Succion du pouce : effets immédiats, à
moyen et à long termes
Publié le 29 Août 2006
E. Ameisen - Institut Georges Eastman, Paris
Les effets de la succion du pouce sont très variables d’un enfant à l’autre et dépendent non seulement de
la durée de succion quotidienne mais, surtout, des mouvements des lèvres, des joues et de la langue
associés.
La succion d’un doigt, d’un biberon ou d’une tétine est habituelle chez le nourrisson. Lorsque l’enfant grandit, le
plus souvent à l’âge les dents de lait ont fini leur éruption, il a cessé de sucer son doigt. Vers l’âge de 5 ou 6
ans, la majorité des enfants ne tète plus. Parfois, certains continuent de sucer leurs doigts ou de téter leur langue,
pour « grandir plus doucement » et conserver ce geste qui les rassure.
Succion du pouce et maturation de
la déglutition
Chez un enfant qui ne présente aucun tic de succion, la
maturation physiologique (transition d’une déglutition
infantile en déglutition adulte) s’effectue spontanément vers
3-4 ans, lorsque la denture lactéale est en place et que
l’enfant se sert de ses dents pour s’alimenter.
Un tic de succion s’accompagne toujours, par définition, d’une déglutition et d’une phonation infantile. L’enfant qui
tète ne peut apprendre un comportement de grand avec sa langue au cours de la déglutition et de la parole.
Chez l’enfant qui présente un tic de succion, la maturation ne peut se faire. Il est donc vain de prescrire une
éducation orthophonique de la position de sa langue avant de s’être assuré de l’arrêt complet de la succion du
pouce.
Enfin, il faut éliminer l’idée communément répandue que « sucer son pouce déforme le palais ». Les déformations
ne concernent que l’arcade dentaire et l’os alvéolaire qui soutient les dents. Le palais ogival de certains enfants
correspond à un visage long et non à un appui prolongé d’un pouce dans la bouche.
« Sucer son pouce ne déforme pas le palais ».
Conséquences d’un tic de succion
La béance incisive
Ce signe pathognomonique est le premier retentissement d’un tic de succion. Il se traduit par une béance incisive
ou infraclusie (absence de contact entre les incisives dans le sens vertical) car le pouce, la langue, la tétine ou le
biberon font un obstacle à l’éruption dentaire. Lorsqu’un doigt est responsable de la béance, celle-ci est plus
marquée du côté où le doigt est introduit dans la bouche (figure 1).
Lorsque le tic concerne un biberon, une tétine ou la langue, la béance est, le plus souvent, symétrique (figure 2).
La succion d’un doigt, s’accompagnant toujours de mouvements de la langue et des lèvres associés, peut aussi
conduire à une béance symétrique.
Figure 1. Béance incisive, plus marquée à gauche, en
rapport avec une succion du pouce.
Le cal sur le doigt sucé
Un
autre
signe
qui ne
trompe
pas est
la
présen
ce d’un
ou de
plusieu
rs cals sur le doigt concerné (figures 3 et 4). Ce cal est un
témoin très fiable pour suivre la progression de l’arrêt de la
succion : il disparaît environ 3 mois après l’arrêt complet de
la succion du doigt.
Décalage sagittal des incisives
Les incisives supérieures s’inclinant vers l’avant, le décalage entre les incisives sera dans le sens sagittal. Parfois,
ce décalage est si important que les incisives supérieures sortent de la bouche, devant la vre inférieure (figure
5).
Figure 2. Béance incisive symétrique en rapport avec
une succion de la langue.
Figure 3. Cal de succion sur le pouce gauche
a
b
Autant la béance verticale se guérit d’elle-même par le
simple arrêt de la succion, autant le retour vers l’arrière
des incisives supérieures est bien plus difficile à obtenir
spontanément, surtout si les dents sont retenues en
dehors par la lèvre inférieure qui s’interpose.
Retentissement sur les molaires
Le retentissement de la succion du pouce peut s’exercer
aussi sur les molaires, dans le sens transversal, par
contraction des muscles buccinateurs et interposition de la
langue. Les petites fossettes, si mignonnes au coin des
lèvres, en sont souvent le témoin.
Absence de conséquences dentaires
Enfin, il arrive qu’un tic de succion ne provoque aucune
déformation de l’arcade dentaire. Cette absence de conséquences est indépendante du temps passé à cette
activité mais dépend des mouvements des muscles associés. Dans ces cas-là, il est important d’insister sur le fait
qu’il n’est pas nécessaire, d’un point de vue stomatologique, de demander de cesser cette habitude puisqu’elle
n’est pas nocive pour les dents. La décision pourra être prise, mais pour d’autres motifs (hygiène, psychologie et
selon l’avis du pédiatre).
Principes de la prise en charge
Souvent, les parents sont très inquiets de la succion du pouce de leur enfant et c’est un sujet de conflit quotidien.
Chez le petit enfant
Le retentissement de la succion du pouce sur les dents de lait est sans importance notable, et c’est pourquoi il est
peut-être nécessaire de « laisser tranquille » un enfant en denture lactéale. Les déformations imposées à ces
dents disparaîtront avec elles, au moment de l’éruption des dents définitives. Il est normal de téter lorsqu’on est
petit, et si l’on commence à vouloir intervenir trop tôt, l’enfant risque de ne pas comprendre et de refuser de
participer.
Vers 5-6 ans
L’âge les premières incisives définitives font leur éruption, c’est-à-dire vers 5 ou 6 ans, est un bon moment
pour commencer à convaincre l’enfant que ses dents de grand évoluent et qu’il est temps d’adopter des «
comportements de grand ». Les parents cherchent souvent à s’imposer et profitent de cette consultation pour dire
« qu’il faut écouter le docteur », « que ce n’est pas trop tôt, depuis le temps qu’ils lui demandent d’arrêter ». Il est
important à ce moment de parler à l’enfant, de lui dire que s’il souhaite arrêter, on peut lui donner les moyens de
réussir mais il lui faut le souhaiter réellement. Il n’est pas question de le menacer, bien au contraire, il suffit
simplement de lui proposer de l’aider. On lui demande d’y réfléchir puis de donner son avis. Dans 9 cas sur 10,
l’enfant exprime le souhait d’arrêter mais dit qu’il n’y arrive pas.
Plusieurs moyens simples peuvent être mis à sa disposition. On lui propose de mettre un gant ou une chaussette
« propre » autour de la main la nuit ou de mettre de le doudou, la tétine ou le biberon.
Il faut lui expliquer que si sa seule volonté est suffisante pour arrêter de sucer son doigt en s’endormant, il ne
pourra pas se contrôler au cours du sommeil, où, inconsciemment, le doigt revient dans la bouche lorsqu’il rêve.
C’est lui et lui seul qui doit le faire. C’est son doigt qui entre dans sa bouche, et ses dents qui seront déformées ;
c’est à lui de se prendre en charge. On peut lui garantir que s’il suit la consigne, les améliorations seront déjà
mesurables au bout d’un mois et demi. Il est important de répéter aux parents, en présence de l’enfant, qu’il est
capable d’y arriver seul et qu’on lui fait confiance, qu’il est assez malin pour réussir. Souvent, l’enfant, trop
content de pouvoir montrer à ses parents qu’il devient grand, arrête de sucer son pouce le jour même de la
consultation (figure 6).
c
Figure 5. Béance incisive sagittale, dents en avant et
interposition des lèvres.
a. Bouche fermée, b. Bouche ouverte de face, c. Bouche
ouverte de profil.
Il est impératif de revoir l’enfant un mois et demi plus tard
pour mesurer les progrès car cela le stimule et lui confirme
son objectif. Dans 9 cas sur 10, l’enfant a arrêté ou a fait
de grands efforts. Dans 1 cas sur 10, il refuse ou a fait
quelques tentatives infructueuses. Il est alors encore trop
jeune pour arrêter ou a des raisons affectives de ne pas le
faire. Il est préférable alors de le laisser grandir un peu et
de le revoir ultérieurement pour tenter de dénouer le
problème.
Que faire en cas de succion de la
langue ?
Nous sommes beaucoup plus démunis devant la succion
de la langue. Il est facile, si l’enfant est d’accord, de faire
disparaître le doigt dans une chaussette ou un gant la nuit,
de mettre un sparadrap ou du vernis amer dans la journée
comme simple signe pour ne pas oublier qu’il a décidé
d’arrêter (il doit choisir les instruments et ne doit en aucun
cas être contraint). Il est simple de déposer le biberon, la
tétine ou le doudou quelque part, là où l’enfant l’aura
souhaité. Mais il est bien plus difficile de « tenir sa langue
» car le geste reste le plus souvent inconscient. Lorsque la
succion de la langue est associée à un autre mouvement,
comme celui de caresser un doudou, des cheveux ou de
se gratouiller le ventre, il est plus facile d’arrêter le tic de
succion : le simple fait de demander à l’enfant de
supprimer le geste accompagnateur peut permettre de
faire disparaître la succion de la langue.
« Supprimer le geste accompagnateur peut permettre
de faire disparaître la succion de la langue. »
Dans de rares cas, on proposera un appareil de nuit pour
empêcher le passage antérieur de la langue, espérant que
ce dispositif aidera l’enfant à perdre le réflexe de succion.
Lorsque l’appareil est toléré, le risque se retrouve quand
même à sa dépose car, si le tic réapparaît, les
déformations dentaires en feront autant.
Appareillage : de très rares indications
Les dangers de l’appareillage
S’il n’est pas assez mûr pour s’intéresser à ses dents et n’en comprend pas l’intérêt, l’enfant ne supportera pas
un appareil qui le gênera. En outre, s’il n’arrête pas de sucer son doigt, il y aura, si on obtient malgré tout une
certaine amélioration, une récidive complète à la dépose de l’appareillage.
a
b.
c
a. Aspect initial., b. 1 mois et demi après l’arrêt, c. 3
mois après l’arrêt.
Il est dangereux d’appliquer des forces contraires à celles exercées par la succion car les dents sont
alors très sollicitées d’une manière inhabituelle, d’avant en arrière et d’arrière en avant, et peuvent
montrer des signes de souffrance conduisant parfois à une perte de la racine ou une diminution de l’os
de soutien des dents (figure 7).
Conduite à tenir
Traditionnellement, il faut :
convaincre l’enfant d’abandonner son tic de succion ;
suivre les efforts de l’enfant tous les mois ou toutes les 6 semaines environ et le féliciter à chaque fois
de ses efforts ;
s’il persiste une anomalie de l’articulé incisif, c’est-à-dire si la béance s’est réduite ou si les dents ont
reculé mais pas jusqu’au contact dentaire, c’est qu’il reste un trouble de la position de la langue au cours
du premier temps de la déglutition et de la phonation. Ces troubles ne sont pas audibles mais sont
visibles. On constate, pour la prononciation, une interposition de la pointe de la langue entre les incisives
et la déglutition se fait toujours avec une mimique. Il faut alors prescrire un bilan puis 12 à 15 séances
d’éducation orthophonique pour permettre à l’enfant de passer d’un mode de déglutition et de phonation
infantile à un mode adulte (voir ci-dessous) ;
« 12 à 15 séances d’éducation orthophonique permettent à l’enfant de passer à un mode de déglutition et
de phonation adultes. »
La phonation adulte
Elle se fait avec l’appui de la pointe de la langue, au cours de
la prononciation des consones D, T, N, L, à la papille
palatine. La pointe de la langue ne doit ni appuyer sur les
dents ni s’interposer entre elles.
La déglutition adulte
Elle se fait avec l’appui de la pointe de la langue, au cours du
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