Fibres alimentaires et cancer colorectal
Etudes expérimentales, épidémiologie, mécanismes
Pierre ASTORG (1, 2), Marie-Christine BOUTRON-RUAULT (1)
pour le Groupe « Fibres et cancer colorectal » du réseau NACRe : Claude ANDRIEUX (2), Pierre ASTORG (1),
François BLACHIER (3), Hervé BLOTTIÈRE (4), Claire BONITHON-KOPP (5), Marie-Christine BOUTRON-RUAULT (1),
Pierrette CASSAND (6), Catherine CHAUMONTET (3), Christine CHERBUT (4), Françoise CLAVEL-CHAPELON (7),
Denis CORPET (8), Pierre-Henri DUÉE (3), Mariette GERBER (9), Khaled MEFLAH (10), Jean MÉNANTEAU (10),
Marie-Hélène SIESS (11)
(1) UMR Epidémiologie Nutritionnelle INSERM U557/INRA/CNAM, Conservatoire National des Arts et Métiers, Paris ;
(2) Unité Ecologie et Physiologie du Système Digestif, INRA, Jouy-en-Josas ;
(3) Unité Nutrition et Sécurité Alimentaire, INRA, Jouy-en-Josas ; (4) Unité Fonctions Digestives et Nutrition Humaines, INRA, Nantes ;
(5) INSERM CRI 9505, Registre Bourguignon des Tumeurs, Dijon ; (6) Laboratoire de Nutrition et de Signalisation Cellulaire, Université de Bordeaux I ;
(7) INSERM Z521, Laboratoire d’Epidémiologie des Cancers, Institut Gustave Roussy, Villejuif ; (8) Ecole Nationale Vétérinaire de Toulouse ;
(9) Centre Régional de Lutte contre le Cancer, INSERM, Montpellier ; (10) INSERM U419, Nantes ;
(11) UMR Toxicologie Alimentaire INRA/ENSBANA/Université de Bourgogne, Dijon.
TABLE DES MATIE
`RES
INTRODUCTION
FIBRES ALIMENTAIRES : DÉFINITION, SOURCES,
CONSOMMATION
Définition
Sources, consommation
RECHERCHES SUR MODÈLES ANIMAUX
Modèles animaux utilisés
Effets comparés de différents types de fibres sur la cancéro-
genèse colique chez le rongeur (modèles chimiques)
Effets des fibres sur les différentes phases de la cancéroge-
nèse (modèles chimiques)
Effet des fibres sur la cancérogenèse intestinale dans les
modèles génétiques
Conclusion
ÉTUDES ÉPIDÉMIOLOGIQUES
Etudes écologiques
Etudes cas-témoins
Etudes de cohortes
Etudes d’intervention
Conclusion
MÉCANISMES D’ACTION DES FIBRES SUR LA
CANCÉROGENÈSE COLORECTALE
Effet des fibres sur la masse fécale
Adsorption des cancérogènes par les fibres
Effets des fibres sur le pH du contenu colique et sur les acti-
vités enzymatiques bactériennes
Effets des fibres sur la composition de la flore
Effets des fibres sur la prolifération cellulaire
Rôle du butyrate
Rôle des constituants végétaux autres que les fibres
Effets des fibres sur l’équilibre énergétique et la résistance à
l’insuline
Conclusion
CONCLUSION GÉNÉRALE
CONTENTS
Dietary fibers and colorectal cancer. Experimental studies,
epidemiology, mechanisms
INTRODUCTION
DIETARY FIBERS: DEFINITION, SOURCES AND INTAKE
Definition
Sources, intake
ANIMAL STUDIES
Animal models used
Effects of different fiber types on colon carcinogenesis in
rodents (chemical models)
Effects of fibers on different phases of colon carcinogenesis
(chemical models)
Effects of fibers on intestinal carcinogenesis in genetic mod-
els
Conclusion
EPIDEMIOLOGICAL STUDIES
Ecological studies
Case-control studies
Cohort studies
Intervention studies
Conclusion
MECHANISMS OF ACTION OF FIBERS ON COLORECTAL
CARCINOGENESIS
Effect of fibers on fecal mass
Carcinogens adsorption by fibers
Effets of fibers on colonic pH and on bacterial enzyme
activities
Effects of fibers on the composition of colonic flora
Effects of fibers on colonic cell proliferation
Role of butyrate
Role of phytochemicals other than fibers
Effects of fibers on energetic balance and insulin resistance
Conclusion
GENERAL CONCLUSION
L’incidence du cancer colorectal (CCR) varie dans un
rapport de1à20selon les régions du monde. Dans
les pays développés : Europe, Australie, Amérique
du nord, c’est l’un des cancers les plus communs dans les deux
sexes. En France, le CCR représente 33 000 nouveaux cas par
an, et constitue la deuxième cause de mortalité par cancer, après
le cancer du poumon. Il est rare, en revanche, en Afrique, en
Amérique latine et en Asie, les taux d’incidence les plus faibles
étant observés en Afrique occidentale et orientale et en Inde [1].
Les études sur les populations migrantes, dont l’incidence de CCR
rejoint assez rapidement celle du pays d’accueil, et des augmen-
tations rapides, récentes, de l’incidence dans des régions comme
le Japon ou les zones urbaines de la Chine montrent que ces
différences entre pays sont dues pour une large part aux facteurs
Tirés à part : P. ASTORG, UMR U557 INSERM/INRA/CNAM, Institut
Scientifique et Technique de l’Alimentation, Conservatoire National des
Arts et Métiers, 5, rue du Vertbois 75003 Paris.
NACRe : Réseau National Alimentation Cancer Recherche ; (Responsa-
ble Paule Martel), LNSA, INRA, Centre de Recherches de Jouy, 78352
Jouy-en-Josas Cedex.
© Masson, Paris, 2002. Gastroenterol Clin Biol 2002;26:893-912
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environnementaux, et notamment alimentaires, bien davantage
quaux facteurs génétiques [2, 3]. Parmi les facteurs alimentaires
qui pourraient favoriser la cancérogenèse colorectale, on peut
citer lapport calorique total, la consommation de graisses
animales et saturées, dalcool ainsi que peut-être celle de viande
rouge et de charcuterie [2-5]. Parmi les facteurs présumés
protecteurs, on trouve les légumes, les fruits, les bres alimen-
taires, le calcium, lacide folique [2-5]. Une étude récente daprès
une cohorte américaine a estiméque 40 à55 % des CCR
pourraient être évités par des changements dans six facteurs de
risque, dont trois concernent lalimentation [6]. Lhypothèse dun
effet protecteur des bres alimentaires vis-à-vis du CCR a été
émise dès 1971 par Burkitt [7], àla suite de lobservation de sa
très faible incidence dans des populations africaines dont
lalimentation est particulièrement riche en bres. Elle a fait
lobjet depuis de très nombreuses recherches, tant expérimenta-
les qu’épidémiologiques. Cependant, la nature de la relation
entre la consommation de bres et le CCR est loin d’être
clairement établie [8]. Récemment, la publication de résultats
concluant àlabsence deffet protecteur des bres ou des aliments
riches en bres sur le CCR dans des études de cohortes [9, 10],
ou sur la récidive des adénomes dans des études dintervention
[11-13], a déclenchéune controverse sur la réalitéde leffet
protecteur des bres sur la cancérogenèse colorectale [14]. Cette
revue fait le point des travaux expérimentaux et épidémiologi-
ques sur les effets des bres sur le CCR et sur les mécanismes en
jeu, et sefforce de tirer des conclusions sur lintérêt des bres et
des aliments riches en bres dans la prévention du CCR.
Fibres alimentaires : définition, sources,
consommation
Définition
On désigne par «fibres alimentaires »un ensemble de
substances complexes qui échappent àlaction des enzymes du
tube digestif et parviennent dans le côlon. Il ny a pas de
définition des bres internationalement reconnue [15], mais la
plupart des auteurs incluent lensemble des glucides non digesti-
bles (amidons résistants, polysaccharides non amylacéset
oligosaccharides non digestibles) et les lignines (tableau I). Parmi
les amidons résistants, le type 3 est dune importance particulière,
car il peut se former après cuisson àleau et refroidissement à
partir de la plupart des aliments amylacés [16]. On peut
distinguer les bres alimentaires présentes naturellement dans les
aliments et les bres ajoutées au cours de la fabrication de
certains aliments [15], notamment pour leur pouvoir géliant.
Les bres alimentaires sont habituellement classées en bres
solubles (une partie des hémicelluloses, pectines, gommes,
mucilages, produits algaux, oligosaccharides), formant avec
leau des solutions visqueuses ou des gels, et bres insolubles (la
plupart des hémicelluloses, la cellulose, la lignine). La principale
propriétébiologique des bres alimentaires est leur fermentesci-
bilitépar les bactéries du côlon, qui produisent de lacide
lactique, des acides gras àchaîne courte (AGCC) (acétate,
Tableau I. − Fibres alimentaires.
Dietary fibers.
Classe Origine Fibre Caractéristiques
Amidons résistants Végétale (cellule) Amidon résistant de type 1 (AR1) α-glucane, physiquement inaccessible ; peu fermentescible
Amidon résistant de type 2 (AR2) α-glucane, granules natifs résistants àlα-amylase ; soluble (gel),
fermentescible
Amidon résistant de type 3 (AR3) α-glucane, rétrogradéaprès traitement thermique ; soluble (gel)
fermentescible
Synthèse Amidon résistant de type 4 (AR4) α-glucane, chimiquement modifié ; soluble (gel) fermentescible
Polysaccharides
non amylacésVégétale (parois) Cellulose (1-4) -glucane ; polymère linéaire de glucose de haut poids moléculaire,
insoluble, peu fermentescible
-glucanes Polymères linéaires de glucose de faible poids moléculaire, solubles,
fermentescibles
Hémicelluloses Divers hétéropolymères ramifiés dont des xyloglucanes (fruits et légumes),
des arabinoxylanes (céréales) ; en partie solubles (gels) et fermentescibles
Pectines Hétéropolymères complexes ramifiés, contenant de lacide galacturonique,
du rhamnose, de larabinose, du galactose ; solubles (gels), très
fermentescibles.
Végétale (cellule) Gommes (guar, caroube, etc.) Hétéropolymères complexes : arabinogalactanes, galactomannanes ;
solubles (gels), fermentescibles
Mucilages (ispaghule, psyllium) Hétéropolymères complexes ; solubles (gels), fermentescibles
Inuline Polymère de fructose ; soluble (gel), très fermentescible
Algale (parois) Carraghénanes, alginates, agar Solubles (gels), fermentescibles
Animale (carapace des crustacés) Chitine, chitosan Structure voisine de la cellulose ; insolubles ou peu solubles, non ou peu
fermentescibles
Fongique, bactérienne -glucanes, galactomannanes, xanthanes ; solubles (gels), fermentescibles
Synthèse Polydextrose Polymère de glucose ramifié ; soluble (gels), fermentescible
Oligosaccharides
indigestibles Hydrolyse ou biosynthèse Fructooligosaccharide,
galactooligosaccharide
maltodextrines
Oligopolymères de fructose, de galactose, de glucose ou dautres oses ;
solubles, très fermentescibles
Autres polymères Végétale (parois) Lignines Polymèresenréseau dacides phénoliques ; insolubles, hydrophobes, non
fermentescibles
Subérine, cutine Polyesters dacides gras et de polyphénols, liésàun réseau de type
lignine ; insolubles, hydrophobes, non fermentescibles
P. Astorg et al.
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propionate, butyrate), de lhydrogène, du dioxyde de carbone et
de la biomasse. Labsorption des AGCC permet de récupérer une
partie de l’énergie des glucides qui ont échappéàla digestion
dans lintestin grêle. Les bres insolubles sont peu fermentées
(cellulose) ou ne sont pas du tout fermentées (lignine), alors que
les amidons résistants et les bres solubles sont très fermentesci-
bles.
Sources, consommation
Les bres alimentaires, hors lamidon résistant, sont principa-
lement apportées par les céréales complètes et les produits qui en
dérivent, les fruits, les légumes, les graines, les fruits secs et les
légumes secs. La consommation moyenne de bres (non compris
lamidon résistant) est estiméeà11 à13,5 g/jour aux Etats-Unis
[17], 15 à22 g/jour en France (dont 50 % proviennent des
aliments céréaliers, 32 % des légumes, 16 % des fruits, et 3 % des
légumes secs) [18]. Ces quantités sont inférieures àla quantité
recommandée (environ 30 g/jour). La consommation damidon
résistant dans un régime occidental a étéestiméeà3-5 g/jour
[19]. Sur la base des méthodes de dosage existantes, la quantité
totale de glucides atteignant le côlon serait donc de lordre de 15
à25 g/jour [18]. Cependant, cette quantiténe représente que le
tiers de celle que requièrent les synthèses bactériennes dans le
côlon [20]. Apparemment, les méthodes physico-chimiques
disponibles sous-estiment fortement les bres et en particulier
lamidon résistant. Celui-ci pourrait représenter en réalité10 %
ou plus de lamidon ingéré[20, 21], soit une quantitéégale aux
autres types de bres, voire davantage. Ces incertitudes sur les
teneurs des aliments en bres et en amidon résistant sont un point
faible des études basées sur les tables de composition actuelles.
Dans lavenir, compte tenu des propriétéstrès diverses des
différents types de bres, le développement des études épidémio-
logiques nécessitera des tables plus détaillées et plus ables que
les tables actuelles, qui ne mentionnent souvent que les bres
totales. Des tables plus détaillées par exemple distinguant les
bres solubles et insolubles sont en cours de réalisation, en
France en particulier. En attendant, beaucoup d’études épidé-
miologiques récentes se réfèrent souvent aux aliments ou groupes
daliments riches en bres plutôtquaux bres elles-mêmes.
Recherches sur modèles animaux
Modèles animaux utilisés
Le modèle expérimental le plus utiliséest un modèle de
cancérogenèse chimique chez le rat utilisant comme agent
initiateur des cancérogènes indirects comme la diméthylhydra-
zine (DMH) ou lazoxyméthane (AOM), administrés par voie
sous-cutanée. Ces cancérogènes sont activés au niveau du foie et
gagnent lintestin par le sang ou par la bile sous forme de
conjuguésàlacide glucuronique. Ils engendrent àcourt terme
(dès deux semaines) des foyers de cryptes aberrantes, considérés
comme de bons marqueurs prénéoplasiques, et àplus long terme
(6 mois), des tumeurs qui partagent avec les tumeurs humaines de
nombreuses similarités histologiques et biologiques, y compris
dans les altérations génétiques. La séquence adénome-cancer
nest pas toujours observée dans ce modèle. Ce type de modèle,
de loin le plus utiliséàce jour, permet d’évaluer leffet du produit
alimentaire testé, mais aussi celui de la période dadministration
de ce produit : pendant toute la duréedelexpérience, ou
pendant la période de pré-initiation/initiation (avant et pendant
ladministration du cancérogène, qui peut durer de 1 à20
semaines), ou pendant la période de promotion/progression
(aprèslapériode dadministration du cancérigène) [22]. Récem-
ment, des modèles génétiques de cancérogenèse intestinale ont
étédéveloppés. Des souches de souris (Min, Apc1638,
Apcdelta716) portant un allèle mutant du gène de la polypose
adénomateuse humaine (Apc) développent spontanément et
rapidement des tumeurs (carcinomes) de lintestin grêle et du
côlon (surtout de lintestin grêle), en labsence de tout traitement
par un cancérigène [23, 24].
Effets comparés des différents types de bres
sur la cancérogenèse colique chez le rongeur
(modèles chimiques)
Deux types de bres alimentaires ont étéétudiés. Il sagit
dune part des produits riches en bres comme le son de céréales
(blé, mais aussi avoine, orge, seigle, maïs, riz, soja) ou dautres
sources comme la bre de betterave, de carotte, de luzerne, de
café, etc., dautre part des bres plus ou moins purifiées. Les
teneurs en bres des régimes expérimentaux varient de 2 à25 %
(en France, les bres représentent 15-25 g/jour, soit environ 2 à
5 % de la matière sèche du régime, voir paragraphe «sources,
consommation »). Les travaux expérimentaux réalisés sur les
modèles chimiques sont résumés dans le tableau II.
Un grand nombre de travaux ont étéconsacrés au son de
blé: chez le rat, administrépendant toute la duréedelexpé-
rience, il diminue le plus souvent lincidence et/ou la multiplicité
des tumeurs coliques [25-37] ou des foyers de cryptes aberrantes
[33, 35, 41-43]. Il arrive cependant quil soit sans effet, ou même
quil augmente lincidence ou le nombre des tumeurs induites par
la DMH chez le rat [40] ou la souris [45]. Les sons dautres
céréales montrent des effets divers, mais globalement beaucoup
moins convaincants que ceux du son de blé. Le son de maïs, très
insoluble et peu fermentescible, augmente la cancérogenèse
chimique chez le rat ou la souris [39, 45, 52]. Le son davoine,
riche en bres solubles et fermentescibles, na pas deffet ou a des
effets promoteurs [26, 34, 54]. Parmi les bres insolubles, la
cellulose a un effet protecteur dans une majoritéd’études chez le
rat [27, 47, 61-68], mais parfois elle na aucun effet, voire un
effet promoteur [54, 69,70]. Dautres bres insolubles ont des
effets protecteurs [43, 52, 60].
Les bres solubles et très fermentescibles (gomme guar,
pectine de pomme ou de citrus, psyllium, bre de luzerne, son
davoine ou de soja, amidons résistants, carraghénanes) ont des
effets très variables sur la cancérogenèse colique chimio-induite
chez le rat : administrées pendant toute la durée du processus,
soit elles nont pas deffet [30, 39, 62, 85, 86, 90], soit elles
diminuent la formation de tumeurs ou de foyers de cryptes
aberrantes [30-32, 37, 44, 59, 64, 71, 73-75, 79, 88, 89], soit,
au contraire, elles laugmentent [26, 30, 34, 38, 54, 81, 82, 87].
Les différentes bres solubles (y compris les amidons résistants) ne
se distinguent pas clairement les unes des autres par leurs effets,
àdeux exceptions près : les oligosaccharides et linuline, qui ont
régulièrement montrédes effets protecteurs [44, 91-97] et jamais
ABRÉVIATIONS :
AGCC : acides gras àchaîne courte
AOM : azoxyméthane
CC : cancer du côlon
CR : cancer du rectum
CCR : cancer colorectal
COX-2 : cyclooxygénase-2
DMAB : 3, 2-diméthyl-4-aminobiphényle
DMH : 1, 2-diméthylhydrazine
FCA : foyers de cryptes aberrantes
FOS : fructooligosaccharide
IGF-1 : insulin-like growth factor 1
IQ : 2-amino-3-methylimidazo[4,5-f]quinoline
MNU : N-méthyl-N-nitrosourée
7OH-IQ : 7-hydroxy-2-amino-3-methylimidazo[4,5-f]quinoline
OR : odds-ratio
PAF : polypose adénomateuse familiale
RR : risque relatif
Fibres et cancer colorectal
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Tableau II.Effets des bres sur la cancérogenèse colique chimioinduite chez le rongeur.
Effects of bers on chemically induced colon carcinogenesis in rodents.
Type de bre Fibre, dose (% du régime) Espèce Cancérogène Période dadm
on
des bres Critères
observésEffet Références
Son de bléSon de blé4-30 % Rat DMH ou AOM I + P Tumeurs 25-36
ou DMAB 37
Son de blé15-40 % Rat DMH ou MNU I + P Tumeurs 30, 38, 39, 45
Son de blé20 % Rat DMH I + P Tumeurs 40
Son de blé4-20 % Rat AOM ou IQ I + P FCA 33, 35, 41- 43
Son de blédésamidonné8 % Rat AOM I + P FCA 44
Son de blé20 % Souris DMH I + P Tumeurs 45
Son de blémicrobre 20 % Souris AOM I + P Tumeurs 46
Son de blé20-30 % Rat AOM I Tumeurs 47
Son de blé20 % Rat DMH I Tumeurs 40
Son de blé20 % Rat DMH P Tumeurs 40
Son de blé10-20 % Rat DMH P Tumeurs 39, 48, 49
Son de blé20 % Rat DMH P FCA 50
Son dautres céréales Son de maïs enrichi en hémicellulose 4,5 % Rat DMH I + P Tumeurs 51
Son de maïs 15-20 % Rat DMH I + P Tumeurs 39, 52
Son de maïs 20 % Souris DMH I + P Tumeurs 45
Son de seigle 30 % Rat AOM I + P Tumeurs 53
Son dorge 5 % Rat DMH I + P Tumeurs ou 27, 28
Son dorge 5 % Rat DMH P Tumeurs 28
Son davoine 6-10 % Rat DMH I + P Tumeurs 26, 34, 54
Son de riz ou de soja 20 % Rat DMH I + P Tumeurs 39
Son de soja 20 % Souris DMH I + P Tumeurs 45
Autres sources de
bres Fibre de carotte 20 % Rat DMH I + P Tumeurs 38
Luzerne 20 ou 30 % Rat AOM I Tumeurs 47
Luzerne 15 % Rat MNU I + P Tumeurs 30
AOM I + P
Fibre de betterave 20 % Rat DMH I + P Tumeurs 55, 56
ou I
ou P
Fibre de betterave 20 % Rat DMH I + P FCA 56-58
ou I
ou P
Psyllium 5-15 % Rat DMH ou AOM I + P Tumeurs 32, 64, 71
Psyllium 20 % Souris DMH I + P Tumeurs ou 85
Fibre de café10 % Rat AOM I + P FCA 59
Pulpe dorange 15 % Rat DMH I + P Tumeurs 60
Fibres insolubles
purifiées Cellulose 4,5-30 % Rat DMH ou AOM I + P Tumeurs 27, 47, 61-68
Cellulose 10-25 % Rat DMH I + P Tumeurs 54, 69-70
Cellulose 4,5-15 % Rat DMH P Tumeurs ou 62, 71
Lignine autohydrolysée 7,5 % Rat DMAB I + P Tumeurs 52
Lignine 5 ou 10 % Rat DMH P Tumeurs 72
Parois subérisées (liège, p. de terre) 5 % Rat IQ I + P FCA 43
Fibres solubles
purifiées Pectine de pomme ou de citrus 10-20 % Rat DMH ou AOM ou
DMAB I + P Tumeurs 30, 31, 37,
73-75
Pectine 10 % Rat AOM I + P FCA 59
Pectine 15 % Rat DMH ou MNU I + P Tumeurs 30, 62
Pectine de citrus 6,5-10 % Rat DMH I + P Tumeurs 38, 54
Pectine peu ou trèsméthoxylée 5 % Rat DMH I Tumeurs 76
Pectine 10 % Rat DMH P Tumeurs 77, 78
Guar 15 % Rat DMH I + P Tumeurs 79
Guar 10 % Rat DMH I + P Tumeurs 26, 54
Guar 10 % Rat DMH P Tumeurs 77
Agar Souris DMH I + P Tumeurs 80
Carraghénane 6-15 % Rat DMH ou AOM ou
MNU I + P Tumeurs 81, 82
Carraghénane 2,5 % dans leau Rat AOM P FCA ou 83, 84
Amidons résistants Amidon résistant de type 2 (maïs) 3 ou 10 % Rat DMH I + P Tumeurs 86
Amidon résistant de type 2 (pomme de terre)
15 % Rat DMH I + P Tumeurs
FCA
87
Amidon résistant de type 3 (maïs) 20 % Rat AOM I + P FCA 44
Amidon résistant de type 2 (pomme de terre
ou maïs) Rat AOM ou DMH P FCA 88, 89
Amidon résistant de type 3 (maïs) 25 % Rat DMH I FCA 90
Oligosaccharides Fructooligosaccharide (FOS) 10 % Rat AOM I + P FCA 44, 91, 92
Inuline 10 % Rat AOM I + P FCA 91, 92
Galactooligosacharide (GOS) 5-27 % Rat AOM I + P Tumeurs ou FCA 93, 94
FOS 2 % Rat AOM P FCA 95, 96
FOS2%+bidobactéries Rat DMH P FCA 95, 96
Inuline 5 % ou Rat DMH P FCA 97
inuline5%+bidobactéries Rat DMH P FCA 97
DMH : 1,2-diméthylhydrazine ; AOM : azoxyméthane ; MNU : N-méthyl-N-nitrosourée ; DMAB : 3,2-dimethyl-4-aminobiphenyl ; IQ : 2-amino-3-methylimidazo[4,5-f]quinoline ;
I : pendant ou avant et pendant ladministration du cancérigène ; P : aprèsladministration du cancérigène ; I + P : pendant et après ou avant, pendant et aprèsladministration
du cancérigène ; FCA : foyers de cryptes aberrantes ; : pas deffet des bres ; :lesbres diminuent lincidence et/ou le nombre et/ou la taille des tumeurs ou des FCA ; :
les bres augmentent lincidence et/ou le nombre et/ou la taille des tumeurs ou des FCA.
P. Astorg et al.
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deffet aggravants, et les carraghénanes, qui, àlinverse, ont
régulièrement montrédes effets promoteurs [81-84] et jamais
deffets protecteurs. Dans les quelques travaux réalisés avec le
modèle chimique chez la souris, les bres, solubles ou insolubles,
ont la plupart du temps un effet aggravant [45, 80, 85].
Effets des bres sur les différentes phases
de la cancérogenèse (modèles chimiques)
Chez le rat, un régime à20 % de son de blé, donné
uniquement pendant la période dadministration de la DMH,
augmente parfois fortement le nombre de tumeurs du côlon par
rapport àun régime sans bres (3 à4 fois plus de tumeurs) [40].
En revanche le son de bléadministréaprèslandelexposition à
la DMH exerce le plus souvent un effet protecteur [39, 48-50].
Certaines bres solubles et très fermentescibles (gomme guar,
pectine, amidon résistant) qui ont des effets promoteurs ou
variables lorsquon les administre pendant la phase dinitiation
ou pendant tout le processus, ont un effet protecteur lorsquon les
administre uniquement en phase de post-initiation [77, 78, 88,
89]. Ces travaux montrent la possibilitédeffets différents, voire
opposés, des bres selon la phase de la cancérogenèse au cours
de laquelle on les administre dans les modèles chimiques. Il
peuvent expliquer en partie les résultats contradictoires obtenus
chez le rat lorsquon administre les bres pendant toute la durée
du processus.
Effets des bres sur la cancérogenèse intestinale
dans les modèles génétiques
Les quelques travaux réalisés dans les modèles génétiques
montrent des effets très variables des bres. Les fructooligosac-
charides (FOS) diminuent lincidence et le nombre des tumeurs du
côlon, alors que le son de bléet lamidon résistant nont pas
deffet, et quaucune de ces bres ne modie le nombre des
tumeurs du grêle [23]. Le son de seigle diminue lincidence des
tumeurs du côlon ; le son de bléest sans effet, et le son davoine
et linuline ont tendance àaugmenter le nombre de tumeurs de
lintestin grêle [98]. Deux autres travaux montrent des effets
aggravants des bres dans ce modèle : lamidon résistant de type
2 (pomme de terre + maïs) augmente le nombre de tumeurs de
lintestin grêle, dans une souche ne présentant pas de tumeurs du
côlon [24] ; un régime riche en son de blé(10 %) et surtout un
aliment d’élevage riche en bres (de céréales et de luzerne)
(18 %) augmentent lincidence et le nombre des tumeurs du
côlon, alors que la gomme guar et la cellulose nont pas deffet
sur les tumeurs du côlon, mais diminuent le nombre de tumeurs de
lintestin grêle [99]. Il nest pas possible de tirer une conclusion de
ces quelques résultats disparates : ici encore, selon les cas, les
bres peuvent diminuer ou augmenter la cancérogénèse dans ce
modèle.
Conclusion
En conclusion, les résultats des nombreuses expérimentations
utilisant les modèles chimiques chez le rongeur frappent dabord
par leur manque de cohérence : une même bre peut avoir un
effet protecteur ou aggravant ou navoir pas deffet [100]. Dans
ces modèles, la nature du cancérogène, la duréeetlapériode
dexposition (initiation ou post-initiation) sont susceptibles de
rendre compte en partie de cette variabilité. Quelques tendances
peuvent cependant être discernées. Le son de bléest la source de
bres qui a le plus régulièrement des effets protecteurs, mais il
peut être sans effet, et même avoir des effets aggravants, lorsquil
est administréuniquement pendant la période dadministration
du cancérigène. Les bres insolubles et non fermentescibles :
cellulose, lignine, subérine ont un effet protecteur ou sont parfois
sans effet ; curieusement, le son de maïs, bien que très insoluble,
augmente la cancérogénèse colique. Les bres solubles et
rapidement fermentescibles (y compris les amidons résistants) ont
des effets trèsaléatoires, souvent aggravants ; cependant,
comme le son de blé, elles ont presque toujours des effets
protecteurs lorsquon les administre uniquement en phase de
post-initiation [100], àlexception des carraghénanes. Les
travaux réalisés avec les modèles génétiques ne clarient pas
pour linstant la question, sinon quil montrent la possibilité
deffets aggravants des bres même en labsence dinteraction
avec un cancérogène. Au total, la diversitédes effets constatés
empêche de conclure àun effet protecteur des bres dans leur
ensemble sur la cancérogenèse colique chimio-induite ou spon-
tanée chez le rongeur. Parmi les bres testées, seuls les
oligosaccharides (y compris linuline) montrent régulièrement des
effets protecteurs (et jamais deffets promoteurs), peut-être en
raison de leur effet prébiotique (voir plus loin). Les effets
aggravants souvent observés, notamment, mais pas uniquement,
avec les bres fermentescibles, posent le problème de la
possibilitéde tels effets chez lhomme : tant que les mécanimes et
les conditions dapparition de ces effets nauront pas étéclarifiés,
il conviendra de rester très prudent dans la recommandation ou
la prescription de suppléments de bres.
Etudes épidémiologiques
Depuis lhypothèse initiale de Burkitt [7], différents types
d’études ont étéréalisés pour tester lassociation entre les bres
alimentaires et le CCR. La portée des résultats obtenus doit être
confrontée aux limites des protocoles utilisés. Ainsi, les études
écologiques examinent la relation entre la consommation dun
facteur alimentaire ici, les bres et la prévalence ou
lincidence du CCR ou la mortalitépar CCR dans des populations
différentes, ou àdifférentes périodes pour une même population.
Toutefois, les faibles possibilitésdajustement sur les nombreux
facteurs de confusion en limitent linterprétation. Les études
cas-témoin nont pas ces inconvénients, car elles peuvent éliminer
ou contrôler les facteurs de confusion connus ou potentiels. Leurs
plus sérieuses limitations sont dune part le choix des témoins,
dautre part la détermination rétrospective du régime alimen-
taire, sujette àerreurs qui peuvent différer selon que les sujets sont
des cas ou des témoins. Les études de cohortes, dans lesquelles
lenregistrement des données alimentaires précède la survenue
de la maladie, évitent ces sources de biais. Cependant, la relative
imprécision des données alimentaires obtenues par autoques-
tionnaires a tendance àréduire la puissance de ces études. Les
recherches épidémiologiques sur les bres et le CCR ont fait
lobjet de revues [8, 20, 101-103], dont deux récentes [8, 103].
Etudes écologiques
Parmi les études publiées (une trentaine), la plupart ont mis en
évidence une association inverse entre la consommation de bres
ou daliments riches en bres et le CCR [8, 101]. Quelques études
récentes méritent un intérêt particulier. Une comparaison interna-
tionale incluant des pays dAmérique, dEurope et dAsie a fait
apparaître une corrélation inverse entre la consommation dali-
ments amylacésetlincidence du CCR, qui pourrait peut-être
suggérer un effet protecteur de lamidon résistant [104]. Toute-
fois, ce résultat na pas étéconrmédans une étude portant sur
65 districts chinois, oùau contraire la consommation de riz et de
produits amylacés raffinésétait associéeàun risque plus élevéde
cancer du côlon [105]. Caygill et al. [106] ont recherchéles
relations entre la mortalitépar CCR et la consommation dali-
ments sources de bres dans 28 pays, soit àla même période que
Fibres et cancer colorectal
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