1
Historiographie des élites ecclésiastiques du haut Moyen Âge http://lamop.univ-paris1.fr/W3/elites/
Historiographie des élites ecclésiastiques du haut Moyen Âge?
CHARLES MÉRIAUX, Université de Reims
Il n’est pas raisonnable de prétendre donner un aperçu, même rapide, de
l’« historiographie des élites ecclésiastiques ». Cette notion n’a pas encore fait l’objet d’une
réflexion d’ensemble1 et beaucoup de travaux récents, en réaction à ceux d’une historiographie
plus ancienne, se sont même appliqués à en critiquer la validité. Comme l’a rappelé Karl
Ferdinand Werner, élites laïques et élites ecclésiastiques ne sont jamais que « les deux côtés
d’une même médaille »2. Ce point a été abondamment souligné et repris par les études abordant
l’histoire sociale du haut Moyen Âge, même si l’on tend aujourd’hui à rappeler que les unes et
les autres ne doivent pas être toujours envisagées sur un même plan3. Enfin, il ne fait pas de
doute que certaines recherches récentes ont apporté des éléments (même si tel n’est pas le cœur
de leur problématique) qui permettent, ponctuellement, de proposer une définition du groupe
des « élites ecclésiastiques » et d’en discuter les contours. Les pages qui suivent n’ont pas
d’autre but que de présenter ces quelques pistes de recherche.
Pour une question de clarté, je proposerai dans un premier temps un bref rappel
historiographique avant d’envisager successivement l’épiscopat (comme cet aspect est présenté
par Steffen Patzold, je me concentrerai sur l’historiographie française, ce qui me permettra
d’être bref4) et du clergé épiscopal ; des « élites ecclésiastiques locales » (il s’agit à mon sens
d’un domaine où les recherches s’annoncent particulièrement fécondes) ; et enfin des « élites
monastiques ».
Approches du problème
On peut, dans un premier temps, retenir deux approches des « élites ecclésiastiques » qui
correspondent aux orientations de deux tendances historiographiques. L’une, plus ancienne,
souvent d’origine ecclésiastique, était plus soucieuse d’une approche institutionnelle ; l’autre,
plus récente, a davantage mis l’accent sur l’insertion de ces élites ecclésiastiques dans leur
environnement social.
? Le texte que l’on va lire reprend, en la complétant, une première version présentée au séminaire sur
l’« historiographie des élites dans le haut Moyen Âge » (Marne-la Vallée/Paris, 28-29 novembre 2003). J’ai fait
miennes plusieurs observations de Geneviève Bührer-Thierry, Philippe Bernard, Hans-Werner Goetz et Jean-Marie
Sansterre : qu’ils en soient vivement remerciés.
1 Il n’en est pas véritablement question dans le bilan historiographique tiré récemment par les médiévistes
allemands et français : Jean-Claude SCHMITT, Otto Gerhard OEXLE (dir.), Les tendances actuelles de l’histoire du
Moyen Âge en France et en Allemagne, Paris, 2002 (Publications de la Sorbonne. Série histoire ancienne et
médiévale, 66).
2 Karl Ferdinand WERNER, « Le rôle de l’aristocratie dans la christianisation du Nord-Est de la Gaule
jusqu’à la fin du VIIe siècle », dans Pierre RICHÉ (dir.), La christianisation des pays entre Loire et Rhin (IVe-VIIe
siècle), actes du colloque de Nanterre (3-4 mai 1974), Paris, 1976 (= Revue d’histoire de l’Église de France, 62,
168) [réimp. Paris, 1993 (Cerf. Histoire de la France religieuse, 2)], p. 45-73, à la p. 46.
3 Régine LE JAN, « introduction », dans EAD. (dir.), La royauté et les élites dans l’Europe carolingienne (du
début du IXe aux environs de 920), Villeneuve d’Ascq, 1998 (Centre d’histoire de l’Europe du Nord-Ouest, 17),
p. 7-16, aux p. 13-14.
4 Steffen PATZOLD, « Les élites ecclésiastiques l’historiographie allemande » [18 p.], contribution au
séminaire de Marne-la-Vallée/Paris.
2
Historiographie des élites ecclésiastiques du haut Moyen Âge http://lamop.univ-paris1.fr/W3/elites/
Une première approche peut donc se concentrer sur la place occupée au sein de la
hiérarchie ecclésiastique : par « élites ecclésiastiques » on entend alors ceux, ou plus rarement
celles, qui furent à la tête des différentes institutions de l’Église diocèses, communautés
monastiques et canoniales ainsi que ceux qui pouvaient graviter dans leur entourage. À un
titre ou à un autre, ceux-ci occupaient une situation éminente, liée à leur ordre et/ou à leur
charge. Jusqu’au VIe siècle, la situation peut paraître assez simple, au moins en Gaule : l’élite
ecclésiastique se fond dans l’épiscopat. Mais les siècles suivant correspondent à une diffusion
généralisée des institutions ecclésiastiques avec la multiplication du clergé rural. La définition
de l’élite devient alors assurément plus problématique. On en vient alors à poser la question de
l’unité et de la cohésion des élites ecclésiastiques, même si ce point n’est pas propre aux élites
ecclésiastiques.
Cette approche est le plus souvent celle de l’historiographie ecclésiastique. En raison de
la documentation laissée pour le haut Moyen Âge, la seule manière d’écrire l’histoire des
institutions ecclésiastiques était de dresser la liste de ses élites métropolitains puis
archevêques, évêques, abbés, etc. et d’apprécier leur rôle. Une des pierres de touche de cette
historiographie ecclésiastique a été, dès le XVIIIe siècle, la mise au point d’instruments de
travail aujourd’hui bien vieillis, mais irremplacés, comme l’est, pour la France actuelle, le
Gallia Christiana (1715-1785). Ces entreprises prosopographiques ont été poursuivies et
enrichies par les apports de la critique historique, mais souvent dans des cadres nationaux, ce
qui explique l’extrême hétérogénéité des publications disponibles. On citera l’exemple de la
Belgique actuelle qui dispose d’un répertoire très sûr pour quiconque s’intéresse aux titulaires
des charges abbatiales, le Monasticon belge, ce qui est loin d’être le cas en France. On pouvait
espérer que l’épiscopat occidental serait mieux loti par un projet de refonte de l’ouvrage du
Père Gams, Series episcoporum ecclesiae catholicae (1873). Quelques fascicules ont été
publiés, mais l’entreprise semble aujourd’hui enlisée5. Toujours dans une perspective
strictement institutionnelle, on citera enfin le très utile répertoire de Margarete Weidemann qui
recense (entre autres choses) l’ensemble des clercs mentionnés dans les œuvres de Grégoire de
Tours6.
La relative pauvreté de ce type d’instruments de travail pour l’espace de la France
actuelle s’explique par les mutations qu’a connues l’historiographie ecclésiastique française à la
fin du XIXe et dans la première moitié du XXe siècle, provoquées par la séparation entre
l’Église et l’État (1905). Une partie importante de la production historique des membres du
clergé était fondamentalement apologétique et militante, à tel point que les érudits qui
œuvrèrent en faveur de la prise en compte des méthodes critiques furent souvent considérés
avec suspicion7. Ceci explique en grande partie pourquoi en France, l’Église catholique n’a pas
été en mesure de développer de grands projets d’historiographie ecclésiastique (comme cela a
été le cas en Allemagne avec la Germania sacra, mais dans un contexte politique et social bien
différent8). Toutefois ceci n’a pas empêché certains savants français de publier des travaux de
très grande qualité. Pour notre propos, contentons-nous de mentionner les listes épiscopales
critiquées par Mgr Duchesne dans ses Fastes épiscopaux de l’ancienne Gaule (1907-1915).
5 Sur ces ouvrages, voir désormais les pages du répertoire exhaustif de Raoul VAN CAENEGEM et al.,
Introduction aux sources de l’histoire médiévale, Turnhout, 1997 (Corpus Christianorum. Continuatio medievalis),
aux. p. 217-276 et 414-421.
6 Margarete WEIDEMANN, Kulturgeschichte der Merowingerzeit nach den Werken Gregor von Tours,
Mayence, 1982 (Römisch-Germanisches Zentralmuseum, Forschungsinstitut für Vor- und Frühgeschichte,
Monographien, 3), 2 volumes, 1, p. 107-226 (épiscopat), p. 227-244 (autres clercs) et p. 244-263 (moines et
moniales, abbés et abbesses).
7 Claude SAVART, « La Revue d’histoire de l’Église de France. Analyse rétrospective », dans Revue
d’histoire de l’Église de France, 68, 1982, p. 1-29 ; Un siècle d’histoire du christianisme en France. Bilan
historiographique et perspectives, Revue d’histoire de l’Église de France, 86, n° 317, 2000.
8 Irene CRUSIUS, « Germania sacra : état, bilan et perspectives d’un projet de longue durée », dans Bulletin
de la Mission historique française en Allemagne, 33, 1997, p. 19-30.
3
Historiographie des élites ecclésiastiques du haut Moyen Âge http://lamop.univ-paris1.fr/W3/elites/
Pour finir, rappelons que l’histoire religieuse connut dans les années soixante de
profondes transformations qui expliquent un abandon progressif des recherches portant sur les
institutions ecclésiastiques au sens strict pour des enquêtes sur la religion des laïcs, sur les
pratiques religieuses, sur les dévotions collectives, etc.
Assez paradoxalement, l’intérêt pour les « élites ecclésiastiques » va être le fait
d’historiens qui, loin de s’inscrire dans des problématiques strictement religieuses, ont
rencontré ces « élites ecclésiastiques » dans le cadre d’études beaucoup plus larges sur les
structures sociales, en particulier rurales. On doit ici citer le modèle qu’a représenté la thèse de
Pierre Toubert pour toute une génération d’historiens9.
De telles perspectives invitent à poser différemment le problème des « élites
ecclésiastiques ». La notion doit être entendue de manière plus large, en fonction des rapports
que le clerc (ou la communauté religieuse) entretient avec l’ensemble de la société. La
définition de ces élites passe alors par des critères qui peuvent être tout à fait étranger aux
seules institutions ecclésiastiques : l’origine sociale et familiale, le patrimoine, la culture, ou
encore le service du souverain sont autant d’éléments qui comptent aussi dans la définition des
élites ecclésiastiques. Mais il est évident que les critères en viennent à se conforter l’un l’autre.
On doit aussi considérer les possibilités qu’offrait une position éminente au sein des institutions
de l’Église et s’intéresser à tous ceux dont on peut considérer qu’en raison de leur qualité de
clerc, ils occupèrent une position d’élite au sein de la société.
L’épiscopat et l’entourage épiscopal
Il n’est pas question de présenter ici en détail l’état des recherches sur l’épiscopat du haut
Moyen Âge. L’épiscopat des royaumes barbares, particulièrement celui du royaume franc, ont
fait l’objet d’importantes études qui s’inscrivent dans une plus large problématique : celle du
degré de continuité de la vie publique entre Antiquité et Moyen Âge. Pour résumer brièvement,
rappelons que trois phénomènes se sont nourris mutuellement, qui ont contribué à donner une
place de premier plan à l’épiscopat : il s’agit de la part croissante des responsabilités publiques
assumées par l’épiscopat depuis le Bas Empire ; de l’investissement progressif des charges
épiscopales par la noblesse sénatoriale dans les royaumes barbares ; et enfin de la disparition
(ou de la transformation) de l’administration civile romaine, particulièrement locale, dont les
responsabilités ont donc été récupérées (ou ont été sciemment déléguées) aux évêques10.
Pour les IXe-Xe siècles, l’angle d’approche est différent : le groupe épiscopal est rarement
étudié pour lui-même, mais est abordé soit dans le cadre d’études plus larges sur certains
groupements aristocratiques, soit dans celui de recherches sur les pouvoirs, qui cherchent alors
à apprécier la nature des relations entretenues avec la royauté11 ou ses représentants locaux12.
9 Pierre TOUBERT, Les structures du Latium médiéval. Le Latium méridional et la Sabine du IXe siècle à la
fin du XIIe siècle, Rome, 1973, 2 volumes (Bibliothèque des Écoles françaises d’Athènes et de Rome, 221).
10 Martin HEINZELMANN, Bischofsherrschaft in Gallien. Zur Kontinuität römischer Führungsschichten vom
4. bis zum 7. Jahrhundert. Soziale, prosopographische und bildungsgeschichtliche Aspekte, Munich/Zurich, 1976
(Beihefte der Francia, 5) ; ID., « L’aristocratie et les évêchés entre Loire et Rhin jusqu’à la fin du VIIe siècle », dans
P. RICHÉ (dir.), La christianisation des pays entre Loire et Rhin, (cité n. 2), p. 76-90 ; pour une étude de cas : Jean
DURLIAT, « Les attributions civiles des évêques mérovingiens : l’exemple de Didier, évêque de Cahors (630-655) »,
dans Annales du Midi, 91, p. 237-254. Synthèse récente de Nancy GAUTHIER, « Le réseau de pouvoirs de l’évêque
dans la Gaule du haut Moyen Âge », dans EAD., Gianpietro BROGIOLO et al. (dir.), Towns and their Territories
betweeen Late Antiquity and the Early Middle Ages, Leyde/Boston/Cologne, 2000 (The Transformation of the
Roman World, 9), p. 173-207.
11 Dernière étude en date : Boris BIGOTT, Ludwig der Deutsche und die Reichskirche im Ostfränkischen
Reich (826-876), Husum, 2002 (Historische Sudien, 470) ; voir également les travaux de Geneviève Bührer-Thierry
cités infra, n. 28.
4
Historiographie des élites ecclésiastiques du haut Moyen Âge http://lamop.univ-paris1.fr/W3/elites/
Point n’est besoin de rappeler que l’épiscopat ottonien représente sur ce point un champ de
recherche largement parcouru. D’autres aspects ont pu néanmoins être récemment soulevés,
comme la participation de l’évêque aux aménagements urbains13.
Un nombre important d’études ont cherché à préciser les liens qui assuraient la cohésion
du groupe épiscopal. Ainsi, à l’époque mérovingienne, pour la commendatio qui présidait à
l’éducation et l’instruction des futurs évêques (mais pas seulement eux)14 ou encore pour les
liens d’amitiés entretenus par la correspondance (les lettres de Didier, évêque de Cahors,
fournissent une documentation exemplaire de ce point de vue). À partir de la deuxième moitié
du VIIIe siècle, les liens de fraternité et de prière vinrent renforcer la cohésion de l’épiscopat.
En témoignent les fraternités nouées à Attigny (765), Dingolfing (770/780) et Savonnières
(859)15. On ne peut toutefois distinguer ainsi l’épiscopat (les fraternités qui viennent d’être
citées associent également des abbés), tant la pratique se répandit et surtout autour des grands
établissements monastiques et canoniaux dans l’Empire carolingien au IXe siècle16.
Les évêques ont aussi cherché à définir très précisément les missions dont ils étaient
investis au sein de la société chrétienne. Ce faisant ils ont élaboré, dès avant la fin du VIe siècle,
un discours de plus en plus cohérent sur les élites dont ils étaient par les représentants par
excellence17. C’est à ce titre qu’ils purent intervenir pour exclure clercs ou laïcs hors du groupe
des élites au moyen des sanctions spirituelles ; c’est à ce titre aussi qu’ils purent très tôt
revendiquer la sainteté comme élément de distinction pour un grand nombre des membres de
l’épiscopat.
La cohésion du groupe s’ancre aussi dans une mémoire commune que manifeste le
développement d’une hagiographie épiscopale. Bien étudiée pour les époques mérovingienne18
et ottonienne19, celle-ci a moins retenu l’attention pour l’époque carolingienne, mais l’on attend
beaucoup des enquêtes sur les réécritures hagiographiques pensons aux œuvres
hagiographiques d’Alcuin qui attirent désormais l’attention des chercheurs20. La manière dont
a été entretenue la mémoire épiscopale a été développée en France par les travaux de Jean-
12 Reinhold KAISER, Bischofsherrschaft zwischen Königtum und Fürstenmacht. Studien zur bischöflichen
Stadtherrschaft im westfränkisch-französichen Reich im frühen und hohen Mittelalter, Bonn, 1981 (Pariser
historische Studien, 17).
13 Franck G. HIRSCHMANN, Stadtplanung, Bauprojekte und Grossbaustellen im 10. und 11. Jahrhundert.
Vergleichende Studien zu den Kathedralstädten westlich des Rheins, Stuttgart, 1998 (Monographien zur Geschichte
des Mittelalters, 43).
14 Martin HEINZELMANN, « Studia sanctorum. Éducation, milieux d’instruction et valeurs éducatives dans
l’hagiographie en Gaule jusqu’à la fin de l’époque mérovingienne », dans Michel SOT (dir.), Haut Moyen Âge.
Culture, éducation et société. Études offertes à Pierre Riché, Nanterre/La Garenne-Colombes, 1990, p. 105-138.
15 Karl SCHMID, Otto Gerhard OEXLE, « Voraussetzungen und Wirkung des Gebetsbundes von Attigny »,
dans Francia, 2, 1974, p. 71-122.
16 Voir le dossier « Memoria » dans J.-C. SCHMITT, O. G. OEXLE (dir.), Les tendances actuelles de l’histoire
du Moyen Âge (cité n. 1), p. 53-126.
17 Martin HEINZELMANN, « ‘Adel’ und ‘Societas sanctorum’ : Soziale Ordnungen und christliches Weltbild
von Augistinus bis zu Gregor von Tours », dans Otto Gerhard OEXLE, Werner PARAVICINI (dir.), Nobilitas.
Funktion und Repräsentation des Adels in Alteuropa, Göttingen, 1997 (Veröffentlichungen des Max-Planck-
Instituts für Geschichte, 133), p. 216-256.
18 Georg SCHEIBELREITER, Der Bischof in merowingischer Zeit, Cologne/Graz/Vienne, 1983
(Veröffentlichungen des Institut für österreichische Geschichtsforschung, 27) ; Henri PLATELLE, « L’évêque
mérovingien d’après un ouvrage récent », dans Revue d’histoire ecclésiastique, 80, 1985, p. 454-467.
19 Stephanie COUÉ, Hagiographie im Kontext. Schreibanlass und Funktion von Bischofsviten aus dem 11.
und vom Anfang des 12. Jahrhunderts, Berlin/New-York, 1997 (Arbeiten zur Frühmittelalterforschung, 24) ;
Stephanie HAARLÄNDER, Vitae episcoporum. Eine Quellengattung zwischen Hagiographie und Historiographie,
untersucht an Lebensbeschreibungen von Bischöfen des Regnum Teutonicum im Zeitalter der Ottonen und Salier,
Stuttgart, 2000 (Monographien zur Geschichte des Mittelalters, 47).
20 Monique GOULLET, Martin HEINZELMANN (dir.), La réécriture hagiographique dans l’Occident médiéval.
Transformations formelles et idéologiques, Stuttgart, 2003 (Beihefte der Francia, 58).
5
Historiographie des élites ecclésiastiques du haut Moyen Âge http://lamop.univ-paris1.fr/W3/elites/
Charles Picard (sur l’Italie et sur Auxerre)21, de Michel Sot (sur les Gesta episcoporum)22 et,
plus récemment, de Thomas Granier23 qui ont mis l’accent sur les cultes privilégiés rendus aux
saints évêques ; sur le développement, à partir de l’époque carolingienne, d’une véritable
historiographie épiscopale ; et enfin sur le réel souci de l’épiscopat d’ancrer dans la
topographique urbaine cette mémoire épiscopale. Les évêques ont, en définitive, abondamment
sollicité leurs prédécesseurs défunts. À titre de comparaison, on rappellera simplement que ces
conclusions ne peuvent être généralisées : Stephanie Haarländer a ainsi récemment montré que
les textes hagiographiques rédigés aux XIe-XIIe siècles en l’honneur des saints évêques
d’Empire provenaient, pour une large part, de monastères au sein desquels avaient été inhumés
les prélats24.
Enfin des études récentes sont venues éclairer la manière dont les élites épiscopales ont
revendiqué cette position d’élites dans le domaine culturel au sens le plus large en faisant
produire des manuscrits de prestige. Ce aspect n’est certes pas propre aux élites ecclésiastiques,
mais il fut largement renforcé par l’utilisation quotidienne que l’évêque faisait de l’écrit, ne
serait-ce que dans la liturgie. En témoignent aujourd’hui encore de somptueux sacramentaires
tel celui que fit réaliser l’évêque Warmund d’Ivrée († 1002)25.
Peut-on pour autant parler de « la solidarité naturelle du corps épiscopal »26 ? Il faut
d’abord rappeler que le groupe connaît une importante hiérarchisation à l’époque carolingienne.
Ébauchée dès la fin du VIIIe siècle27, celle-ci ne se développe pas sans tension au sein du
groupe. Les conflits que connut Hincmar avec certains de ses suffragants en sont une excellente
illustration. Mais un élément important de différenciation du groupe épiscopal réside aussi dans
le rapport au souverain qui n’est accordé qu’à une partie d’entre eux. En examinant de près
l’épiscopat bavarois et souabe, Geneviève Bührer-Thierry a ainsi pu mettre en évidence cet
accès privilégié au roi dont jouissait une partie seulement de l’épiscopat du royaume de
Germanie dans le dernier quart du IXe siècle (ce qui n’exclut cependant la conscience d’une
responsabilité collégiale des évêques à l’égard du gouvernement du royaume)28.
Il faut aussi peut-être renoncer à l’image d’un groupe figé. On peut en effet se demander
mais ce point est loin d’être tranché si le renouvellement du groupe épiscopal n’a pas été
plus ouvert que celui de l’aristocratie laïque. Cette impression repose sur l’observation de
21 Jean-Charles PICARD, « Espace urbain et sépultures épiscopales à Auxerre », dans P. RICHÉ (dir.), La
christianisation des pays entre Loire et Rhin (cité n. 2), p. 205-222 ; ID., Le souvenir des évêques. Sépultures, listes
épiscopales et culte des évêques en Italie du Nord des origines au Xe siècle, Rome, 1988 (Bibliothèque des Écoles
françaises d’Athènes et de Rome, 268).
22 Michel SOT, « Organisation de l’espace et historiographie épiscopale dans quelques cités de la Gaule
carolingienne », dans Bernard GUÉNÉE (dir.), Le métier d’historien au Moyen Âge. Études sur l’historiographie
médiévale, Paris, 1977, p. 31-43 ; ID., Gesta episcoporum, Gesta abbatum, Turnhout, 1981 (Typologie des sources
du Moyen Âge occidental, 37).
23 Thomas GRANIER, « Naples au IXe et Xe siècle. Topographie religieuse et production hagiographique »,
dans Noël COULET, Olivier GUYOTJEANNIN (dir.), La ville au Moyen Âge, 1, Ville et espace, Paris, 1998, p. 113-
131 ; ID., « Lieux de mémoire lieux de culte à Naples aux V
e-Xe siècles : saint Janvier, saint Agrippin et le
souvenir des évêques », dans Faire mémoire. Souvenir et commémoration au Moyen Âge, Aix-en-Provence, 1999,
p. 63-101.
24 S. HAARLÄNDER, Vitae episcoporum (cité n. 19).
25 Éric PALAZZO, L’évêque et son image. L’illustration du pontifical au Moyen Âge, Turnhout, 1999 ; Pierre
Alain MARIAUX, Waramond d’Ivrée et ses images. Politique et création iconographique autour de l’an mil, Berne,
2002 (Publications universitaires européennes, série 28, histoire de l’art, 388).
26 N. GAUTHIER, « Le réseau de pouvoirs de l’évêque » (cité n. 10), p. 184.
27 Émile LESNE, La hiérarchie épiscopale. Provinces, métropolitains, primats en Gaule et Germanie depuis
la réforme de saint Boniface jusqu’à la mort d’Hincmar (742-882), Lille, 1905.
28 Geneviève BÜHRER-THIERRY, « Les évêques de Bavière et d’Alémanie dans l’entourage des derniers rois
carolingiens en Germanie (876-911) », dans Francia, 16, fasc. 1, 1989, p. 31-52 ; EAD., Évêques et pouvoir dans le
royaume de Germanie. Les Églises de Bavière et de Souabe (876-973), Paris, 1997 ; EAD., « L’épiscopat en Francie
orientale et occidentale à la fin du IXe siècle : substitut ou soutien du pouvoir royal ? », dans R. LE JAN (dir.), La
royauté et les élites (cité n. 3), p. 347-364.
1 / 16 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !