Jérôme Dubois “Algèbre et Analyse élémentaires” 3 Polynômes Dans ce chap. K désigne l’un des corps suivants : Q, R, C. 3.1 Définition de K[X] 1. Définition : Un polynôme à une indéterminée à coefficients dans K est une suite infinie (ai )i∈N ∈ KN presque nulle, c’est-à-dire pour laquelle il existe n ∈ N tel que ai = 0 si i > n. On note K[X] l’ensemble de tous les polynômes. 2. Notations : Au lieu d’écrire (ai )i∈N ∈ KN pour un élément de K[X], on écrit ! i∈N ai X i , ou encore a0 + a1 X + . . . + an X n si ai = 0 pour i > n. Observons que deux polynômes sont égaux si, et seulement si, leurs coefficients sont égaux. 3. Définitions : Soit P (X) = a0 + a1 X + . . . + an X n un polynôme non nul. Le degré de P (X) est n si an "= 0. On note cet entier deg P (X). Par convention, le polynôme nul a pour degré −∞. Soit P (X) = a0 + a1 X + . . . + an X n un polynôme non nul de degré n. Le coefficient dominant de P (X) est an , son coefficient constant est a0 . On dit que P (X) est unitaire si an = 1. 4. Opérations. ! ! (a) Définitions : Soient P (X) = i∈N ai X i et Q(X) = i∈N bi X i deux polynômes de K[X]. On définit leur somme et leur produit par : " ci X i avec ci = ai + bi ; (P + Q)(X) = i∈N (P Q)(X) = " di X i avec di = i " aj bi−j = a0 bj + a1 bi−1 + . . . + ai b0 . j=0 i∈N (b) Proposition : Pour P (X), Q(X) ∈ K[X], on a : deg(P + Q)(X) ! max(deg P (X), deg Q(X)) deg(P · Q)(X) = deg P (X) + deg Q(X). (c) Proposition : K[X] est un anneau commutatif pour les opérations définies ci-dessus. L’unité est le polynôme unité 1. Précisément nous avons : i. l’opération + est associative, commutative, admet le polynôme nul pour élément neutre et tout polynôme P admet un inverse le polynôme −P , ii. l’opération · est associative, commutative et admet le polynôme constant égal à 1 pour élément neutre, iii. la loi · est distributive par rapport à la loi + : P · (Q1 + Q2 ) = P · Q1 + P · Q2 . 5. Dérivation : 33 Jérôme Dubois “Algèbre et Analyse élémentaires” (a) Définition : soit P (X) = an X n + an−1 X n−1 + . . . a1 X + a0 un polynôme de degré n (i.e. an = " 0), on appelle polynôme dérivé du polynôme P , le polynôme de degré n − 1 noté P # (X) tel que : P # (X) = nan X n−1 + (n − 1)an−1 X n−2 + . . . + 2a2 X + a1 . On définit ensuite les polynômes dérivés successifs. Observons que si P (X) est de degré n, alors P (n+1) (X) est le polynôme nul. (b) Propriétés : Soient P, Q deux polynômes, on a i. (P + Q)# = P # + Q# . ii. (P · Q)# = P # · Q + P · Q# . iii. si deg P " 1, alors deg P # = deg P − 1. 3.2 Polynômes vs. applications polynomiales 1. Applications polynomiales. (a) Soit F(K) l’ensemble des applications de K dans lui même. Muni de la somme et de la multiplication des applications, F(K) est un anneau. Considérons l’application naturelle # $ " " Π : K[X] → F(K), P (X) = ai X i &→ fP : x &→ ai x i i∈N i∈N Π est une application telle que : Π(P + Q) = Π(P ) + Π(Q), Π(P · Q) = Π(P ) · Π(Q). (b) Définition : une application polynomiale est une application dans l’image de Π. 2. Remarques et observations : (a) Observation : Lorsque K = R, une application polynomiale f = Π(P ) est application réelle d’une variable réelle dérivable au sens usuel où : ∀x ∈ R, lim t→x Autrement dit, on a f (x) − f (t) existe et vaut f # (x) = Π(P # )(x). x−t Π(P )# = Π(P # ). Il en résulte qu’une application polynomiale est une fonction continue. (b) Une fonction non nulle en exactement un point telle que la fonction de Dirac % 1 si x = 1 δ1 : x &→ 0 sinon. ne peut pas être l’image d’un polynôme par Π. ! (c) Si P (X) = i∈N ai X i , alors on notera désormais abusivement, pour tout s ∈ K, P (s) l’évaluation en s de la fonction polynomiale associée à P (X) : " P (s) = Π(P )(s) = fP (s) = ai si = a0 + a1 · s + . . . + an · sn . i∈N 34 Jérôme Dubois “Algèbre et Analyse élémentaires” 3. Propriétés de Π. – Si K = Q, R ou C, alors Π est injective. – Si K = Q, R ou C, alors Π n’est pas surjective. 4. Formule de Taylor polynomiale. (a) Observation : soit P (X) = an X n +an−1 X n−1 +. . . a1 X +a0 un polynôme de degré n, quel que soit k, on a ak = 1 · P (k) (0) pour 0 ! k ! n, k! ainsi X # X n (n) P (0) + . . . + P (0). 1! n! Cette formule se généralise en la Formule de Taylor polynomiale. (b) Théorème (Formule de Taylor polynomiale) : Tout polynôme P (X) de degré inférieur ou égal à n vérifie : P (X) = P (0) + P (X) = P (a)+ 3.3 (X − a) # (X − a)n (n) P (a)+. . .+ P (a), quel que soit a ∈ K. 1! n! Division des polynômes 1. Division euclidienne (a) Théorème : Soient P (X), D(X) ∈ K[X] tels que D(X) "= 0. Il existe alors deux polynômes Q(X), R(X) ∈ K[X] tels que P (X) = Q(X)D(X) + R(X) et deg R(X) < deg D(X). De plus Q(X), R(X) sont uniquement déterminés par ces conditions. Démonstration : Posons n = deg P et m = deg D. i. Existence. Si P est le polynôme nul, alors on pose Q = R = 0. Si P est une constante non nulle de K, alors on pose Q = 0 et R = P si m > 0, et Q = D−1 P et R = 0 si m = 0. Après cette remarque liminaire on procède par récurrence sur le degré n " 1 de P et on suppose & tels que deg P& < n. l’existence démontrée pour tout couple (P& , Q) Posons P (X) = an X n + . . . + a1 X + a0 avec an "= 0 D(X) = bm X m + . . . + b1 X + b0 avec bm "= 0 On distingue alors à nouveau deux cas : – si n < m, alors on pose Q = 0 et R(X) = P (X). – si n " m, alors an n−m an P (X) − X D(X) = an−1 X n−1 + . . . − bm−1 X n−1 + . . . bm bm est de degré strictement inférieur à n ; on peut donc appliquer l’hyn pothèse de récurrence au couple (P (X) − bam X n−m D(X), D(X)), il & existe donc deux polynômes Q(X), R(X) tels que P (X)− an n−m & X D(X) = Q(X)D(X)+R(X) avec deg R < deg D. bm Il vient alors ' ( an n−m & P (X) = X + Q(X) D(X) + R(X) avec deg R < deg D bm il suffit donc de poser Q(X) = 35 an bm & X n−m + Q(X). Jérôme Dubois “Algèbre et Analyse élémentaires” ii. Unicité. Supposons qu’on puisse écrire P (X) = Q1 (X)D(X) + R1 (X) = Q2 (X)D(X) + R2 (X) avec deg R1 < deg D et deg R2 < deg D. Si on avait Q1 "= Q2 , on aurait D(X)(Q1 (X)−Q2 (X)) = R2 (X)−R1 (X), ce qui est impossible car deg(D(Q1 − Q2 )) " deg D et deg(R2 − R1 ) < deg D. Ainsi Q1 = Q2 , puis R1 = R2 . # (b) Exemple : cas des polynômes à coefficients entiers. Proposition : Soient P (X), D(X) ∈ Q[X] deux polynômes à coefficients entiers. Si D(X) est unitaire, alors le quotient Q(X) et le reste R(X) dans la division euclidienne P (X) = Q(X)D(X)+R(X) sont à coefficients entiers. 2. Définition : On dit que D(X) divise P (X) lorsque le reste dans la division euclidienne de P (X) par D(X) est nul. 3. Pratique de la division euclidienne. La démonstration du Théorème de la division euclidienne contient une méthode pratique de recherche du quotient et du reste dans une division. Cherchons par exemple le quotient et le reste dans la division euclidienne de P (X) = X 5 + X 4 − X 3 + X − 1 par D(X) = X 3 + X 2 + 2. X 5 +X 4 −X 3 +X −1 X 3 +X 2 +2 5 4 2 X +X +2X X 2 −1 −X 3 −2X 2 +X −1 −X 3 −X 2 −2 −X 2 +X +1 En conséquence, le quotient est X 2 − 1 et le reste −X 2 + X + 1. 3.4 Racines des polynômes !n a X i un polynôme dans K[X]. Pour r ∈ K, on !n i=0 ii pose P (r) = Π(P )(r) = i=0 ai r . On dit que r est une racine (on dit encore que r est un zéro) si P (r) = 0. 1. Définition : Soit P (X) = 2. Notation : On notera Z(P ) ⊂ K l’ensemble des racines du polynôme P (X) ∈ K[X]. 3. Proposition : r est une racine de P (X) si, et seulement si, X − r divise P (X). Démonstration. — La condition est suffisante : si X − r divise P (X), alors il existe Q(X) ∈ K[X] tel que P (X) = (X − r)Q(X), donc P (r) = Π(P )(r) = Π(X − r)(r) · Π(Q)(r) = 0. La condition est nécessaire : Soit r une racine de P (X). Effectuons la division euclidienne de P (X) par (X − r), il existe donc Q(X) ∈ K[X] et un polynôme constant R tels que P (X) = (X − r)Q(X) + R. Or on a facilement 0 = P (r) = Π(P )(r) = Π(X − r)(r) · Π(Q)(r) + R = R 36 Jérôme Dubois “Algèbre et Analyse élémentaires” donc (X − r) divise P (X). # 4. Le théorème fondamental de l’Algèbre : (a) Théorème de d’Alembert–Gauss : Dans C[X] tout polynôme admet au moins une racine ; on dit que C est algébriquement clos Ce théorème fondamental et classique est admis. Par exemple : X 2 + 1 = (X − i)(X + i). (b) Remarque : Dans R[X] ce n’est plus le cas, par exemple X 2 + 1 n’a pas de racine dans R ; par contre (d’après le théorème des valeurs intermédiaires) tout polynôme de R[X] de degré impair possède au moins une racine. 5. Théorème : Un polynôme de degré d " 0 a au plus d racines dans K. Démonstration. — Le résultat étant évident si d = 0, on suppose dans la suite que d > 0 et qu’il est vrai jusqu’au rang d − 1. Soit P (X) ∈ K[X] un polynôme de degré d. Si P (X) n’a pas de racine, il n’y a rien a démontrer ; sinon P (X) possède une racine r ∈ K et il existe donc (voir Prop. 3 § 3.4) Q(X) ∈ K[X] de degré d − 1 tel que P (X) = (X − r)Q(X). On a donc Z(P ) = {r} ∪ Z(Q). Par l’hypothèse de récurrence "Z(Q) ! d − 1, il s’en suit donc que P (X) possède au plus 1 + (d − 1) = d racines. # 6. Conséquence : On déduit du théorème précédent que le seul polynôme P (X) de degré inférieur ou égal à d " 0 admettant au moins d + 1 racines distinctes est le polynôme nul. 7. Racine multiple. (a) Définition : Soient P (X) ∈ K[X], r ∈ K et m ∈ N∗ . On dit que r est racine d’ordre m de P (X) si (X − r)m divise P (X) et (X − r)m+1 ne divise pas P (X). (b) Observation : La définition précédente peut se reformuler ainsi : r est racine d’ordre m de P (X) si, et seulement si, il existe un polynôme Q(X) tel que : P (X) = (X − r)m · Q(X) avec Q(r) "= 0. (c) Proposition : Soit P (X) ∈ K[X] un polynôme non nul, alors r ∈ K est racine d’ordre m de P (X) si, et seulement si, (i) P (i) (r) = 0 pour 0 ! i ! m − 1 et (ii) P (m) (r) "= 0. Ici P (i) (X) désigne la i-ème dérivée de P (X). Démonstration. — C’est une conséquence simple de la formule de Taylor polynomiale. # 8. Cas des racines rationnelles. (a) Observation : Tout polynôme à coefficients dans Q et de degré 1 possède exactement une racine rationnelle. (b) Proposition : Soit P (X) = an X n + · · · + a1 X + a0 Z[X] un polynôme à coefficients entiers. Si le nombre rationnel (écrit sous forme irréductible) p/q est racine de P (X) alors q divise an et p divise a0 . 37 Jérôme Dubois “Algèbre et Analyse élémentaires” Démonstration. — On a 0 = P (p/q) = an ' (n p p + · · · + a1 + a0 . q q Donc en multipliant par q n , il vient, an pn + an−1 pn−1 q + · · · + a1 pq n−1 + a0 q n = 0. Ainsi q divise an pn , et puisque p, q sont premiers entre eux le lemme de Gauss permet de conclure que q divise an . De façon semblable p divise a0 . # (c) Corollaire : Si un polynôme unitaire de Q[X] à coefficients entiers possède des racines rationnelles, alors elles sont en fait entières. (d) Exemple : Posons P (X) = X 3 − X 2 − 2X + 1. Comme P (0) = 1 et P (1) = −1, grâce au théorème des valeurs intermédiaires on conclut que P (X) possède une racine réelle dans ] − ∞, 0[, une racine réelle dans ]0, 1[ et une racine réelle dans ]1, +∞[ (voir Exemple 3. (b) ii. b. du § 3.3). On vérifie ensuite que ces trois racines ne peuvent être rationnelles en utilisant le corollaire précédent. Par ailleurs si r est racine de P (X) alors 2 − r 2 est racine de P (X). En effet, on a P (2 − X 2 ) = −(X 3 + X 2 − 2X − 1)P (X). # 38