Taxonomie et sécurité du patient
Dr Jean Brami
Direction de l'amélioration de la qualité et de la sécurité des soins – HAS
Le concept de « taxonomie » apparaît dans un grand nombre d’articles médicaux qui
traitent de la sécurité du patient. Une taxonomie, c’est à la fois une définition précise des
termes utilisés (erreur médicale, effet indésirable, presqu’événement…) et une classification
de ces termes. Une taxonomie bien faite permet d’analyser les raisons pour lesquelles des
événements indésirables sont arrivés et de mettre en place des stratégies préventives pour
qu’ils ne se reproduisent plus. Or, il n’existe pas encore de standard en la matière. Les
professionnels de santé ne savent pas toujours quels sont les événements qu’ils doivent
prendre en compte et analyser. L’absence de terminologie fédérative représente un obstacle
majeur pour le partage, la mise en commun et l’exploitation des informations.
Plusieurs méthodes ont été utilisées pour mettre en place des taxonomies
multidimensionnelles prenant en compte des environnements différents. L’Organisation
mondiale de la santé est ainsi en train de réaliser une taxonomie de ce type
1
mais le plus
souvent des taxonomies ont été élaborées dans des domaines spécifiques comme ceux qui
concernent les erreurs médicamenteuses, les accidents de la transfusion sanguine, les soins
infirmiers ou la médecine générale
2
.
En médecine générale, l’étude pionnière a été l’étude PCISME (Primary Care International
Study of Medical Errors) qui a sollicité des généralistes australiens, néo-zélandais, canadiens,
hollandais, britanniques et américains pour qu’ils reportent les erreurs qu’ils avaient faites ou
qu’ils avaient rencontrées dans leur pratique quotidienne
3
. Cette étude a permis de proposer
une première taxonomie. Aux USA, l’étude Asips (Applied Strategies for Improving Patient
Safety)
4
a également proposé une taxonomie centrée sur les erreurs médicales en médecine de
premier recours. Au Canada, une taxonomie dérivée de celle de l’étude PCISME et appliquée
aux erreurs canadiennes a été proposée
5
. Mais c’est la taxonomie développée par Makeham
6
et al qui est la plus connue. Ces auteurs ont proposé une taxonomie appelée Taps « Threats to
Australian Patient Safety » qui utilise une distinction primaire entre erreurs inhérentes au
processus de soin et erreurs inhérentes à la connaissance/compétence des acteurs. Dans
l’étude mise en place pour tester cette taxonomie, ils ont sélectionné 84 généralistes
représentatifs des médecins généralistes travaillant en Nouvelle-Galles du Sud (New South
Wales) et leur ont demandé de signaler de façon volontaire et anonyme tous les événements
indésirables survenus dans leur pratique pendant un an. Au total 433 erreurs médicales ont été
analysées que la taxonomie a permis de classer en trois niveaux : au premier niveau, on
retrouve la distinction entre les erreurs liées au système de santé (69,5 %) et les erreurs liées
aux compétences (30,5 %) ; le second niveau analyse les domaines dans lesquels surviennent
les erreurs. Par exemple, les 69,5 % d’erreurs du système de santé sont réparties en 5 sous
classes (système, communication, médicaments, analyses complémentaires et autres
traitements) et les 30,5 % d’erreurs de compétence sont réparties en 2 sous classes (diagnostic
et gestion du patient) ; au troisième niveau, on retrouve 35 descripteurs des thèmes
précédents.
Toutes ces taxonomies sont centrées sur le médecin ou le système. Aucune n’aborde le
problème de l’erreur dont le point de départ est représenté par le patient lui-même ou par son
entourage. La raison essentielle de cette lacune est qu’il s’agit d’un sujet sensible. Et ceci pour
au moins deux raisons : la première est qu’un patient malade et affaibli n’est pas réellement
en mesure de contrôler toutes les interactions qui peuvent exister entre les médecins et le
système de santé. La seconde est qu’il est très facile, si l’on considère que c’est le patient qui
est responsable de l’erreur, de passer ensuite de l’erreur au blâme.
L’article paru récemment
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propose une classification basée sur les erreurs réalisées par les
patients en médecine de premier recours.
Huit groupes de patients et trois groupes de soignants ont été constitués à Auckland
(Nouvelle-Zélande). Chaque groupe est uniforme. Par exemple, pour les patients il existe un
groupe dans lequel on ne trouve que des femmes ou que des hommes, ou que des personnes
âgées, etc. Les groupes « soignants » sont constitués par des médecins généralistes, par des
infirmières et par des pharmaciens. Dans chaque groupe, les participants expriment les raisons
pour lesquelles, selon eux, des erreurs sont faites par les patients et des discussions permettent
de partager et d’approfondir les idées.
Soixante-dix situations différentes dans lesquelles le patient est à l’origine de l’erreur ont ainsi
été identifiées. Certaines de ces situations sont liées à une action physique du patient. Par
exemple, quand une consultation avec le médecin est différée ou retardée, quand les
informations données au praticien sont insuffisantes voire fausses ou quand il existe une
mauvaise adhérence au traitement. D’autres erreurs sont qualifiées de « mentales » comme
par exemple les erreurs que fait le patient qui n’a pas confiance dans le praticien qu’il
consulte, ou les erreurs qu’il commet en n’écoutant pas ses instructions.
Au total, cette taxonomie à trois niveaux s’intéresse plus aux erreurs humaines qu’à celles
liées au système mais surtout elle complète les taxonomies habituelles en prenant en compte
une dimension jusqu’alors non explorée, la dimension liée au patient.
1.WHO 2009: The Conceptual Framework for the International Classification for Patient
safety. Version 1.1 Final technical report.
2. Chang A, Schyve PM, Richard J et al. The JCAHO patient safety event taxonomy : a
standardized terminology and classification shema for near misses and adverse events. Int J
Qual Health Care 2005;17:95-105
3. Makeham MA, Dovey SM, County M, Kidd MR. An international taxonomy for errors in
general practice: a pilot study. Med J Aust 2002;177(2):68-72.
4. Voir EPP infos n° 13 – Mars 2007.
5. Jacobs S, O’Beirne M, Derfiingher LP et al. Errors and adverse events in family medicine.
Developing and validating a Canadian taxonomy of errors. Can Fam Physician.
2007;53(2):270-276
6. Makeham MA, Stromer S, Bridges-Webb C, Mira M, “et al.” Patient safety events
reported in general practice: a taxonomy. Qual Saf Health Care 2008;17: 53-57.
7. Buetow S, Kiata L, Kenealy T et al Patient Error : A preliminary Taxonomy. Ann Fam Med
2009;7:223-231.
DPC & Pratiques n° 45
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