs se dégagent :
Le premier est l’identité du langage et de l’esprit humain ; et H. la situe au cœur
du problème de la manifestation de l’esprit élémentaire à travers une activité
multiple qui s’observe dans différentes directions, et de l’apparition même du
spirituel.
S’y rattache aussitôt pour H. le problème de la connaissance : comment la pensée
saisit-elle l’être ? À l’aide du langage, répond H., soit une nouvelle énigme destinée
à en expliquer une autre.
Le second point est d’ordre empirique : H. reconnaissait que chaque langue a une
forme absolument individuelle ; en fin de compte chaque individu a son langage.
55
Cette découverte empirique a été l’aiguillon qui a permis la construction spéculative.
Si le langage est à ce point l’affaire d’un individu , comment est-il possible de se
comprendre ? Si la compréhension est possible, il devait en résulter immédiatement
pour H. que le langage n’appartient pas à l’individu, mais à la totalité, c’est-à-dire à
l’espèce humaine. Désormais la question est : Comment penser l’individualité sans
qu’elle s’isole de la totalité ? Ce qui énigmatique n’est pas l’acte de parole, mais
l’intercompréhension.
C’est ainsi qu’émerge le troisième point : le langage est d’un côté le lien entre les
individus, ce qui les lie les uns aux autres et à l’infinie force originaire ; et il est d’un
autre côté le principe d’individuation qui plonge cette force originaire dans la réalité
des manifestations et dans l’évolution historique.
Le fait que l’individualisation se présente d’abord et essentiellement dans les
nations atteste l’importance de la répartition des hommes en peuples et de ce fait
l’importance du langage pour l’histoire.
Mais ce qui est subdivisé ici en trois points était pour H. un seul et unique acte
de pensée vers lequel convergeaient toutes ses forces. H., c’était cette fusion de
spéculation, d’intuition esthétique et de perspicacité.
Dès les premiers mots H. ambitionne de situer ses considérations du point de vue
de l’histoire universelle. Mais il est encore loin de l’enseignement qu’il délivrera
plus tard dans son écrit académique [L’introduction à l’œuvre sur le kavi, 1836]. Il y
a plusieurs approches de la question de l’histoire ; il veut jeter les prolégomènes à
l’une de ces approches. Il explicitera ensuite avec suffisamment de clarté de laquelle
il s’agit. L’être humain est une espèce de la nature, comme la plante et l’animal, à
cela près qu’il est l’espèce caractérisée essentiellement et de préférence par la
possession de l’esprit ; mais l’esprit n’est conçu ici que comme une forme de
couverture végétale naturelle. Par là, la liberté n’entre aucunement en ligne de
compte ; car c’est chez l’individu qu’elle se manifeste, et dans cette écriture de
l’histoire figurent seulement les masses, les races, les tribus et les nations, comme
dans la botanique et la zoologie les espèces, familles et classes. Tout comme
l’histoire naturelle, cette histoire ne relate pas des actes particuliers, mais seulement
des événements traversés par l’espèce humaine.
LE FOLIO 45 : UNE ILLUSTRATION DE LA MÉTHODE PHILOSOPHIQUE DE HUMBOLDT
Pour cerner la perspective méthodologique générale qu’adopte H. dans tous ses
travaux, Steihthal (ibid : 20) produit un extrait d’un folio inédit :
56
FOLIO 45 :
L’usage du langage ne peut pas être décrit seulement à travers l’histoire. L’être
humain se présente sous une double forme idéelle, i.e. inaccessible dans le réel,
d’une part une individualité dans sa nature générale accessible seulement par la
pensée, dans les conditions qui déterminent son être [i.e. à coup sûr de la manière
dont le psychologue et l’anthropologue représentent l’être humain, comme une
forme générale de l’existence, donc comme une idée, H.S.], et d’autre part dans la
totalité des individus, comme l’espèce humaine, à travers tous ses états à la fois
passés, présents et futurs. Au cœur de ces deux manifestations se tient l’homme réel
en un lieu et un temps donnés, et toute étude qui lui est appliquée avec une ambition
de généralisation scientifique, se doit de partir de la première pour viser la seconde.
L’une et l’autre approche sont aussi nécessaires face au langage, qui coexiste à l’être
humain et est expressément destiné à englober toutes les contrées de la Terre et
toutes les époques de la destinée de l’espèce humaine. Seul l’examen philosophique
de la nature humaine dans sa généralité trace la voie de l’étude, et la question
toujours en suspens : “Comment la diversité reconnue historiquement comble-t-elle
des lacunes dans l’image de la totalité, nivelle-t-elle des aspérités, harmonise-t-elle
des forces unilatérales, complète-t-elle ce qui aspire de part et d’autre à la
généralité ?” peut seule donner l’individualité à voir comme ce qu’elle est dans sa
57
nature la plus intime et ce qu’elle devrait devenir dans sa manifestation, une voie qui
conduit à un idéal ultime comparable à une asymptote en se réduisant de plus en
plus rigoureusement à une simple périphrase mais sans exclusive. C’est seulement
dans le respect de lois établies et en ayant à l’esprit des idées directrices à visée
générale que la diversité riche et vivante du matériau historique de toute nature peut
fusionner avec la rigueur du traitement scientifique, sans le risque de se limiter à une
seule facette du réel, d’une manière telle que la multiplicité du réel soit préservée.
Et Steinthal conclut :
“Quelle que soit la clarté avec laquelle Humboldt avait à l’esprit cette méthode associant
dès sa toute première manifestation une démarche philosophique sur le plan abstrait et
une démarche empirique sur le plan concr,t, celle-ci ne pouvait cependant s’épanouir,
en définissant ses différents paramètres, qu’au long d’un travail mené pendant de
nombreuses années”76
ce qui revient à considérer (comme je l’ai fait ici dans la section I—1.2)
l’Introduction à l’œuvre sur le kavi (1836) comme l’aboutissement de l’ensemble
des écrits linguistiques de Humboldt, ouvrage qui, pour reprendre le thème hegelien
de l’Aufhebung der Gegensätze, abolit ceux-ci en même temps qu’il les sublime.
76
“so klar auch diese, die abstract philosophische und concret empirische Forschung mit
einander verbindende, Methode von H.s frühestem Auftreten an ihm im allgemeinen klar
vor dem Geiste schwebte, so musste sie sich doch in Bezug auf Bestimmtheit der
einzelnen Momente erst im Laufe jahrelanger Arbeit entwickeln” (ibid : 21)
58
Téléchargement